« »
École des chartes » thèses » 2009

Antoine Ruzé d’Effiat (v. 1581-1632), surintendant des finances sous Louis XIII


Introduction

La trajectoire sociale et politique d’Antoine Ruzé, marquis d’Effiat, est originale : fils d’un petit gentilhomme auvergnat, Gilbert Coiffier, mort endetté et de façon prématurée, fut recueilli dans des circonstances opportunes par son grand-oncle Martin Ruzé, secrétaire d’État depuis 1588, qui en fit son héritier et lui transmit son nom par le biais d’une substitution. Héritier des traditions militaires de sa famille paternelle, il fut choisi en 1626 par Louis XIII pour exercer la surintendance des finances, charge technique dont les responsabilités lourdes et complexes touchaient au cœur du fonctionnement de la monarchie. Sa carrière, marquée par une réussite sociale et politique indéniable, n’a cependant pas attiré jusqu’ici les faveurs des historiens. L’intérêt renouvelé de l’historiographie pour l’histoire des institutions de l’État a restitué ces dernières années une place de choix à la biographie ministérielle parmi les travaux scientifiques : elle constitue une approche privilégiée pour étudier les rouages d’une institution tout en permettant d’apporter un éclairage complémentaire sur une période historique donnée, sous l’angle de vue de ceux qui la firent. Il a donc paru intéressant de se pencher sur l’étude de la vie d’un homme dont l’action ministérielle, pour être souvent citée par les historiens des finances du premier xvii e siècle, n’en restait pas moins fort obscure.


Sources

Les sources d’archives utilisées dans le cadre de ce travail se divisent en deux ensembles. Le premier regroupe les sources qui ont livré des informations personnelles sur le marquis d’Effiat et sa famille. Les archives du Minutier central des notaires parisiens (études XIV, XIX, XC et XCVI) ont permis de retrouver plusieurs actes, tels que des contrats de mariage ou des partages successoraux, essentiels pour retracer les principaux événements familiaux de la vie du marquis. Elles ont également fourni de nombreuses informations sur ses affaires privées, capitales pour l’étude de son patrimoine. Le dépouillement d’un fonds d’archives privées, celui de la famille de Champflour, conservé aux archives départementales du Puy-de-Dôme (sous-série 9 F), s’est révélé particulièrement utile. Géraud de Champflour, l’un des membres de cette famille, fut en effet l’intendant de la maison du fils du marquis d’Effiat, Henri Ruzé de Cinq-Mars, premier écuyer du roi, entre 1638 et 1642. Les papiers qui servirent à son administration, composés d’inventaires de biens, de baux et de comptes, ont offert de nombreuses données sur l’évolution des possessions auvergnates des d’Effiat. Enfin, les hasards lignagers ayant fait des Ruzé d’Effiat des ascendants des Grimaldi, les Archives du palais princier de Monaco (série S, fonds Mazarin) ont permis de rassembler d’autres informations précieuses sur leur famille.

L’état de la documentation financière relative à la surintendance du marquis, fragmentaire et dispersée, a entraîné le recours à plusieurs sources d’archives afin d’étudier son activité politique et administrative. En dépit de sa faiblesse numérique, la correspondance de d’Effiat, notamment celle qu’il échangea avec Richelieu, s’est révélée une source de premier ordre par la richesse des éléments apportés sur ses fonctions. Les archives du cabinet de Richelieu, conservées aux archives du ministère des Affaires étrangères dans la sous-série « Mémoires et documents, France », abondent en documents sur les finances et contiennent plusieurs mémoires rédigés par d’Effiat à l’attention du cardinal. L’exploitation des originaux-minutes des arrêts rendus par le Conseil des finances de juin 1626 à juillet 1632, conservés aux Archives nationales dans la série E, ont permis la collecte de nombreuses informations sur l’état des finances pendant la surintendance du marquis. Enfin, les archives anciennes de Clermont-Ferrand (séries AA et BB), déposées aux archives départementales du Puy-de-Dôme, ont été mises à profit afin d’examiner la nature de son intervention dans l’union des villes de Clermont et de Montferrand, décidée par un édit d’avril 1630.


Première partie
La carrière sociale et politique d’Antoine d’Effiat


Chapitre premier
Antoine Coiffier Ruzé d’Effiat, un double héritage

Né en Auvergne vers 1581, Antoine d’Effiat rassembla en sa personne le legs de deux lignées, les Coiffier et les Ruzé, dont la richesse se nourrit tout à la fois de leurs différences, petits nobles auvergnats d’un côté, robins tourangeaux devenus grands commis de l’État de l’autre, et de leur dénominateur commun, le service du roi.

Les premiers Coiffier appartenaient à une famille de marchands installés à Aigueperse en Auvergne depuis le xiv e siècle. Proches serviteurs de la maison de Bourbon-Montpensier, les Coiffier combinèrent le début d’une ascension sociale à la prospérité économique. Le grand-père d’Antoine d’Effiat, Gilbert II, mena une carrière dans l’administration française implantée en Piémont, conquis et incorporé au royaume entre 1537 et 1559. Il se distingua à la guerre et fut annobli en 1544 à l’issue de la bataille de Cérisolles. Premier noble de la famille, il acquit la seigneurie d’Effiat et se lia aux Ruzé par son mariage en 1545 avec Bonne Ruzé, sœur de Martin Ruzé, l’un de ses collaborateurs dans l’administration royale. Son fils Gilbert III Coiffier conforta la noblesse récente de sa famille : accentuant la vocation des siens pour le service des armes propre aux nobles, il prit pleinement part aux guerres de Religion. Un temps tenté par la Ligue, il se rallia à la cause royale après les états généraux de Blois en 1588 ; Henri III l’envoya en Auvergne où il joua un rôle moteur dans la lutte contre les ligueurs et dans la pacification de la province. Son engagement au service d’Henri III puis d’Henri IV, qui lui permit de se forger une réputation de serviteur loyal et efficace, pesa cependant lourdement sur son patrimoine et il mourut couvert de dettes en 1595.

Originaires de Touraine, les Ruzé faisaient partie au xvi e siècle de ces grandes familles telles que les Hurault, les Robertet ou les Neufville, qui, par leurs emplois dans la justice et les finances royales, contribuaient à construire l’État monarchique. Fils d’un receveur des finances en Touraine, Martin Ruzé débuta une carrière dans l’administration royale comme secrétaire du maréchal de Cossé, gouverneur de Piémont. Il fut fait secrétaire d’État par Henri III en septembre 1588, charge qu’il conserva jusqu’à sa mort en 1613. Sans enfant, il choisit pour héritier son petit-neveu Antoine Coiffier d’Effiat. Un acte de substitution, contracté en 1608, entérina cette décision : Antoine Coiffier prit le nom et les armes des Ruzé et assuma dès lors l’héritage de deux familles dont le rapprochement s’était opéré tout au long du xvi e siècle par la convergence de choix de carrière, d’alliances matrimoniales et d’options politiques. La substitution de 1608 fut un événement majeur dans l’existence du marquis : elle constitua tout à la fois un nouveau départ financier, social et professionnel.    

Chapitre II
Les années 1600-1625

Les années 1600-1625 sont parmi les moins connues de l’existence de d’Effiat. Il conclut en 1610 un mariage avantageux avec Marie de Fourcy, fille de Jean de Fourcy, intendant des bâtiments du roi, et s’intégra assez vite au sein de cette famille parisienne prospère et influente. Le souvenir des mérites de Gilbert III Coiffier et le soutien de Martin Ruzé lui permirent de bénéficier de la faveur d’Henri IV et de commencer une carrière militaire au sein de l’armée royale. Il combattit pour Louis XIII lors des campagnes des années 1610, menées contre les huguenots ou les princes en révolte, et accéda en 1616 à une fonction curiale importante, celle de premier écuyer de la grande Écurie. Il se vit peu à peu chargé de missions de confiance, notamment lors de la négociation du mariage du frère du duc de Luynes, favori de Louis XIII, dans le cadre de laquelle il fut dépêché à Bruxelles.

Sa désignation pour l’ambassade d’Angleterre marqua une étape déterminante dans une carrière jusque-là essentiellement militaire. D’Effiat fut envoyé en juillet 1624 en tant qu’ambassadeur extraordinaire auprès de Jacques Ier, afin de négocier le mariage d’Henriette, sœur de Louis XIII, avec le prince de Galles. Les négociations dont il était chargé étaient délicates, puisqu’elles cherchaient, au-delà de la conclusion d’une alliance matrimoniale entre les deux pays, à obtenir du monarque britannique des mesures de tolérance pour ses sujets catholiques. Cette ambassade représenta la première confrontation du marquis avec la haute politique et les conditions difficiles dans lesquelles elle se déroula lui permirent de s’aguerrir. Tremplin pour sa carrière, elle lui permit également de se lier au nouveau ministre chargé de la conduite de l’État, le cardinal de Richelieu, et d’entrer dans sa proche clientèle politique.

Chapitre III
Sous la houlette du cardinal : les années 1626-1632

Le 9 juin 1626, Antoine d’Effiat fut nommé surintendant des finances par Louis XIII. S’ouvrirent alors six années de présence au gouvernement, les plus riches de sa carrière, qui le conduisirent à jouer un vrai rôle politique en parallèle à l’exercice de sa charge. Ministre du roi, influence politique, prestige personnel : une nouvelle condition se dessina pour le marquis, en rupture avec les années précédentes. Ce rapide et brillant parcours à partir de 1626 bénéficia de la relation privilégiée qu’il parvint à tisser avec Richelieu, dont le soutien lors de sa nomination aux finances s’était avéré déterminant. Au sein de la clientèle politique du cardinal, le marquis occupe une place à part. Il se rapproche de Richelieu par ses origines et son histoire personnelle : tous deux étaient issus de la petite noblesse de province et leurs pères s’étaient distingués au service du roi pendant les guerres de Religion avant de mourir brutalement, laissant leurs enfants dans une situation financière délicate. Pourtant, la relation entretenue par d’Effiat avec Richelieu au cours des années passées à ses côtés au gouvernement ne se différencie pas foncièrement de celle qui lia plus tard le cardinal à d’autres ministres, surintendants des finances et secrétaires d’État, tels que François Sublet de Noyers ou les Bouthillier, étudiés par Orest Ranum dans son ouvrage pionnier, Les créatures de Richelieu. Faite d’obligations et de services réciproques, elle range incontestablement d’Effiat parmi les ministres obligés envers le cardinal qui officièrent pendant son ministériat.

Sa trajectoire politique lui confère cependant une profonde originalité. Parti de la surintendance, il parvint en effet à diversifier peu à peu ses responsabilités. Il exerça des emplois militaires importants : il se vit confier la direction de l’artillerie en avril 1629, puis fut envoyé à l’armée d’Italie en qualité de lieutenant général dans le cadre de la campagne de l’été 1630, qui marqua l’intervention de la France dans le règlement de la succession de Mantoue. Cet épisode fut un moment déterminant de sa carrière : émissaire privilégié du cardinal, il y démontra sa polyvalence en mettant à profit ses compétences militaires, logistiques et diplomatiques, et acquit une considération nouvelle qui s’exprima en janvier 1631 par l’octroi du maréchalat de France. Il prit la tête de l’armée d’Allemagne en mai 1632 et accentua son poids militaire et politique par la détention de plusieurs gouvernements de province.

Richelieu fut un acteur essentiel dans sa progression, contribuant à lui procurer emplois et honneurs. L’affirmation du rôle politique du marquis se développa parallèlement aux événements troublés des premières années du ministériat du cardinal. Les difficultés rencontrées par Richelieu pour se maintenir au pouvoir et faire accepter ses choix de gouvernement – notamment sa politique étrangère interventionniste dans la guerre de Trente ans, qui concentrait les critiques –, expliquent qu’il ait cherché à se créer des soutiens capables d’appuyer ses décisions et de l’entourer face à ses opposants. Fort de son poids politique, militaire et provincial, d’Effiat représenta donc pour le cardinal, bien plus qu’une simple créature limitée à une stricte dépendance, un véritable allié.


Deuxième partie
La surintendance des finances


Chapitre premier
Le marquis d’Effiat à la tête des finances royales

Le marquis d’Effiat dirigea les finances royales pendant un peu plus de six ans, du 9 juin 1626 à sa mort, le 27 juillet 1632. Si son passage à la surintendance semble court, il apparaît en réalité, si on le rapporte à celui de ses prédécesseurs, d’une réelle importance, si bien que son action ministérielle constitue un objet d’étude assez cohérent à envisager. L’arrivée du marquis dans sa charge s’inscrivit tout d’abord dans un contexte particulier : la fonction de surintendant avait été quelque peu écornée par la disgrâce de Charles de La Vieuville, accusé de malversations financières, en août 1624, tandis qu’un règlement du Conseil, daté du 2 septembre suivant, avait revu dans des limites plus étroites l’exercice de la charge de ses deux successeurs, Michel de Marillac et Jean Bochart de Champigny. La surintendance de ces deux derniers avait été marquée par plusieurs difficultés, comme la hausse des dépenses et la faillite des fermiers titulaires des aides et des gabelles de France. La première année de charge d’Antoine d’Effiat se caractérisa par une volonté de remise en ordre, qui s’exprima notamment lors de l’assemblée des notables de 1626-1627. Le marquis fut étroitement associé à la préparation des débats soumis à l’assemblée ; il élabora des propositions de réforme qui vinrent enrichir les discussions et esquissèrent ses principales idées et lignes d’action en matière de finance : le rachat du domaine, la lutte contre les abus et la réduction des charges inutiles connurent au cours de sa surintendance des aboutissements certes limités par rapport aux ambitions initiales, mais néanmoins concrets. D’Effiat tira d’autre part de l’œuvre administrative du duc de Sully des enseignements féconds et profitables qu’il tenta de mettre en œuvre dans le cadre de sa gestion.

Le surintendant se trouvait par sa fonction au cœur du fonctionnement de l’État. La gestion des finances royales était une tâche lourde et délicate, dont les contours institutionnels différaient des autres départements ministériels. Elle impliquait par essence une certaine collégialité : d’Effiat était entouré de collaborateurs influents, contrôleur général et intendants des finances, sur lesquels il s’appuya pour maîtriser le flux des affaires à traiter. Son rôle tint donc à la fois à la coordination générale d’une équipe de gestionnaires et à un investissement personnel dans la vie de son administration : l’étude de son travail révèle ainsi une intervention directe dans le traitement des dossiers et l’entretien de relations nourries avec de nombreux protagonistes, notamment avec les réseaux de gens de finance.

Le financement de la politique du gouvernement fut la tâche essentielle du surintendant, pourvoyeur de fonds de la monarchie dans un système où les dépenses conditionnaient les recettes, et non l’inverse. À ce titre, les responsabilités qui incombèrent à d’Effiat lors de ses six années d’exercice furent particulièrement importantes : elles coïncidèrent avec la conduite d’une politique de rigueur contre les désordres intérieurs suscités par les huguenots, lors du siège de La Rochelle en 1627-1628 puis de la campagne de Languedoc de 1629, et avec le choix d’une politique extérieure interventionniste, la guerre « couverte », ayant pour conséquence la nécessité pour d’Effiat de financer deux campagnes successives en Italie en 1629 et en 1630, ainsi qu’une expédition en Allemagne en 1632. L’étude chronologique des différentes étapes de la surintendance du marquis permet de replacer dans leur contexte les enjeux successifs auxquels il fut confronté et d’en saisir l’enchaînement. L’un de ces enjeux fut ainsi d’exercer de façon simultanée ses fonctions de ministre des finances et ses emplois militaires, dans le cadre de sa mission à l’armée d’Italie pendant l’été 1630 notamment.

Chapitre II
Antoine d’Effiat et la naissance de Clermont-Ferrand

Parmi les affaires que le marquis d’Effiat eut à traiter au cours de sa surintendance, la question de la fusion des villes de Clermont et de Montferrand, proclamée par un édit royal en avril 1630, est l’une des plus intéressantes à étudier. Elle présente en effet la particularité de mettre en scène une sorte de dédoublement de la personne de d’Effiat, qui agit dans le cadre de ce dossier au titre de sa fonction de ministre des finances, mais aussi en raison de motivations plus personnelles, révélatrices des liens profonds qu’il entretenait avec sa province d’origine, l’Auvergne. Cette étude permet également de faire le point sur une page d’histoire locale jusqu’alors plutôt négligée par l’historiographie.

L’idée de fusionner Clermont et Montferrand en une seule ville possédait déjà à l’époque de d’Effiat des racines anciennes. Elle s’inscrivait dans le contexte géopolitique d’une province qui n’avait pas de capitale désignée, source de rivalité entre les villes de Clermont et de Riom notamment. Clermont cherchait ainsi depuis plusieurs années à obtenir la cour des aides de Montferrand, seule cour souveraine de justice de la province, afin d’acquérir grâce à sa possession une suprématie plus nette. Le facteur qui déclencha l’édit d’union de 1630 fut la création, par un édit de décembre 1629, d’élections nouvelles en Auvergne : l’implantation de ces circonscriptions financières supplémentaires bouleversa la carte administrative de la province et nécessita d’octroyer des compensations aux institutions dont les ressorts se trouvaient démembrés. La ville de Clermont protesta auprès du gouvernement contre la diminution de l’importance de son élection : l’idée de lui offrir un dédommagement en lui transférant la cour des aides de Montferrand et en fusionnant les deux villes resurgit. L’édit de décembre 1629 procédait d’une mesure financière, si bien que la surintendance se trouva être de facto l’interlocuteur essentiel des autorités locales clermontoises et montferrandaises, et de leurs représentants.

D’Effiat intervint de façon personnelle dans le déroulement de l’affaire, aussi bien dans l’élaboration de l’édit que dans le règlement des litiges entraînés par la difficulté de son application. Sa mort laissa une certaine vacance dans l’intérêt du gouvernement pour la nouvelle ville, dont l’union, imparfaite, ne fut définitivement scellée que par la concession d’un second édit, un siècle plus tard, en 1731. Son rôle dans cet événement original de l’histoire urbaine de la France moderne est un assez bon révélateur du poids politique dont il pouvait jouir dans sa province natale ; il éclaire également l’existence d’une marge de manœuvre assez large qui lui était laissée dans le traitement des affaires relevant de sa charge de surintendant.


Troisième partie
La fortune d’Antoine d’Effiat


Antoine d’Effiat mourut à la tête d’une fortune très importante, en grande partie édifiée pendant les années passées à la surintendance, qui s’élevait à 2,8 millions de livres et qui lui procurait alors un revenu de 385 000 livres. L’analyse de la constitution de ce patrimoine et de son évolution permet de mettre en regard l’enrichissement personnel du marquis et sa pratique du pouvoir ministériel. Tous deux furent liés de façon indissociable : la fortune du marquis reposait certes dès l’origine sur des bases saines et heureuses, puisqu’elle représentait à son entrée en charge près de 500 000 livres ; il n’en reste pas moins qu’elle quintupla en cinq ans, signe d’une réussite financière rapide qui le plaça à un degré de richesse digne des membres de la haute noblesse, puisque la plupart des ducs et pairs jouissaient alors d’un patrimoine moyen de 1 à 3 millions de livres. D’Effiat ne constituait nullement une exception à l’époque, puisque être associé au pouvoir se traduisait souvent par des retombées intéressantes pour les principaux ministres du roi. Dans le cas de la surintendance, l’aisance personnelle semble presque faire partie intégrante de la fonction : un ministre des finances se devait d’inspirer la confiance et l’autorité, qu’une fortune personnelle stable et imposante contribuait puissamment à lui conférer. L’étude du patrimoine de d’Effiat est donc un élément supplémentaire pour comprendre le surintendant qu’il fut, d’autant plus éclairant qu’en raison du décès du marquis en cours d’exercice, il représente une sorte d’instantané de la situation financière d’un ministres des finances alors au faîte de sa carrière.

La fortune laissée par d’Effiat à sa mort était presque entièrement neuve : près des trois quarts des investissements qui ancrèrent son capital dans des postes bien déterminés furent effectués après 1626. Le principal moteur de sa croissance résida dans les revenus conséquents que le marquis tira des gages des charges qu’il exerça, des pensions et des dons d’argent réguliers que lui procura le roi. Le choix d’investissements particulièrement rentables (rentes de l’Hôtel de ville, achat d’offices et de revenus aliénés sur les impôts) constitua l’autre facteur majeur de la prospérité financière de d’Effiat : la rentabilité fut à la hauteur de l’ampleur des capitaux initiaux absorbés. La carrière de ministre et la place de surintendant offraient également des facilités qui influencèrent le rythme de croissance des biens du marquis : la maîtrise d’informations de première main conditionna ainsi certains de ses placements parmi les plus avantageux. L’examen de la fortune du marquis permet également de mettre en lumière son environnement, ses relations d’affaires et ses méthodes d’investissement. Une certaine cohérence apparaît dans ses choix, notamment à partir de 1626. Il privilégia ainsi les achats de terres, investissant près d’un million de livres dans la constitution d’un domaine foncier homogène autour des noyaux originels formés par les fiefs qu’il avait reçus en héritage. D’Effiat fit donc de ses héritiers des propriétaires d’envergure et bâtit une fortune de prestige, embellie par l’édification simultanée de deux châteaux dans ses propriétés de Chilly (aujourd’hui Chilly-Mazarin) et Effiat, où travaillèrent des architectes et des artisans réputés. Enfin, il put faire preuve d’une réelle originalité dans ses efforts pour faire de son village natal d’Effiat une véritable ville neuve, selon un « projet urbanistique » qui n’est pas sans rappeler l’œuvre accomplie par le cardinal dans sa terre de Richelieu.


Conclusion

Le marquis d’Effiat mourut brusquement le 27 juillet 1632 après une courte maladie, contractée alors qu’il commandait l’armée royale en Allemagne. Son histoire personnelle est celle d’une réussite sociale et politique assez remarquable, qui lui permit notamment d’accéder aux honneurs de l’ordre du Saint-Esprit et du maréchalat de France, deux insignes de dignité réservés d’ordinaire à de puissants seigneurs, dont la concession à son profit refléta l’importance du rôle qu’il avait été amené à jouer au cours de sa carrière au gouvernement.

D’Effiat occupe une place à part parmi les ministres qui officièrent pendant le ministériat de Richelieu. Il fut le seul noble d’épée dont Richelieu soutint la nomination et, a fortiori, le seul surintendant de cette origine sociale. Il fut également l’unique ministre des finances du cardinal à se voir désigné pour exercer sa charge seul : remplaçant un duo, composé de Bochart et de Marillac, il en précéda un autre, celui de Claude Bouthillier et de Claude de Bullion. Succédant à une période de relatif affaiblissement de la fonction, son passage marqua au contraire un temps de renforcement dans l’évolution institutionnelle de la charge de surintendant des finances. La réussite politique du marquis et sa polyvalence, qui lui permit de mener en parallèle des fonctions d’administrateur, de chef militaire et de diplomate, faisant de lui un homme d’État assez complet, y contribuèrent beaucoup : d’Effiat fut un surintendant puissant, qui bénéficia d’une marge de manœuvre relativement importante dans l’exercice de sa fonction tout en étant pleinement associé à la conduite de la politique du gouvernement.

Les années de la surintendance de d’Effiat apparaissent comme un moment particulier au cœur du premier xvii e siècle : elles représentent un temps de stabilisation financière, au cours duquel le poids des besoins de la guerre « couverte » resta somme toute limité et laissa à des soucis de bon ordre et de réforme la possibilité de s’exprimer ; la gestion des finances royales se trouvait encore dans une phase modérée, que l’entrée de la France dans la guerre ouverte en 1635, en engendrant une augmentation brutale et décisive de la pression fiscale, viendrait définitivement clore.


Annexes

Tableaux des revenus des charges du marquis d’Effiat, des rentes et obligations, des revenus des terres, des revenus des offices et des droits sur les impôts royaux. — Cartes des terres du marquis d’Effiat. — Reconstitutions généalogiques (Coiffier, Ruzé, Ruzé d’Effiat, Fourcy).