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École des chartes » thèses » 2009

Louis Bonaparte, roi de Hollande dans le système napoléonien (1806-1810)


Introduction

Le royaume de Hollande, régime à la tête duquel est placé un frère de l’empereur des Français, n’est qu’une des formes de domination de la France sur l’ancienne République des Provinces-Unies, entre 1795 et 1813. Mais c’est probablement la plus ambiguë. D’une république-sœur, la République batave, créée en 1795, on passe au printemps 1806 à un royaume indépendant mais confié à Louis Bonaparte. C’est cependant à l’usage que cette ambiguïté prend forme, au travers des choix du roi et du mécontentement croissant de l’empereur, débouchant sur l’annexion du pays après seulement quatre ans. Échec patent du régime, personnalité en demi-teinte de Louis Bonaparte, absence de grands événements militaires : les raisons sont nombreuses pour expliquer le désintérêt que connaît cette période. Pourtant, l’étude du royaume de Hollande permet de poser la question de la domination de l’Europe par Napoléon, de ses modalités et des résistances à cette politique, à travers l’une des formes mises en œuvre par l’empereur, celle des États satellites. Mais cela nécessite de dépasser les jugements hâtifs trop souvent énoncés sur les qualités personnelles, l’état mental ou l’esprit d’indépendance de Louis, ou encore sur l’imitation supposée de la France par la Hollande. En outre, le lien de fraternité qui unit Louis et Napoléon, s’il apporte une richesse supplémentaire dans les relations entre ces deux souverains, entraîne un risque de surinterprétation.

Le biais retenu ici pour contourner cette difficulté n’est pas purement biographique, ni purement politique. Il s’agit d’étudier l’insertion du royaume de Hollande dans le système napoléonien au travers des relations entre les chefs des deux États en question. Avec en ligne de mire de nombreuses interrogations que l’on peut résumer ainsi : comment Louis répond-il aux exigences de son frère ? Qu’en conclure sur la nature de son pouvoir et sur la place de la Hollande dans le système européen voulu par Napoléon ?


Sources

Pour étudier les relations entre Louis et Napoléon, il convient de donner la priorité à la correspondance qu’ils se sont échangée. Celle-ci comporte peu de lacunes et a été éditée, à quelques lettres près, par Félix Rocquain dans la seconde moitié du xix e siècle. En deuxième lieu, les archives du cabinet du roi de Hollande, rapportées en France après son abdication et conservées aux Archives nationales (AN, AF IV 1719 à 1832), constituent une source de premier plan pour connaître l’action de Louis pendant son règne. La correspondance entre le ministre des Relations extérieures de France et ses agents diplomatiques en Hollande, conservée au ministère des Affaires étrangères, offre quant à elle un regard à la fois extérieur, intéressé et très complet sur les affaires hollandaises (MAE, Correspondance politique Hollande 610 à 615). Enfin, des sources secondaires ont été utilisées ponctuellement : archives de la secrétairerie d’État impériale (AN, sous-série AF IV), fonds privés (AN, série AP, et MAE, Acquisitions extraordinaires), archives militaires (Service historique de la Défense, Vincennes), archives du pouvoir exécutif néerlandais (Nationaal Archief, La Haye), sans oublier quelques mémoires de contemporains, dont ceux du roi de Hollande lui-même.


Première partie
L’instauration du Royaume de Hollande


Chapitre premier
Pourquoi l’instauration du Royaume de Hollande ?

Dans son désir d’étendre la Révolution à l’Europe, la France conquiert en 1795 les Provinces-Unies, accueillie par un mouvement favorable, celui des Patriotes, qui avait échoué (1781-1787) à chasser le stathouder appuyé par l’Angleterre et la Prusse. Mais durant plusieurs années, la nouvelle République batave ne parvient pas à trouver une organisation politique stable, encaissant les soubresauts des changements politiques en France. Protégée mais quasiment mise sous tutelle par son puissant allié, la République batave est surtout tenue de fournir subsides, troupes et navires à la France. Comme la coopération s’avère trop faible aux yeux de Napoléon, celui-ci concentre en 1805 les pouvoirs entre les mains d’un homme en qui il a confiance, Schimmelpenninck, avec le titre de grand-pensionnaire. Mais celui-ci ne donne pas satisfaction et, au début de 1806, l’empereur se résout à imposer un changement plus radical à la tête de l’État. Parmi les pistes possibles, c’est celle d’un royaume, avec à sa tête un proche de Napoléon, qui est privilégiée. Il s’agit de laisser aux Néerlandais leur indépendance, tout en assurant les conditions d’une collaboration plus étroite. Il s’agit aussi d’avancer ses pions sur l’échiquier européen, en période de négociation et d’incertitude.

Le choix se porte sur Louis, jeune frère de Napoléon, que celui-ci a en partie élevé et éduqué, qu’il a pris avec lui lors de ses campagnes de la Révolution, et qu’il a favorisé en le faisant général, conseiller d’État puis grand officier de la Couronne avec le titre de connétable. Il l’a également marié avec Hortense de Beauharnais, en vue de rapprocher les deux familles. Au moment où il est choisi, dans des circonstances dont on ignore en grande partie les détails, Louis est dans sa vingt-huitième année et se retrouve subitement sous les feux de la rampe.

Le changement de régime se fait à l’issue d’une négociation de quelques mois, au cours de laquelle Napoléon impose ses vues aux envoyés bataves à Paris. Il est effectif le 5 juin 1806.

Chapitre II
La mise en place du nouveau pouvoir

La constitution et les institutions nouvelles sont décidées en très grande partie sans concertation avec Louis. Elles entérinent les acquis révolutionnaires et conservent pour la plupart l’organisation antérieure. À cet égard, l’instauration du régime du grand-pensionnaire avait représenté une plus grande rupture. La nouveauté principale réside dans le fait qu’un Français, frère de l’empereur, est désormais à la tête du pays. Pour ce qui est du choix des hommes, Louis arrive avec une maison de prince français déjà constituée, qu’il agrandit d’éléments français et hollandais. Quant aux responsables politiques, le nouveau roi joue surtout la carte de la continuité et du compromis entre les différentes tendances que l’on peut distinguer.


Deuxième partie
L’Armée et la Marine


Chapitre premier
La Marine et les colonies

Les exigences de Napoléon concernant la marine hollandaise ne sont pas constantes. C’est surtout à partir de début 1808 et, lors de l’ultime mise à l’épreuve, à l’occasion du traité du 16 mars 1810, que l’empereur se montre pressant. Mais l’effort demandé est considérable, en regard du piètre état de la marine à l’avènement de Louis et des difficultés financières de l’État hollandais. Pendant les quatre années du royaume, les constructions stagnent, et seuls quelques navires de second rang (frégates, corvettes, avisos) sortent des chantiers navals, pour aucun vaisseau de ligne. De toute façon, les effectifs et l’équipement de la marine restent, en dépit des efforts orchestrés par les ministres Ver Huell puis Van der Heim, largement insuffisants pour armer et mettre en état de naviguer la flotte et la flottille hollandaises. Naguère instrument de la puissance néerlandaise, déjà en déclin au xviii e siècle, la marine est cantonnée à la défense des côtes du royaume et ne peut servir les ambitions de Napoléon, qui voudrait gêner la puissance anglaise sur mer au moyen d’escadres combinées. Encore les Anglais font-ils régner une menace constante sur les côtes, que les navires hollandais ne suffisent pas à écarter. Et lors du débarquement anglais en Zélande à l’été 1809, ce manque de moyens apparaît au grand jour, encore exagéré par un Napoléon qui se saisit de l’occasion pour fustiger la faiblesse de l’engagement hollandais.

Tributaire de la puissance navale hollandaise, le maintien du lien entre colonies et métropole dépend aussi et surtout de la menace anglaise. Ces deux composantes rendent l’existence de l’Empire colonial hollandais pour le moins précaire. Au début du règne de Louis, Le Cap (Afrique du Sud) et Surinam (Amérique du Sud) ont déjà été perdus, et la Hollande garde Curaçao (Antilles néerlandaises) et surtout les Indes orientales. La politique coloniale de Louis se borne donc à tenter de ravitailler les possessions encore sous contrôle et de reprendre celles qui sont aux mains des Anglais. Dans un premier temps, c’est en concertation avec Napoléon que de telles actions sont envisagées, mais dès novembre 1806 l’empereur sonne la fin des projets coloniaux hollandais, pour se concentrer sur la maîtrise du continent, en vue de forcer les Anglais à la paix. Louis n’en tente pas moins quelques actions, qui échouent notamment à reprendre Curaçao, conquise par l’ennemi au début de 1807, et à ravitailler Batavia, capitale des Indes orientales. La seule réussite est l’envoi du général Daendels comme gouverneur de cette dernière colonie, pour la reprendre en main. En définitive, les colonies sont sacrifiées à la politique continentale à laquelle la Hollande est tenue de contribuer.

Chapitre II
L’Armée hollandaise

La question militaire est au cœur des relations entre la Hollande et la France. C’est un sujet d’échange permanent entre Napoléon et Louis, d’autant que tous deux s’occupent personnellement de la formation et des mouvements de leur armée nationale respective. Le roi de Hollande, qui se refuse à établir la conscription dans son pays, a continuellement de la peine à fournir les contingents exigés par l’empereur. La question devient de plus en plus sensible à mesure que l’état des finances hollandaises se dégrade, et que les campagnes militaires incitent Napoléon à exiger de la Hollande une participation en hommes et en matériel, pour l’Allemagne à partir de la campagne de Prusse en automne 1806 – à laquelle Louis prend part –, puis pour l’Espagne à partir de 1808. Au printemps 1807, la Hollande a plus de soldats dans le nord de l’Allemagne que sur son territoire. C’est le résultat d’un gros effort de recrutement, confié au ministre de la Guerre Van Hogendorp. Mais à de nombreuses reprises Louis demande le retour de ses troupes, autant pour faire des économies que pour défendre son pays, ce que Napoléon lui accorde au compte-goutte. Mais le raisonnement du roi de Hollande se heurte le plus souvent à celui de l’empereur, qui veut un fort investissement dans l’immédiat, écartant délibérément les plaintes de son allié et n’hésitant pas à accuser son frère de ne pas assez prendre part à la « cause commune ».

Si Louis réorganise en profondeur son armée, qui ne démérite pas sur les champs de bataille, s’il tente, sans grand succès, d’impliquer davantage le peuple dans la défense du pays (garde nationale, incorporation des orphelins), si l’effort militaire de la Hollande reste à peu près constant pendant les quatre années du règne, l’apport pour la domination du continent est minime. De toute façon, la participation à l’effort militaire est considérée par l’empereur comme un tribut, qui se justifie par la conquête de 1795 et par la protection assurée par la France. La Hollande doit fournir plus qu’elle ne coûte.

Chapitre III
Cohabitation ou coopération ?
Armée française et armée hollandaise en Hollande

Les forces armées sont très présentes sur le territoire du royaume de Hollande. Cette présence pose la question des effectifs hollandais, mais surtout de leur cohabitation avec les forces françaises. En effet, des régiments français sont stationnés en Hollande, entièrement à la charge de ce pays. Louis a une position qui peut apparaître contradictoire à leur propos : il demande leur départ ou leur prise en charge par la France, tout en se plaignant que son pays est trop dégarni. Mais plus que leur présence, c’est leur commandement qui pose problème. Louis est en effet commandant en chef des troupes françaises et hollandaises en Hollande ; si ses rapports avec les haut-gradés, notamment le commandement en second, le général Michaud, sont bons, il a parfois des difficultés à se faire obéir de certains officiers. C’est particulièrement le cas du général Monnet, qui commande à Flessingue. Cette place forte de Zélande, port stratégique de première importance, est conjointement française et hollandaise, ce qui pose de nombreux problèmes : du fait de la double souveraineté, les autorités françaises sont intraitables dans leurs décisions concernant le territoire hollandais environnant (île de Walcheren), et bien sûr la ville elle-même. Cette ambiguïté ne prend fin, et encore pas entièrement, qu’avec la cession pleine et entière de Flessingue à la France en échange de la Frise Orientale (Ost-Frise) en novembre 1807.

Lors du débarquement anglais en Zélande à l’été 1809, événement redouté chaque année, les troupes françaises et hollandaises sont dans la nécessité de coopérer pour repousser l’ennemi et préserver le territoire des deux pays, particulièrement les chantiers d’Anvers, cible de l’expédition. Les Anglais sont mis en échec sans trop de mal par cette double mobilisation, mais on observe plusieurs difficultés à collaborer. En particulier, le fait que le roi de Hollande lui-même prenne le commandement général pose problème, et la confiance dans la loyauté des troupes hollandaises n’est pas inébranlable. On constate surtout que la colère de l’empereur, alors en Autriche, qui accuse la Hollande de n’avoir rien prévu et rien fait pour repousser l’ennemi, est disproportionnée par rapport à la réalité et aux protestations de son frère.

C’est au début de 1810 que l’ambiguïté de la position militaire hollandaise apparaît au grand jour. Alors que les deux pays sont alliés, la France se livre, sur les ordres de Napoléon qui veut faire pression sur son frère, à une conquête militaire mais pacifique du royaume de Hollande, sous la direction du maréchal Oudinot. Dans une première phase, en janvier et février, le Sud est occupé, avant d’être annexé lors du traité du 16 mars. Dans une seconde phase, officiellement en vue de lutter contre la contrebande, des troupes sont envoyées dans le reste du pays pour le neutraliser et préparer son annexion, ou du moins prendre des gages sur l’exécution des mesures exigées par Napoléon. À cette occasion, on se rend compte que, toute indépendante qu’elle soit d’un point de vue politique, la Hollande ne l’est pas du tout, dans l’esprit de Napoléon, d’un point de vue militaire.


Troisième partie
Les affaires intérieures


Chapitre premier
La question financière

En montant sur le trône, Louis hérite des régimes précédents une situation financière très mauvaise. Pour satisfaire aux exigences françaises, les dirigeants de la République batave ont considérablement endetté l’État. Ce qui fait qu’une bonne partie des revenus publics est engloutie par le payement des rentes, qui se fait même avec retard. Le ministre des Finances, Gogel, en est réduit aux expédients, et le nouveau système d’imposition qui se met en place en 1806, bien qu’il permette d’augmenter les recettes, ne suffit pas à résoudre le problème. Le salut passe donc par une réduction des dépenses. D’une certaine façon, le règne de Louis se résume à une âpre lutte pour baisser les dépenses publiques, en vue de l’équilibre budgétaire. Mais ses demandes insistantes et catastrophistes auprès de son frère, dès l’été 1806, pour soit recevoir une aide de la France, soit être autorisé à limiter les dépenses militaires, sont écartées. Et avec l’échec de la paix et la campagne de Prusse, la Hollande est contrainte à de nouvelles dépenses extraordinaires, en même temps que s’éloigne la perspective d’une paix réparatrice. L’instauration du blocus continental, à la fin de 1806, porte quant à elle le germe de la ruine du commerce hollandais et de la baisse des recettes fiscales.

En réponse, l’empereur, persuadé semble-t-il de la richesse proverbiale des Hollandais, se borne d’abord à préconiser de la patience pour trouver des solutions, et une banqueroute partielle pour baisser artificiellement la dette nationale. Mais Louis se refuse pendant tout son règne à adopter cette dernière mesure, ne voulant pas ruiner les créanciers de l’État. Il se lance tout de même dans une politique de réduction de la dette, en concertation avec le ministre du Trésor de France, Mollien, et un de ses commis, Louis. À l’automne 1808, ayant pris acte du fait que la paix ne viendra pas avant longtemps, le roi tente d’adopter un « plan de rigueur » pour assurer la survie de l’État pendant les dures années qui s’annoncent encore. Finalement, malgré l’augmentation de la pression fiscale et les efforts pour diminuer les dépenses publiques, le poids de la dette reste considérable. En définitive, la question financière aura constamment empoisonné le règne de Louis et représenté une solide barrière entre lui et son frère.

Chapitre II
Les distinctions honorifiques

Il peut paraître anecdotique de s’intéresser à une telle question. Pourtant, il s’agit d’un sujet sur lequel les deux frères échangent beaucoup. Car il est lié à l’adoption du modèle français et, partant, à la nature du régime hollandais. Louis prend des initiatives sans consulter Napoléon, ou sans prendre en considération ses remarques. C’est ainsi qu’il crée dès la fin de 1806 deux décorations, qu’il unifie ensuite sous le nom d’Ordre royal de Hollande ; Napoléon lui reproche vertement sa précipitation, ainsi que la mauvaise imitation qui est faite de la Légion d’honneur, semblant déplorer non pas l’imitation d’un modèle français, mais la manière dont elle est menée. En revanche, lorsque Louis crée des maréchaux, cette imitation déplaît profondément à l’empereur, qui en réclamera la suppression, déniant à la Hollande la capacité d’avoir une si haute distinction. Enfin, Napoléon s’oppose violemment au rétablissement de la noblesse en Hollande, et, même si cela ne correspond pas aux intentions de Louis, en fait une affaire à la fois d’État et personnelle ; garant de l’égalité civile, l’empereur étend sa conception de l’héritage révolutionnaire à l’Europe et en particulier à un État satellite dirigé par son frère. Lorsque Louis créé une noblesse constitutionnelle à l’imitation de la France, l’expérience fait long feu, notamment à cause de l’opposition de Napoléon, qui y voit des dispositions contraires à la constitution hollandaise.

Chapitre III
Aspects divers des affaires hollandaises

Pour mesurer la réalité de l’indépendance du royaume de Hollande, d’autres domaines de la vie politique et publique proprement hollandaise sont intéressants à étudier. Ainsi, pour ce qui est des affaires étrangères, les marges de manœuvre de Louis sont relativement grandes (choix des diplomates, liens tissés avec d’autres puissances, autorisations d’emprunts en Hollande). Napoléon se montre sourcilleux à quelques reprises, notamment pour le choix du représentant hollandais à Paris, et intervient peu en faveur ou en défaveur d’autres pays. Il faut dire que Louis suit scrupuleusement la ligne diplomatique définie par la France, se permettant même de faire du zèle avec le nouvel allié russe.

C’est le roi qui choisit son entourage (hommes politiques, cour, gens de sa maison). Les emplois publics sont réservés aux Hollandais, comme le stipulent les lois constitutionnelles. Aussi Napoléon a-t-il peu de prise sur les hommes qui entourent son jeune frère, gardant tout de même un droit de regard sur les Français et fustigeant de plus en plus souvent et violemment l’anglomanie supposée des Hollandais qui environnent Louis et l’influenceraient de manière néfaste. Il est vrai que Louis ne rejette pas les tenants de l’ordre ancien, confiant à certains des postes très élevés (Roëll, Ver Huell, Van der Goes, Appelius…), et ne cultivant pas les meilleurs rapports avec les anciens révolutionnaires encensés par Napoléon (Daendels, Gogel, Van Hogendorp…). C’est ainsi que plane sur le roi le soupçon, en partie justifié, de traiter défavorablement les « amis de la France », lié à celui de « chasser les Français », qui s’appuie sur d’assez nombreux départs pour diverses raisons. Mais, outre qu’il est fort périlleux d’établir une classification par camp politique chez les hommes publics hollandais de cette époque, il apparaît que Louis, s’il subit des influences, n’en mène pas moins délibérément sa politique.

Vis-à-vis de son peuple, Louis tente d’adopter une posture semblable à celle de son grand frère. Cherchant l’amour et l’estime de ses sujets, il maintient en même temps un contrôle strict de la presse, de l’édition et de l’opinion, autant à l’instigation de Napoléon que de son propre chef. Il est conseillé par son frère sur la manière d’habiter sa fonction de roi. Et globalement, Louis est bien accepté par son peuple. On recense des actes de désobéissance et d’insubordination, mais c’est plutôt dans la résignation que le peuple hollandais, dont Louis tente continuellement de préserver l’amour pour lui, accepte son sort.

Dans son désir d’uniformisation européenne, Napoléon tente de faire adopter le droit civil français en Hollande. Mais il se heurte à la volonté de Louis d’adapter le code civil à son pays, ce qu’il fait faire par des juristes hollandais. Entre adopter et adapter se lisent deux conceptions différentes de l’Europe napoléonienne. En outre, Louis se montre très sourcilleux sur le respect du territoire hollandais que Napoléon viole à plusieurs reprises au nom de la lutte contre la contrebande et d’une nouvelle légitimité qui s’impose aux États alliés de la France. De manière générale, le roi de Hollande se révèle défenseur et promoteur de l’État de droit, jusqu’à son abdication le 1er juillet 1810, qui débouche quelques jours plus tard sur l’annexion du pays à la France.


Conclusion

Louis échoue à gérer la situation profondément ambiguë dans laquelle est plongé son pays. La Hollande est en effet à la fois indépendante politiquement – ce n’est pas un État fantoche – et dépendante de fait de la France. Cela crée des tensions, particulières et finalement plus dramatiques, du fait du lien de parenté qui existe entre le roi et l’empereur. Ce lien entraîne déception et incompréhension, mais il n’est pas exclu qu’il ait contribué à prolonger l’existence de la Hollande en tant que nation indépendante. Le règne du premier roi de Hollande peut ainsi se résumer à un grand écart entre les intérêts de son pays et les exigences françaises. Pourtant, sa conception du pouvoir n’est pas très différente de celle de Napoléon : Louis ne doit pas être un roi préfet, mais tirer sa fonction vers le haut pour ancrer son peuple et son pays à la France. L’écart réside dans le fait que, pour le roi, une des valeurs absolues est la sauvegarde de l’indépendance hollandaise, alors que pour l’empereur il s’agit de privilégier la construction de son système, du projet européen de la France.


Annexes

Lettres inédites échangées par Louis et Napoléon. — Lettres circulaires de Louis à ses ministres (1808 et 1809). — Carte du royaume de Hollande. — Index nominum.