Les coutumes du château de Limoges
Élaboration d’un droit urbain en pays de langue d’oc (xiiie-xive siècles)
Introduction
Les textes de coutume constituent pour la ville du château de Limoges un des rares témoignages écrits du fonctionnement de l’institution municipale, surtout pour le xiiie siècle. La conservation de ces sources, alors que l’essentiel de la production écrite du consulat a été perdu, souligne assez le sentiment de leur valeur et de leur pérennité à travers les siècles ; ainsi l’avocat limougeaud Étienne Guibert considérait encore les coutumes rédigées au xiiie siècle comme d’actualité au xviie siècle. L’étendue des pouvoirs que ces coutumes attribuaient à l’organisation municipale explique cette pérennité, alors même qu’ils faisaient l’objet d’attaques de la part des pouvoirs en présence dans la ville : le vicomte de Limoges, l’évêque, l’abbé de Saint-Martial. L’étude des coutumes, ainsi que celle d’un certain nombre de textes produits par le consulat et susceptibles de les éclairer, permettra de nuancer l’idée, commune à plusieurs érudits du xixe siècle qui travaillèrent sur l’histoire de Limoges, que la ville fut au xiiie siècle une « quasi république ».
Le corpus, bien que lacunaire, donne à voir l’élaboration d’un droit urbain dans toute sa complexité : la constitution d’un premier ensemble de coutumes au début du xiiie siècle, l’application de ces règles dans les décisions de la justice consulaire, celles-ci constituant également une source de droit jurisprudentiel pour les rédactions postérieures. Cette perspective diachronique permet de mettre en lumière la progression du droit romain, dont l’influence, encore discrète dans la rédaction originelle, se renforce tout au long du xiiie siècle. Un examen de la langue montrera de même l’évolution de l’occitan documentaire des scribes du consulat sur trois siècles, et les facteurs historiques qui pourraient en être la cause.
Sources
L’édition se fonde sur toutes les copies connues des coutumes, sous leur forme occitane ou latine, afin de déterminer plus précisément la genèse des textes et les étapes de leur constitution. Le « cartulaire » du consulat, livre juratoire et recueil factice constitué de divers éléments reliés ensemble lors de divers remaniements du xiiie au xviie siècle, constitue la source principale. Les éditions précédentes de ce volume, notamment celle de Camille Chabaneau, souffraient de l’absence de commentaire et souvent d’outils de consultation tels que tables et index. C’est de ce « cartulaire municipal » que l’on a tiré la première version des coutumes, rédigée en occitan au début du xiiie siècle, un certain nombre de décisions judiciaires exemplaires prises par la cour consulaire tout au long de ce siècle, appelées « mémoriaux » et des « statuts et établissements » produits aux xive et xve siècles. Il ne s’agit donc pas d’une édition complète du « cartulaire » mais d’un choix parmi les textes qu’il contient : ceux-ci éclairent l’élaboration et le devenir du corps principal des coutumes de Limoges, rédigé en 1260 et entériné sous cette forme par de multiples confirmations des souverains anglais et français au xive siècle.
Pour ce qui est de la seconde rédaction des coutumes en 1260, son statut de « rédaction officielle » a donné lieu à deux copies en occitan : le manuscrit E 739, dans le fonds de la vicomté de Limoges, aux archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, et le manuscrit fr. 25219 à la Bibliothèque nationale de France (BNF). Les coutumes en latin ne sont connues que par des copies postérieures : le manuscrit d’Étienne Guibert, Commentaires de la coutume de Limoges, coté BNF nouv. acq. lat. 1288, une copie du xviiie siècle dans le tome 684 de la collection Moreau à la BNF, une copie réalisée par Joseph Nadaud, curé de Teyjac, au xviiie siècle (AD Haute-Vienne, I SEM 13), enfin une copie du xixe siècle (Londres, The National Archives, PRO 30/41/2). Vient s’ajouter à ces quatre témoins l’édition par Charles Antoine Bourdot de Richebourg, au xviiie siècle, dans son Nouveau coutumier général ou corps des coutumes générales et particulières de France, et des provinces, à partir des coutumes rédigées dans le ressort du parlement de Bordeaux.
Afin de compléter ces sources principales, il a fallu consulter l’ensemble de la série AA aux archives municipales de Limoges pour obtenir une vue d’ensemble des confirmations des coutumes qui furent concédées par les souverains jusqu’au xvie siècle. Les registres consulaires, sous leur forme manuscrite (AM Limoges, BB 1 à BB 4 ) ou dans l’édition donnée par Émile Ruben au xixe siècle, ont été mis à profit pour fournir un aperçu de l’organisation municipale sous la forme qu’elle revêtait immédiatement après la période étudiée.
Première partieLa ville et son consulat : repères historiques
Chapitre premierLes événements de l’histoire municipale
Les textes de coutume, qui contiennent des articles de droit public comme de droit privé, furent conditionnés par le contexte politique et les rapports de force entre les pouvoirs locaux et royaux qui les confirmèrent. Il est donc nécessaire de rappeler la dynamique historique dans laquelle la rédaction des coutumes s’inscrivit depuis la formation des deux agglomérations de la Cité épiscopale et du Château, autour de l’abbaye Saint-Martial, jusqu’à l’intrusion progressive du pouvoir royal dans les rouages de l’administration municipale au xvie siècle.
Il apparaît ainsi que l’émergence du consulat, sans doute antérieure de peu aux premières attestations de son existence en tant que tel (par exemple, l’utilisation du sceau consulaire à partir de 1202), fut favorisée par l’engagement du vicomte de Limoges Adémar V contre les Plantagenêts. La lutte sans trêve qu’il mena contre Henri II et Richard Cœur de Lion fut la cause de plusieurs destructions successives des remparts et amena le vicomte à fuir la vengeance de Richard. L’éloignement du pouvoir vicomtal conduisit les bourgeois à prendre en charge l’entretien des murailles et à endosser progressivement des responsabilités dans des domaines aussi divers que la voirie, la surveillance des poids et mesures et des marchés, le droit privé, tout au long de la première moitié du xiiie siècle.
Jusque dans la décennie 1250, les relations entre le vicomte et les consuls restèrent assez apaisées, mais la cession par Louis IX à Henri III d’Angleterre du Limousin en 1259 vint compliquer la donne. Profitant de l’appui très favorable du roi d’Angleterre, ennemi du vicomte depuis la fin du xiie siècle, les bourgeois du Château firent confirmer par Henri III leurs coutumes, en y ajoutant un ensemble d’articles revendicatifs portant sur des droits qu’ils s’étaient attribués depuis le début du xiiie siècle. Cette radicalisation des prétentions consulaires coïncida avec une tentative de reprise en main de l’assise territoriale par les vicomtes Gui V et Gui VI et aboutit à ce qu’on a appelé la « Guerre de la Vicomté » entre les pouvoirs vicomtal et municipal. Elle dura jusqu’en 1277, date à laquelle la vicomtesse Marie de Limoges vit sa mainmise sur la ville confortée par la sentence d’arbitres dévoués à sa cause, les frères Maumont, sentence confirmée par le roi de France.
Le traité de Brétigny (1360) eut pour conséquence le retour du Limousin à la couronne d’Angleterre et la consécration du pouvoir consulaire, qui retrouva une position de force plus favorable encore qu’avant 1277. Cette suprématie dura jusqu’en 1538-1544 où le Parlement rendit deux arrêts qui rendirent, entre autres droits, le pouvoir de justice au vicomte.
La chronologie des grandes phases de l’histoire du consulat ne se traduit donc pas qu’en termes purement événementiels ou même d’étendue du pouvoir des consuls, mais distingue également quatre périodes où l’institution consulaire changea radicalement de visage et de fonctionnement. Le xiiie siècle fut marqué par une élaboration conflictuelle et progressive des règles de coutume, consécutive à l’absence de charte de franchises qui délimite les pouvoirs en présence. Sous le coup de la sentence des frères Maumont, la municipalité, inféodée au vicomte, fut réduite à l’état de syndicat administratif, les coutumes élaborées par les bourgeois et les souverains anglais étant balayées par cet arbitrage qui tint lieu pendant quatre-vingt-cinq années de charte de franchise. Le retour en grâce des consuls et leur période faste jusqu’en 1544 conduisirent à un pouvoir de plus en plus oligarchique, qui aboutit au xvie siècle à la domination des marchands, d’abord sans partage, puis à la fin du siècle fortement nuancée par l’entrée d’officiers royaux dans les rouages de la municipalité.
L’exacerbation de la lutte et la radicalisation des prétentions de chaque parti furent favorisées par l’indécision de plusieurs souverains français, qui tentèrent de ménager les deux sensibilités, sans produire une sentence solide. Quand cela fut fait, paradoxalement, on vit combien le conflit entre les deux souverains envenimait la situation : leur antagonisme interdit alors toute composition et produisit un jeu de bascule qui ne pouvait aboutir à un accord. On a beaucoup souligné le profit que les consuls surent tirer de cette lutte pour asseoir leur pouvoir, mais il faut signaler aussi à quel point, jusqu’à ce que le pouvoir souverain ne fût plus contesté au xvie siècle, la double tutelle française et anglaise nuisit au règlement pacifique du conflit. La volonté de réduire le pouvoir du roi d’Angleterre à travers celui des consuls à Limoges ne pouvait que nuire au règlement pacifique du conflit.
Chapitre IILes consuls et l’organisation consulaire
Dans une optique comparatiste, ce chapitre est consacré au fonctionnement du consulat, à ses insignes, à son personnel et aux espaces de son pouvoir. Les origines du consulat, assez incertaines, sont détaillées : l’origine bourgeoise de l’organisation municipale, mentionnée dès 1127, la constitution d’un « consulat » en tant que tel dans les dernières décennies du xiie siècle, les premières mentions de l’utilisation du sceau au tout début du xiiie siècle et la reconnaissance implicite et presque contemporaine par les souverains français et anglais.
L’étude des consuls et de leur nomination permet d’aborder la question cruciale de la participation de la population à la vie municipale : la cooptation des consuls, sans doute jusqu’en 1252, fut alors remplacée par un mode d’élection complexe, fondé sur une représentation par quartiers. Les coutumes suggèrent que le droit de bourgeoisie, sans doute nécessaire pour participer aux assemblées, était conditionné par la possession d’un bien immobilier dans la ville. Ce critère ne semble pas, du moins pour le xiiie siècle, avoir été excessivement restrictif ; aux xive et xve siècles en revanche, la participation de la population semble avoir été limitée à une caution donnée aux décisions prises par le consulat.
L’examen des agents et des organes qui assistaient le consulat montre, au xiiie siècle, les trois corps traditionnels des organisations municipales du sud de la France : les consuls, le conseil de ville, l’assemblée des habitants, mais ces corps étaient encore assez mouvants et obéissaient aux nécessités de la gestion. Aux xive et xve siècles, le personnel municipal s’étoffa, se spécialisa, se professionnalisa. Le conseil de ville et l’assemblée perdirent de leur importance, la réalité du pouvoir étant assumée par le consulat et ses agents, engagés pour une tâche spécifique. La même tendance à la délégation s’observe aux xive-xve siècles pour les finances, que l’on prit l’habitude d’affermer. Les espaces du pouvoir consulaire sont révélateurs des attributions et des droits effectifs de l’organisation municipale : la coïncidence entre le droit et sa matérialisation permet de mieux saisir les enjeux des luttes engagées par le consulat pour conserver ou étendre son pouvoir.
Deuxième partieL’élaboration et le contenu des coutumes
Chapitre premierLes étapes de la rédaction
La première rédaction des coutumes date de la première décennie du xiiie siècle, dont une bonne partie en 1212. Si l’on ne prend en compte que ce dernier ensemble de 1212, on ne voit qu’un recueil d’articles sans ordre ni cohérence ; mais l’examen de l’ensemble des mémoriaux contenus dans le « cartulaire » du consulat montre que dès le début du siècle, le matériau des coutumes était déjà en germe, bien que le vocabulaire juridique fît encore défaut.
La seconde rédaction de 1260 résulta d’un double processus : la compilation de la précédente rédaction avec des articles isolés, produits par la jurisprudence et les décisions consulaires, et l’ajout d’articles écrits pour la circonstance. Ceux-ci avaient pour but de solenniser les pouvoirs et les droits que le consulat avait exercés, sans doute à la suite de négligences de la part du vicomte. La confirmation que Henri III d’Angleterre accorda en 1261 aux coutumes prit la forme d’un vidimus qui intégrait en son sein leur texte et les figea sous la forme qu’elles gardèrent toujours par la suite. Reprenant un matériau juridique élaboré dans la première moitié du siècle, cette rédaction apporta surtout un vocabulaire nouveau, majoritairement issu du droit romain, qui permit de franchir une étape dans la sophistication des règles coutumières.
Lorsqu’en 1365 le sénéchal anglais remit le consulat en possession de ses anciens droits, il confirma les coutumes que les bourgeois lui présentaient, sous la forme du vidimus de Henri III. La mise au pas du vicomte et de l’abbé, liés pour l’occasion dans une même résistance au pouvoir consulaire, passa par la confirmation générale des coutumes anciennes et par la négation radicale des droits de ces derniers. À la fin du xive siècle, les coutumes, confirmées par Édouard III d’Angleterre, son fils Édouard de Woodstock, puis par Charles V, avaient désormais leur forme définitive. Les consuls se contentèrent désormais de produire des « statuts et établissements » qui avaient pour but de retrouver et préciser les anciennes coutumes ; il s’avère en effet que les consuls mirent un certain temps avant de reprendre leurs attributions en raison d’une désaccoutumance et de l’oubli des pratiques du siècle passé. La date de 1377 correspond à un effort majeur pour remettre en vigueur les anciennes coutumes écrites et orales, par le biais de l’enquête pour ces dernières.
Chapitre IILe droit public et les attributions des consuls selon les textes
L’incertitude où l’on se trouve face à des articles de coutume dont on ne sait s’ils révèlent un droit consacré ou une revendication fondée sur une pratique ponctuelle voire sur de simples prétentions des consuls implique la nécessité d’examiner thématiquement les attributions des consuls et les traces que leur pratique a effectivement laissées. Sur le fonctionnement du consulat, la justice, les questions de voirie et d’« urbanisme », la police artisanale et commerciale, les fonctions militaires, la charité, l’enseignement, la fiscalité, il faut se pencher sur les textes produits par le consulat pour dresser un tableau diachronique de ses pouvoirs depuis le xiiie jusqu’au début du xvie siècle.
Il apparaît que, si chaque droit affirmé par le consulat en 1260 peut trouver dans les textes antérieurs des précédents, ceux-ci sont souvent ponctuels voire personnels ; la seconde rédaction des coutumes les éleva au niveau général et collectif. L’exemple de la justice est le plus éclairant : l’observation des précédents qui pourraient justifier la revendication de toute justice sur les habitants du Château par les consuls permet de repérer des décisions de bannissement, fondées sur le non-respect des règles de vie en communauté. On peut voir dans cette sanction, encore loin de la justice pénale, l’origine des revendications consulaires dans ce domaine, d’autant qu’en 1253, l’ensemble de la communauté s’arrogea le pouvoir de poursuivre, arrêter et bannir les criminels. Cette évolution vers des prétentions de plus en plus générales dut jouer un rôle non négligeable dans le déclenchement de la « Guerre de la Vicomté ».
Chapitre IIILe droit privé
Le domaine du droit privé est largement abordé par les coutumes, comme c’est le cas pour la plupart des coutumes urbaines. Une des spécificités de celles de Limoges réside dans les étapes de l’élaboration de ce droit : c’est lui qui connut le plus d’ajouts et de précisions de la première à la seconde rédaction. Tout en se présentant comme de simples arbitres lorsque naissait un conflit au xiiie siècle, les consuls furent amenés à affiner les règles de droit privé, notamment sur des questions complexes comme le droit de viduité du mari sur la dot de sa femme prédécédée ou les litiges générés par l’accomplissement du testament par les « almosniers », exécuteurs testamentaires.
Aux xive et xve siècles, les consuls abandonnèrent à leurs juges le droit privé et ne produisirent plus de décisions dans ce domaine. Bien qu’ils aient adopté une position plus volontaire de législateurs et non plus seulement de médiateurs, leur production s’orienta vers d’autres champs moins techniques, tels que la police commerciale ou les règles de vie en commun (ordonnances somptuaires, port d’arme, etc.).
Troisième partieUne approche matérielle des rédactions
Chapitre premierOccitan et latin : un rapport complexe
Si la première rédaction des coutumes, contenue uniquement dans le « cartulaire » du consulat, est entièrement en occitan, la rédaction de 1260 est connue sous deux formes, occitane et latine. La tradition lacunaire des textes de coutume – on ne conserve pas de texte latin contemporain, la première copie datant du xviie siècle – a longtemps fait hésiter les érudits qui se sont penchés sur la question de la langue « originelle » de cette seconde rédaction. Il s’avère, à l’examen des différents témoins qui en conservent le texte, que cette rédaction fut réalisée et compilée à partir de la première et des mémoriaux, donc de matériaux en occitan, mais directement en latin. C’est cette version latine qui fut présentée à Henri III pour confirmation ; c’est encore elle que les consuls présentèrent en 1365 au sénéchal anglais de Limousin pour qu’il les approuve. Le texte occitan n’en est qu’une traduction, qui ne prend d’ailleurs pas en compte les textes occitans du xiiie siècle, ce qui conduisit à plusieurs contresens. Cette nouvelle traduction, que l’on a pu prendre pour une troisième rédaction, fut réalisée entre 1362 et 1377 ; elle s’inscrit dans le processus de recherche de la mémoire de l’organisation municipale entrepris entre ces deux dates qui trouva son aboutissement dans un ensemble de textes, anciennes coutumes compilées et nouvelles mesures, produit par les consuls en 1377.
L’occitan traduit du latin possède donc des caractéristiques spécifiques, outre sa proximité avec la syntaxe latine : certaines formulations habituelles de la langue juridique sont ainsi importées en occitan. Mais la technicisation du vernaculaire, bien qu’accentuée par la traduction du latin, est une tendance générale dans les textes de la seconde moitié du xiiie siècle : l’article « lo dich », qui, absent de la première rédaction, apparaît dans la seconde, présentait ses premières occurrences dans un mémorial de 1251. Cet indice constitue un argument supplémentaire en faveur de l’évolution des pratiques notariales à partir de la décennie 1250, sous l’effet de la lutte juridique contre le vicomte.
Chapitre IILes manuscrits
Parmi les sept manuscrits utilisés pour établir les textes des coutumes, deux présentent un intérêt codicologique manifeste : le « cartulaire » du consulat et le manuscrit fr. 25219 de la Bibliothèque nationale de France. Le premier constitue un complexe recueil factice plusieurs fois remanié du xiiie au xviiie siècle. Grâce à une étude du volume prenant en compte les cahiers et les différentes foliotations anciennes, on peut distinguer trois étapes de sa constitution et ainsi mieux comprendre l’élaboration d’un livre juratoire, objet symbolique représentant la mémoire de la communauté urbaine. Il apparaît qu’au xiiie siècle, il n’avait encore qu’une fonction de recueil de mémoriaux ; ce n’est sans doute qu’au xve siècle que l’on commença à réunir les mémoriaux, les articles de coutume et des statuts et établissements produits depuis le retour au pouvoir des consuls dans la décennie 1360. On y adjoignit également des textes sacrés et des peintures en pleine page, peut-être tirés de livres liturgiques, afin de sacraliser son contenu et associer dans le serment consulaire le respect dû aux Écritures et aux coutumes et statuts anciens de la communauté.
Le second manuscrit, réalisé au xve siècle à partir d’au moins deux sources différentes, présente la particularité de contenir, en dix-neuf feuillets, un condensé des éléments présents dans le « cartulaire » du consulat : textes sacrés, calendrier, coutumes et confirmations, documents fiscaux. L’idée selon laquelle on aurait cherché pour cette copie une autorité similaire à celle du « cartulaire » est ici corroborée par des annotations marginales du xvie siècle qui contestent au consulat les droits attribués au vicomte par les arrêts du Parlement de 1538 et 1544. Comme dans le « cartulaire », on trouve dans ce manuscrit les traces de l’affrontement avec le vicomte et la preuve que les coutumes sont fortement conditionnées par les circonstances, notamment politiques, qui présidèrent à leur rédaction.
Quatrième partieL’évolution de la langue limousine à travers les textes de coutume (xiiie-xve siècle)
Chapitre premierL’occitan dans les textes de coutume : une évolution sous influence ?
L’examen des modifications subies par l’occitan limousin dans les textes de l’organisation municipale du xiiie au début du xvie siècle a permis de mettre en lumière des moments décisifs de l’évolution de la langue, et d’en saisir quelques-unes des causes. La décennie 1250 a constitué le premier d’entre eux ; elle a vu l’introduction de graphies qui constituent le fondement de la norme pan-occitane, avec l’arrivée de notaires plus connaisseurs de la langue juridique. Celle-ci, développée dans des centres comme Montpellier et Toulouse, a amené avec elle de nouveaux usages graphiques comme terminologiques et une standardisation des pratiques écrites. Les procédures en cours au parlement de Paris et l’obligation d’en suivre le bon déroulement durent encourager le consulat à se doter de spécialistes.
La traduction en latin de coutumes qui jusqu’à présent n’étaient pas orientées vers la revendication procède du même mouvement ; elle eut un effet très sensible sur les textes juridiques produits par la suite, en conceptualisant les rapports de droit par des notions jusqu’alors peu mobilisées. Les graphies conditionnées par le latin dans la traduction du xive siècle n’eurent sans doute pas une vraie postérité, mais elles intervinrent en même temps qu’une tendance plus générale, connue également par le moyen français, à la recherche étymologique. La première moitié du xive siècle dut connaître l’essentiel de son développement mais il faudrait pour appréhender la chronologie et dater plus précisément le moment de l’apparition des pratiques nouvelles à Limoges s’appuyer sur d’autres textes que ceux produits par le consulat.
Le xve siècle est marqué par des changements par rapport à l’occitan documentaire le plus standardisé. Cependant, les déviances par rapport au modèle de la langue juridique conventionnelle soulignent au moins autant une notable solidité des traditions : avant la fin du siècle, on ne distingue pas de décisive influence désorganisatrice du français. L’occitan du début du xve presque aussi remarquable que celle qu’il avait au xiiie, avant que la brutale ascension du français à la fin du siècle ne dévie son évolution.
Dans la seconde moitié du xve siècle cependant, l’influence de la norme française a compromis l’intégrité de la norme occitane, laissant le champ libre aux réalisations françaises mais aussi aux régionalismes et aux latinismes, jusqu’à présent contenus par la koinè pan-occitane, ainsi qu’à ce que R. Lafont nomme « dialectalismes d’oralité ». Les textes de coutume ne fournissent cependant pas la preuve que c’est la pression de la norme française qui a causé toutes ces évolutions ; il faut dissocier, bien que ce ne soit pas toujours évident, d’une part ce qui est évolution naturelle des graphies occitanes, et d’autre part les gallicismes, qui n’intervinrent sensiblement que dans les dernières décennies du xve siècle. On possède ici un remarquable exemple de ce que R. Lafont nommait la « déstructuration des équilibres normatifs ».
Chapitre IIExpansion du français et influences mutuelles
À l’aide de textes à la limite entre occitan et français produits entre le xive et le xvie siècle, il convient ici de montrer comment s’est opéré le changement de code linguistique dans les documents de la pratique. Il apparaît que le passage de l’un à l’autre a suivi un rythme très inégal : après une longue période d’imprégnation au xive siècle, pendant laquelle le français restait une langue étrangère réservée à la communication avec les pouvoirs extérieurs, on constate dans la première moitié du xve siècle les premiers signes de la situation de diglossie. Le français comme langue royale avait acquis un prestige qui conduisit certains acteurs institutionnels à l’adopter, au premier rang desquels se trouvèrent une partie de la noblesse limousine, plusieurs notaires, les juridictions ecclésiastiques et, bien entendu, la sénéchaussée de Limousin. Quant aux administrations laïques de Limoges, elles ne se mirent à l’employer qu’à la fin du xve siècle, ce qui témoigne d’une vigueur remarquable de l’occitan documentaire à Limoges.
On peut donc voir dans le maintien de l’occitan pendant un siècle et demi à Limoges – tandis que dans le reste du Limousin le français progressait plus rapidement ans le cas du consulat de Limoges, d’une appropriation par le biais des traductions en occitan de textes français ou latins. Cet équilibre fut rompu dans les années 1480 – un peu plus tôt pour les autorités ecclésiastiques –, date à laquelle la dynamique en faveur du français prit son essor.
Les nombreux exemples d’interlectes occitan-français amènent à la conclusion suivante : le passage au français, bien que fortement accéléré dans les dernières décennies du xve siècle, ne fut pas ressenti comme brutal mais adopté petit à petit. La langue du roi répandait, par les fonctions qu’elle assumait désormais, ses graphies, son vocabulaire, peut-être même son phonétisme, et si la conscience de la différence des langues existait, elle ne s’appuyait pas sur une distinction radicale des caractères essentiels de chacune. Tandis que les réalisations occitanes tendaient vers une adéquation plus étroite avec la pratique orale, la norme française contrastait par sa solidité déjà supérieure et son prestige. L’évolution se fit, à partir de 1450, dans le sens d’une altération de tout le système graphique occitan jusqu’à ce que, dans les années 1510-1520, l’identité de celui-ci soit si proche du français que la transition se fit naturellement.
Édition des coutumes
Outre le corps des coutumes rédigé en 1260 et confirmé par Henri III en 1261, puis par Édouard III en 1362 et Charles V en 1371-1372, lequel est présenté sur deux colonnes, pour la version latine originelle (1260) et pour sa traduction occitane (décennies 1360-1370), il a fallu mobiliser un ensemble de textes, qui n’ont pas forcément le statut de « coutumes », afin de mettre en lumière l’élaboration du droit et d’éclairer certains points obscurs. L’ensemble des articles de coutume rédigés au début du xiiie siècle est indispensable pour bien en saisir la genèse et prendre la mesure des évolutions de la science juridique de la première à la seconde rédaction. Un certain nombre de mémoriaux, qui touchent de plus près les questions soulevées par les articles des coutumes, ainsi que les statuts et établissements produits aux xive et xve siècles par les consuls complètent, malgré leur différence de nature, les coutumes en en éclairant l’origine, l’application ou le développement.
Les textes sont complétés par plusieurs outils permettant différentes approches thématiques : tableau de correspondance entre les articles du corps principal des coutumes et les articles antérieurs et postérieurs, glossaire, index des noms et index des matières.