Droit et répression de l’hérésie à Toulouse au xvie siècle
la Repetitio de inquisitione hereticorum de Nicolas Bertrand (Toulouse, 1512)
Introduction
En 1979, Philippe Wolff proposait de stimuler la réflexion des historiens du catharisme en leur soumettant la question suivante : « Y eut-il une optique propre des histoires régionales (xvie-xviiie siècle) ? » (Cahiers de Fanjeaux, 14, p. 71-84). Trois décennies plus tard, cette interrogation, quoique légitime, n’a toujours pas reçu de réponse argumentée, et les quelques éléments préliminaires avancés par l’auteur n’ont pas été étoffés.
Pourtant, ce ne sont pas les sources qui manquent, bien au contraire. Car au-delà de l’histoire du catharisme, c’est la situation religieuse du Languedoc et la question du rattachement de cette province à la Couronne à la suite de la Croisade albigeoise qui mériteraient d’être envisagées dans leur dimension historiographique. La difficulté majeure d’un tel sujet réside probablement dans l’éclatement des passages pertinents, car les matières religieuses sont un des nombreux aspects évoqués par les historiographes méridionaux vivant à l’époque moderne. Il conviendrait donc de lire l’intégralité de leurs ouvrages pour y repérer les chapitres ou les paragraphes relatifs au sujet qui nous occupe.
Dans cette production échelonnée sur trois siècles, un auteur en particulier mérite une attention spéciale : Nicolas Bertrand. Contrairement à ses successeurs qui ont laissé des ouvrages essentiellement historiques, ce magistrat contemporain de Louis xii a composé en outre un traité juridique, aujourd’hui fort méconnu, consacré à la procédure inquisitoriale de son temps. Cette œuvre aborde l’hérésie et sa répression sous un angle résolument juridique et complète avantageusement la vision de l’histoire religieuse du Midi tel que ce même auteur la manifeste dans ses travaux historiques mieux connus.
L’enjeu de cette thèse est double. Il s’agit dans un premier temps de relancer, en l’élargissant grâce au recours à des sources inexploitées, l’examen de la question posée par Philippe Wolff et demeurée sans réponse : quel fut le point de vue de Nicolas Bertrand, historien méridional des premières années de l’époque moderne, sur l’histoire religieuse de sa province ? Ce point de vue fut-il original ? Comment la mémoire de l’Inquisition toulousaine fut-elle consignée et transmise pendant et après sa période d’activité ? Dans un second temps, il s’agit de présenter une édition critique, complète, moderne et fonctionnelle, des écrits de Nicolas Bertrand relatifs à la répression de l’hérésie, tant d’un point de vue historique que juridique et théologique.
Sources
La méconnaissance du traité de Nicolas Bertrand relatif à la procédure inquisitoriale du début du xvie siècle tient principalement à sa rareté. Ce post-incunable produit à Toulouse par l’atelier de Jean Grandjean au cours de l’été 1512 ne subsiste plus qu’à un seul exemplaire identifié, conservé à la Réserve des livres rares et précieux de la Bibliothèque nationale de France sous la cote Res. H-2276. Aucune édition postérieure de cette Repetitio de inquisitione hereticorum ne semble avoir été donnée.
Cette plaquette gothique étant le commentaire d’une décrétale, l’auteur y envisage la répression de l’hérésie au prisme du droit canonique. C’est pourquoi, afin de donner une image plus fidèle de la répression de l’hérésie sous la plume de Nicolas Bertrand, le choix a été fait d’éditer les extraits de son histoire toulousaine, Opus de Tholosanorum gestis ab urbe condita (Toulouse : Grandjean, 1515) relatifs aux questions d’hérésie. Ce dernier ouvrage demeure aujourd’hui dans une vingtaine de bibliothèques publiques à travers le monde ; une trentaine d’exemplaires y sont catalogués.
Naturellement, les sources archivistiques n’ont pas été négligées, mais ce matériau est intervenu au second plan, dans la mesure où il complétait ou éclairait les données historiographiques. La connaissance du personnage de Nicolas Bertrand et l’éclaircissement d’une affaire d’hérésie particulièrement épineuse survenue à Toulouse en 1510-1511 ont nécessité le dépouillement de plusieurs fonds, tant aux archives départementales de Haute-Garonne, où se trouvent les registres du Parlement dans la série B, qu’aux archives municipales de Toulouse, où les actes constitutifs de la commune, les délibérations des magistrats municipaux et les rôles d’impôts occupent respectivement les séries AA, BB et CC.
Première partieÉtude
Chapitre premierDroit et hérésie à Toulouse à la fin du Moyen Âge
La période de l’Inquisition classique (xiie-xiiie siècle). — La procédure exceptionnelle qu’était l’inquisition en fit une des modalités les plus caractéristiques de la répression de l’hérésie dans la Chrétienté médiévale. Néanmoins, elle ne fut pas la première ni jamais la seule réaction de l’autorité ecclésiastique face aux tenants de dogmes considérés comme déviants. Sans doctrine chrétienne clairement fixée, il ne pouvait y avoir d’hétérodoxie, et longtemps cette dernière ne fut combattue que par des moyens strictement spirituels. Aussi longtemps que le christianisme demeura minoritaire, aucune répression d’envergure n’était possible. En outre, même quand il devint la religion officielle de l’Empire romain, la persécution des hérétiques fut laissée à la charge des évêques, qui s’en acquittèrent avec un zèle variable. Soit que les sources fussent silencieuses à ce sujet, soit que les mouvements dissidents fussent rares jusqu’à l’an Mil, il y a peu de traces d’hérésies avant cette date.
Par la suite, les dogmes hétérodoxes apparurent en plusieurs points de la Chrétienté, dans des proportions et avec une vitesse d’expansion qui ne surent trouver de réponse satisfaisante de la part des prélats de ce temps. Seule l’autorité suprême de l’Église romaine – le Pape – et certaines princes temporels furent en mesure de lancer ou de coordonner quelque réaction d’ampleur. Les solutions envisagées alors furent assez variées, depuis la douceur de la prédication jusqu’à la violence d’une croisade par le fer et par le feu. À cet égard, il faut se garder de lire trop naïvement les sources contemporaines de ces modalités de répression, qui sont souvent très partisanes. Devant la relative inefficacité à long terme des méthodes douces et l’insoutenable violence des méthodes guerrières de répression, il apparut nécessaire de proposer une nouvelle réponse, adéquate aux zones les plus marquées par l’hérésie mais respectant des règles uniformes dans l’ensemble de la Chrétienté. Ainsi dans la première moitié du xiiie siècle se mit en place une institution originale : l’Inquisition. Le nombre de juges et l’extension de leurs ressorts varièrent en fonction de la situation religieuse des diverses contrées, selon la volonté du Pape qui désirait conserver lui-même le contrôle sur cette création.
Contrairement à l’image généralement véhiculée dans l’historiographie moderne et contemporaine, la justice rendue par les inquisiteurs ne dépendit jamais de leurs caprices. Seulement, le caractère exceptionnel de leur juridiction ainsi que le secret nécessaire au bon fonctionnement de la procédure et à la protection des témoins ont-ils été considérés par les détracteurs de l’Inquisition comme de sérieux éléments à charge.
Vers une laïcisation de l’institution (xive-xvie siècle). — Depuis son apparition dans les années 1230 et jusqu’aux dernières années de la Papauté d’Avignon, l’Inquisition connut une sorte d’âge d’or, si bien que ce premier siècle et demi de son histoire est parfois qualifié de « période de l’Inquisition classique ». Par la suite, l’extinction presque totale des doctrines hérétiques dans le Midi et surtout les profonds troubles dans lesquels l’Église romaine fut plongée entre le dernier tiers du xive siècle et le milieu du xvie entraînèrent une grave crise de l’institution inquisitoriale. Concrètement, ces temps difficiles contraignirent les juges de l’Inquisition à connaître des crimes commis contre la foi par des catégories de justiciables jadis extérieurs à leur juridiction : sorciers, prêtres concubinaires, juifs faussement convertis, adultères, usuriers. Cet accroissement, rendu nécessaire par la raréfaction des hérétiques dans la plupart des régions de la Chrétienté, était d’autant plus facile que, depuis 1312, inquisiteurs et évêques devaient collaborer étroitement en matière d’hérésie. De fait, lorsque les officialités eurent à traiter un plus grand nombre d’affaires bénéficiales, le reversement des cas de mauvaises mœurs devant les tribunaux d’Inquisition ne suscita aucun désaccord majeur.
Or, le Grand Schisme fragilisa durablement l’autorité pontificale, de qui les inquisiteurs tenaient toute leur légitimité. Comme l’hérésie demeurait peu présente en Languedoc, la pertinence de maintenir une juridiction dédiée devint controversée. En outre à cette époque, la justice royale connut à la fois une consolidation au détriment des petites juridictions urbaines ou seigneuriales et un élargissement aux dépens du for ecclésiastique. Ainsi la distinction traditionnelle dans la procédure inquisitoriale entre le clerc qui jugeait et le laïc qui exécutait, le cas échéant, les condamnations à mort, se vit bousculée. La judiciarisation des officiers royaux remit en question cette partition artificielle entre le droit de connaître d’une cause et la charge d’appliquer la sentence prononcée. Il est significatif, à cet égard, que les tribunaux de l’Inquisition, tant dans le Midi que dans certaines autres provinces françaises, fussent bien incapables de faire face seuls à la vague d’hérésie qui déferla dans le sillage des théories de Luther et Calvin dès les premières années du règne de François Ier. Cette inadaptation, partiellement due à l’impréparation et partiellement à l’insuffisance des moyens, acheva de justifier le transfert, du moins dans la pratique, des affaires d’hérésie devant les cours souveraines du royaume.
Parallèlement à cela, on jugera de la décadence de l’Inquisition française à l’aune de la situation, à la même époque, dans la péninsule ibérique. L’image très négative dont l’Inquisition fit les frais à l’époque moderne tient en grande partie à l’impopularité de l’Inquisition espagnole. Cette institution originale, créée en 1478 par un accord entre les Rois catholiques et le pape Sixte iv, donna un second souffle à la répression de l’hérésie en Aragon et en Castille. La sévérité de ce tribunal, particulièrement marquée après la fin de la Reconquista contre les juifs faussement convertis, entraîna un important reflux de populations marranes dans le Midi de la France. Ainsi la proximité géographique de l’Espagne n’est pas indifférente dans l’évolution de la situation religieuse du Languedoc. On notera surtout que sur le versant nord des Pyrénées la répression de l’hérésie se fit par les cours royales au détriment des tribunaux ecclésiastiques, tandis que sur le versant sud elle fut rénovée par un accord jusqu’alors inédit entre les autorités laïque et pontificale.
La pensée méridionale en matière de répression de l’hérésie. — Les grandes règles de la procédure étaient fixées depuis le haut, par le Saint-Siège, dont les décrétales étaient des réponses aux questions concrètes soumises au pape par les inquisiteurs dans l’exercice de leur fonction. Pour autant, ces juges extraordinaires ne furent pas de simples exécutants des décisions prises par le dépositaire suprême du magistère. Bien au contraire, certains inquisiteurs prirent eux-mêmes la plume et laissèrent, à côté de leurs archives, des manuels pratiques destinés à transmettre à leurs successeurs les habiletés de la procédure. Bernard Gui, inquisiteur toulousain dans le premier quart du xive siècle, est encore célèbre pour l’histoire des comtes de Toulouse et le sanctoral dominicain qu’il composa. Ses sentences de l’Inquisition sont également assez connues. Elles représentent une modeste avancée de la pensée méridionale, car la description historique l’emporte clairement sur la réflexion théorique. Jean Dupuy, inquisiteur toulousain puis évêque de Cahors dans la première moitié du xve siècle, marque une étape importante, car sa formation de juriste le rend particulièrement sensible aux subtilités du droit canonique. Ses réflexions relatives au procès de Jeanne d’Arc témoignent de son intérêt pour la procédure inquisitoriale.
Sous le règne de Charles vii, la naissance et le développement du gallicanisme ne manquèrent pas d’éveiller la pensée de juristes méridionaux à l’image de l’archevêque toulousain Bernard de Rosier, théoricien ultramontain et par ailleurs un des premiers historiens de la ville. À la génération suivante, la capitale du Midi vit éclore une véritable « École » autour de l’université de droit et du parlement. Ces auteurs politiques devinrent progressivement gallicans, mais dans le respect des règles canoniques fixées dès l’époque de l’Inquisition classique. La question des deux droits, notamment, fut au cœur des traités d’Étienne Aufréri et de Nicolas Bertrand.
Chapitre IILa répression de l’hérésie sous la plume de Nicolas Bertrand
Nicolas Bertrand, historien et juriste toulousain. — Nicolas Bertrand est généralement réduit à sa production d’historien de Toulouse, relativement pionnier, ayant fait la synthèse de ses prédécesseurs Bernard de Rosier et Étienne de Gan. Pourtant, Nicolas Bertrand fut bien plus que cela. Juriste de formation et avocat de métier, il ne cessa jamais d’être canoniste dans l’âme, même quand il composa sa grande cosmogonie urbaine. Ses données biographiques, assez bien connues pour les grandes étapes, demeurent plutôt obscures dans le détail. Son ascendance issue de la notabilité toulousaine ne fait aucun doute. Son grand-oncle et son grand-père jouèrent peut-être un rôle au Parlement et il est sûr que son père fut notaire apostolique et royal dans le quartier du Salin. L’étude de sa généalogie montre clairement que notre auteur appartenait à la bourgeoisie des officiers de robe, lentement agrégée à la noblesse de droit puis de fait. La participation au consulat de Toulouse de plusieurs de ses parents, puis par Nicolas Bertrand lui-même en 1499 et en 1510, plaçait cette famille parmi les plus illustres de la ville.
Plusieurs aspects de la vie de notre auteur méritent attention. Son engagement au service de la Cité, son lien étroit avec l’Université et le Parlement et sa contribution à la prestigieuse confrérie religieuse des Corps-Saints de Saint-Sernin firent de lui un personnage éminent de la vie publique. Ses diverses activités civiques auraient peut-être suffi à le faire passer à la postérité, mais sa destinée historiographique fut d’autant plus éclatante que deux de ses traités l’avaient élevé au rang des écrivains toulousains.
L’ Opus de Tholosanorum gestis (1515). — L’œuvre emblématique de cet auteur est parue l’année de l’avènement de François Ier ; il s’agit d’une histoire de Toulouse en 88 feuillets, depuis les origines mythiques de la ville jusqu’aux temps les plus contemporains. Contrairement à ce que le titre ou le projet laissent supposer, il ne s’agit pas d’un vaste traité continu, embrassant d’un seul tenant deux millénaires d’histoire urbaine, mais plutôt de la compilation a posteriori d’une dizaine de plaquettes écrites dans les années précédentes. Cette composition par concrétion induit une certaine disparité entre certains passages, ainsi que de multiples répétitions.
Du point de vue de la méthode, c’est l’accumulation des faits qui a dominé, et les sources fautives n’ont pas toujours été rectifiées. Ces imperfections suscitèrent de vifs reproches parmi les historiographes suivants, parfois avec une sévérité exagérée. En effet, l’Opus n’est pas dénué d’intérêt si on le considère moins comme une source exacte que comme un témoignage sur la façon d’écrire l’histoire au début du xvie siècle.
La Repetitio de inquisitione hereticorum (1512). — Quel que soit le jugement de valeur porté sur l’Opus, cette œuvre a du moins l’avantage d’être mentionnée par tous ceux qui ont fait état des travaux de Nicolas Bertrand. Sa Repetitio, en revanche, n’est que rarement évoquée. Il faut bien reconnaître qu’il s’agit d’une modeste plaquette de 22 feuillets, probablement éditée à peu d’exemplaires si l’on en juge par l’unique copie parvenue jusqu’à nos jours dans les collections publiques.
Néanmoins, cet humble traité prend toute son importance dès lors qu’on le replace dans son contexte de création. La Repetitio doit être regardée comme un produit original de l’« École de Toulouse ». Son thème – la question du rapport entre le for ecclésiastique et les juridictions laïques – est directement lié à une affaire d’hérésie qui avait connu un fort retentissement dans la ville en 1510-1511, mais elle rejoint également les préoccupations manifestées à la même époque par Étienne Aufréri dans sa répétition sur la clémentine Ut clericorum. Il est significatif que la forme de la répétition ait été également choisie par Nicolas Bertrand pour commenter le texte de la décrétale Ut inquisitionis du Sexte.
Contrairement à l’Opus qui est une compilation, la Repetitio est un texte homogène, même si plusieurs grandes parties s’y découpent nettement. Ce découpage pose la question de la composition de cet ouvrage : rédaction monolithique ou bien assemblage en une plaquette de développements antérieurs épars, réunis à la faveur du scandale soulevé lors de l’affaire Molina, médecin marrane condamné à mort à titre posthume en 1510 ?
L’esprit de l’œuvre. — La formation juridique de Nicolas Bertrand et l’orientation historique de ses écrits soulèvent naturellement la question de la nature de son œuvre. Il ne s’agit pas de mesurer la part relative de ces deux grands courants, mais bien plutôt d’étudier la façon dont ils entrent en résonance d’une manière non-exclusive, sinon complémentaire. L’articulation entre la veine juridique et la veine historique des traités de Nicolas Bertrand est particulièrement visible en matière d’affaires religieuses, où la tradition et le droit canonique sont les principales sources capables d’instituer des règles valables.
Au croisement de ces deux veines, le lecteur de Nicolas Bertrand en observe une troisième, transversale : l’esprit théologique. Ce sont donc trois influences qui convergent dans l’œuvre de notre auteur. L’histoire, par exemple, permet de voir la Providence en action et de tirer dans le passé des modèles de vertu à suivre et des exemples de mauvais hommes à ne pas imitier. La théologie garantit le respect dû à Dieu, aux saints et aux lieux consacrés afin de ne pas susciter la colère divine et de s’assurer ainsi les faveurs de la Providence. Le droit canonique, enfin, punit les manquements à ce respect et édicte des règles complémentaires relatives aux droits et aux devoirs des clercs, intermédiaires entre Dieu et les fidèles.
La lecture des écrits de Nicolas Bertrand suppose la pleine prise en compte de ces quelques influences déterminantes dans sa formation. La répartition des nombreuses allusions, références ou citations reflète ces intérêts, même si les sources juridiques s’avèrent largement dominantes dans la Repetitio, ce qui confirme la vocation universitaire de cette œuvre.
Deuxième partieÉdition critique
Le second volet de la thèse donne l’édition d’un abondant matériau relatif à la répression de l’hérésie dans le Midi, entre la fin du xiie et le début du xvie siècles. Il s’agit de comprendre la situation à la fin de cette période, à la lumière des tâtonnements successifs qui conduisirent à l’élaboration de l’institution inquisitoriale et à son plein épanouissement à la période classique, jusqu’aux temps de son déclin.
Les textes ainsi accumulés étant relativement homogènes, le parti a été pris de proposer une édition en trois temps successifs mais selon des règles de présentation uniformes.
La décrétale Ut Inquisitionis (Boniface viii, 1298) et ses commentaires. — Cette décrétale correspond au texte de Boniface viii tel qu’il apparaissait dans les manuscrits médiévaux, augmenté de sa glose ordinaire éditée par les soins de Grégoire xiii en 1582. La principale disposition porte sur la coopération indispensable des autorités laïques à l’action inquisitoriale des tribunaux ecclésiastiques, sous peine de sanctions spirituelles graves.
La Repetitio de inquisitione hereticorum, texte intégral. — La méconnaissance généralisée de ce texte justifierait à elle seule le choix d’une édition intégrale. Celle-ci est d’autant plus légitime que le genre de la répétition juridique correspond à un type intellectuel et matériel clairement défini ; ses caractéristiques apparaissent ainsi pleinement dans une édition complète. La dimension matérielle fait l’objet d’une présentation codicologique précise en introduction du texte.
L’ Opus de Tholosanorum gestis ab urbe condita, morceaux choisis. — La présence de cette œuvre ne va pas spontanément de soi dans un corpus consacré à la répression de l’hérésie. Mais outre les traités relatifs à des questions religieuses, l’histoire méridionale et surtout le rattachement du Languedoc à la Couronne sont indissociables du développement de l’hérésie dans cette province, de l’inactivité du comte et des réactions menées depuis le nord du royaume. Les nombreux emprunts de Nicolas Bertrand à des auteurs médiévaux tels Bernard Gui ou Guillaume de Puylaurens montrent son intérêt pour la Croisade albigeoise et les tentatives de prédication conduites par Bernard de Clairvaux et saint Dominique. Sous cet aspect, plusieurs passages de l’Opus s’intégraient naturellement dans l’édition des écrits de Nicolas Bertrand en matière de droit et de répression de l’hérésie. Certains développements relatifs à la délimitation géographique et linguistique du Languedoc ont été ajoutés à cette édition sélective parce qu’ils se rapportent à l’empreinte territoriale de l’Inquisition méridionale.
Pièces justificatives
Afin de donner davantage de profondeur historiographique aux textes édités, une vingtaine de pièces justificatives ont été placées à leur suite. Elles sont regroupées autour de trois grands thèmes : la mémoire archivistique toulousaine au Moyen Âge, la mémoire historiographique méridionale à l’époque moderne et le dossier hagiographique de la Repetitio.
La mémoire archivistique toulousaine au Moyen Âge. — Cette partie propose une sélection de documents issus des archives du parlement relatifs au scandale suscité à Toulouse par l’affaire Molina (1510-1512) ainsi que l’édition d’actes de la municipalité concernant Nicolas Bertrand et sa présence dans les archives des capitouls (1511-1523).
La mémoire historiographique de l’Inquisition méridionale à l’époque moderne. — Des morceaux choisis issus de deux auteurs, représentatifs de leur temps et ayant écrit sur l’affaire Molina, ont été retenus ici : Germain de La Faille, Annales (Toulouse, 1687) et Auguste d’Aldéguier, Histoire (Toulouse, 1835).
Le dossier hagiographique de la Repetitio. — La première partie de la Repetitio (fol. 3v-5) comprend une galerie de portraits, une collection de vitæ hagiographiques abrégées où le sacrement eucharistique triomphe. Le dossier proposé ici identifie des passages de la littérature médiévale, en latin ou en anglais, directement liés avec ceux évoquées par Nicolas Bertrand. On y retrouvera, dans des versions plus ou moins proches de la Repetitio, un saint anorexique en la personne d’Hugues de Saint-Victor, un prédicateur hors pair incarné par saint Antoine de Padoue, une sainte « de son temps » à travers la dévotion de sainte Françoise Romaine ainsi que le récit d’un sabbat de sorciers en Saxe au milieu du Moyen Âge. Le culte des reliques à Toulouse au début du xvie siècle rappelle l’adhésion de notre auteur à la confrérie des Corps-Saints de Saint-Sernin en 1508, attestée par les archives conservées dans cette paroisse.
Annexes
Cartes. — Reconstitutions généalogiques, notamment des Bertrand (xiie-xve siècle). — Liste des inquisiteurs méridionaux (xiiie-xve siècle). — Tableaux relatifs aux autorités et aux références invoquées dans la Repetitio. — Iconographie : miniature du Livre des histoires pour les années 1510-1511 (AM Toulouse, BB 273, chr. 188, fol. 193) ; miniature de la Repetitio de inquisitione hereticorum (fol. 1) ; Toulouse au temps de Nicolas Bertrand (AM Toulouse, II 699). — Index nominum et rerum.