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École des chartes » thèses » 2009

De l’agent seigneurial au fonctionnaire

Notaires, notariat et société en bas-Dauphiné (1770-1820)


Introduction

Les archives notariales ont depuis longtemps conquis leurs lettres de noblesse en tant que source privilégiée dans de nombreux travaux historiques. Cette étude est en quelque sorte une tentative d’intégration des trois composantes successivement redécouvertes et à la base de l’histoire notariale : les notaires en tant que groupe défini dans le cadre de leur organisation corporative, les actes notariés, et enfin la personne même du notaire.

Les actes notariés permettent de constater à quel point le notaire est un véritable pivot de la société quotidienne, conférant authenticité et valeur juridique aussi bien aux grands événements structurant les familles et la succession des générations, qu’à la vie économique locale, tout en mettant en scène des individus de tous milieux sociaux. L’exercice de sa profession ne peut manquer de conférer justement au notaire lui-même une place privilégiée dans la vie sociale.

L’originalité des recherches présentées ici tient surtout aux critères de temps et de lieux retenus. Observer et comprendre les évolutions caractérisant les modalités d’accession à la profession, l’activité de ses représentants, et leur place parmi leurs contemporains prend une dimension nouvelle par le choix d’un intervalle chronologique allant de 1770 à 1820, particulièrement chargé au premier abord en bouleversements qui affectent la société toute entière.

Les lectures et les dépouillements de sources ont peu à peu façonné un corpus bien défini des 108 notaires ayant exercé entre ces deux dates dans un environnement précis : une région rurale d’où émergent de petites villes et bourgs, dans le coin nord-est du Dauphiné. Cette portion du bailliage de Vienne correspond, après les diverses refontes révolutionnaires, aux quatre cantons les plus au nord de l’arrondissement de la Tour-du-Pin, dans le nouveau département de l’Isère. L’examen des trois composantes doit donc se faire en tenant compte du contexte et des particularités régionales et locales. Le Dauphiné, et particulièrement le Viennois, ont été marqués par les événements politiques, qu’il s’agisse bien sûr de la pré-Révolution de 1788, de la Grande Peur, de l’influence du mouvement fédéraliste, ou encore de l’application de la Terreur par des représentants plus que zélés. La reconstruction des carrières, celle des lignées conduisent bien souvent à remonter au moins au début du siècle des Lumières et mènent jusqu’au milieu du xix e siècle. Il importait en effet de replacer les observations dans un temps plus long.

Durant l’une des périodes parmi les plus instables de l’histoire de France, les angles d’études retenus doivent permettre d’évaluer de manière globale les changements intervenus, à la fois du fait des différents gouvernements révolutionnaires, mais aussi après le retour des souverains dont la Révolution avait justement renversé le régime et détruit la société.


Sources

Un éventail large de sources a pu être exploité, ces dernières différant tant par leur nature que par leur localisation. Les trois grands axes de recherche ont dans l’ensemble chacun fait appel à de grandes catégories. C’est aux Archives nationales qu’ont été retrouvées les lettres de provision d’offices, les dossiers de nomination, ou encore la correspondance entre les instances locales et le ministère de la Justice, qui ont permis l’étude des caractéristiques professionnelles. Les minutiers et les autres répertoires conservés aux archives départementales de l’Isère ont servi de source de premier choix pour l’analyse de la pratique quotidienne et de son évolution. Enfin, les reconstitutions des réseaux familiaux, des influences et des responsabilités locales l’ont été grâce aux registres paroissiaux devenus d’état-civil, conservés là encore aux archives départementales de l’Isère, mais aussi par les nombreuses publications relatives aux événements de l’époque, ainsi que des sources, témoignages et autres procès-verbaux édités ou conservés notamment à la bibliothèque municipale de Grenoble.


Chapitre liminaire
La terre, les cadres institutionnels et les hommes


Au sein d’une province aux caractères composites comme le Dauphiné, la partie orientale du Viennois où résident les notaires étudiés présente une relative unité. Le climat y est plutôt continental, avec des saisons bien marquées, et le relief constitué de vallons aux pentes douces et de quelques plateaux. La géographie humaine fait apparaître un maillage rural assez serré de petits villages avec quelques bourgs dont deux, Bourgoin et Crémieu, peuvent entrer raisonnablement dans la catégorie des petites villes. Entre 1770 et 1820, la population, déjà dense en comparaison du reste de la province, comme du royaume, connaît en outre une augmentation appréciable. La majorité des habitants sont occupés par le travail de la terre, pratiquant la polyculture, mais une part assez importante sont de petits artisans, résidant aussi bien dans les bourgs que les plus petits hameaux, occupés notamment dans le textile. Les refontes révolutionnaires vont réorganiser, dans le cadre du département de l’Isère et de l’arrondissement de la Tour-du-Pin, des structures administratives et religieuses auparavant particulièrement hétérogènes. Une continuité relative des centres peut être notée entre les quatre bureaux du contrôle des actes de l’Ancien Régime et les quatre nouveaux cantons du nord de l’arrondissement, dans lesquels tous les notaires étudiés ont leur résidence.


Première partie
Devenir notaire


Chapitre premier
Devenir notaire en bas-Dauphiné :
l’évolution des conditions d’accession (1770-1820)

Sous l’Ancien Régime, dans la moitié est de Viennois, l’accession au notariat suit le cours assez classique de l’acquisition d’un office royal, avec l’obtention de lettres de provision et la réception devant le parlement de Grenoble ou, dans quelques cas, devant le bailliage de Vienne. Mais si, dès le début de la période étudiée, les notaires de cette partie du Dauphiné se réclament tous du notariat royal, les conditions d’obtention, et particulièrement l’acquittement des divers droits, mettent en évidence l’hétérogénéité des procédures. Celles-ci peuvent varier selon l’âge de l’acquéreur, le lieu de résidence pour lequel l’office a été créé à l’origine, et surtout les conditions de résignation et le laps de temps écoulé entre deux titulaires. Les différentes réformes du xviii e siècle n’ont fait que compliquer les conditions de succession en distinguant de nombreux cas.

Les réformes révolutionnaires font, dans ce domaine, table rase de la situation précédente, en instituant une fonction unique de notaire public, en rationalisant et organisant la disposition de ces nouveaux « fonctionnaires » – tels qu’ils sont désignés dans les correspondances – exerçant leurs prérogatives au nom de l’État et au service de leurs concitoyens. Dans les faits, ces réformes ne vont pas vraiment connaître d’application. Tous les notaires de l’Ancien Régime sont reconduits, tandis qu’en raison des conditions matérielles et des évolutions politiques, entre autres, aucune nomination n’intervient pendant la période révolutionnaire. Un seul notaire prend ses fonctions selon ces nouvelles lois, et encore sous le Consulat juste avant la loi de ventôse an XI. Cette dernière refonde durablement le notariat, consolidant un héritage d’Ancien Régime, avec le système de l’office, par exemple, tout en confirmant les mesures révolutionnaires de rationalisation des nominations, du nombre et de la localisation des résidences, et conservant le contrôle direct de l’État. Les aspirants isérois au notariat ayant effectué les années d’apprentissage nécessaires rassemblent les pièces requises pour se conformer aux nouvelles procédures. Les nominations deviennent peu à peu le théâtre de jeux subtils d’influences et de tractations où interviennent les parents et les soutiens de l’impétrant, la nouvelle chambre des notaires de l’arrondissement, le procureur auprès du tribunal civil de Bourgoin, figure dorénavant centrale, en lien avec les services du ministère de la Justice. Le succès de cette loi dans le cadre local est assuré par une application pragmatique. Dans l’ensemble, les autorités se sont montrées tour à tour fermes et permissives, allant jusqu’à momentanément transgresser elles-mêmes certaines dispositions pour faciliter la transition.

Chapitre II
Étude de quelques caractéristiques générales

La prise en considération de quelques caractéristiques tout au long de la période étudiée permet de mesurer l’existence de fractures ou, au contraire, d’évolutions sur le long terme.

Le nombre de notaires en exercice est en croissance progressive et continue durant les deux dernières décennies de l’Ancien Régime. Le maximum est atteint précisément au début de la Révolution, au moment des réformes de la Constituante. Dès lors, l’absence de nominations jusqu’au Consulat entraîne un déclin en quelque sorte utile, puisqu’il rejoint les objectifs fixés par les nouvelles lois, prévoyant en théorie une réduction de plus de la moitié des effectifs. En 1820, il reste encore vingt-huit notaires en exercice, sur les vingt requis par la loi de ventôse. Les autorités ont toujours privilégié le mouvement naturel des fins de carrière, tout en se montrant exigeantes pour les nominations. En revanche, l’âge moyen d’entrée en charge, tout comme la durée des carrières, restent stables dans l’ensemble.

Si tout dans les réformes révolutionnaires et la société née des turbulences de cette époque aurait dû conduire à une diminution des successions familiales, un phénomène inverse se produit au regard des nominations intervenues après la loi de ventôse. Sous l’Empire et la Restauration, le rétrécissement drastique des opportunités de succession conduit au contraire les autorités à favoriser, à compétence égale, les fils de notaires dans l’obtention d’une place. À l’inverse, le nombre de charges existantes sous l’Ancien Régime, la possibilité constante de créations diminuaient dans une certaine mesure le besoin d’une transmission familiale des offices. Néanmoins, la part plus réduite des successions familiales sous l’Ancien Régime est à nuancer en partie par la pratique d’une résignation des charges dans une dimension familiale plus large que le simple modèle père-fils.

En ce qui concerne les formations et acquis préalables, la rupture révolutionnaire est en revanche patente au niveau théorique. Les nouvelles dispositions, et notamment la loi de ventôse, privilégient toutefois encore les formations pratiques. Avant 1791, les notaires du Bas-Dauphiné ne disposaient d’aucun règlement à l’échelon local codifiant l’acquisition des compétences professionnelles. Pour autant, cette rupture, tangible en ce qui concerne la codification, est à nuancer. En réalité, les apprentissages pratiques étaient déjà massivement répandus dans la région, les jeunes aspirants privilégiant les formations chez des procureurs et le plus souvent à Grenoble.

Chapitre III
Ressorts et implantation des résidences

Toute création d’office, à l’époque moderne, lie celui-ci à une résidence stipulée dans les lettres de provision. Le notaire a théoriquement la possibilité d’exercer dans le ressort de l’institution auprès de laquelle a eu lieu sa réception. Dans la présente étude, que le notaire royal soit reçu au parlement de Grenoble ou devant le vibailli de Vienne, le ressort s’avère largement suffisant au regard des besoins de la pratique quotidienne. L’étude des transmissions de charges met en évidence que si les possesseurs varient, la résidence stipulée demeure la même. Cette mention est bien souvent devenue une inscription figée, purement formelle, qui ne correspond plus au lieu d’exercice réel du titulaire. Seuls quelques rares notaires s’efforcent de se mettre en conformité avec les règlements en obtenant par de nouvelles lettres patentes une reconnaissance officielle de la translation de leur lieu de résidence.

Dès la loi de 1791, la rupture est évidente. Le nombre de notaires en exercice doit désormais dépendre de celui des résidences, fixées de manière rationnelle, à raison d’une ou deux dans les nouveaux cantons. En raison de la conjoncture, mais aussi du fait que ce premier placement théorique a été effectué par des autorités plus éloignées et peu conscientes des réalités locales, cette répartition n’a pas été appliquée. Il faut attendre tout d’abord la loi de ventôse pour que les autorités, par l’intermédiaire du procureur près le tribunal de Bourgoin, fassent le point sur la situation. Puis, la chambre des notaires de l’arrondissement est consultée. Celle-ci rend en 1810 un rapport répartissant les résidences selon les cantons de 1801, en tenant compte des caractères régionaux, qu’il s’agisse de la répartition de la population, des activités économiques ou encore du réseau de communication. Les exigences de la loi, notamment le maximum de cinq notaires par canton, nécessitaient la réduction du nombre de praticiens, qui ne baissa que graduellement.

L’observation des implantations notariales au fil de la période permet de mesurer l’évolution de leur répartition sur le territoire considéré. Au cours des deux décennies précédant la Révolution, l’attirance des principaux bourgs et centres urbains est évidente, mais le grand nombre de notaires, installés parfois jusque dans les plus petits hameaux, assure un maillage serré et assez homogène. La baisse progressive des effectifs, ainsi que la non application de certaines répartitions proposées, provoquent un relâchement du quadrillage. Mais à la fin de la période, un nombre bien plus faible de notaires occupe un ensemble de résidences proportionnellement plus élevé que sous l’Ancien Régime pour une répartition plus équitable sur le territoire. L’application progressive de la nouvelle répartition rationalisée effectuée par la chambre, même si elle n’est pas encore aboutie en 1820, a permis la constitution d’un réseau notarial plus efficace.


Deuxième partie
Exercer au quotidien


Chapitre premier
La pratique notariale au quotidien

L’étude indispensable des caractéristiques et de l’évolution de la pratique notariale quotidienne imposait des choix méthodologiques. La masse des sources à exploiter a conduit à la sélection des vingt notaires ayant exercé dans le cadre du canton de Crémieu, selon les limites de 1801. La période allant de 1770 à 1820 a été quadrillée par sept sondages de deux années successives. Les sources privilégiées sont les minutiers et les répertoires, les registres du contrôle des actes pouvant être utilisés en appoint.

L’examen des caractères externes et internes des documents produits par les notaires révèle, à partir des codifications de l’an VIII puis de la loi de ventôse, une uniformisation peu à peu totale des modes de présentation et de rédaction des minutiers comme des répertoires. Ce mouvement est sans commune mesure avec les ressemblances, traits communs et autres éléments imposés par la législation royale depuis des siècles, qui étaient déjà repérables sous l’Ancien Régime.

La comparaison des activités globales au fil des sondages révèle une hausse constante de l’activité annuelle. La seule exception est constituée par les années III et IV de la Révolution, où l’activité est plus faible. C’est aussi cette période, et elle seule, qui voit la perturbation de la répartition mensuelle traditionnelle de l’activité. Cette dernière présente en temps normal une évolution annuelle en creux, l’apogée des premiers mois de l’année étant suivie d’une baisse assez régulière, les mois de l’été constituant la période la moins propice, avec ensuite une remontée progressive au cours des mois suivants. Si le nombre d’actes moyen par année met en évidence de réelles différences entre confrères, celles-ci vont en se réduisant après la loi de ventôse, mettant en évidence un mouvement de professionnalisation chez les notaires restants. En revanche, qu’ils soient très actifs ou non, les répartitions mensuelles demeurent assez uniformes et suivent globalement le calendrier des activités agricoles traditionnelles.

Le classement typologique des actes notariés a été effectué selon cinq grandes catégories : actes de crédit, autres actes économiques, actes relatifs au droit familial, actes d’Ancien Régime, actes à caractères généraux ou inclassables. De 1770 à 1820, les parts relatives de ces catégories restent étonnement stables, y compris entre notaires, ce qui dans ce dernier cas illustre le peu de spécialisation des praticiens des environs de Crémieu. C’est, là encore, dans les années III et IV de la Révolution qu’interviennent les seuls relatifs changements : baisse des actes liés à la famille, notamment les testaments, hausse des autres actes économiques notamment par la vente de biens nationaux, par exemple. La disparition des actes d’Ancien Régime, réelle, est à nuancer, le nombre de ces actes étant déjà extrêmement faible avant la Révolution. En revanche, de nouveaux actes sont apparus au fil des réformes et des événements, comme les remplacements militaires ou les actes respectueux.

Chapitre II
Les Chambres des notaires

Chez les notaires de cette partie orientale du Viennois, le manque de codification des formations, ou l’absence d’un quelconque règlement, peuvent s’expliquer par l’inexistence de corporations ou de confréries. En dehors de leur résidence et des environs où ils exerçaient, il n’y avait en fait aucune circonscription assez ancienne et de taille raisonnable pouvant permettre la constitution ou le bon fonctionnement d’une institution à caractère professionnel. Pour autant, à l’image des notaires résidant à Crémieu et dans les villages avoisinants, cela n’excluait pas des liens forts, voire une sociabilité particulière entre confrères, comme en témoigne l’organisation de festivités spécifiques à l’occasion de la Saint-Yves, fête de leur saint patron.

Si à l’échelle nationale, la rupture révolutionnaire est brutale dans ce domaine, avec la loi Le Chapelier et le décret d’Allarde, la suppression des corporations, jurandes et autres confréries n’a donc que peu de conséquence pour les notaires de cette partie du récent district de la Tour-du-Pin. Le lien est maintenant direct entre le notaire public et l’État bientôt républicain.

La création d’une chambre de discipline dans le ressort du nouvel arrondissement de la Tour-du-Pin, peu de temps après la loi de ventôse an XI et surtout l’arrêté du 2 nivôse an XII, constitue donc une institution radicalement nouvelle dans ce contexte. Durant les premières années, la correspondance reliant le ministère de la Justice et le procureur impérial témoigne des difficultés rencontrées par ce dernier pour parvenir non à la mise en place mais au bon fonctionnement régulier de la chambre. Par la suite, la composition de la chambre révèle au fil des années une grande stabilité des titulaires des fonctions. Qualifiée de « discipline », elle n’eut en apparence pas de sanction à prendre contre un confrère. Elle s’imposa en revanche, au fur et à mesure des nouvelles nominations et des autres procédures, comme l’interlocuteur local incontournable du procureur impérial, puis royal, et comme un médiateur entre les notaires et l’administration publique.


Troisième partie
Vivre en société


Chapitre premier
Les notaires au sein de la société

Le notariat n’est pas à l’époque une activité à plein temps. Quasiment tous les individus étudiés sont propriétaires de biens fonciers, notamment agricoles, loués, quand ils ne les exploitent pas eux-mêmes. Surtout, leur position sociale, leurs relations, leur savoir en font des titulaires tout désignés pour exercer les fonctions de châtelains ou de greffiers de leurs communautés ou des seigneuries, ou d’autres responsabilités moins officielles comme celle d’agent seigneurial. L’emprise des notaires sur les responsabilités locales est d’autant plus prégnante qu’ils sont implantés jusque dans les plus petites communautés, où ils sont bien souvent les seuls susceptibles de les exercer.

Présents aussi bien dans les institutions seigneuriales et royales qu’à la tête des communautés, les notaires vont être confrontés à des choix difficiles, au gré des bouleversements révolutionnaires. Partisans de l’ordre, donc foncièrement hostiles à la Grande Peur, ils tentent souvent sans succès d’apaiser les émeutiers, au risque de paraître suspects. Mais en tant que notables du tiers état, souvent acquis aux idées nouvelles de mérite et d’égalité civile, ils sont les grands gagnants de la société de la Constituante, appelés à participer aux plus hautes responsabilités des institutions locales et nationales. La période de la Terreur et ses répercutions régionales toutes particulières firent naturellement de la majorité d’entre eux des opposants, déclarés ou non. Cependant, dès le Directoire, ils réintègrent leurs nouvelles fonctions.

Les difficultés économiques généralisées, la désorganisation de la société, les périls intérieurs et extérieurs font que les notaires vont accueillir favorablement, et non sans opportunisme pour certains, les réformes consulaires, l’ordre napoléonien et enfin la Restauration. La création de certaines institutions, comme celle du tribunal de Bourgoin, leur fit craindre quelques temps une possible concurrence pour leurs propres affaires. Si, pour ceux résidant dans les plus gros bourgs, le risque existait de perdre de leur influence relative au sein d’une élite plus large que dans un village, les notaires s’imposent durablement comme des notables particulièrement attirés par les responsabilités publiques locales.

Chapitre II
Sociabilité notariale et stratégies familiales

L’appartenance des notaires de cette partie du Dauphiné à l’élite sociale locale ne fait aucun doute au regard des diverses sources. Leur seule signature au bas des actes des registres paroissiaux puis d’état civil, en tant que premiers concernés ou témoins requis, les distingue de la majorité de la population illettrée. À la tête des communautés, au service du roi ou des seigneurs, ils apparaissent au premier rang des événements rythmant la vie de leur communauté, comme à l’occasion de la bénédiction de nouvelles cloches, etc. Ces bourgeois des campagnes et des petits bourgs sont aussi bien en contact avec les nobles, dont ils font parfois des parrains pour leurs enfants, qu’avec les plus humbles de leurs villages, ces derniers les choisissant aussi au moment des baptêmes.

Dans leur très grande majorité, les notaires appartiennent aux anciennes familles locales, alphabétisées, qualifiées de bourgeoises et exerçant les mêmes responsabilités depuis des générations, tout en étant encore fortement impliquées dans la gestion de leur négoce ou de leur biens fonciers.

Sans surprise, l’analyse des mécanismes d’alliance et de sociabilité des notaires révèle une forte endogamie, non pas tant selon le critère purement professionnel, même s’il existe aussi, qu’en raison d’un critère social : les familles alliées appartiennent au même milieu de bourgeois ruraux ou des petits bourgs. Durant la période, le seul changement remarquable concerne le ressort d’origine des conjoints et des fréquentations en général. Limité au début à une dizaine de kilomètres en moyenne, il s’élargit grossièrement à l’arrondissement de la Tour-du-Pin.

Quant à leur descendance, il faut noter en premier lieu la forte baisse de la fécondité des praticiens nommés après la loi de ventôse, qui tranche avec les familles nombreuses de leurs prédécesseurs. Les enfants de notaires se destinent bien souvent, quand ils ne vivent pas de leurs rentes, aux professions convenant aux notables, avocats, médecins, négociants, la ville de Lyon constituant pour ce dernier cas un lieu d’émigration recherché. Ils choisissent aussi, et de plus en plus, de se mettre au service de l’État, profitant des possibilités offertes par les nouvelles institutions. Un lent mouvement d’exode rural est décelable. Leur position sociale permet à leur famille d’être moins éprouvée par les campagnes militaires alors si dévoreuses de nombre de leurs compatriotes.


Conclusion

Sans grande surprise, il est impossible de s’accorder sur une année qui permettrait de fixer précisément une ligne de fracture entre le notaire de l’époque moderne et celui de l’époque contemporaine. De manière générale, les réformes révolutionnaires, si elles posent les nouveaux principes théoriques, souffrent de leur peu d’application. La présence administrative et son efficacité ne vont réapparaître pour les notaires du nord du département de l’Isère qu’à partir du retour d’une certaine stabilité politique à la fin du Directoire, à la faveur des réformes administratives du Consulat, mais surtout, dans un contexte national apaisé, après la promulgation de la loi de ventôse an XI, dont la célébrité est justement méritée. La période révolutionnaire n’apparaît pas tant comme une rupture induisant de nouvelles tendances durables, que comme une parenthèse elle-même peu uniforme, au sein de d’évolutions structurelles bien plus générales prenant place tout au long de l’intervalle chronologique observé.

Pour autant, malgré les permanences et les évolutions lentes dans de multiples domaines, il ne s’agit pas de relativiser les changements survenus. Le métier de notaire s’est sans conteste professionnalisé. La très faible activité de certains praticiens sous l’Ancien Régime en faisait parfois plus un statut honorifique garantissant un prestige local et un revenu d’appoint. Les réformes révolutionnaires puis la loi de ventôse permettent une individualisation de la fonction. Surtout, l’instauration d’un système rationalisé dans la répartition des résidences et la régulation des nominations conduit certes à une baisse de plus de la moitié des praticiens que comptait le ressort étudié en 1789, qui atteignait là son record, mais contribue aussi à rendre d’autant plus impressionnante la hausse continue de l’activité notariale sur quasiment toute la période. Les nouveaux codes et les autres transformations de la société ont été vite assimilés par ces hommes qui avaient développé une aptitude quotidienne à adapter leurs connaissances juridiques théoriques aux situations concrètes et quotidiennes que leurs soumettaient des clients issus de toutes les catégories sociales.

Sous l’Ancien Régime, comme durant la Restauration, si l’activité notariale traditionnelle, en les plaçant néanmoins au cœur de la vie sociale, en faisait plutôt des observateurs que des acteurs, les notaires pouvaient compenser cette position par l’exercice des autres fonctions et responsabilités locales. Ces dernières sont marquées au cours de la période par une refondation les plaçant toutes sous l’autorité de l’état.

En 1820, un déclin est pourtant bien palpable. L’attraction progressive vers les centres urbains ne peut qu’entraîner un relatif effacement d’un praticien lié à la terre, du bourgeois le plus proche des masses rurales.

Au-delà de l’influence des simples événements politiques ou économiques, c’est aussi la mesure de l’efficacité des nouvelles lois, l’évaluation de la mise en œuvre des nouveaux codes régissant la vie publique, le comportement de la majorité des Français, qui se retrouvent au fil des sources. Les notaires sont bien au centre de la société.


Annexes

Cartes géographiques. — Données démographiques. — Analyses quantitative et typologique des actes : données et calculs détaillés par notaire. — Correspondance d’étienne Antoine Lacroix. — Dictionnaire prosopographique des notaires.