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École des chartes » thèses » 2010

L’art diplomatique

Les expositions d’art français organisées par la France à l’étranger pendant l’entre-deux-guerres


Introduction

À partir de la Première Guerre mondiale, la France s’est dotée de structures administratives pour l’organisation de manifestations artistiques (représentations théâtrales, concerts et expositions) afin de servir ses intérêts diplomatiques à l’étranger. La naissance de ce nouveau mode de communication officielle entre les nations, la diplomatie culturelle, a fait l’objet de recherches par les historiens dès les années 1960. Mais jusqu’à présent, aucune étude – à l’exception de celle d’Alain Dubosclard axée sur l’action artistique aux États-Unis – n’a exploré l’action strictement artistique, par le biais des expositions.

L’investigation concerne l’ensemble des expositions organisées par les services centraux d’action artistique, au sein des ministères des Affaires étrangères et de l’Instruction publique et des Beaux-arts, et par l’association française d’expansion et d’échanges artistiques (AFEEA), créée en 1922, devenue association française d’action artistique (AFAA) en 1934. Une centaine d’expositions regroupant l’art ancien et l’art moderne, l’architecture et les arts décoratifs avec les arts graphiques, la sculpture et la peinture sont patronnées et subventionnées par ces services. Par l’analyse de cet ensemble, il s’agit de voir si l’État français sut tirer parti de l’engouement que suscitait l’art français dans le monde ou s’il donna au contraire des armes à d’autres capitales comme New York pour lui « voler l’idée d’art moderne ». Ce corpus d’expositions constitue un observatoire du phénomène des expositions temporaires ou itinérantes. On voit naître alors des débats sur le rôle des expositions pour le public, amateur ou spécialiste, sur leur place dans la politique des musées, notamment par rapport au traitement des collections. En traversant l’histoire des institutions artistiques, en analysant quels artistes ont été choisis pour figurer dans ces expositions et quels sont ceux qui en ont été exclus, le sujet choisi est l’occasion d’aborder sous un angle international l’histoire du goût et des politiques artistiques de la iiie République.


Sources

On a pu aborder l’étude de ces expositions par de nombreuses sources. Les archives du service des œuvres françaises à l’étranger (SOFE), conservées au centre des archives diplomatiques de Nantes, ont constitué le socle de cette thèse puisqu’elles ont gardé la trace de toutes les expositions organisées pendant l’entre-deux-guerres ainsi que les comptes rendus des conseils d’administration de l’AFAA. Les archives du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts (AN F²¹), bien qu’un peu moins riches, ont été toutefois incontournables, ainsi que celles des musées nationaux.

Enfin, il était indispensable de recourir aux nombreux documents imprimés qui accompagnèrent l’action artistique ou la commentèrent : catalogues d’exposition, articles de presse, essais et mémoires.


Première partie
La naissance des expositions « diplomatiques » françaises jusqu’au début des années 1920


Chapitre premier
Les expositions d’art français à l’étranger au tournant du siècle et jusqu’à la Première Guerre mondiale

La mise en œuvre d’une politique artistique à l’étranger, fût-elle un simple accompagnement financier d’initiatives privées, demande un lien solide et assumé entre art et État. Avant la guerre, un lien fort entre art et diplomatie est assimilé à une tradition monarchique que sont venues rompre les pratiques républicaines. De surcroît, les contemporains s’entendent presque unanimement pour décerner à l’initiative privée (mécènes, associations, marchands) le monopole de l’action artistique en direction de l’étranger. La société civile et le système marchand la dominent, étant les seuls à en avoir développé les moyens pratiques. Avant la guerre de 1914-1918 et la création de services permanents d’action artistique à l’étranger, les arts plastiques ne sont pas totalement absents de la politique de prestige de la France à l’étranger, mais ils sont utilisés d’une manière non permanente, ponctuelle, à l’occasion des expositions universelles et internationales. Le « système des beaux-arts » de la iiie République comprend ainsi un bureau dont une partie des attributions est de présider à l’organisation des sections des beaux-arts lors des expositions internationales et universelles (bureau des Musées et Expositions) aux compétences toutefois bien limitées. On ne peut ignorer complètement l’existence d’une action artistique, même timide, avant la guerre, dans les structures existant pour l’enseignement de la langue et de la culture françaises dans le monde. Les premières actions dans cette direction vinrent des instituts français. Ces instituts, comme celui de Saint-Pétersbourg, sont le laboratoire où naissent les premières réflexions sur l’intérêt de développer une diplomatie culturelle s’appuyant sur les arts plastiques mais aussi et surtout, partant de recherches précises et rigoureuses en histoire de l’art. Ils sont un vivier où se créent des vocations et des carrières ponctuées par l’organisation d’expositions d’art français dans le monde, bien après 1918.

Chapitre II
La Première Guerre mondiale et la naissance d’un débat sur l’intervention gouvernementale en matière d’expansion de l’art français

Même lorsque fut admise la mise en place d’une diplomatie culturelle, au début des années 1910, l’utilisation des arts plastiques n’est pas tout de suite une évidence. Tout d’abord, parce que les acteurs qui sont à l’origine des services centraux sont des universitaires plus intéressés par des échanges littéraires ou scientifiques que par une diffusion de l’art français. D’autres réticences font obstacle à l’utilisation des expositions d’art par les services diplomatiques, comme la valeur marchande des œuvres d’art. L’État français est en effet très réticent à mêler son action symbolique et culturelle extérieure avec des intérêts privés et économiques. Mais le patriotisme qui explose dans le champ artistique pendant la guerre joue en faveur de l’utilisation des expositions d’art français, et particulièrement de peinture et d’arts décoratifs, par la diplomatie culturelle. Enfin, le franc succès des expositions d’art français organisées par des organismes privés à l’étranger conforte les partisans des expositions « officielles » d’art français à l’étranger.

Pour comprendre l’importance de la guerre dans la mise en place des expositions diplomatiques, l’étude des réseaux de propagande, et de leur action spécifiquement artistique, est nécessaire. L’exemple le plus marquant est le réseau français en Suisse, qui organise de nombreuses expositions. Les efforts français pendant la guerre se portent aussi tout particulièrement vers les autres pays neutres et alliés. Ainsi, la Scandinavie et les États-Unis sont deux destinations privilégiées de l’action artistique de la France pendant cette période.

Chapitre III
Les débuts de la diplomatie artistique : la création de services officiels

La politique artistique à l’étranger, liée depuis sa naissance à la culture de guerre par ses buts – le maintien ou la préparation d’alliances militaires – et par sa forme – des expositions au profit des victimes de guerre, etc. — s’en éloigne et s’adapte à la situation de la France en temps de paix.

L’absence de dotations pour les manifestations artistiques du service d’études d’action artistique du ministère de l’Instruction publique montre la relative indifférence de l’État face à l’action artistique officielle, qui jusqu’à présent, pendant la guerre, s’est faite sur des fonds secrets ou grâce à l’initiative privée. L’histoire du service d’action d’études est celle d’un échec matériel et institutionnel : n’ayant pas réussi à obtenir un budget propre, il n’a pas les moyens de satisfaire ses prétentions. Mais il contribue autrement à la constitution d’une diplomatie culturelle, en en définissant les principes, en montrant la voie à une action artistique respectueuse des demandes de l’étranger et ouverte aux initiatives privées.

La Révolution française avait donné à son ministère chargé des relations extérieures l’exclusivité des rapports institutionnels avec l’étranger. Au xxe siècle, le ministère des Affaires étrangères est donc l’organisme central de la diplomatie culturelle française pour l’exécution de laquelle il avait créé un bureau des écoles à l’étranger. Comme le service d’études, le service des œuvres françaises à l’étranger (SOFE) se contente d’accepter ou de refuser son patronage aux solliciteurs, mais ses moyens financiers, bien supérieurs, lui permettent d’œuvrer plus facilement. Les expositions d’art français patronnées par le SOFE sont très rares au cours de ses premières années si l’on en peut croire les dossiers conservés dans les archives nantaises. La création de l’AFEEA en 1922 a certainement un rôle dans la multiplication des expositions que doit traiter le service des œuvres par la suite.

La naissance de l’AFEEA, en mai 1922, est une étape de plus dans la formation de la diplomatie culturelle. Elle est présentée par ses fondateurs comme la réponse donnée aux trop nombreuses difficultés de communication, aux blocages et aux lenteurs qui paralysent l’action artistique, écartelée entre le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts et le ministère des Affaires étrangères. La démission de l’État vis-à-vis de l’action artistique dont la création de cette société en participation donne une preuve, est financière et morale, mais sur aucun de ces deux plans elle n’est radicale. En effet, l’AFEEA est subventionnée pour la moitié de son budget par les Affaires étrangères, et une structure officielle est conservée au ministère de l’Instruction publique pour l’action artistique.


Deuxième partie
La diplomatie artistique de l’entre-deux-guerres


Chapitre premier
Un nouvel ordre artistique international comme cadre de l’organisation française : le système d’échanges d’expositions nationales dans les années 1920

Phénomènes incontournables et obligatoires, les expositions d’art officielles se multiplient, auxquelles les États, et, de ce fait, les musées nationaux, peuvent difficilement s’abstenir de participer ou de répondre sans commettre un impair diplomatique. Londres (Burlington House) et Paris (Jeu de Paume) sont alors les deux grands centres pour les expositions d’écoles nationales, mais presque toutes les capitales occidentales accueillent également des cycles, certes moins prestigieux, d’expositions d’art étranger.

La France, en créant un espace dédié aux expositions d’art étranger dans les salles du Jeu de Paume, s’est mise au cœur du réseau des échanges artistiques duquel elle ne peut plus guère se retirer. Cela s’explique aussi par l’implication de la France au sein de la Société des nations (SDN) et plus particulièrement au sein de ses organismes qui prônent un rapprochement culturel des nations pour un retour durable à la paix, comme l’Institut international de coopération intellectuelle (IICI) ou l’Office international des musées (OIM). De nombreux États se dotent d’organismes publics ou semi-publics pour la diffusion de leur culture et pour l’organisation de manifestations artistiques à l’étranger, qui prennent le relais de l’initiative privée ou l’encouragent. On assiste aux débuts de l’organisation d’un système « à la française » qui se caractérise plus tard par un volontarisme et une implication financière et symbolique forte de l’État. Sans remettre nullement en cause cette définition du système français, il convient aussi de considérer l’importance donnée au début des années 1920 à la médiation de l’initiative privée pour l’organisation des expositions. Le pragmatisme des responsables de l’action artistique est pour beaucoup dans la pérennité de ce système d’accompagnement. Il requiert de surveiller le succès des expositions et de pallier les carences lorsqu’elles ne peuvent pas être organisées sans l’aide de l’État. Lorsque les expositions d’art français sont prises en main par des acteurs privés comme des associations ou des marchands d’art, les services d’action artistique ne voient pas la nécessité d’intervenir de leur propre chef, ni d’accorder leur aide. Dans les années 1920, on peut constater une euphorie collective de mécènes et de prêteurs dans les milieux de l’aristocratie européenne : les Rothschild, les Camondo, les de Ganay en sont les principaux instigateurs et, sur les listes de prêteurs, comme dans les énumérations des comités de patronage, figuraient bien d’autres noms aristocratiques. De la même manière, il convient d’étudier l’importance du milieu associatif (AFEAA et comités bilatéraux) dans le fonctionnement de la diplomatie artistique des années 1920. C’est sur l’effort financier, plus que sur tous les autres aspects de l’implication de l’État que s’est focalisée l’historiographie des diplomaties culturelles, mesurant l’efficacité des actions à l’aune des budgets qui leur étaient accordés. Il s’agit bien sûr d’un critère très important mais il ne peut être le seul à être pris en compte. Les expositions ordinaires de l’AFEEA, pour lesquelles elle se doit d’intervenir plus qu’en accordant simplement des facilités de transport, lui coûtent généralement des dizaines de milliers de francs. À ce budget ordinaire, partagé entre les organisateurs français et étrangers, s’ajoute pour les musées nationaux le coût des assurances, très élevé pour les expositions d’art ancien, comme celle de Londres en 1932.

Chapitre II
Les expositions officielles face aux crises économique et politique des années 1930

La crise de 1929 a inévitablement des répercussions sur l’organisation des expositions françaises à l’étranger. D’une part, elles ont pour objet un secteur particulièrement touché par la crise : l’art, et d’autre part, elles nécessitent des échanges commerciaux entre nations et se heurtent donc au protectionnisme déployé en cas de crise économique mondiale. Après l’exercice 1931, on constate déjà la disparition des dons qui avaient fait les grandes heures de l’AFEEA. Pourtant, même si l’enthousiasme des premiers temps de l’association est passé et si la crise a fait son œuvre, certains mécènes restent fidèles à l’art français. Les efforts de Jean Charpentier ou de Marie Cuttoli pendant cette période sont autant de preuves que le mécénat en faveur de « l’expansion de l’art français » dans toute sa dimension patriotique n’a pas disparu.

Le malaise social qui se fait sentir au sein des nations européennes rend plus difficile la tenue des expositions. Il devient de plus en plus courant, dans ces années-là, de voir achopper des projets pour des raisons diplomatiques. Au même moment, l’importance de l’opinion publique dans la préparation et dans la réception des expositions s’accroit. La majorité de l’opinion publique est favorable à de telles expositions, confortée dans cette idée par une presse dynamique, exhortant à un effort toujours plus poussé de la part de l’État.

Dans les années 1930, les accords culturels bilatéraux entre nations comprennent souvent des clauses sur les échanges artistiques, sur l’organisation d’expositions d’art. Au moment de la crise économique, une intervention accrue de l’État sert à pallier l’affaiblissement des ressources privées pour l’organisation des expositions. Contribua-t-elle de surcroît à aider financièrement les artistes ? La vente des œuvres et l’aide aux artistes ne sont évidemment pas la priorité des services d’action artistique qui visent surtout une efficacité symbolique et diplomatique. Le soutien économique aux artistes, inclus dès le début dans les objectifs de l’AFEEA, ne semble pas avoir augmenté au moment de la crise économique, et on rejoindra volontiers la thèse de Pascal Ory sur la médiocrité de l’aide aux artistes pendant cette période, due à une « prise de conscience tardive du problème par les hommes politiques français ». Dans les années 1930 se multiplient les expositions à l’étranger faisant appel aux collections nationales. La naissance, au début de cette décennie, d’un « comité d’organisation des expositions artistiques », rassemblant les conservateurs des musées d’État pour réfléchir à la propagande à l’étranger montre que l’implication accrue de l’État se fait aussi par le truchement des conservateurs des collections publiques, comme Jean Guiffrey, René Huyghe, André Dézarrois ou Louis Hautecœur. Dans les années 1930, ceux qui s’intéressent à ces questions ont le sentiment d’assister à un véritable paradoxe : la France, que la crise économique a fini par atteindre, n’a jamais fait autant d’efforts en direction de l’étranger ni autant démontré sa puissance culturelle qu’en cette période de fragilité économique. Or ce paradoxe, malgré la course que se livrent les gouvernements en matière de propagande dans les années 1930, ne se retrouve pas également dans l’action artistique de tous les pays. En Belgique, en Allemagne, pour des raisons évidemment différentes, on observe même le mouvement inverse.

Chapitre III
La répartition géographique et sociale des expositions d’art français : clientèles ou publics visés

On trouve difficilement une analyse contemporaine sur la répartition d’ensemble des expositions d’art français et sur sa pertinence. « L’étranger » était souvent conçu comme un bloc monolithe, où l’art français devait exercer sa domination. Les expositions de l’entre-deux-guerres eurent lieu sur tous les continents, l’Afrique mise à part. Elles touchent en priorité les pays indépendants politiquement, jamais les colonies françaises, et rarement les colonies des autres puissances européennes. C’est l’Europe qui est la plus concernée : les pays de l’Europe occidentale occupent une part écrasante dans l’action artistique française (près de 55 % des expositions) et l’Europe de l’Est est également privilégiée (autour de 20 %). Les trois quarts des expositions d’art français officielles ont lieu sur le continent européen ce qui justifie l’emploi de l’expression d’« obsession continentale » pour qualifier la géopolitique artistique développée par la France à ce moment. Quelques territoires, en raison de leur statut politique particulier, comme les territoires rhénans ou l’Égypte, méritent d’être étudiés parce qu’ils constituèrent des modèles pour l’ensemble de l’action artistique française à l’étranger.

La répartition des expositions en Europe de l’Est suit manifestement le jeu des alliances, dominé par les pays de la Petite Entente. L’Europe centrale et particulièrement la Tchécoslovaquie est une zone géographique mal connue des Français, mais elle est au centre de l’attention après 1920. La fréquence assez élevée d’expositions itinérantes en Europe de l’Est montre que cette région est considérée comme prioritaire dans son ensemble. Une vraie dynamique culturelle se crée, liant ambassadeurs, directeurs d’instituts français, chercheurs français de la région par des projets communs. Le problème des identités communautaires, à la source des nouveaux conflits dans les Balkans, est pris en compte dans la diplomatie artistique de la France. Enfin, l’une des originalités de l’action artistique française est d’être centrée sur sa capitale. Paris est le centre d’impulsion de cette politique artistique, mais elle en est aussi l’objet, recevant les expositions diplomatiques étrangères et organisant sur place des manifestations à destination des étrangers. Les expositions d’art français à l’étranger sont parfois dénoncées comme contraires aux efforts nécessaires en faveur du tourisme en France et de la valorisation du patrimoine monumental. L’AFEEA, en s’impliquant dans l’organisation de l’exposition parisienne des arts décoratifs et industriels de 1925, s’efforce de prouver que les deux approches – expansion artistique et amélioration du tourisme en France – sont complémentaires.

Les expositions diplomatiques n’accueillent pas un public de spécialistes ni d’érudits. C’est pourtant dans le but d’approfondir l’histoire de l’art que l’office international des musées avait favorisé ces initiatives. Héritières des expositions de primitifs ou de celles consacrées à un maître que l’on organisait au début du xxe siècle, les expositions d’art national organisées par les services diplomatiques ne suscitent pas le même phénomène de pèlerinage chez les élites parce qu’elles en ont perdu le caractère scientifique. Parce qu’elles ont besoin de mécènes pour exister, ces expositions visent un public que l’on peut qualifier de mondain. La rupture des années 1930 évoquée plus haut, amorçant un engagement plus important de l’État, privilégie aussi la tenue de grandes expositions visant un public plus large. L’exposition de Londres, présentant les « Splendeurs de l’art français » en 1932 en est le point de départ, elle qui attire plusieurs dizaines de milliers de visiteurs.


Troisième partie
Qu’est-ce que l’art français ? La question des choix artistiques


Chapitre premier
Une diversité d’actions en faveur de l’art français

Quelques expositions organisées ou patronnées par le gouvernement contiennent des sections qui ne concernent pas les arts plastiques, mais sont destinées plutôt à présenter la production française dans le secteur du livre, de la mode et des cosmétiques ou les efforts français en faveur du tourisme. Directement inspirées des expositions des produits de l’industrie, des expositions universelles et des foires commerciales, elles sont rarement patronnées par l’AFEEA. Cependant, le succès de l’exportation de la haute couture française est souvent pris comme modèle pour l’expansion artistique.

La promotion de l’art français à l’étranger est principalement réalisée au moyen d’expositions d’art, mais elle le fut aussi par d’autres supports, écrits ou oraux. À cet égard, il convient de mentionner les dons de moulages, les prêts à long terme d’œuvres d’art, la création d’académies, l’envoi de conférenciers et la diffusion d’imprimés comme autant de vecteurs d’un discours sur l’art français sur lesquels s’appuient les services artistiques.

Chapitre II
La présentation de l’art français dans toutes ses expressions

Il est intéressant de se pencher sur la « présentation » de ces expositions d’un point de vue matériel et visuel. La muséographie devint, dans l’entre-deux-guerres, un instrument de prestige, à déployer lors d’expositions internationales, de colloques ou de publications. Les expositions diplomatiques participent aussi de ce bouillonnement. Mais sont-elles réellement des instruments de prestige, et la démonstration d’une maîtrise française de la muséographie ? On est frappé, d’emblée, par l’absence de débats muséographiques au sein des instances de discussion de l’action artistique en charge des expositions. Les expositions d’art français à l’étranger, malgré les moyens limités qu’elles reçoivent pour leur exécution, permettent cependant quelques expériences d’expographie moderne et la confrontation avec les techniques d’expositions étrangères.

Malgré de timides efforts, le cinématographe et la photographie n’ont pas encore acquis, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, leurs lettres de noblesse au sein de l’action artistique, tandis qu’au Jeu de Paume, en 1938, une exposition d’art américain organisée avec le jeune musée d’art moderne de New York (MoMA) contient des sections pour l’architecture, l’art populaire, la photographie et le cinéma et qu’à Stuttgart en 1929 s’était tenue l’exposition internationale « Film und Foto ».

Il y a peu d’expositions d’architecture patronnées par les services d’action artistique, d’une part, parce que les expositions d’architecture en général n’en sont qu’à leurs débuts et, d’autre part, parce que l’architecture française a quelque peu perdu la reconnaissance internationale dont elle jouissait à la fin du xixe siècle. Après la réalisation, en 1932, au MoMA, d’une grande exposition d’architecture « internationale », les expositions d’architecture deviennent cependant, aux yeux des organisateurs français, un défi muséographique et nationaliste. Il s’agit alors de réfuter la notion de « style international » et de faire reconnaître l’existence d’un style propre à la France : en 1933 c’est l’objet d’une exposition itinérante en Europe de l’Est.

La France pense et présente les expositions d’art décoratif comme des opérations de reconquête d’un public international tourné depuis quelques décennies vers d’autres productions, allemandes et anglo-saxonnes. Le lancement des exportations d’art décoratif français et la refondation d’un style national moderne sont devenus des obsessions françaises, perceptibles dans de nombreuses publications. Ce n’est réellement qu’après 1925 que les services d’action artistique recommencent à présenter l’art décoratif français moderne hors des frontières, profitant de l’impulsion donnée par l’exposition parisienne dont ils veulent créer des épigones.

La peinture domine bien les arts plastiques envoyés aux expositions, dont elle représente environ 80 %. Le dessin est aussi très représenté, souvent dans les mêmes expositions que la peinture, et bien plus rarement de manière isolée. Quant à la sculpture, elle est sous-représentée dans les expositions d’art français, pour des raisons pratiques et non symboliques. Malgré le prestige qu’apportent les expositions d’art ancien à la France, la préférence accordée à l’art vivant est nette pendant la période de l’entre-deux-guerres : plus de la moitié des expositions ne montrent que de l’« art moderne », et moins d’un quart se consacre exclusivement à l’art ancien.

Chapitre III
Le choix des artistes à exposer

Il faut s’intéresser aussi aux différents paramètres qui influencent les responsables des expositions pour le choix des artistes : le rôle des organisateurs étrangers, les pressions internes de la part des milieux artistiques français, et la définition de l’art français que l’État veut donner. Ces trois éléments sont toujours présents, mais à des degrés divers. Cela explique la grande diversité des expositions d’art français, particulièrement au cours des années 1920, et qui tend à s’atténuer au profit d’un renforcement du pouvoir de l’État et d’une définition plus autoritaire du contenu des expositions par celui-ci. La France se donne pour principe de ne pas décider de la tenue d’une exposition sans que soit exprimé un désir de la part du pays d’accueil. En outre, les expositions artistiques à l’étranger doivent respecter l’impératif, républicain, du « pluralisme artistique » et représenter, de manière impartiale, tous les courants présents en France. En conséquence, les expositions individuelles sont rejetées au profit d’expositions uniquement collectives. Malgré de maigres budgets, l’AFAA persévère dans l’organisation d’expositions pléthoriques. Mais le nombre d’artistes présents aux expositions pour toute la durée de l’entre-deux-guerres est bien plus mince que celui des acquisitions de ces décennies et donc plus homogène.

Certaines expositions, surtout dans les années 1920, sont portées par l’initiative privée, organisées par des réseaux de marchands, et présentent des œuvres d’artistes indépendants. Il y a peu de différences avec celles qu’organisent à leur propre compte certaines galeries. Avant de patronner des expositions faites par des commissaires indépendants à partir des stocks de galeristes, l’association s’est déjà tournée vers les grandes sociétés d’artistes, qui en organisent depuis longtemps dans d’autres pays. L’alliance de ces sociétés d’artistes en un « comité permanent », pour se voir représentées aux expositions à l’étranger, est l’un des signes de leur déclin irrémédiable et la fin annoncée de ce modèle d’exposition.

Dans les années 1930, on peut constater l’impasse des deux modèles d’expositions établis au début de l’action artistique : celles organisées par les sociétés d’artistes et celles organisées par les galeristes autour de « l’école de Paris », au profit d’une reprise en main des expositions par des conservateurs de musées, en particulier Louis Hautecœur. Dans ce contexte, une série d’expositions marque la volonté des milieux officiels de reprendre la main sur l’action artistique de la France à l’étranger dans les années 1930 : les expositions du gouvernement général de l’Algérie créées en collaboration avec l’AFAA. Loin des expositions des années 1920, définies assez librement dans leur contenu par des acteurs privés comme les sociétés d’artistes ou les galeries, les expositions « orientalistes » émanent d’un pouvoir fort et désireux de se faire reconnaître comme tel par le public.


Conclusion

Avant de questionner l’efficacité de ces expositions artistiques, on doit insister sur l’importance accrue qu’elles ont gagnée au sein de la diplomatie culturelle, en rattrapant, du moins symboliquement, les efforts faits pour la diffusion de la langue française. Le système « d’accompagnement culturel » pensé au début des années 1920, en favorisant l’intervention de particuliers, en permettant des expositions de grandes collections privées tout comme des expositions-ventes par les galeries, est extrêmement intéressant et adapté à la situation avantageuse de l’art français dans le monde et à sa place dans le marché de l’art international, malgré quelques échecs comme les manifestations du comité permanent des expositions à l’étranger. L’inflexion étatiste des années 1930, due en partie aux crises économique et politique, transforme singulièrement l’équilibre qu’avait réussi à acquérir le système d’action artistique français en se reposant sur des amis francophiles. Les expositions de cette période, en laissant la place à des conservateurs de musée, ont pour ambition de définir un art véritablement national, excluant les artistes qui ne correspondent pas aux critères de l’art français redéfini, notamment les artistes étrangers de l’École de Paris. Si les méthodes d’expositions sont, somme toute, assez rudimentaires et s’essoufflent à la fin de ces deux décennies, leur contenu ne nous paraît pas mériter de telles critiques. L’ensemble des artistes présentés est hétérogène et pluraliste : aucun art officiel ne se dégage de ces envois. Comparée aux acquisitions faites pendant la même période par l’État, marquées par un grand conformisme, l’action artistique à l’étranger témoigne d’une ouverture raisonnable aux artistes de la modernité et d’une attention portée à des artistes largement négligés par l’État et qui sont loin d’avoir « l’âme officielle ».


Annexes

Liste des expositions d’art français et leur répartition. — Liste des artistes les plus représentés. — Catalogue iconographique (ving-sept artistes). — Vues d’expositions. — Répertoires des peintres et illustrateurs, des architectes et ingénieurs, des sculpteurs, des arts décoratifs.