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École des chartes » thèses » 2010

La chambre du roi à Versailles ou l’espace de la majesté

Intérieurs, institutions et cérémonial au xviie siècle


Introduction

La chambre du roi, ou chambre de Louis XIV, est l’un des principaux espaces du château de Versailles avec la galerie des Glaces et la chapelle. Pourtant elle n’a encore jamais fait l’objet d’étude spécifique. Seuls quelques articles font état de l’évolution de son aménagement et de sa décoration, mais aucune analyse ne lui a été entièrement consacrée. La chambre de Louis XIV attire l’attention, mais ce n’est que l’une des chambres royales de Versailles, où Louis XIV ne loge que quatorze ans. Aucune grande étude ne s’attache non plus aux différentes chambres du roi à Versailles et n’appréhende ensemble la pièce, l’institution et le cérémonial, c’est-à-dire les trois aspects indissociables de cet espace.

Son rôle est souligné dans la vie de cour par le cérémonial monarchique. Elle participe à l’exercice du pouvoir royal et semble apparaître comme le point focal d’un pouvoir qui met en scène sa propre sacralité. La chambre du roi est donc un lieu double où se mêlent étroitement vie privée et vie publique du souverain. Sa centralité a pu faire croire à une volonté impérieuse de mise en scène et de soumission. La distribution des pièces n’apparaît plus comme le reflet mais comme l’émanation de l’ordre instauré. Derrière le mythe solaire et louis-quatorzien, il convient de voir comment s’esquisse un mythe de la chambre du roi, alors que chambre du roi et centre du château ne se conjuguent en un heureux hasard qu’après bien des errements de la chambre à coucher de Louis XIV.

La chambre est tout d’abord un espace dont l’éclat du décor souligne la majesté du souverain. L’étude des distributions, la distinction ou non entre chambre de parade et chambre à coucher permet de mieux comprendre la place de la majesté royale dans les usages de la cour, sa manifestation et sa représentation. Décor et cérémonial se nourrissent et ne se comprennent bien qu’étudiés ensemble. Le service du roi permet l’étude des gestes et rites du quotidien. Les conflits de préséance et de hiérarchie renvoient une image de la société de cour. De cet « espace de majesté » émergent trois grands axes de réflexion : l’art du décor, l’institution de la Chambre et la vie de cour. Ces champs thématiques sont à traiter ensemble pour dégager toute la complexité et tout l’intérêt de la chambre du roi. À partir de 1684, la superposition entre l’institution, la vie de cour et le château est quasi parfaite. Ce n’est bien sûr pas le cas auparavant. Parler d’espace de majesté pour le Versailles de Louis XIII est un abus, mais il convient d’étudier la chambre du roi avant les travaux de Louis XIV, tout comme l’institution de la Chambre, même en dehors du contexte versaillais. Avec Louis XIV, le château devient une véritable résidence de cour, déployant des distributions intérieures propres à accueillir cérémonies et vie de la famille royale. La chambre est au cœur de ce système, et l’est même spatialement à partir de 1701. Les successeurs de Louis XIV conservent ce parti non sans quelques évolutions et projets. Ainsi, fort de cette approche transversale, il est possible de voir à quoi ressemblaient ces espaces, comment l’on y vivait et quelles étaient leurs fonctions dans l’exercice de la majesté.


Sources

L’étude de la chambre du roi à Versailles nécessite d’abord de prendre en compte l’espace et la décoration de la pièce : cette approche architecturale mobilise des sources variées que l’on peut regrouper en trois grandes catégories : les sources figurées, les sources offertes par le Garde-Meuble de la Couronne et les inventaires de Versailles, ainsi que les éléments livrés par les mémorialistes. Les sources figurées sont celles de la surintendance puis direction des Bâtiments du roi (AN O¹ 1045-2805), dont celles de l’agence du premier architecte du roi. Ces sources se trouvent utilement complétées par d’autres documents du département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France et du Cabinet des dessins du musée du Louvre. Un second pan archivistique est celui constitué par le Garde-Meuble de la Couronne (AN O¹ 3277 à 3671), avec les livraisons et mouvements de meubles consignés dans le journal du Garde-Meuble (AN O¹ 3304-3323) et les différents inventaires des meubles de la Couronne (AN O¹ 3330-3378) et du château de Versailles (AN O¹ 3445-3491). Enfin, la troisième source essentielle est à nouveau celle transmise par les mémorialistes qui décrivent le château et relatent la vie de la cour au jour le jour.

Mais étudier la chambre du roi à Versailles, c’est aussi s’intéresser au lieu de vie du roi et analyser comment la monarchie a mis en place des institutions et un cérémonial au service du souverain et de mise en valeur de la majesté dans son espace quotidien. Il ne s’agit pas d’élaborer une étude institutionnelle ou prosopographique du personnel, mais de souligner qu’un certain nombre de services domestiques sont intrinsèquement liés à la chambre du roi. Il s’agit bien sûr de l’institution éponyme dirigée par le grand chambellan et les premiers gentilshommes de la Chambre, mais aussi de la Garde-Robe, créée par Louis XIV, pour ce qui concerne l’habillement du roi, du département de l’Argenterie, Menus-Plaisirs et Affaires de la Chambre pour les nombreuses fournitures (AN O¹ 2806-3276) et enfin de la Musique de la Chambre, bien que sa fonction de musique de chambre soit très élargie. Les archives des grands officiers ont pour la plupart disparu, mais les archives de la Maison du roi ont subsisté et sont conservées aux Archives nationales (AN O¹ 750-1044), dont celles du grand-maître (AN O¹ 751-819), du grand chambellan (AN O¹ 820-854), du grand maître des cérémonies (AN O¹ 1042-1044). Leurs mémoires et documents de gestion brossent le tableau du fonctionnement quotidien de la Chambre du roi et des services qui s’y rattachent. Enfin, les mémorialistes permettent, grâce à leur expérience du temps et des lieux et leur connaissance de la cour et de son cérémonial, de compléter l’image que l’on se faisait de l’espace de la chambre du roi.


Chapitre liminaire
La situation de la Chambre du roi au Moyen Âge et à la Renaissance


Tout en revenant sur le terme « chambre », sur l’apparition de l’« appartement », sur leurs évolutions et les traditions institutionnelles et auliques, il convient de s’intéresser à l’héritage transmis aux premiers rois Bourbons. En effet, à la fin du Moyen Âge et durant la Renaissance, la cour devient le lieu d’affirmation du caractère politique de l’institution de la Chambre, au départ essentiellement domestique, extension de la maison du roi. L’évolution des usages de cour exerce une influence sur l’architecture des distributions. En effet, déjà dans la cour médiévale s’esquisse une composition verticale dont le roi est la tête. Le sommet est mis en valeur par une sphère intime et restreinte autour du souverain. La camera médiévale, simple pièce des palais mérovingiens et carolingiens, se mue en un appartement continu de cinq à six pièces où la chambre du roi sert de passage entre les espaces publics et les zones de retrait. Mais le mouvement n’est pas linéaire. Si le système est posé, le nombre d’antichambres est fluctuant selon les palais et la chambre à coucher commande un nombre variable de cabinets. Différents partis sont employés : verticalité à Vincennes, double distribution au Louvre. Tout au long du Moyen Âge l’institution de la Chambre se structure comme l’un des principaux départements de l’Hôtel du roi au service direct de la personne du roi. L’héritage médiéval est donc pluriel.

Le xvie siècle tend à isoler le roi en construisant autour de sa chambre un espace sacré renforcé par le cérémonial, tout en maintenant un accès relativement large. L’architecture royale évolue avec les institutions et leur cérémonial. La cour d’Henri III est à ce titre un moment fondateur dans la vie de cour et se trouve au cœur de la genèse de la chambre royale. Sa tentative d’introduire plusieurs antichambres et une étiquette très précise pour le lever et le coucher indispose, mais annonce le xviie siècle qui en hérite et en poursuit la mise en œuvre. Les fonctions et le quotidien de la chambre du roi à Versailles ne peuvent être compris qu’à la lumière de cet héritage du Moyen Âge et de la Renaissance.


Première partie
Les chambres royales à Versailles : du relais de chasse à l’installation de la cour (1623-1684)


Chapitre premier
La chambre du roi dans un château en quête de majesté (1623-1669)

Entre 1623 – date d’édification du premier château de Louis XIII – et 1669 – début des grands travaux entrepris par Louis XIV –, la chambre du roi change plusieurs fois d’emplacement. La première chambre de Louis XIII au premier étage du corps central (1623-1630) s’insère dans un appartement à la distribution assez informelle avec la traditionnelle distinction entre « chambre » et « salle ». Sa décoration et son ameublement en font la pièce la plus riche du château. Mais rien, hormis un dais, ne vient affirmer l’identité du propriétaire. Avec le chantier qui débute en 1631, Louis XIII renonce à occuper l’ensemble du premier étage et introduit une symétrie entre deux appartements de part et d’autre de l’escalier central. Le roi dispose d’un appartement complet avec antichambre, chambre, cabinet et galerie. Sa chambre, dont la surface passe de 36 m² à 60 m², reste un espace habituel par son emplacement et sobre par son décor.

Louis XIV entreprend d’abord des travaux de décoration dans l’appartement, installe un nouveau mobilier d’une grande richesse, avant de le transformer en un appartement de collectionneur en 1665. La nouvelle décoration de la chambre lui donne le nom de « chambre des miroirs ». Mais dès 1666, Louis XIV s’installe au rez-de-chaussée dans l’appartement de sa mère. La chambre du roi commande salon et cabinets et se signale toujours plus par la richesse de l’ameublement et de l’ornementation.

Chapitre II
Entre majesté et confort : les chambres du roi (1669-1684)

Le souhait d’édifier des lieux de fêtes durables pour accueillir la cour et de disposer d’appartements plus vastes pour permettre les cérémonies de la cour entraîne une profonde transformation du château. Après de nombreuses tergiversations, une nouvelle enveloppe ceint l’ancien château de Louis XIII. À partir de ce moment-là, les espaces du roi se multiplient. À chaque appartement du roi correspond une chambre. Au rez-de-chaussée de l’Enveloppe se trouve la chambre de l’appartement des Bains, pièce d’agrément privé et de repos. Au premier étage de l’Enveloppe, au nord, se déploie le grand appartement du roi. De 1670 à 1678 le salon d’Apollon est la grande chambre à coucher du roi. Sa décoration en fait une véritable chambre du soleil. Dans les arrière-cabinets, qui ne servent d’appartement privé que pendant les travaux de la cour de Marbre, aucune chambre n’est prévue. Ces cabinets semblent organisés comme un appartement de collectionneur. Ces pièces sont détruites en 1678 avec l’édification de la galerie des Glaces. Pour respecter la distribution traditionnelle, qui nécessite toujours un cabinet après la chambre royale, la grande chambre de parade du roi est décalée d’une pièce et occupe le salon de Mercure au très riche mobilier d’argent puis, après sa fonte, de bois doré.

Après quelques temps d’hésitation, on conserve le vieux château de Louis XIII. D’octobre 1673 à juin 1674, une fois les grands travaux de l’Enveloppe achevés, Louis XIV entreprend le réaménagement de l’appartement de la cour de Marbre. Sa nouvelle chambre occupe l’emplacement de l’ancien cabinet des filigranes et donne sur la terrasse, avant que la galerie des Glaces n’en prenne la place. Enfin Louis XIV dispose d’une dernière chambre dans l’appartement privé à l’attique de l’Enveloppe, au-dessus de ses arrière-cabinets. L’étude des premières chambres de Louis XIV montre la tension constante entre le prestige d’une chambre de parade et la recherche de l’intimité de chambres à coucher plus privées.

Chapitre III
Les institutions de la Chambre du roi, des Valois à Versailles

La Chambre du roi évolue peu sous les règnes d’Henri IV et de Louis XIII, en dehors du nombre de charges qui se fixe et du retour aux distributions antérieures aux règlements d’Henri III. On peut considérer le règne du dernier Valois comme une parenthèse et insister sur la grande stabilité de l’emplacement de la chambre dans l’appartement du roi. Son accès redevient plus aisé et le protocole réduit. Le roi est le premier gentilhomme et partage sa vie avec le reste de la noblesse. Mais l’espace délimité par les balustres forme un sanctuaire réservé au roi, et la chambre une pièce de cérémonies. Les institutions des Valois perdurent, mais les règles d’étiquette évoluent, au gré de la personnalité et des goûts d’Henri IV et Louis XIII. Services de la Couronne et de la personne du roi se confondent et la patrimonialisation des charges se généralise du grand chambellan aux valets de chambre. Ces officiers, dont les charges n’ont plus de réelle fonction politique, ont la confiance du roi, sont les dépositaires du cérémonial et servent de relais dans la transmission de ce savoir.

La Chambre du roi nécessite des départements domestiques et le cérémonial requis pour le service du roi. Versailles, initialement relais de chasse, n’est pas destiné à accueillir ces différents services ni à être le cadre du cérémonial de la cour. Avec le règne de Louis XIV et en particulier avec l’installation de la cour à Versailles, la chambre cumule les fonctions d’espace de prestige, de cadre pour le cérémonial et de lieu de compétence pour l’institution de la Chambre du roi au personnel nombreux. D’autres départements de la Maison du roi sont concernés par le service domestique voire intime : la Garde-Robe, le Cabinet, la Faculté, les Menus-Plaisirs et la Musique de la Chambre. Par son caractère de service personnel du roi, la Chambre reste un outil politique puissant. Les officiers domestiques de la Chambre, assurés le plus souvent de conserver la charge dans leur famille grâce aux survivances et brevets, sont proches du roi et assurent le faste de son service quotidien. À la mort de Louis XIV, le nombre des officiers domestiques est inférieur à celui des derniers Valois. Le roi a constamment cherché à réduire leur nombre, mais pas celui des serviteurs. La Chambre du roi est un service fastueux, mais maîtrisé et raisonné.


Deuxième partie
La majesté spatialisée (1684-1715)


Chapitre premier
La chambre de 1684 : le brouillage des distributions traditionnelles

Dès l’installation de la cour en 1682, le roi abandonne le grand appartement aux cérémonies de la cour et aux soirées d’appartement. Sa chambre ne joue plus qu’un rôle symbolique, certes important mais purement formel. L’appartement de la cour de Marbre devient son véritable appartement. D’abord cantonné à la partie nord de la cour, cet appartement s’est progressivement étendu à l’ensemble de l’étage. En effet, de 1679 à 1684, la distribution des pièces évolue et marque l’extension de l’espace du roi sur le premier étage de la cour de Marbre. Après des errements, la nouvelle chambre du roi occupe finalement en 1684 l’emplacement de l’ancienne petite chambre de la reine. Le décès de Marie-Thérèse a permis au roi d’accroître son appartement et de le conformer aux nécessités de l’étiquette. La chambre de 1684 sert donc à la fois de chambre de parade et de chambre à coucher. Il rompt avec la symétrie habituelle entre les espaces de la reine et ceux du roi. Mais intrinsèquement Versailles se coule dans la tradition de l’architecture française qui veut des appartements jumeaux ou proches dans leur distribution. La distribution reste en général symétrique. Dans le détail et selon les événements, le roi se permet néanmoins une infidélité envers elle. La chambre de 1684 en est un exemple. En effet des projets de réaménagement du château à la fin du xviie siècle se conforment à un retour à la symétrie.

Un nouvel appartement privé est aménagé à partir de 1678 dans le comble situé au-dessus du cabinet des Termes et du cabinet du Conseil que Louis XIV n’utilise que quelques années avant de chercher d’autres espaces « particuliers » chez Madame de Maintenon ou dans les châteaux et les pavillons satellites de Versailles.

Chapitre II
La chambre de Louis XIV : pièce centrale du château de Versailles

En 1700 Louis XIV décide l’un des derniers grands chantiers, au demeurant limité dans son étendue et sa visibilité, mais très fort symboliquement : le réaménagement de son appartement et l’installation de sa chambre à coucher en plein cœur du château, à la place du salon central, juste à côté de sa chambre de 1684. Les motifs du réaménagement sont essentiellement pratiques et motivés par la vie de cour. L’emplacement choisi, au centre du château et sur l’axe de la course du Soleil, est une position de circonstance, mais devient un symbole fort d’un pouvoir qui se matérialise dans l’espace et s’incarne dans le cérémonial quotidien. L’ancienne structure du salon, d’environ 100 m², est conservée dans une nouvelle harmonie, plus moderne, blanche et or où se mêlent amours, treillages et fleurs ainsi que des symboles royaux, montrant ainsi la vitalité et le renouvellement de l’art décoratif français. L’espace de la balustrade occupe les deux tiers de la pièce et forme le sanctuaire.

La chambre du grand appartement, ou chambre du lit, reste grande chambre de parade où un lit du roi, symbole de la royauté, est dressé en été. Elle sert d’ordinaire pour les soirées d’appartement. Elle ne redevient effectivement logement royal qu’à deux reprises, en novembre 1700 pour le duc d’Anjou, nouveau roi d’Espagne, et en 1701 pour le roi durant les travaux de la cour de Marbre. Enfin, la grande chambre du roi reprend toute sa dimension symbolique lors de la mort de Louis XIV, dont le corps y est exposé.

Chapitre III
La Chambre du roi à Versailles : cœur de la majesté

La chambre du roi accueille une grande partie de la vie de la cour. Le cérémonial et l’étiquette quotidienne y assurent le service des deux corps du roi, sans qu’il soit toujours possible de les distinguer l’un de l’autre. La vie du roi alterne les moments publics de la cour et les temps « en son particulier », mais lorsque le roi s’adonne aux gestes de sa vie quotidienne, il met un point d’honneur à se montrer à ses courtisans. Parmi tout le rituel quotidien de la cour, trois temps particuliers ont pour théâtre la chambre du roi : le lever le matin avec son système de six entrées successives, le dîner dit au petit couvert et le coucher le soir. La chambre accueille également d’autres cérémonies de la cour, dont principalement les audiences des ambassadeurs européens – les ambassadeurs des autres pays étant le plus souvent reçus dans le grand appartement.

À travers la personne du roi, la chambre se mue en véritable chambre de la royauté. En effet il s’agit de l’un des premiers espaces de la cour. Pivot entre sphère publique et privée, elle forme le cœur des distributions par lequel passent toutes les circulations. L’emplacement de la chambre de 1701 le souligne encore. Grâce aux faveurs qu’accorde le roi dans sa chambre, elle est le symbole le plus fort de la structure hiérarchique de la cour et du rôle que les courtisans et la société de cour accordent au rang et aux prérogatives, ainsi qu’à l’étiquette et aux préséances. Mais la chambre du roi devient surtout la chambre de la majesté elle-même. Les traditions iconographiques de la monarchie, la richesse de son aménagement et le respect dû au lit servent à asseoir la majesté royale à travers le roi, et non à magnifier la personne du roi. La majesté et le prestige de la Couronne tirent leur légitimité de Dieu, le roi en est l’usufruitier, c’est donc à lui d’incarner cette majesté, serait-ce au détriment de sa vie privée. La majesté s’exprime là où le roi est. La chambre est l’espace par excellence d’expression de la majesté royale, car la majesté est non seulement visible et incarnée, mais aussi quotidienne, contrairement à une salle du trône. Son cérémonial forme une véritable liturgie politique. Cette liturgie s’inscrit dans le temps, bien sûr chaque matin et chaque soir, mais également au lever de Reims, le matin du sacre, où le lever revêt cette dimension de cycle perpétuel de la monarchie qui perdure.

Enfin, la chambre du roi est aussi celle d’un homme. Louis XIV combine en une seule pièce à partir de 1684 les fonctions de chambre de parade et de chambre à coucher. Les usages s’adressent donc autant à la personne royale qu’à l’individu. C’est un espace au service du « corps physique » du roi, puisqu’elle est pour le roi un lieu de vie, de son service quotidien, de repos, d’agrément, mais également de maladie et d’agonie.

Épilogue
La destinée des chambres du roi au xviiie siècle

Lors de son retour à Versailles, Louis XV occupe la chambre de Louis XIV. En 1738, il s’installe dans une nouvelle chambre à coucher. Il revient à la distinction habituelle entre chambre de parade et chambre à coucher à laquelle Louis XIV avait renoncé. Le lever et le coucher du roi ont toujours lieu dans la chambre de Louis XIV, mais le roi dort dans sa nouvelle chambre. La continuité dans l’ameublement perdure pendant tout le xviiie siècle. Louis XVI restaure fidèlement la pièce en 1785. En revanche le salon de Mercure perd son attribution de chambre. La nouvelle chambre de l’appartement intérieur correspond au besoin d’intimité du roi, notamment grâce à sa garde-robe. Les différents grands projets de Gabriel induisent une nouvelle lecture de l’espace du roi. Ils réintroduisent une symétrie parfaite entre les sphères du roi et de la reine. La chambre du roi est donc bien conçue non comme le centre nécessaire du château, mais comme le nœud de circulation des espaces privés et publics du roi. La centralité de la chambre de Louis XIV n’est qu’une parenthèse, mais une heureuse opportunité pour l’expression architecturale de la majesté.

Le cérémonial de la chambre change peu, mais son sens se perd progressivement. En revanche, les institutions connaissent de nombreuses réformes, en particulier les Menus-Plaisirs et Affaires de la Chambre, ainsi que la Chambre transformée profondément en 1787 pour en faire un service plus rationnalisé. Presque la moitié des charges en est supprimée. À la fin de l’Ancien Régime, malgré la préservation de la chambre de Louis XIV, tel un sanctuaire monarchique, les évolutions architecturales et institutionnelles ne confortent pas la chambre comme le plus important espace de majesté.


Conclusion


Le mythe de la Chambre du roi

La chambre du roi est par nature un espace privé, par fonction un espace public pour la vie de cour et de représentation du roi, et par nécessité un service quotidien avec son personnel dédié, ses règles et sa hiérarchie. Son emplacement dans les résidences royales exprime l’importance conférée à cette pièce qui accueille le lit du roi, symbole de la monarchie et de la justice royale et qui sert de cadre à de nombreuses cérémonies de la cour. L’étiquette en usage et la décoration exaltent et expriment idéalement la majesté royale plus que le roi.

Louis XIV n’a jamais eu de plan déterminé pour installer sa chambre à coucher au centre du château de Versailles. Le plan général tend nettement à la conservation traditionnelle de la symétrie entre les espaces dévolus à la reine au sud, et ceux dévolus au nord au roi. La chambre perd la plus grande part de son intimité pour assurer le prestige du monarque et, à travers lui, de la dynastie. La chambre du roi à Versailles à la fin du xviie siècle est ainsi l’espace où la majesté royale s’exprime devant tous, ce qui en fait l’espace privilégié de représentation de la majesté.

La simultanéité d’un espace exactement central, d’un décor riche et prestigieux que ses successeurs s’attachent à préserver, d’une institution au fonctionnement bien établi et d’un cérémonial précis ont conduit au développement d’un véritable mythe de la chambre du roi. Cette construction idéologique se met en place très tôt, comme le montre la préservation dont la chambre fait l’objet dès le règne de Louis XV. Elle se retrouve au xixe siècle avec la restitution faite par Louis-Philippe en 1834, les parcours de visite qui s’y terminent ou les anecdotes tirées des mémorialistes. Le château semble alors construit autour de la chambre du roi. On oublie que cette organisation résulte d’un des tout derniers aménagements de Louis XIV. La grande restauration de 1980 tente le plus fidèlement possible de redonner un état du xviiie siècle. Mais le mythe perdure, principalement dans la littérature et le cinéma, et s’attache à l’aspect plus privé de la vie du roi et à la position centrale de la chambre de Louis XIV, avec des interprétations plus ou moins décalées.

S’il faut voir dans la chambre un mythe, c’est bien celui d’un espace fixé par le hasard de l’histoire et de l’architecture au centre d’un monde, tel un point d’ancrage, une image de la monarchie et de la majesté du roi.


Pièces justificatives

Inventaires du château de Versailles. — Relation de la mort de Louis XIV et de Louis XV. — État du personnel de la Chambre du roi en 1789.


Annexes

Tableau des effectifs de la Maison du roi au xviie siècle. — Listes des titulaires des principaux offices de la Chambre du roi. — « La Chambre du roi à la veille de la Révolution française » d’après le comte d’Hézecques. — Planches : plans généraux, plans de détail, coupes et élévations, vues, peintures, mobilier et objets d’art, arts graphiques, photographies, les chambres du roi aux xixe et xxe siècles. — Glossaire.