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École des chartes » thèses » 2010

Guillaume de Saint-Lô un prédicateur à l’œuvre au xive siècle


Introduction

Guillaume de Saint-Lô fut abbé de Saint-Victor de Paris vers le milieu du xive siècle. Il fut donc à la tête d’une congrégation importante et prestigieuse par ses origines. Mais on sait peu de choses de lui. Mis à part son titre de docteur en théologie et ses dates d’abbatiat, l’essentiel de ce qu’on en a retenu réside en l’existence de sermonnaires de sa main, les manuscrits lat. 14921 et lat. 14949 de la Bibliothèque nationale de France. Si la prédication au xive siècle voit assez peu de transformations, et si l’abbaye de Saint-Victor connaît un prestige moindre qu’aux siècles précédents, les sermons de Guillaume de Saint-Lô n’en méritent pas moins attention. Leur intérêt est lié au caractère autographe des manuscrits, visible aux ratures et aux remaniements, et d’autre part au fait qu’ils mêlent les langues latine et vernaculaire. Ces sermons seront donc abordés moins du point de vue théologique que de celui des méthodes de travail et des modalités de la prédication.


Première partie
Étude critique


Chapitre premier
Étude codicologique

Les manuscrits lat. 14921 et lat. 14949 de la Bibliothèque nationale de France. — Les manuscrits lat. 14921 et 14949 de la Bibliothèque nationale de France proviennent du fonds de l’abbaye de Saint-Victor de Paris. Ils sont tout deux composites, mais le second comporte davantage de sermons de Guillaume de Saint-Lô que le premier. Ils ont été catalogués par Gilbert Ouy dans son édition du catalogue de Claude de Grandrue, bibliothécaire de l’abbaye au début du xvie siècle. La présente étude en donne des notices plus détaillées.

Le manuscrit lat. 14921 est le plus complexe des deux. Il contient pour la plus grande part des sermons, dont des brouillons, ainsi que des sentences morales. Mais la présence d’un traité sur les offices royaux montre bien que la constitution de ce recueil n’obéit à aucune logique thématique mais bien plutôt à des aspects pratiques, le format du papier, l’époque de composition ou de copie. En comparaison, le manuscrit lat. 14949 est bien plus homogène.

Les manuscrits originaux. — Les sermons de Guillaume de Saint-Lô se présentent comme des autographes. De plus, on en trouve en latin et en français. Il est donc possible de comparer la manière d’exprimer les mêmes notions dans les deux langues et pour des publics différents. Indépendamment de la langue utilisée, les différentes occasions de prêche donnent lieu à des séries de sermons très proches les uns des autres, dans leur construction, leurs divisions et jusque dans leur syntaxe même. Ce qui fait leur intérêt, c’est donc la possibilité qu’ils offrent de réfléchir sur les méthodes de travail et le rôle pastoral d’un abbé d’un grand établissement religieux parisien au milieu du xive siècle : comment rassemblait-il et composait-il les textes qui devaient lui fournir le support nécessaire à l’exercice de ses fonctions de prédicateur ?

On s’aperçoit rapidement que les deux manuscrits contiennent des fragments d’un corpus plus vaste, provenant de deux ensembles : un manuscrit folioté de la main même de Guillaume de Saint-Lô, et des cahiers non foliotés. Par commodité, on a donc choisi de définir deux manuscrits : un manuscrit folioté A et un manuscrit non folioté B, même si ce dernier n’a probablement jamais été conçu comme un tout organisé. Leur présentation en est très homogène. Il est donc vraisemblable que la rédaction ait eu lieu dans un laps de temps relativement court. La présence d’une table située au début du manuscrit lat. 14949 précise le contenu du manuscrit A. Les sermons disparus de cet ensemble ne correspondent pas à ceux du manuscrit B et il n’y a pas de sermon commun aux deux manuscrits. Il s’agit donc bien de deux ensembles distincts.

La séparation et la mutilation des deux manuscrits ont certainement eu lieu entre la mort de leur auteur, en 1349, et la fin du xve siècle, puisqu’on sait que les manuscrits actuels existaient alors, d’après l’époque de la reliure du manuscrit lat. 14921 et la présence des deux manuscrits dans le catalogue de Claude de Grandrue. D’autre part, la présence de textes écrits autour de 1400 dans le manuscrit lat. 14921 permet d’affirmer que les manuscrits actuels n’ont pas été constitués avant le xve siècle.

Le contenu des manuscrits A et B. — Le manuscrit A contenait 99 sermons, d’après la table, dont une petite majorité en latin. Or ces derniers ont été bien mieux conservés que les sermons français du même manuscrit. Les sermons conservés du manuscrit B sont majoritairement en français. Ainsi, malgré l’aspect très homogène du corpus, on constate que les deux manuscrits répondaient à deux objectifs différents, le manuscrit A étant le plus achevé. Vu qu’on ne connaît pas la disposition originelle du manuscrit B, si elle a jamais existé, on ne peut étudier les différences des deux ensembles que par les sujets abordés. Les sermons pour la Passion et les Rameaux sont presque exclusivement dans le manuscrit B, ce qui peut expliquer en grande partie la répartition différente des sermons latins et français selon les manuscrits, puisque ces fêtes sont majoritairement traitées en langue vernaculaire. En revanche, ce qu’il nous reste de la prédication monastique de Guillaume se trouve uniquement dans le manuscrit A.

On distingue aussi différents stades d’élaboration des sermons. En effet, il y en a qui sont écrits d’un seul jet, sans relecture. On le voit aux espaces blancs laissés pour l’identification des citations, et qui n’ont pas été remplis. Il y en a d’autres qui ont été relus, complétés, voire annotés dans la marge pour se repérer dans la structure. Enfin, une troisième catégorie, la moins bien représentée dans le corpus, est constituée de ceux qui ont été complètement remaniés, et dont les marges sont couvertes de corrections. Mais cette classification ne permet pas de saisir toutes les nuances. Parfois des parties d’un même sermon semblent avoir été relues, tandis que d’autres, non.

Les sermons retenus pour l’édition. — Les sermons qui ont été retenus pour l’édition doivent permettre d’aborder tous les points de réflexion dont l’intérêt a été souligné. Ils offrent la possibilité d’étudier les méthodes de travail de Guillaume de Saint-Lô, son maniement des concepts en français et en latin, ses sources. À chaque fois, l’ensemble des sermons pour une même fête a été édité. Il s’agit des trois sermons pour le dimanche de la Passion, des cinq sermons pour les Rameaux et des quatre sermons pour le vendredi de la Passion, qui représentent le temporal et la prédication au peuple, ainsi que les quatre sermons pour la fête de saint Victor qui représentent le sanctoral, avec ceci de particulier que s’agissant du patron de l’ordre, ils sont composés avec un soin particulier et n’hésitent pas à évoquer la situation politique du moment, et notamment la guerre de Cent Ans. Quand des sermons se sont révélés d’attribution douteuse, ils ont été édités en suivant la version du manuscrit de Guillaume, pour essayer de comprendre pourquoi il les avait copiés.

Chapitre II
Guillaume de Saint-Lô

Les indications des sources. — L’existence de Guillaume de Saint-Lô est attestée par un certain nombre de documents. Les dates de son abbatiat sont connues : il est élu à la mort d’Aubert de Mailly survenue le 12 avril 1345 et il meurt le 8 juin 1349, déjà âgé.

À la lecture des collations faites par les bibliothécaires sur les manuscrits, on se rend compte qu’ils considèrent réellement Guillaume de Saint-Lô, ancien abbé et docteur en théologie, comme l’auteur des sermons. La seule autre œuvre qui lui soit attribuée et qui ait pu être répertoriée consiste en un hommage versifié à Richard de Saint-Victor édité à la suite des œuvres de ce dernier dans un ouvrage paru chez Jean Petit en 1518.

Guillaume de Saint-Lô n’a laissé aucune trace de ses études universitaires, ni dans le cartulaire de l’Université de Paris ni dans les répertoires de Commentaires bibliques et de Commentaires sur les Sentences.

Par contre, le colophon d’un manuscrit de la bibliothèque de Saint-Victor, conservé à Dresde, à la Sächsische Staats-, Landes- und Universitätsbibliothek, sous la cote P 46, le nomme comme commanditaire, dans un paragraphe qui le montre soucieux de la composition de l’ouvrage en vue de l’instruction des jeunes chanoines.

Essai de reconstitution chronologique. — Ce que nous livrent les sources sur Guillaume de Saint-Lô, comme on pouvait s’y attendre, se résume à peu de choses. Il peut donc être intéressant, pour mieux comprendre le personnage, de reconstituer son environnement.

Si on considère que Guillaume de Saint-Lô est mort à un âge avancé, entre cinquante et soixante-dix ans, il a pu passer entre trente et cinquante ans en religion, les postulants devant avoir au minimum vingt ans, selon les usages de l’abbaye. Il a donc vraisemblablement pris l’habit à Saint-Victor dans les vingt premières années du siècle. Il devait avoir fini ses études ès arts, comme prescrit par la coutume du couvent, mais a dû poursuivre ses études de théologie en même temps. Dans les conditions habituelles du cursus universitaire de l’époque, il peut difficilement être devenu maître en théologie avant 1320, et sans doute n’accéda-t-il à ce grade que plus tard.

L’apport de l’histoire de Saint-Victor. — Les études concernant les deux premiers siècles d’existence de l’abbaye sont bien plus nombreuses que celles que l’on peut trouver pour le xive siècle. Le principal ouvrage qui englobe cette période demeure donc celui de Fourrier Bonnard, rédigé au début du siècle : Histoire de l’abbaye royale et de l’ordre des chanoines réguliers de Saint-Victor de Paris. Les Victorins, au xive siècle, fréquentaient encore l’Université, mais ne comptaient plus parmi ses membres les plus en vue. Cependant, l’époque à partir de laquelle il est probable que Guillaume de Saint-Lô soit entré chez les Victorins correspond au moment où l’abbé Jean de Palaiseau (1311-1329) a beaucoup fait pour le renouveau des études.

Une identité à remettre en cause ?  Malgré le comportement d’auteur de Guillaume de Saint-Lô, plusieurs faits viennent remettre en cause une attribution trop prématurée de certains sermons.

Deux sermons, en particulier, sont de Jacques de Lausanne, sans aucun doute possible. D’autres sont d’attribution douteuse parce qu’on les retrouve dans d’autres manuscrits et que le texte de Guillaume de Saint-Lô comporte des erreurs qui sont davantage des fautes de copie que de composition.

Jacques de Lausanne est un auteur prolifique de l’ordre dominicain. Les deux sermons de lui présents dans le corpus sont le produit d’une simple copie et n’ont pas été remaniés. On peut alors se demander si Guillaume de Saint-Lô ne serait pas allé chercher chez Jacques de Lausanne ce qui lui manquait pour compléter son corpus, puisqu’il n’y a pas de sermon pour la Passion dans le manuscrit A.

Les problèmes d’attribution brièvement exposés ici ne peuvent être complètement élucidés par l’étude de la tradition des textes à travers les répertoires d’incipit. La prise en compte de leur présentation, de leur style et de leur contenu, dans la suite de cette étude, est tout aussi éclairante. Mais, à partir du moment où la notion d’auteur est à ce point niée, il est presque impossible de discerner des attributions précises. Il s’agit au fond de transmettre le message de l’Église, du Christ, et de puiser pour cela aux meilleures sources. Le point central de cette prédication se pose davantage en terme d’influence, d’emprunt, d’intertextualité et d’efficacité du discours qu’en terme de propriété intellectuelle.

Chapitre III
Pour une approche du texte

Après avoir cherché ce que pouvaient nous apprendre les manuscrits et l’histoire sur les sermons édités, il est bon de s’intéresser au texte lui-même, afin de mieux comprendre les méthodes de travail de Guillaume de Saint-Lô, sa manière d’utiliser les Écritures et ses sujets de prédilection.

Texte conservé et prédication réelle. — Il est visible qu’il s’agit pour Guillaume de Saint-Lô de rassembler du matériel en vue de la prédication et non de consigner rigoureusement les textes prêchés. En effet, il copie les sermons d’autres auteurs et en corrige et améliore les textes. Il est cependant très probable que ces pages, nombreuses, contiennent toute la pensée exégétique et les explications scripturaires dont il aimait à se servir dans l’exercice de son ministère. Les notes de relecture et les corrections amènent à penser que Guillaume s’efforçait de porter ses textes à une plus grande perfection à l’aide d’ajouts personnels, ou de sources pastorales différentes. L’ensemble des sermons se présente donc pour une large part comme une compilation, dans laquelle le scripteur laisse sa marque essentiellement dans sa manière d’agencer les sources.

Pour un certain nombre d’occasions liturgiques qui ne reviennent qu’une fois dans l’année, il y a un grand nombre de sermons. Tous n’ont donc pas pu donner lieu à un prêche réel durant la durée de l’abbatiat de Guillaume de Saint-Lô. Il est donc certain qu’il y a des sermons modèles et que Guillaume de Saint-Lô a commencé à prêcher avant son élection.

Les citations bibliques sont souvent issues des textes lus au cours de la messe du jour, ou de manière plus générale, au cours de l’année liturgique. L’auteur utilise un très grand nombre de références, de l’Écriture comme des Pères, voire même d’auteurs païens comme Ovide et Aristote, qui sont presque toujours annoncées comme telles et qui participent à la formation des fidèles, à la vulgarisation théologique ou à l’illustration des différents passages du récit, pour marquer l’imagination et le cœur des auditeurs. Il lui faut montrer que le discours n’est pas le produit d’une personne, le prédicateur, mais de l’institution qu’il représente et qui représente elle-même le Christ.

La bibliothèque de Saint-Victor était très riche, dès cette époque, et offrait au prédicateur un grand nombre de textes dont il pouvait avoir besoin. Malgré les vœux de pauvreté que Guillaume a dû prononcer et qu’il devait s’efforcer de suivre, il ne serait pas étonnant, à cause de sa position d’universitaire et d’abbé, qu’il ait possédé quelques livres à lui. En tout cas, on a pu lui en prêter. Guillaume montre une très grande proximité avec la spiritualité cistercienne et avec saint Bernard. C’est le climat culturel dans lequel baigne Saint-Victor, et de manière générale toute la prédication de la fin du Moyen Âge. On remarque aussi une présence significative de citations d’auteurs victorins. Il arrive également que les grandes figures de la scolastique soient citées, saint Thomas d’Aquin, saint Anselme en particulier, ainsi qu’Aristote. L’œuvre montre ainsi un certain équilibre entre une formation universitaire et la culture monastique largement partagée par les Victorins. Cela correspond aux efforts qu’ils faisaient en ce sens à cette époque.

Les références produites par Guillaume de Saint-Lô ne sont jamais totalement inattendues. Mais elles se distinguent par un assez grand nombre d’auteurs. À plusieurs reprises, le prédicateur n’utilise pas directement la source qu’il cite, et qui demeure introuvable telle quelle dans les éditions modernes. Parmi ses sources figurent des homéliaires, des recueils de sermons et des œuvres de compilation, les Sentences de Pierre Lombard, le Speculum majus de Vincent de Beauvais, le Tractatus de diversis materiis praedicabilibus d’Étienne de Bourbon ou le Manipulus florum, de Thomas de Hibernia. D’autre part, un certain nombre de citations n’a pu être identifié que par la Légende dorée, de Jacques de Voragine.

Son style vivant s’appuie sur de nombreux emprunts à l’histoire naturelle. Les auteurs latins de l’Antiquité sont peu nombreux, et ceux qu’il privilégie sont des auteurs d’historiettes facilement utilisables comme exempla. De plus, on peut rapprocher son écriture par certains aspects du genre théâtral, auquel il emprunte des traits.

Le rapport au public. — Le prédicateur garde pour son discours une marge de manœuvre qui s’exprime dans les divisions et les phrases qu’il refuse de développer ou de terminer. Cela devait parfois correspondre au contenu de son discours prêché, mais aussi laisser de la place pour l’improvisation ou pour des développements qu’il connaissait par cœur. C’est donc une œuvre constamment en devenir, à retravailler en permanence, à l’exception des prêches à destination des chanoines, contenus dans le manuscrit A et qui forment des unités cohérentes et unies.

Les sermons édités sont marqués par l’expression orale. Mais cela est sans doute lié avant tout au genre et non au fait qu’ils aient été prononcés. On voit à la fréquence des phrases et expressions abrégées, des ajouts laissés à l’appréciation du prédicateur, ainsi que des indications qu’il s’adresse à lui-même, qu’il consigne ses sermons pour mémoire, afin de s’en servir ultérieurement. Il doit penser à son propre usage en priorité, et non à la postérité de son œuvre et à la possibilité d’utilisation par d’autres chanoines.

Les traces d’implication personnelle sont rares. On trouve cependant quelques jugements de valeur introduisant des citations, souvent pleines d’exclamations, d’énumérations et d’émotion.

Selon les conceptions de Guillaume de Saint-Lô, le rôle du clerc vis à vis du laïc s’articule en deux volets, l’instruction par la parole et par l’action. Dans les sermons de la Passion tout particulièrement, le modèle de prédicateur est le Christ. Cela est largement illustré et démontré par des citations patristiques. Mais bien que Guillaume de Saint-Lô présente le clerc comme celui qui doit faire entendre les mystères aux laïcs, mais non les faire comprendre en touchant leur intelligence, il aborde plusieurs fois des points théologiques difficiles.

Les exempla sont utilisés comme instruments de la pastorale, destinés à fixer l’attention et édifier, mais non pas à instruire. Souvent très courts, très souvent simplement désignés, sans être rédigés, on les trouve principalement dans les sermons français. Des remarques d’une phrase sur des principes de la nature, ou sur les habitudes dictées par le bon sens, sont nettement majoritaires par rapport aux exempla développés. Le prédicateur évoque aussi des traits de la société de son temps, souvent pour la dénoncer, comme la fréquentation de la taverne, sans qu’il s’agisse véritablement d’historiettes moralisantes. C’est pourquoi le monde qu’il décrit est modelé par des divisions intellectualisées, comme par exemple les sept péchés capitaux.

Les sermons dénoncent davantage des vices que des groupes de personnes, mis à part celles qui par leur état de vie, y sont plongées : les usuriers et les taverniers. La spiritualité religieuse victorine est la même que celle qui est proposée aux fidèles, et sur ce point, on constate peu de différence entre les deux catégories de sermons. Il est certain que le public visé change le niveau de rigueur morale prêché, mais non pas les vertus qui y sont attachées. La seule particularité des sermons au peuple réside dans les quelques indications pratiques pour la prière, le combat spirituel ou la confession.

Le prédicateur joue sur les moyens oratoires, questions qu’il pose à intervalles réguliers pour susciter l’attention des fidèles ou dialogues fictifs entre lui et la personne qui pourrait opposer des arguments à ses affirmations. On reconnaît d’ailleurs là l’influence de la méthode scolastique et de la formation universitaire. Le texte des sermons est souvent assez vivant, ponctué d’exclamations. Le discours direct est régulièrement employé, à l’occasion de petits dialogues fictifs entre le prédicateur et son auditoire.

Ni les idées, ni les divisions, ni les citations, ni le contenu théologique des sermons ne présentent de véritable originalité. Le but de Guillaume de Saint-Lô n’est pas de créer, mais plutôt d’agencer. Ainsi, son objectif est de structurer des éléments bien connus et largement répandus dans les manuels et les recueils de sermons modèles afin de participer à la vaste entreprise de communication de masse de la fin du Moyen Âge. Ses deux manuscrits s’inscrivent dans un mouvement de réutilisation et de rénovation continue d’un matériau préexistant. C’est pourquoi les cadres d’analyse de la vie de ses contemporains peuvent paraître en décalage avec la réalité. Ce sont les catégories des lettrés qui régissent le contenu du prêche, et non l’état réel de dépravation des fidèles auxquels il s’adresse.

Caractéristiques d’écriture. — On peut relever un certain nombre de traits graphiques venant de Normandie. Il est visible que les graphies varient selon les sermons, ce qui doit être dû au fait qu’elles n’étaient pas fixées, comme l’atteste l’étude de celles des humanistes parisiens de cette époque, mais découle aussi de la pratique de la compilation. Certaines graphies coexistent dans les mêmes pages, mais d’autres sont propres à certains sermons.

Le travail sur le texte. — Le premier sermon pour le dimanche de la Passion et le troisième sermon pour les Rameaux ont une partie de leur texte commune. Cette partie n’est pas totalement identique, du point de vue de l’expression et des graphies. En étudier les différences peut permettre de mieux comprendre les méthodes de travail de Guillaume de Saint-Lô. Il semble que la version du sermon in Ramis palmarum III, remaniée, soit antérieure à celle du dimanche de la Passion. Le passage considéré est plus long dans ce dernier. On y note un plus grand soin des détails et l’introduction systématique d’un exemplum pour illustrer chaque péché dont il est question. En certains endroits, le texte diffère totalement, ce qui montre que la volonté du scripteur n’était pas de recopier, mais d’arranger, d’améliorer la construction et l’expression.

Le maniement du latin et du français. — Guillaume de Saint-Lô cite systématiquement ses sources en latin. Puis, soit il consigne sa traduction à la suite, soit il se contente de la mention « gallice ». Comme dans la liturgie, la Parole divine est toujours dite en latin et parfois traduite pour que l’auditoire la comprenne ; de même, les citations bibliques que fait Guillaume de Saint-Lô sont toujours en latin, sauf quand il s’agit des paroles prononcées lors du récit de la Passion, dans des sermons qui reprennent la chronologie des Évangiles et se développent d’une manière plus proche des Bibles historiales que de l’office liturgique. Dans la plupart des sermons en français, on trouve des indications latines, en particulier des notes pour le prédicateur. Il est donc assez probable que la rédaction du texte ait eu lieu directement en français.

Les divisions des lemmes sont toutes différentes, soignées et recherchent des effets sonores. En latin, ceux-ci se fondent sur la syntaxe et les déclinaisons qui produisent facilement des assonances et forment alors un parallélisme parfait. En français, le but recherché, quand la division a déjà été donnée en latin, est davantage de fournir une explication que de donner une version vernaculaire de celle-ci. Mais cela n’empêche pas l’auteur de produire des rimes, qui sont alors originales et non calquées sur le latin. Ce mouvement trouve son aboutissement dans la rédaction de véritables strophes poétiques, qui, d’après les résultats des investigations dans les bases de données, ne sont pas empruntées à des œuvres préexistantes, mais composées spécialement pour le sermon.


Conclusion

Au cours de cette étude, il a fallu bien vite abandonner la notion de sermons autographes ou d’œuvre originale pour considérer l’ensemble des textes de manière globale, même si la quantité importante de sermons contenus ici a conduit à se cantonner à certaines occasions. Ainsi, se révèle le travail d’un prédicateur semblable à beaucoup d’autres, qui compile au moins autant qu’il n’écrit.

De ce fait, l’étude du maniement des concepts en français et en latin est forcément faussée, puisqu’on ne sait jamais exactement quel est le degré d’intervention sur le texte ou sur l’idée, la figure, la division que le prédicateur utilise. Cela explique la grande diversité qui existe entre les sermons dans leur présentation interne. Mais on remarque tout de même une certaine homogénéité, qui offre d’ailleurs la possibilité d’identifier les écarts avec ce qui pourrait constituer un style habituel qu’on soupçonne plus qu’on ne le définit.

On voit que Guillaume de Saint-Lô a des exigences différentes vis-à-vis des fidèles et vis-à-vis des chanoines, non pas par rapport à l’idéal de vie qu’il propose, mais surtout sur le niveau de rigueur morale qu’il demande. Ainsi, des clercs, il ne stigmatise que les attitudes de certains prélats, alors qu’il condamne un certain nombre d’occupations des laïcs. Il s’agit pour ces derniers de se maintenir dans le droit chemin pour parvenir au salut, mais pour les premiers, il faut également être capable d’y entraîner les autres. Pourtant, il n’a pas d’autre voie de sainteté à proposer aux laïcs que celle de la contemplation, ce qui est particulièrement visible à la manière d’utiliser le récit de la Passion en une série de méditations, entrecoupées d’exhortations à vivre droitement.


Édition

L’édition donne le texte de seize sermons choisis plus haut, selon la version de Guillaume de Saint-Lô. Elle est suivie de quatre index, le premier pour les citations bibliques, le deuxième pour les références aux Pères de l’Église et à d’autres auteurs, le troisième pour les notions et le dernier pour les mots rares. Suit une liste des exempla.


Annexes

Reconstitution du manuscrit folioté, d’après la table contenue dans le manuscrit lat. 14949. — Liste des cahiers du manuscrit non folioté. — Sept photographies.