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École des chartes » thèses » 2009

Indochine SOS. Andrée Viollis et la question coloniale


Introduction

Andrée Viollis (1870-1950) fut une grande journaliste, saluée en son temps pour son talent et connue pour ses nombreux engagements. L’un d’eux concernait l’Indochine et les Indochinois, et plus généralement la question coloniale. L’étude du soutien qu’elle manifesta aux peuples colonisés, dès ses débuts dans le journalisme au tournant du siècle jusqu’à ses derniers articles et prises de position pendant la guerre d’Indochine, permet de questionner la notion d’anticolonialisme, à la fois comme courant de pensée et comme engagement, et son évolution au cours de la première moitié du xx e siècle. Cette étude porte, d’une part, sur les motivations et sur les formes concrètes de l’engagement de Viollis en faveur des colonisés et, d’autre part, sur l’ensemble polyphonique de contestations du système colonial dans lequel celle de Viollis s’insère. Le problème indochinois étant au cœur de l’engagement de Viollis sur cette question, il a servi de fil conducteur à cette recherche et en a fourni le cadre et la chronologie.


Sources

Archives publiques et privées ont été croisées pour mener à bien cette enquête. Les papiers d’Andrée Viollis, conservés en partie en main privée et en partie aux archives du Parti communiste français, contiennent de la correspondance, des photographies, des carnets de notes, des manuscrits et de la documentation relatifs aux questions coloniales, au problème indochinois en particulier. Ces documents ont été mis en regard des écrits publiés par Viollis (ouvrages et articles), d’articles parus dans la presse de métropole et d’Indochine à l’époque, de publications diverses sur les questions coloniales et de nombreux autres documents d’archives provenant des autorités (ministère des Colonies, ministère de l’Intérieur, gouvernement de l’Indochine), conservées aux Archives nationales et à la préfecture de police de Paris, et d’autres acteurs des affaires coloniales, contemporains de Viollis, comme Léon Blum, Daniel Guérin, ou la Ligue des droits de l’homme.


Première partie
La découverte de l’Indochine (1931)


Chapitre premier
Invitations au voyage

Quelles furent les motivations de Viollis, grand reporter attachée à sa liberté de déplacement et de point de vue, à accepter l’offre de son rédacteur en chef au Petit Parisien de couvrir le voyage officiel du ministre des Colonies, Paul Reynaud, en Indochine, à l’hiver 1931 ? La première était son envie d’aller en Extrême-Orient, portée par son goût des voyages et son environnement familial et professionnel. La deuxième était son intérêt pour les questions coloniales, qui remontait à ses débuts journalistiques dans La Fronde au début du siècle et que l’actualité ne faisait qu’attiser. Viollis avait parcouru en 1930 l’Inde déjà soulevée contre les Anglais. La mutinerie de Yen Bay en février 1930, les retombées de la crise économique et l’ouverture de l’exposition coloniale de Vincennes en mai 1931, avaient mis l’Indochine sur le devant de la scène coloniale française.

Chapitre II
La couverture du voyage ministériel

En trente ans de carrière, Viollis était pour la première fois confrontée à ce genre d’exercice professionnel. Dans Le Petit Parisien, elle rendit compte des déplacements et des allocutions officielles du ministre des Colonies dans un style qui faisait une large place au pittoresque et à l’émotion. Elle resta volontairement en retrait sur les questions politiques et ne fit qu’esquisser quelques ombres au tableau de la colonisation française en Indochine. Dans ses carnets de notes au contraire, au cours du voyage officiel (octobre-novembre 1931) et après le départ du ministre (décembre 1931), elle accumula des faits précis et saillants qui accusaient le contraste entre le décor officiel et les réalités politiques, économiques et sociales de la colonie.


Deuxième partie
Quelques notes sur l’Indochine (1933)


Chapitre premier
Le tournant intellectuel et politique des années 1932-1933

À son retour, Viollis fut sollicitée de toutes parts pour témoigner de son expérience asiatique et pour soutenir les mouvements naissants de lutte contre la guerre et le fascisme. Après avoir beaucoup réfléchi au sens de sa mission de journaliste et à l’articulation possible entre son métier et ses engagements, Viollis accepta de s’engager publiquement. Elle manifesta notamment son opposition à l’hitlérisme, sa sympathie pour l’URSS et, concernant l’Indochine, son soutien aux prisonniers politiques. Elle devint avec Francis Jourdain l’une des figures centrales du Comité de défense et d’amnistie des Indochinois, fondé en mars 1933 pour réclamer l’amnistie des prisonniers politiques indochinois. Dans ce contexte, la mise au net de ses carnets de notes devenait de plus en plus une nécessité.

Chapitre II
Un témoignage accablant (décembre 1933)

Viollis mit beaucoup de temps à mettre en forme et à publier son témoignage pour plusieurs raisons, dont sa crainte des retombées que lui vaudrait une telle critique des autorités coloniales françaises. Intitulé « Quelques notes sur l’Indochine », il parut dans Esprit, une jeune revue progressiste chrétienne, qui avait déjà montré sa conscience du problème colonial. Viollis abordait plusieurs problèmes qu’elle n’avait pas traités dans ses articles du Petit Parisien : le régime des prisons, les dénis de justice, les troubles politiques et leur répression, la famine et la misère, le manque d’égards envers les Annamites. Elle rapportait aussi des cas de torture pratiquée dans les commissariats sur les prisonniers politiques.

Chapitre III
Prolongements

Les notes de Viollis ne passèrent pas inaperçues dans la presse de gauche et dans la presse chrétienne. Une polémique eut lieu pendant un an entre la jeune revue Esprit, qui continuait à s’engager sur la question coloniale, et l’ancienne revue Études animée par les jésuites. D’autres réactions, échelonnées dans le temps, vinrent alimenter des publications et des manifestations qui allaient toutes dans le sens d’une critique du système colonial, que ce soit dans son principe ou seulement dans ses réalisations. Viollis relayait les campagnes du Comité d’amnistie auprès de ses amis et de l’opinion.


Troisième partie
Indochine SOS (1935)


Chapitre premier
Le devoir de publier

Peu de temps après la publication de son article dans Esprit, Andrée Viollis fut encouragée à aller plus loin, à compléter ses notes et à en faire un livre. La parution tardive de l’ouvrage peut s’expliquer par l’urgence du combat antifasciste, mais aussi par les difficultés rencontrées par Viollis liées à ses engagements. Indochine SOS sortit au mois de septembre 1935 chez Gallimard, avec une préface d’André Malraux, dans un contexte de relance du débat colonial, à l’occasion de la guerre d’éthiopie. Viollis tenta de faire une place à ce débat dans Vendredi, le nouvel hebdomadaire politique et littéraire qu’elle codirigea avec André Chamson et Jean Guéhenno à partir de novembre 1935.

Chapitre II
Des documents à charge

Dans Indochine SOS, les « Quelques notes sur l’Indochine » parues dans Esprit sont complétées et insérées dans un ensemble de textes – la préface de Malraux, l’avant-propos de Viollis, les annexes et la bibliographie – qui font de l’ensemble un document à la fois littéraire, journalistique et politique. L’étude de la genèse de l’avant-propos permet de mesurer à quel point il fut difficile pour Viollis de concilier ses idées avancées sur la question coloniale et la nécessité de se faire entendre de l’opinion qu’elle essayait d’alerter. Viollis laissa parler ses notes et surtout les annexes, ensemble de documents tirés de la presse ou inédits qui mettaient en lumière les dysfonctionnements et les injustices qui régnaient en Indochine.

Chapitre III
Un livre qui fit grand bruit

Indochine SOS valut à Viollis de nombreux comptes rendus et commentaires, élogieux ou hostiles. Elle trouva auprès de ses amis des marques de soutien, comme le banquet qui fut organisé en son honneur et en celui de Félicien Challaye à la fin de décembre 1935. Le SOS de Viollis se fit assurément entendre, même si le problème indochinois, et plus largement le problème colonial, paraissait moins menaçant que les manœuvres hitlériennes. Cette publication renforça la légitimité de Viollis à intervenir sur les questions coloniales. La notoriété de Viollis, la reconnaissance professionnelle dont elle jouissait, profitèrent aux partisans des réformes coloniales.


Quatrième partie
De l’espérance à la désillusion (1936-1945)


Chapitre premier
Vigilance en faveur des réformes et contre la répression

La victoire du Front populaire souleva de grandes espérances tant en France que dans les colonies. L’humanisme colonial qui semblait l’inspirer devait pouvoir conduire à des réformes politiques et sociales. Les premières mesures ministérielles furent cependant ambiguës et limitées. Sur les questions de l’amnistie politique, du Congrès indochinois, de l’épuration de l’administration, Viollis, et avec elle Francis Jourdain, ou encore Daniel Guérin, tentèrent en vain d’infléchir les décisions de leur ancien camarade de lutte au Comité d’amnistie, Marius Moutet, nouveau ministre des Colonies du gouvernement de Léon Blum.

Chapitre II
L’échec de la Commission d’enquête dans les colonies

La constitution de la commission d’enquête parlementaire sur la situation politique, économique et morale dans les territoires français d’outre-mer, prévue par le programme du Rassemblement populaire, fut longue et problématique. La nomination d’Andrée Viollis, comme celle d’André Gide ou de Louis Roubaud, suscita de vives oppositions. Viollis ne put participer activement aux travaux de la commission, retenue par son métier, en Espagne notamment. Elle contribua toutefois dans le cadre de la 3e sous-commission et avec Victor Basch, président de la Ligue des droits de l’homme, à l’élaboration d’un rapport sur les aspirations politiques des Indochinois. Pour Viollis et pour tous ceux qui comme elle croyaient en la possibilité de réformes libérales dans les colonies, l’enterrement de la Commission d’enquête, à la fin de 1938, faute de crédits suffisants, resta emblématique des efforts avortés de cette période en matière coloniale.

Chapitre III
Priorité à la lutte antifasciste

Face à la montée des périls, Viollis se rangea à l’analyse selon laquelle il fallait en priorité lutter contre le fascisme avant d’aider à la libération des colonies. La conclusion du reportage qu’elle fit en Tunisie pour Ce Soir allait dans ce sens. Certes, les réformes avaient trop tardé et il était urgent de les mettre en œuvre, mais selon elle, la stratégie de Bourguiba – qu’elle rencontra en prison et qu’elle jugeait trop extrémiste – n’était pas la bonne. Viollis redoubla d’efforts pour venir en aide à l’Espagne républicaine, mais elle continua aussi son combat pour faire avancer la cause de l’amnistie des prisonniers politiques en Indochine, en appuyant notamment les démarches du Secours populaire de France et des colonies.


Cinquième partie
La guerre d’Indochine et la réédition d’Indochine SOS
(1945-1950)


Chapitre premier
Éviter la guerre

La question indochinoise fut la première sur laquelle Andrée Viollis se pencha dès la fin du conflit mondial. Cinq articles écrits en octobre et novembre 1945 témoignent de son intérêt et de sa compétence sur cette question et marquent le début de son engagement contre la guerre et en faveur d’une politique de négociations. Cet engagement se traduisit aussi dès 1945 par la défense des Vietnamiens poursuivis en métropole et la présidence d’un meeting en faveur de l’amitié franco-vietnamienne. Membre fondateur de l’Association France-Viêt-Nam, elle s’attacha à faire connaître les revendications de la République démocratique du Viêt-Nam. Elle rencontra les membres de la délégation vietnamienne lors de leur passage à Paris en vue des négociations de Fontainebleau, ainsi que le Président Hô Chi Minh. À partir de l’hiver 1946, elle assista, impuissante, à la rupture des négociations et au déclenchement du conflit.

Chapitre II
Dénoncer la guerre

Alors que Viollis était en reportage au début de 1947 en Afrique du Sud où elle s’intéressait au problème racial et social sud-africain, la France s’était engagée davantage dans la guerre en Indochine. Au cours de cette année 1947 qui vit cette guerre susciter des refus prononcés, Viollis signa l’introduction d’une brochure éditée par le PCF intitulée La Vérité sur le Viêt-Nam et soutint la campagne de l’hiver 1947-1948 organisée par le parti pour la libération des Vietnamiens emprisonnés. La protestation anticoloniale prit de l’ampleur à la fin de 1948 et en 1949, à l’occasion de l’affaire malgache et du mouvement pour la paix. Viollis se rendit en Afrique noire et s’indigna du déroulement du procès de Tananarive.

Chapitre III
La réédition d’Indochine SOS

Dans le contexte de mobilisation croissante d’intellectuels contre la guerre d’Indochine et de décolonisation en marche (Inde en 1947, Birmanie en 1948, etc.), Indochine SOS fut réédité à la fin de 1949 par une maison d’édition du Parti communiste, les Éditeurs français réunis, avec une préface de Francis Jourdain. Le livre paraît alors qu’un débat sur les « atrocités françaises » en Indochine agite l’opinion depuis l’été 1949. C’est surtout à travers ce thème que la mémoire d’Indochine SOS, de 1945 jusqu’à aujourd’hui, a perduré. Les débats sur la torture pendant la guerre d’Algérie et plus généralement sur le bilan de la colonisation ont mis en lumière toute l’actualité de ce livre.


Conclusion

Si, dans tous les courants de pensée, des voix se firent entendre pour contester certaines pratiques coloniales, l’idée du bien fondé de la colonisation, la croyance en la mission civilisatrice de la France dans les colonies étaient largement partagées. Viollis elle-même était imprégnée par la culture impériale de son temps, même si très tôt elle perçut les contradictions idéologiques et politiques de l’entreprise coloniale menée par la Troisième République et les dénonça. Dans les années 1930 et 1940, sa volonté d’alerter l’opinion sur le problème colonial et ses difficultés à le faire témoignent de la complexité du combat anticolonialiste et réformiste. Viollis reste un nom symbole de ce combat et son engagement permet d’éclairer celui d’autres intellectuels.


Annexes

Carte de l’Indochine dans les années 1930. — Chronologie du voyage d’Andrée Viollis en Indochine. — édition des articles d’Andrée Viollis, envoyée spéciale du Petit Parisien en Indochine. — Index des groupes et associations, périodiques, lieux, personnes.