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École des chartes » thèses » 2009

Les parcheminiers de Paris au xviiie siècle


Introduction

De nombreuses communautés de métier ont fait l’objet de la curiosité des historiens, d’abord à travers des études générales, puis métier par métier. Tous les métiers ne sont pas organisés en corps, même à Paris, où l’organisation des métiers en communautés jurées est ancienne. Les parcheminiers de Paris, quant à eux, sont organisés en communauté de métier, mais ce n’est pas là leur seule particularité : ils se distinguent de leurs collègues provinciaux par une histoire bien particulière qui les rattache à l’université de Paris, mais aussi par un rôle bien spécifique dans la transformation et la vente du parchemin. Leurs liens anciens à l’université de Paris les distinguent également parmi les autres corps de métiers parisiens, tout en les rapprochant de ceux du livre, avec lesquels ils sont réunis en une seule et même confrérie.

De sa dépendance à l’université de Paris depuis le xiiie siècle, la communauté a hérité au xviiie siècle d’un certain nombre de contraintes, qui en réalité lui ont assuré une protection et une longévité. De ce fait, l’étude de l’histoire des parcheminiers de Paris contribue à compléter celle de l’université. Aucune étude d’envergure n’a été réalisée sur la communauté pour la période médiévale, en dépit de quelques articles qui ne font qu’effleurer le sujet. Aucune limite chronologique précise ne borne donc l’étude, car, si son cœur porte sur le xviiie siècle, elle fait souvent appel à des sources bien plus anciennes afin de replacer la communauté dans son contexte et d’éclairer l’origine de certaines de ses particularités.

Il est légitime de s’étonner de la longévité des parcheminiers jusqu’au xviiie siècle, alors que le marché du parchemin aurait dû s’effondrer après la généralisation de l’usage du papier pour l’écriture et l’imprimerie. Or cette étude démontre que le marché du parchemin existe bel et bien jusqu’au xviiie siècle, en dépit de certains aléas, et expose les conditions dans lesquelles ce marché perdure. Deux acteurs majeurs interviennent : l’Université dans un premier temps, du fait d’un droit que le recteur perçoit sur le parchemin, et qui le pousse à protéger ce commerce afin de continuer à s’assurer ces revenus, et la monarchie d’autre part, qui, en instaurant l’obligation d’utiliser du parchemin timbré pour certains types d’actes, a assuré un débouché en grande quantité pour la production et le commerce du parchemin. Cette étude a aussi pour ambition de replacer ces derniers dans leur contexte économique et social : elle détaille les conditions d’exercice du métier de parcheminier ainsi que celles du commerce du parchemin ; elle redonne également à celui-ci une dimension sociale, en analysant l’organisation interne de la communauté des parcheminiers et en insistant sur les relations entre la communauté et les autres acteurs de ce commerce.

Un bref épilogue aborde le devenir de la communauté au moment de la Révolution, qui met un terme tant à son organisation en corps qu’au commerce du parchemin lui-même.

Enfin, cette étude avance en conclusion un certain nombre d’explications possibles à la quasi-disparition de cette profession au cours de la Révolution. En définitive, ce sont l’ensemble des conditions qui lui avaient permis se maintenir jusque-là qui ont fini par lui être fatales, une fois celles-ci remises en cause par la Révolution.


Sources

En l’absence d’études portant sur les parcheminiers, qu’ils soient de Paris ou de province, il a été nécessaire de bâtir entièrement les bases de l’étude de l’histoire des parcheminiers. Si la bibliographie de l’histoire des communautés de métiers est importante, très peu d’ouvrages concernent directement l’histoire des parcheminiers. Les sources pour l’histoire des parcheminiers de Paris sont variées. Si les archives des communautés de métier ont pour la plupart disparu, les Archives nationales conservent encore bien des documents permettant de faire l’histoire de celles-ci. On est confronté parfois à des lacunes, comme l’absence de dossier sur les parcheminiers dans les archives de la commission de la liquidation des comptes des communautés dans la série V7. Par bien des aspects, les parcheminiers sont difficiles à cerner à travers les archives et ce se sont pas toujours les sources les plus évidentes qui donnent les meilleurs résultats. Les archives du Minutier central des notaires de Paris sont une source de première importance pour la connaissance de la vie de la communauté, mais une recherche prolongée dans différentes études ne s’est avérée que peu fructueuse. Un grand nombre de séries des Archives nationales permettent une approche de l’histoire de la communauté, notamment par les fonds produits par le Châtelet de Paris, l’Université ou le Parlement. La Bibliothèque nationale de France est une institution incontournable pour toute recherche sur l’histoire des communautés de métier puisqu’on y trouve des sources particulièrement importantes, aussi bien manuscrites qu’imprimées, notamment dans les collections et recueils d’actes et arrêts divers qui mettent en scène la vie de la communauté. La bibliothèque de la Sorbonne conserve un certain nombre d’archives de l’Université parmi lesquelles on trouve certains documents touchant ses relations avec les parcheminiers, mais ce sont des documents que l’on retrouve ailleurs aussi. Il faut diversifier les points de vue pour trouver les sources de l’histoire des parcheminiers. Il y a peu de sources iconographiques à notre disposition pour illustrer ce métier ; certaines sont cependant reproduites en annexe. La collecte des sources n’est pas aisée, leur traitement a également parfois posé problème, notamment lorsqu’elles se contredisent, ce qui nécessite de réaliser un véritable travail de critique des sources.

Par ailleurs, les recherches entreprises pour éclairer les relations entre les parcheminiers de Paris et leurs homologues provinciaux se sont avérées délicates dans la mesure où les traces des communautés de parcheminiers sont maigres ; la tâche est d’autant plus ardue que, si le métier de parcheminier est plutôt bien défini à Paris, il n’en va pas de même en province, où les parcheminiers occupent également d’autres activités, ce qui les rend plus difficiles à cerner.


Première partie
Le commerce du parchemin


Chapitre premier
La fabrication du parchemin

Il s’avère tout d’abord essentiel de revenir sur les détails techniques de la fabrication du parchemin, en sorte que le métier de parcheminier soit précisément défini sur le plan technique dans un premier temps. Celui-ci doit être bien distingué des autres métiers du cuir, notamment de celui de mégissier, avec lequel il est souvent confondu, à juste titre puisque nombre de parcheminiers de province se nommaient eux-mêmes « parcheminiers-mégissiers ». Il s’agit donc de percevoir ici la réelle originalité de cette profession, en distinguant en particulier l’activité des parcheminiers provinciaux de celle des parcheminiers de Paris : ceux-ci ont une pratique propre, qui en fait autant des marchands et grossistes que des artisans, bien qu’il y ait une composante de travail manuel importante dans leur activité.

Chapitre II
Un marché

Une des principales questions posées par l’étude des parcheminiers de Paris consiste à comprendre la nature du marché du parchemin, ses différentes composantes et ses acteurs, ainsi que ses limites. La Ferme générale prend une place importante dans ce cadre car elle est souvent présentée comme le principal client pour l’achat du parchemin à destination du timbre. Il s’agit là d’une relation complexe, parfois tendue et sujette à de nombreux rebondissements. Elle n’est cependant pas l’unique client des parcheminiers : ceux-ci effectuent également un commerce de détail auprès des professionnels du livre (relieurs, imprimeurs) et des greffes et notaires. L’objet de ce chapitre est également de tenter d’évaluer l’importance de ce commerce qui parvient à faire prospérer durablement une communauté en dépit des bouleversements qui interviennent au cours des siècles et qui auraient pu remettre en cause son commerce bien plus tôt que cela n’est arrivé finalement.

Chapitre III
Les circuits économiques : de la province vers Paris

Les parcheminiers de Paris constituent l’ultime étape de transformation du parchemin. Ils se situent en effet au bout de la chaîne du commerce du parchemin ; en tant que tels, ils sont dépendants des parcheminiers provinciaux qui effectuent les étapes de transformation initiales des peaux. La relation d’interdépendance des parcheminiers de province, qui ont besoin du marché parisien pour écouler leur marchandise et des parcheminiers de Paris, dont le commerce s’effondre en l’absence de fournisseurs, est émaillée de plusieurs affaires qui contribuent à faire évoluer les rapports de force entre les deux parties, en faveur des parcheminiers parisiens qui profitent de la protection de l’Université, toujours en première ligne lorsqu’il s’agit de défendre ses privilèges.


Deuxième partie
La communauté des parcheminiers


Chapitre premier
L’organisation du travail

La communauté du xviiie siècle se doit d’être replacée dans la continuité de son histoire depuis le xiiie siècle afin d’éclairer un certain nombre des caractéristiques qui la distinguent des autres communautés de métier, notamment la présence des jurés spécifiques que sont les jurés parcheminiers de l’Université, qui ont un rôle bien défini et une place à part au sein de la communauté. La monarchie prend une place de plus en plus prépondérante dans la vie de la communauté et tend à prendre le pas sur l’Université, dont l’influence était  jusque-là sans égale. Certains antagonismes éloignent la communauté de l’Université, qui reste cependant son meilleur défenseur en cas de crise. La monarchie quant à elle, avec l’octroi des statuts de 1728, renforce son rôle de protecteur de la communauté, la réunion de celle-ci aux autres communautés du cuir en 1776 ne semblant pas perturber outre mesure son bon fonctionnement.

Par ailleurs, il s’agit également de comprendre en quoi l’organisation de la communauté des parcheminiers de Paris est en réalité très semblable à celle de tout métier parisien, avec néanmoins quelques traits originaux hérités de ses liens avec l’université de Paris. Les parcheminiers ne sont cependant pas les seuls à avoir des relations particulières avec celle-ci, d’autres métiers du livre y étant également attachés d’ancienneté, mais ce lien prend un tour très particulier dans le cas des parcheminiers de Paris.

Chapitre II
La vie de la communauté

Il convient enfin d’aborder l’ensemble des aspects de la vie de la communauté, afin de comprendre quelles sont les répercussions sociales des conditions économiques très particulières qui encadrent le commerce du parchemin. L’étroitesse du marché pourrait conduire la communauté à se replier sur elle-même. Or on constate qu’elle a su conserver une certaine ouverture. Par ailleurs, les conditions du contrat qui lie la communauté à la Ferme générale tendent vers une égalité des maîtres face aux profits réalisables. Cependant, on constate la formation d’une véritable élite au sein de la communauté, dont la prépondérance du point de vue économique se répercute lors des élections à la jurande. Il s’agit donc ici de tenter de comprendre les mécanismes de formation d’une telle élite. De tels écarts de fortune ne vont pas sans susciter des tensions internes à la communauté, mais aussi vis-à-vis d’autres communautés qui sont alors tentées d’empiéter sur le commerce des parcheminiers. Ce dernier est extrêmement encadré par divers règlements, les maîtres ambitieux doivent donc se battre pour trouver un espace de liberté dans lequel prospérer, quitte à bafouer certains règlements.

Épilogue

La Révolution apporte son lot de bouleversements à l’ensemble des composantes de la société française, mais ceux-ci se révèlent particulièrement définitifs pour les parcheminiers de Paris : la communauté est bien sûr dissoute au cours de la Révolution, mais l’immense majorité des autres métiers se perpétuent au-delà de cette période troublée. Pourtant, il semblerait que la communauté des parcheminiers fut incapable de se relever à la Restauration. Avec la disparition de l’ensemble des privilèges qui assuraient le maintien du marché du parchemin, c’est la profession presque toute entière qui disparaît, pour ne subsister que de manière très restreinte : les ouvrages du xixe siècle sur le commerce du parchemin en parlent presque comme d’une profession disparue. Les almanachs cessent aussi de les recenser très rapidement. La question de la reconversion des maîtres de la fin du xviiie siècle se pose : il s’agit là d’une recherche à faire sur chaque maître individuellement. Les prémices en ont été tracés, mais nombre de maîtres restent insaisissables dans les méandres des actes du Minutier central des notaires de Paris.


Conclusion

Le commerce du parchemin dans Paris représentait un véritable enjeu pour une communauté ancienne, que seule la protection de monarchie ainsi que celle de l’université de Paris a fait se perpétuer jusqu’au xviiie siècle. Les privilèges et règlements qui encadrent le commerce du parchemin tendant à créer des tensions aussi bien au sein de la communauté des maîtres qu’envers les autres acteurs intervenant dans ce domaine. Le commerce du parchemin est relativement prospère au xviiie siècle, de telle sorte qu’on voit apparaître des associations entre maîtres afin d’honorer certaines commandes. Certaines sources laissent même penser que, loin du modèle de l’artisan isolé dans sa boutique, avec, peut-être, un apprenti et un compagnon ou deux, on assiste, pour les maîtres ayant les marchés les plus variés, et donc l’activité la plus importante, à la création d’ateliers dont l’importance reste à déterminer. Si les parcheminiers de Paris ont une organisation un peu particulière qui les distingue des autres communautés, on y retrouve partout les mêmes tensions et les même traits généraux de fonctionnement.

Cependant, si non seulement la communauté mais également le métier même de parcheminier disparaît au cours de la Révolution, cela est dû à la trop grande dépendance de ce commerce envers les acteurs qui l’avaient encadré et qui avaient jusque-là assuré sa pérennité. Quant à savoir ce que deviennent les anciens maîtres, il est plus que probable que la réunion avec les communautés du cuir qui a lieu en 1776 leur ait ouvert d’autres portes, sans qu’on puisse pour le moment l’affirmer définitivement. Cette étude pose donc les fondements sur lesquels il serait possible de poursuivre l’étude des parcheminiers de Paris, tant pour la période médiévale que pour la période contemporaine qui suit la Révolution et l’Empire.


Annexes

Le métier de parcheminier : planches de l’Encylopédie détaillant les outils servant à l’exercice du métier ; inventaires après décès de parcheminiers.

Le parchemin timbré : tableaux de tarifs du parchemin timbré ; reproduction de timbres.