« »
École des chartes » thèses » 2009

Guillaume de Saint-Lô, un prédicateur à l’œuvre au xive siècle


Introduction

Guillaume de Saint-Lô fut abbé de Saint-Victor de Paris vers le milieu du xiv siècle. Il fut donc à la tête d’une congrégation importante et prestigieuse par ses origines. Mais on sait peu de choses de lui. Mis à part son titre de docteur en théologie et ses dates d’abbatiat, l’essentiel de ce qu’on en a retenu réside en l’existence de sermonnaires de sa main, les manuscrits lat. 14 921 et lat. 14 949 de la Bibliothèque nationale de France. Si la prédication au xiv siècle voit assez peu de transformations, et si l’abbaye de Saint-Victor connaît un prestige moindre qu’aux siècles précédents, les sermons de Guillaume de Saint-Lô n’en méritent pas moins attention. Leur intérêt réside dans le caractère autographe des manuscrits, visible aux ratures et aux remaniements, et d’autre part au fait qu’ils mêlent les langues latine et vernaculaire. Ces sermons seront donc abordés moins du point de vue théologique que de celui des méthodes de travail et des modalités de la prédication.


Première partie
Étude critique


Chapitre premier
Étude codicologique

La présente étude part des deux manuscrits laissés par Guillaume de Saint-Lô : ces derniers constituent la principale source sur l’abbé de Saint-Victor.

Les manuscrits lat. 14 921 et lat. 14 949 de la Bibliothèque nationale de France. —  Les manuscrits lat. 14 921 et lat. 14 949 de la Bibliothèque nationale de France proviennent du fonds de l’abbaye de Saint-Victor de Paris. Ils sont tout deux composites, mais le second comporte davantage de sermons de Guillaume de Saint-Lô que le premier. Ils ont été catalogués par Gilbert Ouy dans son édition du catalogue de Claude de Grandrue, bibliothécaire de l’abbaye au début du xvi siècle. La présente étude en donne des notices plus détaillées.

Le manuscrit lat. 14 921 est le plus complexe des deux. Il contient pour la plus grande part des sermons, dont des brouillons, ainsi que des sentences morales. Mais la présence d’un traité sur les offices royaux montre bien que la constitution de ce recueil n’obéit à aucune logique thématique mais bien plutôt à des aspects pratiques, le format du papier, l’époque de composition ou de copie. En comparaison, le ms. lat. 14 949 est d’aspect bien plus homogène.

Les manuscrits originaux. —  Les sermons de Guillaume de Saint-Lô se présentent comme des autographes. De plus, on en trouve en latin et en français. Il est donc possible de comparer la manière d’exprimer les mêmes notions dans les deux langues et pour des publics différents. Indépendamment de la langue utilisée, les différentes occasions de prêche donnent lieu à des séries de sermons très proches les uns des autres, dans leur construction, leurs divisions et jusque dans leur syntaxe même. Ce qui fait leur intérêt réside donc dans la possibilité qu’ils offrent de réfléchir sur les méthodes de travail et le rôle pastoral d’un abbé d’un grand établissement religieux parisien au milieu du xiv siècle : comment rassemblait-il et composait-il les textes qui formaient le support nécessaire à l’exercice de ses fonctions de prédicateur ?

On s’aperçoit rapidement que les deux manuscrits contiennent des fragments d’un corpus plus vaste, provenant de deux ensembles : un manuscrit folioté de la main même de Guillaume de Saint-Lô, et des cahiers non foliotés. Leur présentation en est très homogène. Il est donc vraisemblable que la rédaction ait eu lieu dans un laps de temps relativement court. La présence d’une table située au début du manuscrit lat. 14 949 précise le contenu du manuscrit folioté. Les sermons disparus de cet ensemble ne correspondent pas à ceux du manuscrit non folioté et il n’y a pas de sermon commun aux deux manuscrits. Par commodité, on a choisi de définir deux manuscrits : un manuscrit folioté A et un manuscrit non folioté B, même si ce dernier n’a probablement jamais été conçu comme un tout organisé.

La séparation et la mutilation des deux manuscrits ont certainement eu lieu entre la mort de leur auteur, en 1349, et la fin du xv siècle, puisqu’on sait que les manuscrits actuels existaient alors, d’après l’époque de la reliure du manuscrit lat. 14921 et la présence des deux manuscrits dans le catalogue de Claude de Grandrue. D’autre part, la présence de textes écrits autour de 1400 dans le manuscrit lat. 14921 permet d’affirmer que les manuscrits actuels ont été constitués au xv e siècle.

Le contenu des manuscrits A et B. —  Le manuscrit A contenait 99 sermons, d’après la table, dont une petite majorité en latin. Or ces derniers ont été bien mieux conservés que les sermons français du même manuscrit. Les sermons conservés du manuscrit B sont majoritairement en français. Ainsi, malgré l’aspect très homogène du corpus, on constate que les deux manuscrits répondaient à deux objectifs différents, le manuscrit A étant le plus achevé. Vu qu’on ne connaît pas la disposition originelle du manuscrit B, si elle a jamais existé, on ne peut étudier les différences des deux ensembles que par les sujets abordés. Les sermons pour la Passion et les Rameaux sont presque exclusivement dans le manuscrit B, ce qui peut expliquer en grande partie la répartition différente des sermons latins et français selon les manuscrits, puisque ces fêtes sont majoritairement traitées en langue vernaculaire. En revanche, ce qu’il nous reste de la prédication monastique de Guillaume se trouve uniquement dans le manuscrit A.

La plupart du temps, l’occasion d’un sermon définit sa langue. Il n’y a que pour les défunts et pour l’Assomption que les deux langues sont utilisées. Mais vu le déséquilibre flagrant dans les deux cas en faveur du français, on ne peut être certain que les sermons en latin étaient destinés exclusivement à des religieux. Ainsi pour déterminer le public, il faut s’appuyer sur davantage d’éléments, le style, l’enchâssement des divisions, la structure.

Les sermons édités. —  Les sermons qui ont été retenus pour l’édition doivent permettre d’aborder tous les points de réflexion dont l’intérêt a été souligné. Ils offrent la possibilité d’étudier les méthodes de travail de Guillaume de Saint-Lô, son maniement des concepts en français et en latin, ses sources. À chaque fois, l’ensemble des sermons pour une même fête a été édité. Il s’agit des trois sermons pour le dimanche de la Passion, des cinq sermons pour les Rameaux et des quatre sermons pour le vendredi de la Passion, qui représentent le temporal et la prédication au peuple, ainsi que les quatre sermons pour la fête de saint Victor qui représentent le sanctoral, avec ceci de particulier que s’agissant du patron de l’ordre, ils sont composés avec un soin particulier et n’hésitent pas à évoquer la situation politique du moment, et notamment la guerre de Cent Ans. Quand des sermons se sont révélés d’attribution douteuse, ils ont été édités en suivant la version du manuscrit de Guillaume, pour essayer de comprendre pourquoi il les avait copiés.

Chapitre II
Guillaume de Saint-Lô

Les indications des sources. —  L’existence de Guillaume de Saint-Lô est attestée par un certain nombre de documents. Les dates de son abbatiat sont connues : il est élu à la mort d’Aubert de Mailly survenue le 12 avril 1345 et il meurt le 8 juin 1349, déjà âgé.

À la lecture des collations faites par les bibliothécaires sur les manuscrits, on se rend compte qu’ils considèrent réellement Guillaume de Saint-Lô, ancien abbé et docteur en théologie, comme l’auteur des sermons. La seule autre œuvre attribuée à cet abbé qui ait pu être répertoriée consiste en un hommage versifié à Richard de Saint-Victor édité à la suite des œuvres de ce dernier dans un ouvrage paru chez Jean Petit en 1518.

Guillaume de Saint-Lô n’a laissé aucune trace de ses études universitaires, ni dans le cartulaire de l’université de Paris ni dans les répertoires de Commentaires bibliques et de Commentaires sur les Sentences.

Par contre, le colophon d’un manuscrit de la bibliothèque de Saint-Victor, conservé à Dresde, à la Sächsische Landesbibliothek, sous la cote P 46, le nomme comme commanditaire, soucieux de la composition de l’ouvrage en vue de l’instruction des jeunes chanoines.

Essai de reconstitution chronologique. —  Ce que nous livrent les sources sur Guillaume de Saint-Lô, comme on pouvait s’y attendre, se résume à peu de choses. Il peut donc être intéressant pour mieux comprendre le personnage de reconstituer son environnement. Si on considère que Guillaume de Saint-Lô est mort à un âge avancé, entre 50 et 70 ans, il a pu passer entre 30 et 50 ans en religion, les postulants devant avoir au minimum vingt ans, selon les usages de l’abbaye. Il a donc vraisemblablement pris l’habit à Saint-Victor dans les vingt premières années du siècle. Il devait avoir fini ses études ès arts, comme prescrit par la coutume du couvent, mais a dû poursuivre ses études de théologie en même temps. Dans les conditions habituelles du cursus universitaire de l’époque, il peut difficilement être devenu maître en théologie avant 1320, et sans doute n’accéda-t-il à ce grade que plus tard.

L’apport de l’histoire de Saint-Victor. —  Les études concernant les deux premiers siècles d’existence de l’abbaye sont bien plus nombreuses que celles que l’on peut trouver pour le xiv e siècle. Le principal ouvrage qui englobe cette période demeure donc celui de Fourrier Bonnard, rédigé au début du siècle : Histoire de l’abbaye royale et de l’ordre des chanoines réguliers de Saint-Victor de Paris. L’abbé Jean de Palaiseau (1311-1329) fit beaucoup pour le renouveau des études, et son abbatiat correspond à l’époque à partir de laquelle il est probable que Guillaume de Saint-Lô soit entré chez les victorins.

Une identité à remettre en cause ? —  Malgré le comportement d’auteur de Guillaume de Saint-Lô, plusieurs faits viennent remettre en cause une attribution trop prématurée de certains sermons.

Un cas intéressant s’est présenté, celui d’un sermon latin pour une dédicace d’église, De dedicacione ecclesie, dans le ms. lat. 14 949 (fol. 56-57v), sur le lemme « Templum Domini sanctum est » (1 Cor. 3, 17), dont existe une copie dans le ms. lat. 3 554 de la Bibliothèque nationale de France, au feuillet CXXXII. Il est tout à fait évident que la version du ms. lat. 3 554 est une copie, mais cela ne signifie pas pour autant que Guillaume de Saint-Lô soit forcément l’auteur de ce sermon. Si c’est le cas, ce serait le seul sermon de lui qui aurait été copié, ce qui nous montrerait que cette œuvre aurait eu une certaine renommée, restreinte il est vrai, en dehors de l’abbaye. En réalité, même si la version de Guillaume de Saint-Lô est meilleure, il semble que ce soit également une copie.

Sur les mêmes cahiers du manuscrit lat. 14 949 se mêlent des sermons de la main de Guillaume de Saint-Lô et d’autres de la main d’un copiste. On peut penser que comme abbé, il avait à sa disposition suffisamment de chanoines prêts à copier au propre des sermons, éventuellement sous sa dictée. La présence dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale de France, le ms. lat. 3 554 (fol. 81), d’une version latine d’un sermon de Chandeleur en français dans le manuscrit victorin  invite à penser qu’il n’est peut-être pas de Guillaume de Saint-Lô, si l’on considère qu’on traduit davantage du latin vers le français que du français vers le latin.

Deux sermons sont de Jacques de Lausanne ; on ne peut en douter. D’autres sont d’attribution douteuse parce qu’on les retrouve dans d’autres manuscrits et que le texte de Guillaume de Saint-Lô comporte des erreurs qui sont davantage des fautes de copie que de composition.

Jacques de Lausanne est un auteur prolifique de l’ordre dominicain. Les deux sermons de lui présents dans le corpus sont le produit d’une simple copie et n’ont pas été remaniés. On peut alors se demander si Guillaume de Saint-Lô ne serait pas allé chercher chez Jacques de Lausanne ce qui lui manquait pour compléter son corpus, puisqu’il n’y a pas de sermon pour la Passion dans le manuscrit A.

Le sermon in Ramis palmarum III se retrouve dans le manuscrit de la Bibliothèque municipale d’Autun coté S 60 II, au feuillet 100 (« Gregorius dicit quod plus movent exempla quam verba. Ratio est... »). Ce manuscrit du xiv e siècle comporte un certain nombre de sermons de Jacques de Lausanne et de Constantinus de Orvieto, et une grande partie d’anonymes dont fait partie celui qui a été copié par Guillaume de Saint-Lô.

Les problèmes d’attribution brièvement exposés ici ne peuvent être complètement élucidés par l’étude de la tradition des textes à travers les répertoires d’incipit. La prise en compte de leur présentation, de leur style et de leur contenu, dans la suite de cette étude, est tout aussi éclairante. Mais, à partir du moment où la notion d’auteur est à ce point niée, il est presque impossible de discerner des attributions précises. Il s’agit au fond de transmettre le message de l’Église, du Christ, et de puiser pour cela aux meilleures sources. Le point central de cette prédication se pose davantage en termes d’influence, d’emprunt, d’intertextualité et d’efficacité du discours qu’en termes de propriété intellectuelle.

Les instruments du prédicateur. —  La bibliothèque de Saint-Victor était très riche, dès cette époque, et offrait au prédicateur un grand nombre de textes dont il pouvait avoir besoin. Malgré les vœux de pauvreté que Guillaume a dû prononcer et qu’il devait s’efforcer de suivre, il ne serait pas étonnant, à cause de sa position d’universitaire et d’abbé, qu’il ait possédé quelques livres à lui. En tout cas, on a pu lui en prêter. À plusieurs reprises, l’auteur des sermons n’utilise pas directement la source qu’il cite, mais le livre des Sentences de Pierre Lombard ou le Speculum majus de Vincent de Beauvais, des manuels de prédicateurs, des homéliaires patristiques, ou des collections de sermons plus modernes comme ceux de saint Bernard. C’est pourquoi il cite un grand nombre de sermons.

Les références produites par Guillaume de Saint-Lô ne sont jamais inattendues. Il cite beaucoup les pères de l’Église, avec une prédilection pour saint Grégoire, et cite également beaucoup saint Bernard, ce qui le rattache au courant mystique irriguant la spiritualité victorine. Ses références ne se distinguent pas par un grand nombre d’auteurs. Le thème de la procession Renart qui sert de trame au sermon in Ramis palmarum V est très largement utilisé par les prédicateurs et les fabulistes.

Chapitre III
Pour une approche du texte

Après avoir cherché ce que pouvaient nous apprendre les manuscrits et l’histoire sur les sermons édités, il est bon de s’intéresser au texte lui-même, afin de mieux comprendre les méthodes de travail de Guillaume de Saint-Lô, sa manière d’utiliser les Écritures et ses sujets de prédilection.

Texte conservé et prédication réelle. —  Il est visible qu’il s’agit pour Guillaume de Saint-Lô de rassembler du matériel en vue de la prédication et non de consigner rigoureusement les textes prêchés. En effet, il copie les sermons d’autres auteurs et en corrige et améliore les textes. Il est cependant très probable que ces pages, nombreuses, contiennent toute la pensée exégétique et les explications scripturaires dont il aimait à se servir dans l’exercice de son ministère. Les notes de relecture et les corrections posent un certain nombre de problèmes. On peut penser que Guillaume préparait un premier état du texte, qu’il puisait dans des sermons préexistants ou dans les Artes praedicandi. Cette première copie ou composition correspond à ce qui a été défini comme « degré d’achèvement 1 ». Dans ce cas, il est vraisemblable que l’identification des citations bibliques n’ait pas été systématiquement renseignée, du fait d’une habitude prise par Guillaume de Saint-Lô mais ignorée par sa source.

Les blancs qui en résultent ont parfois été comblés lors d’une relecture, ce qui correspond à un « degré d’achèvement 2 ». Mais on ne peut évidemment exclure le fait que certains textes n’aient pas connu le premier degré d’achèvement.

Quant aux quelques sermons caractérisés par le « degré d’achèvement 3 », modifiés et remaniés, on peut penser qu’ils sont le produit d’une relecture plus poussée et d’une volonté de les rendre plus conformes à l’esprit de Guillaume ou à une fête liturgique donnée. Ces modifications peuvent être des ajouts personnels, mais aussi, bien souvent, des ajouts provenant eux-mêmes d’une source pastorale différente. L’ensemble des sermons se présente donc pour une large part comme une compilation, dans laquelle le scripteur laisse sa marque essentiellement dans sa manière d’agencer les sources.

Pour un certain nombre d’occasions liturgiques qui ne reviennent qu’une fois dans l’année, il y a un grand nombre de sermons. Tous n’ont donc pas pu donner lieu à un prêche réel durant la durée de l’abbatiat de Guillaume de Saint-Lô. Il est donc certain qu’il y a des sermons modèles et que Guillaume de Saint-Lô a commencé à prêcher avant son élection.

Le rapport au public. —  Les sermons édités sont marqués par l’expression orale. Mais cela est sans doute lié avant tout au genre et non au fait qu’ils aient été prononcés. On voit à la fréquence des phrases et expressions abrégées, des ajouts laissés à l’appréciation du prédicateur, ainsi que des indications qu’il s’adresse à lui-même, qu’il consigne ses sermons pour mémoire, afin de s’en servir ultérieurement. Il doit penser à son propre usage en priorité, et non à la postérité de son œuvre et à la possibilité d’utilisation par d’autres chanoines.

Certains sermons ne développent pas toutes les divisions qui sont annoncées. En fait, il est même rare qu’elles le soient toutes. Nombre de phrases sont délibérément non achevées et abrégées d’une manière qui n’est pas homogène sur tout le corpus considéré. Ce sont de manière générale les citations bibliques répétées ou bien connues, en particulier les lemmes, mais aussi parfois les citations patristiques, ainsi que l’énoncé des divisions en tête des parties, ou encore l’invitation à la prière du début et les formules de doxologie. L’abréviation est aussi régulièrement employée lorsque le prédicateur procède à une énumération qu’il lui est facile de compléter. Les exempla sont également très souvent simplement désignés et non rédigés. L’étude des abréviations permet de constater que certains sermons se démarquent des autres : dans le sermon Dominica in Passione I, les citations latines sont abrégées, lorsque les traductions françaises complètes en sont données à la suite. Cela nous amène à penser qu’il s’agit d’une copie. On remarque que l’invitation faite au prédicateur à improviser et à ajouter des références est finalement peu fréquente et que le sermon qui se distingue de ce point de vue est celui qui prend pour sujet la procession des Rameaux, in Ramis palmarum V. On peut l’expliquer par le fait qu’il a été profondément remanié, et ne se présente donc pas en un bloc homogène et cohérent.

Les traces d’implication personnelle sont rares. On trouve cependant quelques jugement de valeur introduisant des citations, souvent pleines d’exclamations, d’énumérations et d’émotion.

Le rôle du clerc dans la société s’articule en deux volets, selon Guillaume de Saint-Lô, l’instruction par la parole et par l’action. Dans les sermons de la Passion tout particulièrement, le modèle de prédicateur est le Christ. Cela est largement illustré et démontré par des citations patristiques. Bien que Guillaume de Saint-Lô présente le clerc comme celui qui doit faire entendre les mystères aux laïcs, mais non les faire comprendre en touchant leur intelligence, il aborde plusieurs fois des points théologiques difficiles. Les exempla, par contre, ne se trouvent que dans les sermons au peuple.

Les sermons dénoncent davantage des vices que des groupes de personnes, mis à part celles qui par leur état de vie, sont plongées dans le vice : les usuriers et les taverniers. Le prédicateur apostrophe directement le public dans un certain nombre de sermons, mais non pas dans tous, ce qui permet là encore de distinguer certains sermons. L’emploi d’une interjection intervient le plus souvent pour solliciter l’attention au moment où un fait concret est appliqué à une réalité spirituelle.

Le prédicateur joue sur les moyens oratoires, questions qu’il pose à intervalles réguliers pour susciter l’attention des fidèles, dialogues fictifs entre lui et la personne qui pourrait opposer des arguments à ses affirmations, etc. On reconnaît d’ailleurs là l’influence de la méthode scolastique et de la formation universitaire. Le texte des sermons est souvent assez vivant, ponctué d’exclamations. Assez souvent est employé le discours direct à l’occasion de petits dialogues fictifs entre le prédicateur et son auditoire.

Caractéristiques d’écriture. —  On peut relever un certain nombre de traits graphiques venant de Normandie. Il est visible que les graphies varient selon les sermons, ce qui doit être dû au fait qu’elles n’étaient pas fixées, comme l’atteste l’étude de celles des humanistes parisiens de cette époque, mais découle aussi de la pratique de la compilation. Certaines graphies coexistent dans les mêmes pages, mais d’autres sont propres à certains sermons.

Le travail sur le texte. —  Le premier sermon pour le dimanche de la Passion et le troisième sermon pour les Rameaux ont une partie de leur texte commune. Cette partie commune n’est pas totalement identique, du point de vue de l’expression et des graphies. En étudier les différences peut permettre de mieux comprendre les méthodes de travail de Guillaume de Saint-Lô. Il semble que la version du sermon in Ramis palmarum III, remaniée, soit antérieure à celle du dimanche de la Passion. Le passage considéré est plus long dans ce dernier. On y note un plus grand soin des détails et l’introduction systématique d’un exemplum pour illustrer chaque péché dont il est question. En certains endroits, le texte diffère totalement, ce qui montre que la volonté du scripteur n’était pas de recopier, mais d’arranger, d’améliorer la construction et l’expression.

Le maniement du latin et du français. —  Guillaume de Saint-Lô cite systématiquement ses sources en latin. Puis, soit il consigne sa traduction à la suite, soit il se contente de la mention gallice. Comme dans la liturgie, la Parole divine est toujours dite en latin et traduite parfois pour que l’auditoire la comprenne ; de même, les citations bibliques que fait Guillaume de Saint-Lô sont toujours en latin, sauf quand il s’agit des paroles prononcées lors du récit de la Passion, dans des sermons qui reprennent la chronologie des Évangiles et se développent d’une manière plus proche des Bibles historiales que de l’office liturgique.

La spiritualité de Guillaume de Saint-Lô. —  Guillaume de Saint-Lô se montre très proche de la spiritualité cistercienne, ce qui est un trait caractéristique des ouvrages de spiritualité français de ce temps. De même, dans sa manière de décompter les péchés, les plaies du Christ, ses paroles, il s’inscrit totalement dans son époque.


Conclusion

Au cours de cette étude, il a fallu bien vite abandonner la notion de sermons autographes ou d’œuvre originale pour considérer l’ensemble des textes de manière globale, même si la quantité importante de sermons contenus ici a conduit à se cantonner à certaines occasions. Ainsi se révèle le travail d’un prédicateur semblable à beaucoup d’autres, qui compile au moins autant qu’il n’écrit.

De ce fait, l’étude du maniement des concepts en français et en latin est forcément faussée, puisqu’on ne sait jamais exactement quel est le degré d’intervention sur le texte ou sur l’idée, la figure, la division que le prédicateur utilise. Cela explique la grande diversité qui existe entre les sermons dans leur présentation interne. Mais on remarque tout de même une certaine homogénéité, qui offre d’ailleurs la possibilité d’identifier les écarts avec ce qui pourrait constituer un style habituel qu’on soupçonne plus qu’on ne le définit.

On voit que Guillaume de Saint-Lô a des exigences différentes vis-à-vis des fidèles et vis-à-vis des chanoines, non pas par rapport à l’idéal de vie qu’il propose, mais surtout sur le niveau de rigueur morale qu’il demande. Ainsi, des clercs, il ne stigmatise que les attitudes de certains prélats, alors qu’il condamne un certain nombre d’occupations des laïcs. Il s’agit pour ces derniers de se maintenir dans le droit chemin pour parvenir au salut, mais, pour les premiers, il faut également être capable d’y entraîner les autres. Pourtant, il n’a pas d’autre voie de sainteté à proposer aux laïcs que celle de la contemplation, ce qui est particulièrement visible à la manière d’utiliser le récit de la Passion en une série de méditations, entrecoupées d’exhortations à vivre droitement.


Édition

L’édition donne le texte de seize sermons, selon la version de Guillaume de Saint-Lô. Elle est suivie de trois indices, le premier pour les citations bibliques, le deuxième pour les références aux Pères de l’Église et à d’autres auteurs, le dernier pour les notions.


Annexes

Reconstitution du manuscrit folioté, d’après la table contenue dans le manuscrit lat. 14 949. —  Liste des cahiers du manuscrit non folioté. — Onze photographies.