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École des chartes » thèses » 2009

L’Art nouveau à l’Exposition universelle de 1900


Introduction

Apparu au début des années 1890, l’Art nouveau s’est diffusé dans toute l’Europe, renouvelant les arts décoratifs et l’architecture. Avant 1900, des expositions importantes ont déjà eu lieu dans différents pays. Mais jamais encore l’Art nouveau n’a connu une manifestation d’une telle ampleur qu’à l’Exposition universelle de 1900 à Paris. En effet, c’est la première fois qu’une exposition universelle réunit un tel nombre de pays, d’exposants et de visiteurs : du 14 avril au 12 novembre 1900, plus de cinquante millions de visiteurs s’y rendent pour contempler les efforts de quarante et un pays participants.

Pour les partisans de l’Art nouveau, l’enjeu est important : l’Exposition universelle doit le consacrer auprès du public et de la critique, alors qu’il fait l’objet de controverses. L’organisation de l’Exposition étant complexe, l’Art nouveau s’y trouve relativement dispersé, ce qui explique la postérité mitigée de l’événement. Pourtant, il est très bien représenté. S’il manque quelques artistes majeurs, Horta, Mackintosh, Gaudí et leurs compatriotes, un nombre considérable de Français, d’Allemands et d’Autrichiens sont au rendez-vous : Majorelle, Lalique, Guimard, Gallé, Pankok, Riemerschmid, Olbrich, Hoffmann, Wagner, pour n’en citer que quelques-uns parmi une multitude. De même, l’Art nouveau des Pays-Bas, de la Hongrie, la Finlande et la Russie se fait connaître, en architecture comme dans les arts décoratifs. Aussi, pour avoir réuni un nombre inégalé d’artistes de nationalités variées, pour avoir produit des œuvres remarquables présentes aujourd’hui dans de nombreux musées européens, pour avoir suscité une polémique artistique virulente et féconde, l’Exposition universelle n’est pas un événement anodin pour l’Art nouveau.

La première partie de cette thèse cherche ainsi à étudier les raisons de la présence, ou de l’absence, de l’Art nouveau à l’Exposition universelle, afin de comprendre les enjeux – artistiques certes, mais aussi politiques, commerciaux – que représente l’Art nouveau pour chaque pays, tout en donnant une vue d’ensemble des artistes et des œuvres présents. La seconde partie s’intéresse au regard des contemporains sur l’Art nouveau à l’Exposition, leurs réactions, méfiantes ou enthousiastes, diverses en tout cas selon les artistes, les nationalités : en 1900, l’Art nouveau est alors loin d’être perçu comme un mouvement homogène. L’Exposition cristallise tout un ensemble de réflexions et de polémiques qui contribuent tantôt à théoriser, tantôt à discréditer l’Art nouveau. Enfin, la troisième partie s’attache à observer les conséquences à long terme de l’Exposition universelle : en analysant les répercussions financières et honorifiques pour les artistes, les modalités de l’entrée de l’Art nouveau dans les musées, l’organisation des expositions suivantes, et en observant les prolongements du débat artistique, elle cherche à évaluer la place de l’Exposition universelle dans l’histoire de l’Art nouveau.


Sources

La France ayant organisé l’Exposition, des centaines de cartons sont conservés aux Archives nationales sur ce sujet (série F 12 ). Ces archives portent toutefois très peu sur les questions artistiques. Elles permettent de connaître les relations entre le commissariat général de la France et les commissariats des différents pays.

De manière beaucoup plus anecdotique, les archives de l’Union centrale des arts décoratifs, conservées à la bibliothèque des Arts décoratifs, permettent de connaître l’action de cette association en faveur des arts décoratifs au sein de l’Exposition. Celles de Roger Marx, critique d’art et commissaire à l’Exposition, conservées à la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, sont intéressantes pour leur important fonds de photographies.

Les sources imprimées sont d’une importance fondamentale : rapports des jurys distribuant les récompenses, catalogues des expositions de divers pays, listes des artistes, et rapports généraux sur l’Exposition universelle, constituent un apport très précieux aux recherches.

De même, les revues d’art occupent une place majeure au sein de cette étude. Ces revues, principalement Art et décoration , L’Art décoratif et la Revue des arts décoratifs , ont consacré tous leurs numéros entre mai et décembre 1900 à l’Exposition universelle, et constituent une mine d’informations pour la connaissance de l’Art nouveau. Divers essais sont également intéressants, comme ceux de Jean Lahor, Roger Marx ou Robert de la Sizeranne, parmi d’autres : ils livrent une réflexion sur l’Art nouveau tout en permettant de connaître les œuvres présentes à l’Exposition universelle.


Première partie
Les modalités de la présence de l’Art nouveau
à l’Exposition universelle


Chapitre premier
L’essentielle question du soutien politique

La question du soutien officiel de chaque pays à l’Art nouveau est déterminante pour sa représentation à l’Exposition universelle. Quelle que soit l’importance du mouvement dans chaque pays, sa représentation à l’Exposition dépend avant tout d’une volonté politique.

La France occupe une position ambiguë : elle refuse en grande partie l’Art nouveau pour son architecture officielle, mais ne lui marque pas d’hostilité dans la sélection des arts décoratifs. L’administration considère en fait que l’Exposition doit avant tout exalter le passé national de la France : les styles historiciste et éclectique y ont vocation, non l’Art nouveau. En outre, l’architecture officielle de l’Exposition universelle de 1900 date en fait de 1898, à une époque où l’architecture Art nouveau est encore peu développée en France. L’Exposition montre en fait un certain traditionalisme de l’État français, en opposition avec d’autres pays d’Europe plus audacieux.

En effet, certains États accordent un véritable soutien politique à l’Art nouveau, discernable tant dans l’architecture – le pavillon de la Finlande, les installations hollandaises, hongroises... – que dans les arts décoratifs (Allemagne, Autriche...). Le choix de l’Art nouveau peut exprimer le désir de montrer la modernité et le dynamisme d’un pays. Mais quand l’Art nouveau unit modernité et traditions nationales, il devient porteur d’un nationalisme d’opposition, comme pour la Finlande ou la Hongrie, pays dominés politiquement.

Enfin, l’Art nouveau peut aussi être largement exclu de la représentation de certains pays, parmi lesquels figurent la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie et la Belgique. Les raisons de cette absence sont diverses : désintérêt pour ce style, contexte politique difficile, attachement à un glorieux passé artistique, dysfonctionnements administratifs... Le choix ou le rejet de l’Art nouveau est en tout cas porteur d’une conscience politique forte. Si l’Art nouveau est employé pour exprimer la modernité du pays, et parfois sa conscience nationale, son absence est souvent due à la puissance du nationalisme, en Espagne par le rejet de l’art catalan, en France et en Italie par le rattachement à un glorieux passé artistique.

Chapitre II
L’Art nouveau, un idéal… lucratif

Les exposants ont deux raisons majeures de vouloir exposer l’Art nouveau : la conviction artistique et l’intérêt commercial.

En effet, les artistes de l’Art nouveau viennent de tous les pays pour montrer leurs œuvres et contribuer à la reconnaissance du mouvement. Ce chapitre entreprend notamment d’étudier la participation des principaux artistes à l’Exposition. Les Français sont naturellement les plus nombreux, dans tous les domaines des arts décoratifs. L’Art nouveau allemand et autrichien apparaît également fortement représenté. De plus, certains acteurs de l’Exposition apportent leur soutien à l’Art nouveau : Roger Marx, en tant que commissaire de l’exposition centennale, et l’Union centrale des arts décoratifs, dont la participation est très remarquée.

En outre, l’Art nouveau est à la mode en 1900, il plaît au public et fait vendre. Les artistes décorateurs ont donc un intérêt économique à le présenter : l’Art nouveau devient un investissement. Les grands magasins s’y intéressent et « L’Art nouveau » de Siegfried Bing remporte un succès complet. L’Art nouveau est aussi utilisé dans l’architecture de constructions à visées lucratives, telles que les restaurants, les théâtres, et dans les stands de tous types d’exposants. Ces diverses initiatives architecturales donnent lieu à un Art nouveau de qualité – on compte Henri Sauvage et Serrurier-Bovy parmi les architectes – et très séduisant. En se mettant au service d’une architecture commerciale, l’Art nouveau bénéficie en plus d’une grande publicité.

Chapitre III
La présence de l’Art nouveau soumise aux nationalismes

Les Expositions universelles représentent une lutte pacifique entre les nations. Or, le contexte nationaliste joue un rôle fondamental dans la présence de l’Art nouveau à l’Exposition universelle. Il interfère tout d’abord dans l’organisation même de l’Exposition, conçue en faveur de la France, qui, en qualité de pays organisateur, a des prérogatives sur le nombre d’exposants, de jurés, de récompenses. L’Art nouveau français obtient, dans les arts décoratifs, les récompenses les plus hautes et les plus nombreuses. Les critiques d’art français participent aussi à ce nationalisme par leur éloge permanent du « bon goût » français, et leur négation des influences étrangères. Ce narcissisme français tend à cacher tout ce qui n’est pas favorable à la France, malgré quelques cris d’alarme d’observateurs plus lucides.

L’Art nouveau se retrouve aussi, de lui-même, porteur de questions nationales. Il constitue pour certains pays, notamment les pays sous domination étrangère, une affirmation de leur identité nationale, par le lien qu’il effectue entre modernité et tradition populaire. I l participe aussi à la grande affaire qui a dominé la préparation de l’Exposition universelle et qui est une émanation du nationalisme, l’Affaire Dreyfus, dans l’œuvre engagée qu’Émile Gallé présente à l’Exposition. Il s’inscrit enfin dans une lutte artistique des nations, en permettant à différents pays de s’émanciper de la tutelle artistique française, et peut-être même de la renverser, comme le montrent les participations imposantes de l’Allemagne et de l’Autriche à l’Exposition.

Chapitre IV
L’Exposition universelle, un tournant pour l’Art nouveau ?

L’Exposition représente une tribune exceptionnelle pour l’Art nouveau, qui s’yimpose dans des centaines d’œuvres, et dont les artistes triomphent par l’obtention de récompenses et par l’attention que leur portent les critiques et le public. Si les édifices Art nouveau sont peu nombreux, il sont visibles et remarqués. L’Exposition universelle constitue aussi la première rencontre véritablement internationale de l’Art nouveau et, pour ses partisans, elle constitue une victoire artistique. Elle peut donc bien être considérée, à divers titres, comme un tournant dans l’histoire du mouvement.

Cependant, plusieurs éléments amènent à relativiser la portée de l’événement. D’une part, le triomphe de l’Art nouveau n’est pas total : les récompenses sont également attribuées aux styles traditionnels et, parfois, apparaissent injustement réparties – notamment à l’égard de l’étranger, sous-représenté. D’autre part, l’Art nouveau est quelque peu noyé sous la domination numérique inébranlable des styles anciens, que le public continue d’apprécier. Enfin, l’organisation même de l’Exposition joue contre l’Art nouveau, car elle le disperse en divers emplacements, nuisant à sa cohérence et rendant difficile toute vue d’ensemble. L’Exposition universelle lui procure donc une visibilité remarquable, mais qui aurait pu être encore plus importante si les styles anciens n’avaient été aussi présents et si l’organisation même de l’Exposition n’avait provoqué la dispersion de l’Art nouveau.


Deuxième partie
La réception critique de l’Art nouveau
à l’Exposition universelle : polémiques et définitions


Chapitre premier
Des interrogations

Deux camps s’opposent lors de l’Exposition parmi les critiques d’art : les partisans et les détracteurs de l’Art nouveau. Ils défendent leurs positions au sein de revues, d’essais, de rapports de jurys... Si certains sont résolument favorables à l’Art nouveau – Jean Lahor, Roger Marx, Gabriel Mourey, etc. –, beaucoup ont une opinion mitigée – Arsène Alexandre, André Hallays. De fait, la polémique est virulente : l’Exposition universelle, par la visibilité qu’elle offre à l’Art nouveau, suscite une véritable bataille critique dont on trouve même l’écho hors des revues d’art spécialisées.

Les critiques s’accordent pourtant tous à constater la décadence des arts décoratifs dans la deuxième moitié du xix e siècle et les bienfaits du renouveau entamé depuis les années 1880. Mais le débat porte sur la forme que doit revêtir l’Art nouveau. La terminologie variée qui est employée pour le désigner montre qu’il manque encore de théorisation. Or l’Exposition universelle la lui apporte en provoquant de nombreux écrits critiques : l’Art nouveau doit reposer sur le rationalisme, la référence à la nature, le nationalisme. D’autres principes sont proposés, sans réunir tous les suffrages, comme la vocation sociale de l’Art nouveau. L’Exposition contribue finalement à imposer l’expression « art nouveau ».

Comme l’Exposition universelle ouvre le xx e siècle, les contemporains considèrent qu’elle doit en constituer une préfiguration. Aussi les critiques d’art s’interrogent-ils sur l’avenir du mouvement. Pour les uns, l’Art nouveau est jeune et en devenir : ses « erreurs » sont dues à sa jeunesse, tâtonnements inévitables qui font de l’Art nouveau une promesse pour l’avenir. Pour les autres, l’Exposition universelle marque au contraire le début de son agonie.

Chapitre II
Les attaques formulées contre l’Art nouveau

Les attaques portent sur trois points principaux : le manque de mesure de l’Art nouveau, ses manifestations à l’étranger, et l’échec de son industrialisation artistique.

Le principal reproche, repris par la plupart des critiques, concerne le caractère excessif de l’Art nouveau, qui oublie les principes fondamentaux du rationalisme pour se livrer à des audaces infondées. Ainsi, les critiques d’art regardent avec méfiance l’usage de la ligne courbe, jugée irrationnelle, réprouvent l’audace – caprice d’artiste – et reprochent à l’Art nouveau de manquer de fonctionnalisme. Pour discréditer les réalisations qui leur déplaisent, ils n’hésitent pas à recourir à des comparaisons très négatives, telles que la maladie et la mort. La redondance de certains motifs (le paon, le cygne...) dans les productions à caractère industriel est aussi blâmée. Il apparaît de fait que certains artistes, Guimard en tête, font unanimement l’objet de reproches, y compris de la part des partisans de l’Art nouveau. La volonté des critiques de faire respecter les principes rationalistes les poussent à condamner une partie importante de l’Art nouveau, qui apparaît parfois aujourd’hui comme la plus novatrice et la plus emblématique du mouvement. En outre, la condamnation des « excentricités » de l’Art nouveau, unanime du côté des critiques, s’oppose certainement au goût du public.

Les critiques français formulent aussi des reproches spécifiquement destinés aux productions étrangères, reproches qui sous-entendent la supériorité de la France. Ils considèrent que les différences de « race » ne permettent pas à l’art d’un pays d’être transposé dans un autre. Une influence étrangère est donc nécessairement négative, car elle bouleverse les traditions nationales. Certains pays suscitent plus que d’autres la réprobation des Français. Par exemple, l’Art nouveau allemand, parce qu’il apparaît conquérant, est à la fois très commenté et blâmé : on le juge artificiel, lourd, triste, et parfois de mauvais goût. L’Art nouveau anglais est fustigé pour sa sécheresse, son indigence et son manque de raffinement. L’Art nouveau nordique surprend, car inconnu, mais est parfois jugé trop rustique. Cependant, la tendance cosmopolite de l’Art nouveau déplaît encore plus car elle bafoue le principe du génie des peuples. Ainsi, l’Art nouveau autrichien, celui de la Sécession, est particulièrement critiqué pour son cosmopolitisme.

Enfin, bien que les critiques d’art se soucient peu de l’aspect financier des œuvres, ils constatent l’échec de la transposition de l’art à l’industrie et la dévalorisation de l’expression « art nouveau », trop souvent employée pour désigner des produits de mauvaise qualité. L’Art nouveau de qualité demeure réservé à une clientèle riche. Les grandes maisons alliant art et industrie (Liberty, WMF...) sont absentes de l’Exposition, et les artistes de « L’Art dans tout » ne proposent rien de très abordable. L’invasion des bibelots (lampes, bijoux) porte tort à l’Art nouveau.

Finalement, la virulence et la diversité des accusations, mettant en relief les défauts de l’Art nouveau, ont certainement contribué à le dévaloriser.

Chapitre III
Quand l’Art nouveau plaît

L’Art nouveau est rarement contesté dans son ensemble : certaines tendances sont même unanimement louées. Ainsi, toute œuvre dite rationnelle est appréciée, et pour ce faire, l’artiste doit, pense-t-on, s’inspirer essentiellement de la nature. L’Art nouveau respectueux des traditions stylistiques est aussi plébiscité. Enfin, l’Exposition marque ainsi un intérêt nouveau et parfois très favorable à l’Art nouveau étranger.

La nature est considérée comme une source d’inspiration exemplaire, qui assure le succès aux artistes qui l’emploient pour ornement (Lalique et Gallé, par exemple). On estime qu’elle constitue un sujet intarissable, apte à éviter les redites, mais aussi un gage de modernité qui rompt avec l’ornementation historiciste. Enfin, elle garantirait le rationalisme. Aucune voix ne s’élève contre cette référence, de même que personne en France ne songe encore à rejeter l’ornement.

Le respect des traditions stylistiques françaises est également requis. En dépit d’un discours moderniste des critiques, les œuvres qui font appel à de discrètes réminiscences des styles passés – surtout ceux du xviii e siècle – sont assurément les plus appréciées. Aussi les artistes encensés en 1900 ne sont-ils pas forcément ceux que l’histoire a retenus. Plutôt qu’une rupture avec l’éclectisme, l’Art nouveau doit constituer un renouvellement respectueux de la tradition, celle-ci ayant fondé le prestige artistique de la France.

Enfin, l’Art nouveau de certains pays est véritablement découvert à l’Exposition, et les commentaires sont très élogieux à l’égard de la Hongrie, des pays scandinaves et de la Russie. Les critiques français apprécient cet Art nouveau « folklorique », composé par des peuples jugés primitifs et donc purs. En outre, l’audace et la modernité de l’Art nouveau allemand et autrichien rencontrent aussi des échos favorables. Certains reconnaissent même la supériorité de l’exposition allemande sur l’exposition française, et la capacité des artistes allemands à s’unir dans des associations.


Troisième partie
Les conséquences de l’Exposition universelle
sur l’Art nouveau


Chapitre premier
Après l’effort… le bilan pour les artistes de l’Art nouveau

Participer à l’Exposition universelle n’est pas anodin pour un artiste. L’investissement est important en temps et en argent, mais l’artiste peut retirer de l’expérience de précieux avantages : célébrité, clientèle...

Certains artistes présentent des dizaines d’œuvres à l’Exposition, ce qui implique des coûts de production et de manutention importants. L’investissement financier est de fait conséquent, et les retombées de l’Exposition ne suffisent pas toujours à le rentabiliser. L’artiste doit aussi consacrer beaucoup de temps et d’efforts aux œuvres qu’il compte exposer, car celles-ci doivent être d’une qualité remarquable s’il veut obtenir une récompense. La participation à l’Exposition constitue donc une expérience éprouvante.

Cependant, l’Exposition permet d’acquérir une clientèle et une renommée internationales. Une récompense reçue à l’Exposition universelle favorise la carrière d’un artiste jeune, la consacre s’il est déjà célèbre. L’enjeu économique est aussi à prendre en compte : pendant le déroulement même de l’Exposition, par les achats qui y sont effectués, puis dans les années qui suivent, par la constitution d’une clientèle qui se fie au succès de l’artiste à l’Exposition et lui permet de prospérer.

Chapitre II
La reconnaissance officielle de l’Art nouveau

L’Exposition universelle est source d’honneurs pour les artistes de l’Art nouveau : outre les récompenses obtenues, la Légion d’honneur leur est souvent conférée, et les étrangers reçoivent des titres honorifiques dans leur pays au retour de l’Exposition. L’Art nouveau est donc officiellement reconnu : s’il est contesté par la critique, il ne l’est pas par les autorités.

En outre, l’Exposition universelle représente un temps fort dans les acquisitions d’Art nouveau par les musées. Le Museum für Kunst und Gewerbe de Hambourg, le Kunstindustrimuseet de Copenhague, le musée des arts décoratifs de Budapest, le Victoria and Albert museum de Londres, parmi d’autres, profitent du choix exceptionnel d’œuvres qu’offre l’Exposition pour enrichir de manière très conséquente leurs collections Art nouveau. Leurs acquisitions permettent d’appréhender les goûts d’une époque pour certains artistes et certains types d’arts décoratifs, mais aussi leur variation selon les sensibilités propres à chaque pays ou selon les choix des conservateurs. La réception critique de ces achats varie et révèle comme l’Art nouveau peut être un sujet de polémique. On constate toutefois qu’après l’Exposition universelle, le débat critique autour de l’Art nouveau perd de sa vigueur, ce qui peut être une conséquence de l’institutionnalisation provoquée par l’Exposition.

Chapitre III
Le rôle artistique de l’Exposition universelle

L’Exposition universelle joue un rôle artistique dans la carrière des artistes et plus généralement dans l’évolution du mouvement Art nouveau. Elle demande aux artistes de produire des œuvres exceptionnelles, qui vont parfois influencer la suite de leur carrière. Surtout, elle confronte les différentes variantes nationales de l’Art nouveau, les fait connaître et apprécier, donnant aux artistes de nouveaux modèles artistiques mais aussi structurels, à l’origine d’associations telles que l’École de Nancy et la Société des artistes décorateurs.

Ses répercussions sont nettement sensibles sur les expositions artistiques des années suivantes. Après de tels efforts, les artistes français et l’État français ne cherchent plus à participer massivement aux expositions internationales (Glasgow 1901, Turin 1902, Saint-Louis 1904), et il en résulte un essoufflement de l’Art nouveau français. Par ailleurs, l’exposition d’arts décoratifs modernes de Turin en 1902 s’inscrit à la fois en prolongement de l’Exposition universelle et en opposition avec elle, car elle ne présente que de l’Art nouveau. Quant aux Salons parisiens, ils font l’objet de comptes-rendus mitigés de la part des critiques d’art, car l’Art nouveau ne semble pas évoluer et ne répond pas à leurs attentes.

La place de l’Exposition universelle dans l’histoire de l’Art nouveau est donc complexe. Elle contribue à faire prendre conscience de la dimension internationale du mouvement. Surtout, elle constitue un point de référence pour les contemporains, et est souvent citée dans les articles des années suivantes. Il semble aussi qu’elle ait apporté une certaine maturité à l’Art nouveau, qui après 1900, n’est plus guère considéré comme « jeune ». Néanmoins, le mouvement stagne en France, peut-être du fait de l’effort produit pour l’Exposition, d’autant qu’aucune manifestation artistique d’envergure ne vient le stimuler. De plus, l’Exposition universelle a provoqué un débat artistique fort qui a mis en valeur les défauts de l’Art nouveau et lui a porté préjudice : la fin de l’Exposition met un terme au débat, mais marque aussi la fin de l’engouement des critiques pour l’Art nouveau.


Conclusion

L’Exposition universelle reflète la place que tient l’Art nouveau dans la société française de l’époque : une place numériquement mineure – comparée à l’abondance des styles anciens – mais qui accapare l’attention. Elle marque une incroyable volonté de théorisation de l’Art nouveau de la part des critiques d’art, conscients du caractère exceptionnel de ce rendez-vous artistique. Les partisans de l’Art nouveau cherchent à le légitimer, mais la légitimité passe par un certain conservatisme : de fait, l’Art nouveau loué est respectueux des traditions, et non en rupture. Cet attachement aux traditions est aussi à comprendre dans une perspective nationaliste, car l’Exposition universelle fait prendre conscience que l’Art nouveau est un mouvement international que la France ne domine pas vraiment. La condescendance à l’égard de l’étranger est donc à comprendre comme une réaction de défense. Finalement, le bilan de l’Exposition universelle dans l’histoire de l’Art nouveau est contrasté : le problème de l’industrialisation, qu’elle soulève, n’est pas pris en compte par la suite. Elle est à l’origine de la création de l’École de Nancy, de la Société des artistes décorateurs et de l’exposition de Turin. Mais son impact est globalement négatif en France. L’Exposition a certainement accéléré le mouvement de reconnaissance et d’institutionnalisation de l’Art nouveau, en le considérant comme un mouvement artistique honorable alors qu’il était encore jeune, et a ainsi empêché son évolution. La polémique provoquée par l’Exposition sur la validité de l’Art nouveau a également eu pour conséquence de fléchir l’enthousiasme de ses défenseurs en France.


Annexes

Plans et photographies de l’Exposition universelle. Liste des architectes officiels de l’Exposition universelle. Statistiques des exposants d’arts décoratifs.


Catalogue iconographique

Le catalogue iconographique comprend 664 numéros, principalement des photographies, ainsi que des plans et des dessins, d’architectures et d’œuvres Art nouveau présentées à l’Exposition universelle. Ces documents iconographiques proviennent d’archives, de revues et de livres d’époque, de livres récents et de bases de données sur internet (sites de musées par exemple). Ils cherchent à donner une vue d’ensemble sur la production Art nouveau de l’Exposition universelle.