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École des chartes » thèses » 2009

Le cartulaire de l’abbaye du Mont-Saint-Michel et ses additions

Étude et édition critique


Introduction

L’abbaye du Mont-Saint-Michel, lieu illustre s’il en est et qui fête en 2008-2009 le treizième centenaire de sa fondation, a toujours eu les faveurs des historiographes : parmi les plus célèbres on citera les mauristes du xvii e siècle Dom Huynes et Dom Le Roy, les architectes des monuments historiques Édouard Corroyer et Paul Gout, les historiens normands Léopold Delisle et Lucien Musset.

Cependant, le cartulaire de l’abbaye, manuscrit du milieu du xii e siècle dont les additions se prolongent jusqu’au xiv e siècle, est longtemps resté inédit, malgré diverses tentatives d’édition. Il doit être étudié comme un ensemble sinon cohérent, du moins réalisé avec quelque raison, même quand il s’agit du matériau documentaire polymorphe ajouté après coup, et dont l’édition constitue le cœur de ce travail.


Sources

Le cartulaire du Mont-Saint-Michel, manuscrit 210 de la bibliothèque municipale d’Avranches, est devenu après le bombardement en 1944 des archives départementales de la Manche, une source primordiale pour l’histoire de l’abbaye.

Si les chartes qui composaient le fonds du Mont-Saint-Michel ont disparu dans leur grande majorité, il subsiste toutefois, de manière dispersée, dans les papiers des érudits qui, depuis le xvii e siècle, se sont penchés sur l’histoire de l’abbaye, des transcriptions des actes originaux. La lecture et la collation de ces copies modernes, conservées principalement au département des manuscrits occidentaux de la Bibliothèque nationale de France, même si la plupart concernait surtout des chartes antérieures au xii e siècle, faisaient partie du travail d’édition.

De plus, l’examen de plusieurs manuscrits montois, aujourd’hui déposés à Avranches, a révélé la présence de notes manuscrites contemporaines de celles portées dans le cartulaire, qui témoignent de certains faits similaires à ceux que relate le manuscrit 210.


Première partie
Étude


Chapitre premier
L’abbaye du Mont-Saint-Michel au xiie siècle

Une abbaye prestigieuse. — Les circonstances de la fondation de l’abbaye (708-709) conditionnent largement sa destinée : selon la Revelatio sancti Michaelis( ix e siècle), l’initiative en revient à Aubert, évêque d’Avranches, inspiré par l’archange Michel. Il y installe, pour honorer l’Archange, une communauté de clercs, lesquels sont remplacés en 966 par des bénédictins ; une seconde phase de réforme a lieu au début du xi e siècle sous l’influence de Guillaume de Volpiano. Très vite l’abbaye devient un centre de pèlerinage michaélique de premier plan dans l’Occident chrétien : les récits de miracles circulent, et on se presse de partout pour honorer le « prince de la cour céleste ».

Le patrimoine montois.— Le rayonnement de l’abbaye normande, qui dépasse de loin les limites du duché, exerce depuis le viii e siècle un grand attrait sur les princes et la noblesse locale. Ce prestige rejaillit sur l’importance de son patrimoine, non seulement en Normandie mais aussi en Bretagne, en Angleterre, dans le Maine, en Anjou, et jusqu’en Italie du Nord. On peut distinguer deux strates de donations : dans un premier temps, les donations fondatrices du patrimoine montois, faites notamment par les ducs de Normandie et de Bretagne ; puis des aumônes participant de la construction de la seigneurie de saint Michel. L’autorité montoise s’impose aussi sur des églises dépendantes, où l’abbé exerce les droits de patronage et/ou de présentation.

L’autorité abbatiale face aux pouvoirs temporels. — Situé aux confins de la Normandie et de la Bretagne, le Mont Saint-Michel se trouve au confluent de deux forces politiques, les ducs de Normandie et de Bretagne, qui s’affrontent régulièrement, tout au long du Moyen Âge, ce qui place parfois l’abbé du Mont dans un rôle de médiateur. L’emprise du duc de Normandie pose aussi problème lors de l’épineuse question des élections abbatiales, les moines du Mont subissant la tutela ducale, et il faut attendre le deuxième quart du xii e siècle pour les voir enfin obtenir des privilèges pontificaux.

Chapitre II
Contexte historique et religieux du xiie au xvie siècle

Les temps difficiles du premier xii e siècle. — Après un début de siècle pénible, marqué par l’influence ducale sur les élections et la dilapidation des ressources de l’abbaye, l’abbatiat de Bernard du Bec ouvre une période plus prospère pour le Mont-Saint-Michel. Ce personnage permet à la communauté de retrouver une certaine stabilité, dans le domaine foncier mais aussi quant à la vie religieuse. À sa mort, les problèmes surviennent à nouveau, puisque le jeune Henri Plantagenêt entend exercer son pouvoir sur l’abbaye lors de l’élection abbatiale ; s’ensuit une nouvelle période difficile, au cours de laquelle le temporel montois est administré par des officiers ducaux.

Le rayonnement de l’abbaye sous Robert de Torigni.— L’abbé Robert de Torigni (1154-1186), élu par les moines mais avec l’accord du jeune duc, a marqué le Mont par son dynamisme intellectuel – il est issu, comme son antéprédécesseur Bernard, de l’abbaye du Bec – et par sa volonté de remettre en ordre le patrimoine de l’abbaye. De plus, ses relations cordiales avec Henri II ont permis au Mont-Saint-Michel de disposer de l’appui du roi et de bénéficier de sa générosité ; parallèlement, il était proche des évêques de son temps, si bien que Hugues d’Amiens lui a apporté son soutien lors du conflit concernant les églises de Pontorson. L’élan donné par Robert de Torigni dans le redressement moral et temporel de l’abbaye s’est poursuivi au cours des abbatiats suivants.

L’intégration au domaine royal et ses suites.— La période suivante se caractérise par un renouvellement des acteurs politiques dans la région : le roi de France prononce la commise du duché de Normandie et, parallèlement aux affrontements localisés dans sa partie orientale, les combats se portent aux confins de la Normandie et de la Bretagne. Le Mont-Saint-Michel, fortifié par Jean sans Terre, est assiégé par Guy de Thouars. Après la pacification, Philippe Auguste ne manque pas de faire des dons à l’abbaye afin de restaurer sa grandeur, et la libéralité des rois de France continue à se manifester par la suite lors de visites de Louis IX et de Philippe le Bel. Les mutations politiques entraînent aussi l’extension des structures administratives normandes, alors que de nouveaux seigneurs, personnages occupant les postes-clefs du gouvernement royal, font leur apparition en Avranchin.

Chapitre III
Le manuscrit 210 de la bibliothèque municipale d’Avranches

Description du manuscrit. — Le cartulaire est un manuscrit exceptionnel. D’une part, l’étude iconographique révèle le grand soin apporté à la partie initiale, notamment dans les lettrines, et surtout dans les quatre enluminures de grand format, rehaussées d’or, qui illustrent quelques-unes des principales chartes, phénomène rare sinon unique dans ce type de document. D’autre part, l’étude codicologique et paléographique du manuscrit fait apparaître une composition en plusieurs strates : une première phase soignée et uniforme de 13 cahiers ; puis des additions sur les feuillets restants, auxquels on a ajouté a posteriori des cahiers et des feuillets ; l’écriture et la mise en page deviennent alors plus hétérogènes, de même que le contenu. Il importe d’ailleurs d’émettre des hypothèses sur l’identité du commanditaire du cartulaire, puisque aucune mention ne détermine clairement l’abbé à l’origine de cette initiative. Enfin, la destinée archivistique du manuscrit 210 en fait un rescapé. Les fonctionnaires de la Révolution l’ont agrégé non pas au reste du fonds d’archives montoises mais aux livres de l’abbaye, le plaçant donc à la Bibliothèque municipale d’Avranches. Par conséquent, entreposé dans une cave pendant la Seconde guerre mondiale, il fut épargné tandis que les autres documents d’archives du Mont partaient en fumée sous le feu des bombardements qui frappaient Saint-Lô.

Le cartulaire du Mont-Saint-Michel.— L’étude de ce cartulaire se place dans la lignée des réflexions développées depuis une vingtaine d’années, qui considèrent le cartulaire non seulement comme une source diplomatique donnant accès à des actes parfois disparus, mais aussi comme un codex revêtu d’une valeur intrinsèque. Il témoigne en effet d’un souci pratique de gestion du patrimoine, alors vaste et dispersé, doublé d’une volonté idéologique de gestion de la mémoire au sein du monastère. Cet aspect idéologique se prolonge en outre dans la préoccupation d’exhiber hors de ce dernier l’ancienneté des possessions du Mont, la renommée de ses donateurs, le prestige de l’abbaye normande. Dans le cas présent, la pluralité des étapes de composition révèle par ailleurs la variété des approches, selon les époques, dans l’économie du patrimoine et de la mémoire montoise.

Chapitre IV
Commentaire de l’édition

Les actes de l’administration de Robert de Torigni. — La première partie de l’édition consiste en un ensemble homogène : les actes passés par l’abbé Robert de Torigni dans les cinq premières années de son abbatiat (1155-1159). L’écriture est teintée du style propre aux annales : chaque action juridique est résumée avec concision mais augmentée d’annotations qui étaient probablement absentes des actes écrits, rarement repérés par ailleurs. Ces brefs récits fournissent des renseignements sur les circonstances, les motivations et les modalités des restitutions et des autres donations. Ils témoignent à la fois d’une reprise en main du patrimoine et d’un projet mémoriel du nouvel abbé, dont les écrits historiques nous sont également parvenus.

Chartes.— Les chartes constituent la catégorie la plus représentée dans les additions. La dimension du cartulaire comme recueil d’actes de la pratique a donc perduré dans les siècles postérieurs à la première compilation, même si leur transcription a été réalisée au fil du temps et généralement sans ordre logique. La géographie de ces chartes reflète le rayonnement de l’abbaye, qui possède des biens jusqu’en Lombardie et entretient des relations avec des établissements tels que Marmoutier.

Notices de conflits. — Cette expression désigne des comptes rendus d’assises dont la syntaxe est globalement uniforme. Ils rapportent des arbitrages lors de litiges portés principalement devant les assises d’Avranches, mais aussi devant celles de Coutances, de Caen, etc. Ces notices se rencontrent essentiellement sous l’abbatiat de Raoul des Isles (1212-1229), qui apparaît comme le grand spécialiste du redressement des droits montois au xiii e siècle.

Documents de gestion.— Les documents restants consistent en une cinquantaine d’actes de gestion courante : listes de cens et de redevances diverses, notes informes concernant des prises en gage et des aumônes de faible valeur, notes historiques, etc. La présence de telles copies dans le cartulaire peut s’expliquer par la nécessité d’unifier la gestion des domaines montois, et de rassembler ainsi en un seul et unique volume l’ensemble des notices qui s’y rapportaient.

La Translatio sancti Maglorii .— La Translatio sancti Maglorii, copiée sur un bifeuillet précédent le début du cartulaire, raconte un épisode survenu au début du x e siècle, lorsque des raids scandinaves ravagent les côtes, menaçant les monastères et leurs trésors. Il relate le départ précipité des moines bretons de Léhon vers la région parisienne afin d’y mettre en lieu sûr les reliques de leurs saints, dont celles de Magloire, archevêque de Dol. La copie de cette Translatio, datable du xiii e siècle, peut se justifier par l’existence, au sein du cartulaire, d’un autre texte hagiographique, la Revelatio, et l’éventuelle volonté de comparer les deux saints patrons et leur histoire.


Deuxième partie
Édition critique : les additions au cartulaire du Mont-Saint-Michel


Le second volet de la thèse donne l’édition intégrale du matériau documentaire ajouté au cartulaire, transcrit sur les feuillets laissés blancs par le cartulariste ainsi que sur d’autres feuillets de parchemin, désormais intégrés au manuscrit 210 de la bibliothèque municipale d’Avranches.

Les textes ainsi accumulés étant très hétérogènes, on a pris le parti de proposer une édition réorganisée des additions, dans le double objectif de leur redonner une cohérence et de faciliter leur étude, par le rassemblement des actes selon leur nature. On a donc édité dans une première partie les actes de l’administration de Robert de Torigni passés au début de son abbatiat (1155-1159), qui présentaient une unité en soi dans le manuscrit et qu’il était inenvisageable de déconstruire. La deuxième partie regroupe les chartes copiées sur les feuillets additionnels. La troisième, les notices de conflits. Quant aux documents de gestion au sens large (listes de redevances, notes historiques, etc.), on les trouvera dans une dernière partie.


Pièces justificatives

Édition de l’inventaire des actes en la possession de l’abbaye du Mont-Saint-Michel au xiv e siècle (Avranches, manuscrit 211, fol. 113v-137).


Annexes

Tables des actes   : table analytique ; table chronologique ; table des actes édités, dans l’ordre des feuillets.

Données chronologiques : tableau incluant évêques, archevêques, ducs, rois et abbés du Mont-Saint-Michel ( xii e- xiv e siècles).

Données codicologiques   : tableau de composition des feuillets.

Données paléographiques   : échantillon d’écritures contenues dans le manuscrit ; échantillon de lettrines ornées .

Données statistiques : typologie des additions au cartulaire ; les diocèses concernés par les additions ; répartition des additions par diocèse ; les abbatiats concernés par les additions ; répartition des additions par abbatiat ; nature des actes de Robert de Torigni dans les premières années de son abbatiat (1155-1159) ; les acteurs juridiques des chartes ; les biens concernés par les notices de conflits .

Cartes : les diocèses concernés par les actes ajoutés au cartulaire ; répartition des actes par diocèse selon leur nature ; les établissements dépendant du Mont-Saint-Michel ; les dépendances du Mont-Saint-Michel situées dans sa baie ; les assises concernant le Mont, dans le cadre du duché en 1204 .

Index nominum et rerum.