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École des chartes » thèses » 2010

« Passé le Détroit »

le périodique The Studio et la modernité française (1893-1914)


Introduction

En avril 1893, l’homme d’affaires Charles Holme crée à Londres le périodique The Studio. Traduit en français à partir de 1898, ce magazine mensuel est l’exemple original d’une publication bilingue, alimentée par un réseau international de rédacteurs, et diffusée partout en Europe, en Amérique et dans le Commonwealth. Entièrement dévolu aux arts, The Studio fut durablement associé au mouvement de l’Art nouveau : l’importance du thème des arts décoratifs dans le périodique, la pertinence des choix iconographiques en la matière, l’idéologie de la rédaction fortement influencée par les Arts and Crafts, ont favorisé une telle association. Mais la peinture reste le sujet de prédilection de la revue, qui conserve des goûts modérés pendant la période du sommet de sa diffusion, entre 1900 et 1914 – en dépit de la résilience de la revue au-delà de la Première Guerre mondiale.

En abordant l’étude du périodique à travers le prisme de l’art produit en France et publié dans la revue de 1893 à 1914, on peut interroger le rapport de The Studio à la modernité française, dans les contours de l’Art nouveau et en dehors, en tentant d’élucider la spécificité du discours proposé sur Paris par un périodique d’art britannique. Un dialogue se noue entre l’extranéité du point de vue anglais sur la modernité française et le cosmopolitisme fondamental de la sphère artistique fin-de-siècle. The Studio, dans son organisation entrepreneuriale comme dans ses idéaux intellectuels, en est une illustration.

Un examen diachronique des articles et illustrations parus dans le périodique met au jour son immobilisme entre sa date de création et 1914. The Studio s’attache à la défense de l’Art nouveau et d’une modernité picturale de juste milieu dès 1893, mais ne parvient pas à incorporer les innovations des avant-gardes parisiennes dans les années 1910. Une présentation du développement de l’entreprise de presse The Studio entre 1893 et 1914, étayée par une étude précise de son fonctionnement économique et de la composition de sa rédaction, introduit l’étude de la revue : son succès est assuré par l’habileté des stratégies commerciales mises en place dès sa création.


Sources

Des collections complètes de The Studio sont disponibles dans les principales bibliothèques européennes et dans nombre de bibliothèques universitaires françaises. Tous les numéros parus d’avril 1893 à décembre 1914 ont été exploités.

Plusieurs titres de la presse d’art européenne, tels que The Hobby Horse, Jugend, Art et décoration ou la Gazette des beaux-arts, ont été comparés à The Studio. Les tables des matières de The Studio, Art et décoration et la Gazette des beaux-arts, notamment conservées à la bibliothèque des Arts décoratifs, ont également servi à l’étude.

Les bureaux de The Studio ayant brûlé lors de la Seconde Guerre mondiale, seules les archives de son directeur, Charles Holme, offrent des éléments de compréhension concernant le fonctionnement du magazine. Récemment versées à l’Archive of Art and Design du Victoria and Albert museum (Londres), celles-ci constituent un gisement documentaire jusqu’alors inexploité (AAD/2003/10).

Enfin, plusieurs cartons conservés aux Archives nationales, les dossiers de certains collaborateurs membres de la Société des gens de gettres (454 AP) ou le dossier individuel de carrière administrative de Gabriel Mourey (F²¹ 7885), principal correspondant en France de The Studio entre 1895 et 1902, ainsi que quelques documents manuscrits et sources imprimées rassemblés à la Bibliothèque nationale de France, ont permis de tracer la biographie des principaux critiques français ayant collaboré à la publication.


Première partie
The Studio, une revue-monde (1893-1914)


Chapitre premier
La fondation et l’organisation de The Studio

En 1893, Charles Holme s’entoure des spécialistes Lewis Hind et Joseph Gleeson White pour créer à Londres un nouveau magazine consacré à l’art moderne : The Studio, an Illustrated Magazine of Fine and Applied Art. Rapidement évincés, Hind et White laissent le magazine aux mains de Holme, homme compétent, cultivé, et passablement autoritaire, qui conduit son entreprise au succès. Le rôle de ce directeur, minoré par l’historiographie, apparaît fondamental.

Bientôt, The Studio se révèle rentable. La comptabilité lacunaire de l’entreprise, disponible dans le fonds Holme de l’Archive of Art and Design, permet d’observer les progrès d’une entreprise à l’économie saine, nettement bénéficiaire à la fin des années 1890. Les charges faibles, liées en particulier au maintien de la masse salariale à un bas niveau, et le succès public du périodique dans toute l’Europe, expliquent ces bons résultats. Les comptes s’équilibrent grâce aux seules ventes, la publicité assurant un surcroît de chiffre d’affaire.

Chapitre II
Un contexte concurrentiel mais favorable

À la fin du xixe siècle, de nombreuses revues d’art existent, qui semblent autant de précurseurs de The Studio. Mais les progrès importants de l’imprimerie dans le dernier quart du siècle créent un contexte favorable à la nouvelle publication, qui exploite au mieux les techniques récentes.

Imprimé sur un papier industriel de bonne qualité, The Studio séduit les lecteurs avec de belles reproductions d’œuvres en demi-ton et en quadrichromie. L’emploi des techniques de gravure mécanique permet d’allier l’abondance de l’illustration à un prix de vente modique par rapport à celui d’autres titres, qui garantit le succès du magazine. Des rubriques innovantes, la liberté de ton de certains chroniqueurs, le lien privilégié qu’établit le journal avec ses lecteurs, confirment dans les contenus l’impression de modernité qui se dégage de l’aspect de The Studio, et achève de conquérir le public.

Chapitre III
Un programme moderne et fédérateur

Le titre « The Studio » a valeur de programme. Désignant à la fois l’atelier de l’artiste et de l’artisan, il rappelle l’égal intérêt du magazine pour les arts appliqués et pour les beaux-arts, et sa propension à analyser la dimension technique, manuelle, de l’activité artistique. Il invite à pénétrer dans un lieu créatif concret, l’atelier de l’artiste, où le lecteur est directement introduit grâce aux études pratiques sur les arts ; mais il suggère aussi un lieu créatif symbolique, faisant de The Studio la chambre où s’élabore un art neuf.

Contrairement à l’usage, The Studio n’a pas publié de programme dans son premier numéro ; celui-ci avait été auparavant diffusé dans des plaquettes publicitaires, avec pour effet d’aiguiser la curiosité du tout-Londres. Ce programme met l’accent sur la modernité de la publication : modernité de son aspect, modernité des artistes qu’elle soutient, modernité de ses principes directeurs qui, dans l’esprit des Arts and Crafts, valorisent fortement la production décorative.

Chapitre IV
La réception de The Studio

Le magazine a bénéficié d’un accueil extrêmement favorable dans la presse britannique et a exploité ces échos enthousiastes à des fins d’auto-promotion. Son succès public est de même certain. Il n’est pas possible, faute de sources archivistiques fiables, d’évaluer les tirages du périodique ; mais sa présence dans la plupart des bibliothèques nationales du monde occidental prouve son excellente diffusion. Fréquent dans les collections publiques anglaises, il ne l’est pas moins dans les bibliothèques universitaires et municipales françaises. The Studio se prétend lui-même, en 1903, périodique d’art à plus fort tirage dans le monde. Mais si son lectorat est vaste et international, il n’apparaît pas socialement élargi. Malgré son prix modique, le périodique vise, outre les artistes et étudiants en art qui forment assurément une part non négligeable de son public, un lecteur bourgeois éduqué. L’étude des pages de publicités, parcellaire car ces pages ne sont généralement accessibles que dans les collections privées, révèle que les annonceurs s’adressent à un lecteur aisé et curieux, qui dispose de temps libre pour visiter les galeries, prendre des cours de dessin, s’adonner à des loisirs artistiques, et d’argent pour meubler et décorer son intérieur.

Le succès de The Studio semble inspirer de nombreux périodiques d’art. The Connoisseur, créé en 1901, a une grande parenté visuelle avec The Studio ; l’allemand Jugend, qui paraît en 1896, adopte des stratégies commerciales et un positionnement face à l’Art nouveau qui évoquent son prédécesseur britannique ; quant à Art et décoration, il est un véritable épigone du magazine de Charles Holme, au plan matériel comme au plan intellectuel.


Deuxième partie
Physionomies d’un art nouveau : The Studio et la modernité française (1893-1902)


Chapitre premier
La France dans The Studio

La France occupe une place privilégiée dans The Studio. Les lecteurs francophones, courtisés par la traduction française, peuvent lire des articles nombreux et variés traitant des actualités parisiennes et des artistes peintres ou décorateurs français.

Les rédacteurs qui prennent en charge le discours sur les arts produits en France sont essentiellement français. Parmi eux, Gabriel Mourey tient le rôle principal, faisant office de « correspondant-gérant » de The Studio à Paris, envoyant l’essentiel des articles concernant la France et proposant des sujets ou des auteurs à Charles Holme, qui tranche toujours en dernier ressort. Mourey coordonne de plus la traduction française pour le compte de la Société d’éditions littéraires et artistiques, qui publie l’édition spéciale avec traduction française.

Mourey apparaît donc comme une figure centrale dans l’histoire de The Studio en France. Fin connaisseur du monde britannique, des Arts and Crafts et des préraphaélites, angliciste distingué qui traduit Poe et Swinburne, il est le pont indispensable entre Paris et Londres, qui contribue à populariser la modernité anglaise parmi les intellectuels français dans des ouvrages comme Passé le Détroit, la vie et l’art à Londres (1895), fameuse déambulation dans une capitale artiste et interlope.

Chapitre II
Passer le Détroit : commenter l’art français dans une revue anglaise

L’influence des Arts and Crafts et des préraphaélites, bien qu’appartenant à la génération qui précède celle des hommes de The Studio, est déterminante pour le périodique. La valorisation des arts décoratifs comme arts à part entière, la volonté de rupture avec les styles historiques pour inventer des formes modernes adaptées à l’environnement contemporain, l’ambition d’un art total à laquelle ont sacrifié les préraphaélites, sont autant de principes promus par The Studio, qui recherche ces qualités dans la production Art nouveau. Les critiques français anglophiles qui livrent des articles pour le magazine voient dans la Grande-Bretagne la racine de la modernité décorative, et dans les travaux des successeurs de William Morris une forme d’idéal que les décorateurs français leur semblent loin d’avoir atteint. En matière de peinture, l’esthétique préraphaélite, très appréciée des auteurs français, est source d’admiration et guide certains choix de la rédaction.

Dans le même temps, quelques journalistes anglais commentent des expositions d’art français tenues à Londres. Leur constat est moins sévère que celui de leurs collègues d’outre-Manche. Ils valorisent des qualités perçues comme typiquement françaises : un sens de l’harmonie, un classicisme élégant, une rationalité qui sait faire fi du détail savoureux pour mieux produire un ensemble cohérent et grandiose. Ce sont autant de caractéristiques liées à un « génie français » dont Versailles serait la source. Les articles sont guidés par l’idée que l’art incarne l’esprit d’un peuple et d’une nation. L’œuvre est analysée en vertu de ses caractéristiques nationales, sans donner lieu à une rhétorique nationaliste : la comparaison entre la France et l’Angleterre n’est pas prétexte à l’émission de jugements de valeur régis par des préjugés xénophobes.

Chapitre III
De l’art nouveau à paris : The Studio et les arts décoratifs en France

Les critiques français, qui livrent la majorité des articles sur les arts produits en France, plaident pour l’émergence d’un style national cohérent, d’une sorte d’école française d’arts décoratifs. Beaucoup d’espoirs sont placés dans les efforts de Siegfried Bing, dont la boutique est accueillie froidement, mais dont le pavillon à l’Exposition universelle de 1900 recueille tous les éloges. Les décorateurs de l’« Art dans tout », particulièrement Alexandre Charpentier, sont par ailleurs présentés comme les chefs de file des décorateurs français modernes.

L’étude lexicale des adjectifs utilisés par les journalistes révèle quelles sont les conceptions de la revue en matière d’art décoratif. The Studio apprécie les œuvres décoratives simples, logiques, élégantes, dénotant souvent une virtuosité dans la réalisation. L’originalité, lorsqu’elle n’est pas exubérance ou présomption, est une vertu fondamentale. L’ensemble de ces qualités paraît constituer la quintessence de l’esprit français : elles sont communes à toutes les œuvres distinguées par la revue, dans l’idée que l’effort pour la rénovation des arts décoratifs nationaux doit être unitaire, tendre vers un même but, l’invention d’une modernité rationnelle, dans la continuité de « l’âge d’or » des arts décoratifs français, le xviiie siècle.

Indéniablement, la sélection d’arts décoratifs publiée par The Studio mérite le qualificatif d’Art nouveau. Il faut cependant noter que le terme est récusé par la revue, parce qu’il lui semble grouper des artistes aux styles, mais surtout aux talents, extrêmement divers, et parce qu’elle estime qu’aucun art n’est « nouveau », tout art étant inscrit dans une continuité historique. Cette position fait exactement écho à la lecture proposée par le magazine de l’état des arts français : tout en bannissant le pastiche, The Studio récuse l’hypothèse d’une rupture brutale pour soutenir une évolution des arts respectueuse des spécificités historiques de l’art français.

Chapitre IV
Les beaux-arts : une sage modernité

Pierre Puvis de Chavannes et Auguste Rodin sont les deux figures tutélaires de la modernité française. Si le sculpteur laisse peu de place à ses jeunes émules dans les colonnes de The Studio, la mort de Puvis de Chavannes en 1898 permet à une nouvelle génération de s’imposer dans le magazine. Les peintres français y bénéficient d’une admiration sans borne, qui plébiscite la révolution impressionniste comme la réaction classique de Puvis et de ses suiveurs.

Tout en valorisant le symbolisme de la peinture moderne, la revue met en avant sa valeur décorative. Ainsi, bien que la valeur esthétique intrinsèque des œuvres soit louée, la capacité de la composition à s’intégrer dans un environnement spécifique est particulièrement soulignée lorsqu’il y a lieu. Les panneaux et le plafond d’Albert Besnard à « l’Art nouveau Bing », archétype d’un art total soutenu par la revue, sont un exemple de cette peinture décorative, plus souvent admirée dans les édifices publics. L’union entre arts appliqués et beaux-arts que The Studio appelle de ses vœux est réalisée, et une même rhétorique de la simplicité, de l’harmonie, de l’originalité virtuose est employée pour décrire la peinture et les arts décoratifs. La tentation d’englober la peinture et les arts appliqués dans un même mouvement artistique, l’Art nouveau, émerge. La publication d’œuvres picturales très caractéristiques de l’Art nouveau, comme les toiles et aquarelles de Georges de Feure, alimentent cette hypothèse ; mais elle peut être contredite par un clivage rémanent entre les deux sphères des arts, qui ne sont qu’exceptionnellement mêlées dans un même article du périodique.

Chapitre V
Internationalisation de la sphère artistique et cosmopolitisme de la presse fin-de-siècle

La peinture française soutenue par The Studio est sage et consensuelle. Les artistes préférés de la revue sont présents dans les collections publiques, parfois auteurs de grands décors pour des bâtiments officiels ; ils sont aussi soutenus par le réseau élitiste et cosmopolite des salons sécessionnistes et des galeries parisiennes et européennes qui ont pignon sur rue. Le salon de la Société nationale des beaux-arts est le lieu privilégié de découverte de l’art contemporain ; les artistes qui y sont remarqués sont aussi membres de la Société nouvelle, échantillon élitiste de la Nationale qui sous la direction de Gabriel Mourey promeut une modernité cosmopolite – mais dominée par les Français – à Paris et Londres. Tous ces peintres appartiennent en définitive à un « juste milieu international » qui a conquis les marchés et la critique, et dont les meilleurs représentants ont intégré la nécessité de développer des stratégies de carrière internationales.

Il n’est donc pas surprenant que The Studio, aligné sur ces positions modérées, véhicule une image relativement lisse des beaux-arts français. Le magazine est proche des positions d’Art et décoration, avec qui il partage un grand nombre de rédacteurs, et même de la Gazette des beaux-arts, réputée plus conservatrice, ou, dans une moindre mesure, de l’hebdomadaire allemand Jugend.


Troisième partie
Avant-garde et avant-guerre sous l’œil de The Studio (1903-1914)


Chapitre premier
Le renouvellement de l’équipe française : un tournant (1902-1914) ?

En 1902-1903, Gabriel Mourey est écarté au profit d’un critique assez obscur, Henri Fritsch-Estrangin, plus connu sous le pseudonyme d’Henri Frantz. Les deux hommes, qui sont peut-être amis, ont une véritable proximité intellectuelle : Henri Frantz est un anglophile, qui a publié en anglais, voyagé en Europe et a collaboré à des revues françaises et britanniques avant de devenir le « correspondant-gérant » de The Studio.

Entre 1903 et 1914, les personnalités qui livrent des articles au magazine ont des profils semblables à celles qui avaient officié dans la période précédente. Par conséquent, les options esthétiques de la revue concernant les arts français ne se modifient pas. Le soutien à un Art nouveau privilégiant les formes simples et solides demeure, ainsi que la préférence pour les peintres de la Société nouvelle.

Chapitre II
The Studio et la société française contemporaine

The Studio manifeste un certain conservatisme social. Inquiets face au mode de vie urbain, réprobateurs face aux revendications féministes, les critiques paraissent en retrait par rapport à la société contemporaine, affichant un certain mépris pour leurs concitoyens. Cette position fait écho à l’idéal élitiste prôné par les sécessions, et repris à leur compte par les critiques de The Studio. Ceux-ci osent des mots très durs à l’encontre des « foules » jugées stupides et qui ajoutent, selon eux, à l’épaisseur de leur intelligence, la vulgarité de leur sens esthétique et leur absence de sensibilité. Le critique, enfermé dans sa tour d’ivoire, cherche à légitimer sa parole en opposition à celle du profane.

Mais à l’inverse, on estime que cette foule « stupide » doit être éduquée pour produire de beaux objets et soutenir la création moderne. Dans un esprit redevable aux Arts and Crafts, est promue l’éducation des ouvriers, via l’affiche, ou des enfants, grâce à l’édition d’estampes adaptées à un jeune public. Les théories de l’art social s’infiltrent ainsi discrètement dans les colonnes de la revue : la longue étude que consacre Henri Frantz au projet de logements ouvriers d’Augustin Rey témoigne de préoccupations sociales et hygiénistes qui apportent un nouvel éclairage au rapport de The Studio à l’Art nouveau. Ainsi le magazine promeut-il une conception anti-élitiste des arts appliqués modernes, permise par une relecture critique des théories de Morris et Ruskin.

Chapitre III
The Studio à l’épreuve de l’avant-garde (1907-1914)

Dans les années qui précédent immédiatement la Première Guerre mondiale, le décalage entre les positions de The Studio et les innovations des artistes contemporains d’avant-garde paraît de plus en plus net. Perdant progressivement confiance dans les capacités d’innovation des décorateurs français, les critiques se désintéressent du sujet à partir de l’été 1908 et laissent la question des arts appliqués modernes aux nations voisines. En revanche, ils conservent un soutien fidèle au juste milieu pictural, tout en prenant conscience de la nécessité de faire quelques concessions à la jeune garde française.

Alors qu’il ose en 1907 des premiers pas prudents au Salon d’automne, The Studio définit les limites acceptables en termes d’innovation. Acceptant du bout des lèvres de reconnaître l’importance de Cézanne, consacré comme un père de la modernité, tout en refusant de célébrer son « génie », le magazine condamne très fermement les Fauves. L’impressionnisme reste la pointe avancée de la modernité réellement appréciée par la revue, qui en 1912 ne se donne même pas la peine d’évoquer les cubistes, malgré la retentissante polémique qui fait rage en France. Progressivement, The Studio semble même distancé par les sécessions continentales, dont il incarnait pourtant exactement les positions esthétiques à l’orée du xxe siècle.

En revanche, il n’abdique jamais son idéal de cosmopolitisme généreux : seule la guerre vient désorganiser en 1914 le réseau de correspondants germaniques. Auparavant, la revue prend en considération les arts de tous les pays occidentaux – et du Japon – avec une égale bienveillance ; mais lorsque le conflit paraît imminent, la rhétorique nationaliste sourd avec de plus en plus de force. En novembre 1914, peu après la déclaration de guerre, le magazine part en campagne contre les destructions patrimoniales perpétrées par les Allemands en France et en Belgique, alors que l’alliance entre la France et l’Angleterre est célébrée à travers le don d’un ensemble de sculptures de Rodin à la nation britannique.


Conclusion

Durant la période qui débute avec la création de la revue, en 1893, et qui s’achève avec le déclenchement de la Grande Guerre en 1914, The Studio se caractérise par son extrême cohérence. Dès 1893, la revue apporte son soutien à l’Art nouveau : soutien indéfectible, bien que sélectif. On préfère la ligne droite à la courbe, la rationalité à l’excentricité, les formes épurées à la débauche d’ornements. Le magazine prouve ensuite sa fidélité aux décorateurs distingués dans les années 1890, de même que les peintres du juste milieu recueillent encore les éloges enthousiastes de la revue, alors que face aux attaques de l’avant-garde leurs œuvres semblent de plus en plus conservatrices. Le succès économique de la revue ne se dément pas pour autant : The Studio demeure un pont important jeté entre la Grande-Bretagne et le continent, qui diffuse les créations de l’Art nouveau français et des héritiers des Arts and Crafts partout dans le monde.


Annexes

Textes relatifs à The Studio. — Diagrammes et tableaux concernant les contenus de The Studio. — Planches.


Catalogue iconographique

Le catalogue iconographique présente 1059 numéros. Il rassemble un échantillon conséquent d’œuvres françaises : œuvres décoratives, peintures, sculptures, estampes et plans d’architecture. Ces œuvres illustrent les principales études monographiques sur les arts français et sur les salons parisiens. Seuls les artistes français encore actifs en 1893 ont été pris en compte.