Le collège de Notre-Dame-de-Bayeux, dit de Maître-Gervais, centre intellectuel et lieu de vie à Paris (xive-xve siècles)
Introduction
Le collège de Notre-Dame-de-Bayeux a été fondé à Paris en 1371 par maître Gervais Chrétien, premier médecin du roi Charles V. L’institution, située rue Boutebrie, et rapidement désignée sous le nom de son fondateur, participe du dense réseau des collèges parisiens, principalement situés sur la rive gauche de la Seine, à proximité des lieux d’enseignement de l’Université de Paris. Si le xive siècle a déjà vu la création de nombre de collèges universitaires, la fondation de Gervais Chrétien a su se démarquer quelque peu et obtenir la faveur de Charles V, qui se traduit par l’intrusion du pouvoir royal dans son organisation. La présente étude porte sur divers aspects de la vie du collège, depuis les prémices de la fondation dans la seconde moitié du xive siècle, jusqu’aux premières années du xvie siècle. Au cours de l’époque moderne, le collège de Notre-Dame-de-Bayeux ne semble pas avoir eu un grand rayonnement ; on peut se demander ce qu’il en est durant l’époque médiévale, alors que la multiplication même du nombre des collèges peut rendre incertain l’avenir d’une fondation, notamment à la suite du décès du fondateur. C’est en cela que l’étude d’une telle institution se révèle particulièrement intéressante ; loin d’atteindre la taille et la renommée des plus grands établissements parisiens, le collège de Maître-Gervais, fort de son statut de fondation royale, a su passer outre les difficultés et assurer la pérennité de son existence.
La fondation présente également de fortes spécificités intrinsèques ; la principale d’entre elles est sans doute la création en son sein de deux bourses destinées à l’étude des sciences du quadrivium, instituées par le roi Charles V. Mais le collège fait également preuve d’une identité normande affirmée, et constitue un véritable relais parisien de ce réseau régional. Enfin, cette étude permet de mettre en relief une évolution particulière aux collèges universitaires, qui les fait progressivement passer d’une fonction d’hébergement des étudiants, à un rôle d’enseignement et de formation intellectuelle.
Sources
Les archives médiévales du collège de Maître-Gervais sont encore actuellement en partie conservées ; très riches en ce qui concerne les transactions immobilières et les biens du collège, elles sont en revanche largement lacunaires pour ce qui est des comptes. La plus grande partie du chartrier se trouve conservée aux Archives nationales, au sein des séries H, M et S. Le fonds de l’Université, à la bibliothèque de la Sorbonne, comprend également quelques-uns des documents médiévaux autrefois serrés dans l’archa communis. à l’image des autres collèges parisiens, les archives du collège de Maître-Gervais contenaient au Moyen Âge, outre les textes fondateurs et statutaires, des titres de propriétés et d’autres documents de nature foncière ou judiciaire touchant aux biens du collège, des séries de comptes, et un cartulaire. La présente étude s’est largement appuyée sur les textes de type statutaire, rédigés par Gervais Chrétien en personne ; très complets, ils comprennent de nombreux détails fort utiles à l’historien désireux de reconstituer la vie quotidienne au collège. Cette abondante production de statuts vient en partie compenser l’absence presque totale de comptes, qui n’ont pas survécu à l’époque moderne. Enfin, une analyse attentive du cartulaire médiéval ainsi que le dépouillement des séries M et S ont permis de retracer le patrimoine foncier du collège, que ce soit à Paris même ou en Normandie. Par ailleurs, l’étude des documents d’archives, et notamment des cotes successives, a eu pour corollaire celle des conditions de conservation et de classement des actes par les membres du collège.
Première partieLa fondation et ses enjeux
Chapitre premierLe fondateur et son époque
Depuis son intégration dans l’enceinte de Philippe Auguste à la fin du xiie siècle, la rive gauche de la capitale a connu un important développement urbain et est devenue le quartier de prédilection des maîtres et étudiants, ce qui explique l’installation de nombreuses écoles où enseignent les professeurs de l’Université, ainsi que l’implantation d’institutions d’un type nouveau : les collèges. Précédant la fondation de maître Gervais Chrétien, plusieurs établissements se sont ouverts dans le but d’accueillir des étudiants désireux de poursuivre leurs études à l’Université ; dans ce cadre, les fondateurs désirent, le plus souvent, favoriser leurs compatriotes en réservant l’accès aux bourses à des clercs natifs d’un ou plusieurs diocèses donnés. Ainsi, avant 1371, il se trouve déjà à Paris cinq collèges destinés à loger des clercs normands : entre autres le collège du Trésorier, fondé en 1268, celui d’Harcourt, en 1280, ou de Justice, en 1353, qui forment un ensemble auquel vient bientôt s’ajouter celui de Notre-Dame-de-Bayeux.
Dans le cadre de l’étude du collège de Maître-Gervais, il paraît indispensable d’étudier de prime abord le parcours de son fondateur, qui, par son origine normande et l’ascension vers le milieu du pouvoir via les études, annonce clairement les bases de la future institution de la rue Boutebrie. Issu d’une famille de petite noblesse du Bessin (Vendes, Calvados), Gervais Chrétien se distingue rapidement par ses facultés intellectuelles et poursuit des études de médecine à l’université de Paris ; il obtient le grade de maître en médecine vers 1352. Par la suite doyen de la Faculté de médecine (1359), il est également bien introduit à la cour sous le règne de Jean II, et plus encore sous celui de Charles V, dont il devient le premier médecin. Mais ce n’est pas dans le seul domaine de la médecine que se traduit la réussite de Gervais Chrétien ; son ascension est également rapide au sein du système bénéficial. À sa mort en 1382, il est le détenteur de plusieurs prébendes canoniales, entre autres dans les chapitres cathédraux de Notre-Dame de Paris et de Notre-Dame de Bayeux.
Chapitre IILa fondation
La fondation d’un collège, comme celle de tout autre établissement, constitue l’aboutissement d’un travail mené souvent depuis plusieurs années par le fondateur, du moins lorsque la fondation intervient du vivant de celui-ci, et donne lieu à des opérations immobilières complexes. Le collège de Notre-Dame-de-Bayeux ne fait pas exception. L’étude de l’action menée par Gervais Chrétien en amont de la fondation est particulièrement révélatrice de l’importance de l’investissement consenti par le fondateur, à la fois en temps et en argent. Il s’attache, dès les années 1350, à l’élaboration d’un ensemble immobilier cohérent rue Boutebrie, entre la rue de la Parcheminerie et celle du Foin, et procède pour cela à une suite de négociations et d’acquisitions ; cette opération immobilière suivie aboutit à la constitution d’un patrimoine foncier, futur noyau des murs du collège. Un second élément, plus fortuit, semble prendre une importance particulière, quelques mois seulement avant la fondation officielle de l’établissement : en septembre 1370, Gervais Chrétien accepte de recueillir les boursiers et les revenus de la fondation moribonde d’un autre maître originaire du diocèse de Bayeux, Robert Clément.
C’est le 20 février 1371 qu’intervient la création effective du collège. L’acte, passé sous l’autorité de la prévôté de Paris, expose un certain nombre d’éléments constitutifs de la nouvelle institution (origine bessinoise des étudiants, création de bourses en théologie et en arts) et organise dans ses grandes lignes l’administration de l’établissement. Grâce à ses relations, Gervais Chrétien parvient à s’attirer la bienveillance des autorités temporelles et spirituelles : l’acte de fondation est successivement confirmé par des lettres de l’évêque de Paris, par des bulles du pape et enfin par une charte du roi de France Charles V, qui accepte de prendre le titre de fondateur du collège, lui assurant par là même le statut de fondation royale.
Charles V, dans le cadre d’une politique universitaire favorable aux collèges, a par ailleurs tenu un rôle particulier dans l’établissement de l’institution : on le voit tout d’abord favoriser la politique d’acquisition de bâtiments et de revenus de son premier médecin et gratifier le collège de dotations, notamment de livres. En 1374, il intervient véritablement dans l’organisation interne de l’établissement et lui confère un caractère bien spécifique en y créant deux bourses réservées à l’étude du quadrivium ; les deux scolares regis qui en bénéficient demeurent une exception dans le monde des collèges parisiens.
Deuxième partie Administration et gestion du collège
Chapitre premierLes biens du collège de Maître-Gervais
Le patrimoine du collège de Maître-Gervais peut se diviser en deux parties distinctes : la propriété des murs qui accueillent la communauté des boursiers, d’une part, et la détention d’un certain nombre de rentes et dîmes, dont le produit permet d’assurer les dépenses quotidiennes et le paiement des bourses, de l’autre. L’étude porte ici en premier lieu sur l’aménagement des bâtiments du collège rue Boutebrie, de manière à pouvoir accueillir la communauté dans un cadre organisé : à chaque ensemble d’étudiants (grands boursiers et petits boursiers) correspond un groupe de bâtiments (chambres, salle commune, cour) ; la chapelle, placée sous l’invocation de Notre-Dame, constitue le point de réunion de cette double communauté.
Afin de disposer des revenus nécessaires à sa subsistance, le collège dispose d’un patrimoine, constitué par le fondateur et complété par des dotations ultérieures. Le premier ensemble, parisien, se compose principalement de rentes pesant sur des maisons, ou, de manière plus minoritaire, de bâtiments sur lesquels le collège perçoit des loyers. Le contexte économique des premières décennies du xve siècle entraîne par la suite une modification partielle de ce patrimoine. D’autre part, la communauté est également possessionnée en Normandie : il s’agit surtout ici de dîmes, perçues en nature ou en espèces. La possession de ce patrimoine suppose, de la part des boursiers, une attention constante et la mise en œuvre d’une défense efficace en cas de litige. Finalement, de l’étude du patrimoine du collège de Maître-Gervais ressort une nette impression de dualité : à la division des bâtiments, miroir de celle de la communauté, répond la séparation géographique des biens et des revenus de l’établissement, répartis entre la capitale et la région d’origine des boursiers.
Chapitre IILa gestion des personnes et des biens
La gestion du collège, qui constitue une communauté à la fois d’hommes et de biens, est confiée aux mains de plusieurs personnes, certaines faisant partie des membres du collège, d’autres restant extérieures à l’institution, tout en ayant un droit de regard sur son organisation. Le fondateur crée à cet effet différents offices, dont les attributions sont clairement définies dans les statuts. La communauté des boursiers est dirigée par un proviseur, dont la charge revient à l’aumônier du roi ; à cette autorité extérieure est associée, au sein de l’établissement, celle du prieur, pour les grands boursiers, et du principal des artiens, pour les petits boursiers. Le texte des statuts, rédigé par le fondateur, expose les devoirs des boursiers et les principes de discipline qui s’appliquent dans le collège.
À la gestion des biens sont associés les procureurs, chargés de rédiger les inventaires de biens, de tenir les comptes et de percevoir les revenus dus au collège. Si les comptes n’ont pas été conservés, à l’exception d’un rouleau pour 1409, deux enquêtes réalisées au cours du xve siècle livrent des analyses relativement détaillées, qui permettent de reconstituer en partie la structure des comptes ainsi que la liste des détenteurs successifs de l’office de procureur. Une fois collectés, les revenus sont conservés dans l’archa communis, de même que les archives du collège.
Les documents relatifs aux possessions de l’institution, à sa fondation ainsi qu’aux règlements successifs sont soigneusement conservés par les membres de la communauté. Les originaux sont entreposés dans l’archa ; à la fin du xive siècle, les boursiers en réalisent une compilation, qui compose le cartulaire médiéval du collège, partiellement complété au cours du xve siècle, et qui livre de la sorte une idée assez précise du chartrier de l’établissement. L’écrit vient ainsi compléter la gestion des biens mise en œuvre par les socii de la communauté.
Troisième partieétudier au collège de Maître-Gervais
Chapitre premierLa communauté des boursiers
Un collège, comme l’indique le terme latin de collegium, est avant tout défini par la communauté des membres qui le composent ; c’est pourquoi cette dernière partie se trouve consacrée à l’étude des socii du collège de Notre-Dame-de-Bayeux. Les statuts prescrivent un certain nombre de conditions à remplir afin d’accéder à l’une des bourses proposées ; sont citées l’origine normande, et plus particulièrement bessinoise, ainsi que la détention d’un bagage intellectuel idoine.
Si, en 1371, Gervais Chrétien ne prévoit d’accueillir que des étudiants en arts et en théologie, à l’exclusion de ceux des autres facultés, les fondations de bourses qui ont lieu au cours des années suivant immédiatement la fondation amènent une diversification rapide des sciences étudiées au sein de l’institution. Ainsi, au début du xve siècle, l’établissement est-il ouvert à vingt-six boursiers : la moitié d’entre eux étudie les arts, l’autre moitié se répartissant entre la théologie, la médecine et le droit, sans oublier les scolares regis ou bursarii astrologi fondés par Charles V. S’y ajoutent également des hôtes payants ou hospites, vraisemblablement membres du réseau du collège.
L’étude prosopographique des étudiants passés par le collège de Maître-Gervais permet de déterminer dans ses grandes lignes le recrutement de l’établissement, et particulièrement celui de la décennie 1380, réalisé par le fondateur en personne. On observe que les fondations de bourses successives ont opéré un véritable changement au sein du collège, en modifiant sa vocation première, tournée vers la théologie, et en y introduisant l’étude de la médecine et des sciences du quadrivium, disciplines plus rares dans les collèges parisiens, et qui font de l’établissement de Maître-Gervais une institution un peu particulière dans le monde des collèges parisiens.
Chapitre IIVie et études
Le collège de Notre-Dame-de-Bayeux, comme les établissements voisins, assure à ses socii une vie encadrée et disciplinée, réglée selon les volontés exprimées par maître Gervais tout au long de l’abondante production de textes statutaires encore conservée. Le rythme quotidien des boursiers s’organise alors autour des repas pris en commun, des offices célébrés dans la chapelle, et des cours dispensés par l’Université. Les deux communautés demeurent la plupart du temps séparées ; la chapelle constitue le lieu de rassemblement des grands et des petits boursiers, que ce soit pour y assister aux messes et aux offices, ou bien pour y débattre d’une question touchant le collège.
Dès avant 1378, il est prévu par les statuts que le collège accueille entre ses murs une bibliothèque, composée de deux locaux, desservant chacun une partie de la communauté et adaptant ses collections en fonction de son public, petits ou grands boursiers. Libraria artistarum et libraria theologorum s’enrichissent tout au long de la période médiévale grâce à des dons, consentis d’abord par de généreux bienfaiteurs, puis davantage, au cours du xve siècle, par d’anciens boursiers du collège. L’établissement mène en parallèle sa propre politique d’acquisitions, en fonction du budget alloué, et il est même probable qu’ait existé en son sein un scriptorium, atelier employant des boursiers du collège et assurant une production de manuscrits interne à l’institution.
La vie au collège de Maître-Gervais est constituée pour une grande part par l’étude : les boursiers ont en effet pour obligation de suivre un cursus dans l’une des quatre facultés de l’Université, en satisfaisant aux examens de passage et en prenant une part active aux disputes universitaires. L’étude prosopographique permet, là encore, de reconstituer en partie les parcours suivis par les socii du collège, ainsi que les grades par eux obtenus. Par ailleurs, suivant en cela une évolution commune aux autres collèges, l’établissement met en place une activité d’enseignement à l’intérieur même de ses bâtiments : outre les disputes et les collationes, les statuts prévoient dès 1378 l’organisation de lectiones sur le quadrivium, dispensées par l’un ou l’autre des scolares regis. Le collège de Maître-Gervais, s’il ne constitue pas un pôle essentiel de la vie scientifique parisienne au xve siècle, en est donc tout de même l’un des relais, proposant un enseignement en sciences du quadrivium, mais aussi, conservés dans la bibliothèque, une collection fournie de manuscrits sur le sujet et des instruments géométriques.
Conclusion
Cette étude, structurée par trois grands axes porteurs, touche à divers aspects de l’existence du collège de Notre-Dame-de-Bayeux, depuis sa fondation jusqu’au début du xvie siècle, et permet de cerner la personnalité du collège, ainsi que son fonctionnement quotidien. On constate que, malgré les aléas de l’époque et les traces inévitablement laissées par le temps, le collège demeure fidèle à l’esprit de la fondation et aux souhaits exprimés par Gervais Chrétien dans l’abondante production documentaire qui marque les débuts, et ce en partie grâce à l’appui de la royauté, qui lui assure une stabilité certaine. Si l’établissement ne prétend pas compter au nombre des plus prestigieux, la présence des deux bursarii astrologi le distingue cependant dans l’étude des sciences, et plus particulièrement de l’astrologie. Enfin, l’esprit de communauté développé entre les boursiers du collège semble encore renforcé par un fort tropisme normand. L’analyse prosopographique montre que les socii, dans leur écrasante majorité, sont originaires de Normandie et y font carrière en y obtenant un bénéfice : le collège de Maître-Gervais constitue dès lors un maillon non négligeable dans le réseau des solidarités normandes installées dans la capitale.
Pièces justificatives
édition des textes produits au cours des premières années d’existence de l’institution : acte de fondation et ses confirmations successives, créations de bourses ; statuts de 1378 complétés par les additions de 1380 et de 1382. — édition de l’unique rouleau de comptes subsistant, datant de 1409.
Annexes
Liste chronologique des noms de boursiers dont la présence au collège est attestée. — Soixante fiches biographiques, retraçant le parcours familial, universitaire ou encore ecclésiastique des socii du collège.