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École des chartes » thèses » 2010

Leipzig : mythes, lectures et relectures d’une bataille napoléonienne en France et en Allemagne (1813-1871)


Introduction

La défaite de Waterloo a symbolisé la fin de l’espoir que certains avaient associé à Napoléon, la bataille de Leipzig a représenté l’écroulement de sa puissance et de son aura. Défaite majeure subie par l’empereur, elle a marqué la fin de la domination française en Allemagne. Cette étude cherche à montrer comment ce revers a été employé pour dénigrer l’image de Napoléon ou au contraire pour servir sa légende dorée. L’enjeu a été de permettre d’entrevoir comment l’une des plus importantes confrontations de cette époque a été interprétée et comment elle a été récupérée par les discours politiques français ou allemands. Cette comparaison est l’un des axes majeurs de ce travail qui met en exergue les mécanismes allant de la réception de la nouvelle de la défaite à la reconstruction d’une image de cette confrontation. L’élaboration de cette représentation de la bataille s’est effectuée par divers supports tels que les mémoires de soldats, les ouvrages des historiens, les gravures ou les caricatures. En France, la lecture de la bataille s’est construite progressivement jusqu’à la chute d’un autre Bonaparte. En Allemagne, le récit de la confrontation a de plus en plus été soumis aux ambitions politiques du royaume de Prusse qui a contribué à générer l’image mythique des guerres de Libération et n’a pas hésité à faire évoluer la perception de ces journées dans un sens plus favorable à sa cause. Malgré cette opposition apparente entre une défaite dont il importait de défendre le caractère glorieux et une victoire considérée comme équivalente à un triomphe sans précédent, les deux interprétations de la bataille qui se sont développées de part et d’autre du Rhin entre 1813 et 1871 ont été liées. En fonction du contexte politique, les tensions concernant cet événement ont été plus ou moins fortes. Événement complexe par son déroulement, la bataille de Leipzig l’a aussi été par ses lectures.


Sources

Les sources de cette étude sont le reflet des multiples vecteurs qui ont contribué à la formation progressive d’une représentation de la bataille de Leipzig. Les sources manuscrites ont permis d’appréhender la manière dont les résultats de cette bataille furent abordés dès les jours qui l’ont suivi. Il s’agit notamment des instructions transmises par Napoléon à ses ministres sur la conduite à tenir ou des observations des représentants diplomatiques français auprès des cours allemandes. Ces sources proviennent de fonds conservés en France, essentiellement dans les dépôts des administrations centrales de l’État dont les acteurs ont été les premiers à réagir face à l’annonce de cet échec. Aux Archives nationales, le fonds de la Secrétairie impériale (AF IV) et les versements des ministères (F1c, F18 et F¹⁹) ont été exploités. Les fonds du Service historique de la Défense concernant le Premier Empire (C) et le dépôt de la Guerre (3 M) ont été consultés. Aux archives du ministère des Affaires étrangères, les fonds concernant les affaires politiques et notamment la correspondance politique des ministres plénipotentiaires français qui se trouvaient auprès des princes allemands ont été utiles pour comprendre le regard porté par les Français sur la manière dont les Allemands célébraient la bataille. Mais le premier écho de la bataille a aussi été perceptible dans des documents plus personnels comme les lettres du général Marchand conservées aux Archives nationales (275 AP). En outre, les premiers éléments qui ont contribué à construire l’image de Leipzig ont été propagés par la presse en France ou par les multiples périodiques nationalistes qui sont parus en Allemagne avant la fin des années 1810.

Parmi les sources de cette étude, il faut aussi distinguer celles qui ont été soumises au contrôle des autorités et qui ont correspondu à des tentatives de représenter l’événement de manière à servir des intérêts particuliers et les sources qui se sont davantage éloignées de ces considérations politiques comme les mémoires de soldats ou les récits de témoins de la confrontation. La représentation des combats s’est aussi appuyée sur les récits des historiens, mémorialistes ou publicistes français et allemands conservés à la Bibliothèque nationale de France (BNF) ou la Sächsische Staats-, Landes- und Universitätsbibliothek de Dresde.

Enfin, la bataille de Leipzig a été une source d’inspiration pour les caricaturistes, les auteurs ou les peintres qui se sont emparés de ces combats afin de dénoncer « l’ogre corse » mais aussi pour glorifier l’attitude des soldats des deux camps ou le caractère supposé surnaturel de Napoléon. Les œuvres de ces artistes ont contribué à la représentation de cet affrontement et sont notamment présentes dans les collections Hennin et de Vinck de la BNF ou dans les collections iconographiques du musée historique de la ville de Leipzig.


Première partie
L’annonce de l’événement et ses premières interprétations (1813-1820)


Tome premier, Leizpig, inscription d’une défaite dans la légende napoléonienne en France (1813-1871)

Le premier tome s’attache à montrer les moyens qui ont été mis en œuvre afin d’élaborer la représentation de la bataille de sa réception à son inscription dans le cadre de l’épopée napoléonienne.

Chapitre premier
Diffusion et réception de la nouvelle

La bataille de Leipzig n’a certes pas été un coup de tonnerre dans un ciel serein, elle a porté atteinte à un régime qui avait déjà été ébranlé par des victoires en demi-teintes voire par des échecs. Dès lors, à la fin de l’année 1813, Napoléon a tenté de limiter l’impact de son échec afin d’encourager la France à se mobiliser derrière lui. Les articles des Nouvelles officielles de la Grande Armée ou les discours des autorités ont contribué à ancrer certains thèmes concernant la responsabilité des anciens alliés de la France dans la défaite.

Chapitre II
La bataille dans la légende noire

Après la fin de l’Empire, la bataille de Leipzig est devenue un argument de poids pour tous ceux qui n’avaient cessé de nourrir une certaine rancœur à l’encontre de celui qui fut désormais appelé « Buonaparte ». Les pamphlétaires et les caricaturistes usent de la référence à la bataille pour dénoncer « l’ogre » tout en prenant soin d’éviter d’éveiller la susceptibilité de l’Armée qu’il convenait de rallier au régime de Louis XVIII.

Chapitre III
Premières histoires, premières mémoires

À partir de 1817, des témoins des événements qui se trouvaient dans les plaines de Saxe en octobre 1813 ont publié leurs propres récits de la bataille afin de rectifier certaines affirmations. La confrontation a aussi fait l’objet d’études de militaires qui ont voulu non seulement comprendre ce qui avait entraîné l’échec de Napoléon, mais aussi défendre l’honneur de la Grande Armée.


Deuxième Partie
La bataille à travers les mémoires de soldats (1820-1871)


Chapitre premier
Les récits des mémorialistes

Un corpus de textes de mémorialistes a pu être établi à partir des travaux de Jean Tulard et de Jacques Garnier. Parmi les soldats qui ont été présents en Saxe en 1813, tous n’ont pas accordé la même importance à la bataille de Leipzig, mais chacun d’eux a été marqué par la nature de la lutte qui fut menée et par l’intensité des combats. L’analyse du corpus a permis de souligner certaines similitudes entre les récits de ces hommes et aussi de mettre en lumière l’influence des autres publications et du contexte politique sur la manière dont ils ont pu relater les événements.

Chapitre II
La perception des combats

Les mémorialistes n’ont pas pu comprendre le déroulement des combats sur un champ de bataille aussi vaste qu’à Leipzig. De fait, ils ont été marqués par certains épisodes précis qui varient en fonction de leurs propres expériences. Ces éléments entraînent des différences dans la manière dont ils ont pu vivre la confrontation avec leurs adversaires ou le jugement qu’ils ont pu porter envers Napoléon ou envers le comportement des troupes saxonnes.

Chapitre III
L’objectif du baron Fain : réhabiliter l’image de l’empereur

Parmi les mémoires publiés au sujet de la campagne de 1813, le récit du baron Fain se distingue par l’influence qu’il a pu jouer sur l’élaboration d’une représentation de la bataille de Leipzig, non seulement en France mais aussi en Allemagne. Son récit a contribué à mettre en lumière certains épisodes et à redorer l’image de Napoléon.

Chapitre IV
Des lectures variées de la bataille

Les récits des témoins de la bataille se singularisent parfois par des prises de positions particulières au sujet de Napoléon, de certains maréchaux ou de l’armée. Des Français qui se trouvaient dans les rangs de la Coalition ont d’ailleurs cherché à glorifier la victoire sur Napoléon tout en cherchant à préserver l’honneur de l’armée française.


Troisième partie
Représentation de la bataille en France (1820-1871)


Chapitre premier
Leipzig, objet d’histoires

À partir des années 1820, dans le contexte de la publication du Mémorial de Sainte-Hélène et des ouvrages de Norvins, la bataille de Leipzig fait l’objet de relectures de la part d’historiens qui choisissent de défendre des thèses qui servent ou déservent la légende napoléonienne. En outre, la confrontation devient un événement incontournable dans les ouvrages qui cherchent à diffuser l’image de la vaillance de la Grande Armée au sein de la population avide de connaître l’épopée du « Petit caporal ».

Chapitre II
Représenter la bataille

Progressivement l’évocation de ces combats devient l’une des étapes du récit de la chute de Napoléon. C’est dans cette optique que les écrivains y ont fait référence afin de démontrer l’importance de cette confrontation sur le destin de l’empereur, mais aussi pour dénoncer certains des aspects d’un règne qui fut marqué par des guerres incessantes. D’autre part, la lutte titanesque qui eut lieu en Saxe est devenue glorieuse et a été portée au crédit de la Grande Armée dans des aquarelles commandées par le Dépôt de la Guerre afin d’illustrer les campagnes impériales.

Chapitre III
Une image qui se fixe ?

Après le Retour des cendres et la publication de l’Histoire du Consulat et de l’Empire par Thiers, l’image de la bataille de Leipzig semble se fixer en France. En effet, certains des épisodes relatés par les mémorialistes ou les historiens depuis 1813 sont repris et contribuent à former une représentation des combats qui cherche à défendre l’honneur des Français et de leurs chefs qui auraient été les victimes d’une trahison.


Quatrième partie
L’écho de la bataille en Allemagne (1813-1819)


Tome second, La bataille de Leipzig en Allemagne, développement d’un mythe (1813-1871)

Ce tome a cherché à démontrer la manière dont la bataille de Leipzig devenue « Bataille des nations » a été exploitée dans le cadre de la construction progressive d’une image mythique des conflits qui avaient mis fin à la domination napoléonienne sur l’Europe.

Chapitre premier
Des premières lectures orientées

L’annonce de la nouvelle de la victoire remportée sur Napoléon s’effectue dans une atmosphère particulière. Les rapports militaires des armées coalisées sont les premiers à rapporter des détails sur l’événement. Déjà des différences apparaissent entre ces relations en fonctions des intérêts particuliers du royaume de Prusse, de l’empire autrichien ou du royaume de Suède. De nombreux périodiques diffusent ces informations mais ils publient également des témoignages qui soulignent l’intensité des combats qui firent rage dans les environs de Leipzig.

Chapitre II
Un objet de récupération multiple

Dès novembre 1813, les suites possibles de la bataille de Leipzig sont soumises aux intérêts parfois contradictoires des princes et des nationalistes allemands. Ces derniers cherchent à s’emparer de l’événement pour exprimer leur rejet de la France et de Napoléon dans des caricatures et des gravures qui visent à glorifier la valeur des Allemands et à les pousser à se réunir.

Chapitre III
La nécessité de lutter contre l’oubli

Les nationalistes allemands sont rapidement conscients de la nécessité d’entretenir l’atmosphère qui a suivi l’annonce de la défaite de Napoléon. Dès lors, la bataille de Leipzig fait l’objet d’importantes fêtes commémoratives en 1814 et de nombreux projets de monuments. La fête de la Wartburg de 1817 marque un tournant : les monarques allemands décident alors de mieux contrôler les discours qui pouvaient être tenus au sujet des Guerres de libération.


Cinquième partie
Une signification plus complexe : entre histoire et mythe (1819-1871)


Chapitre premier
Une image disputée (1819-1863)

À la suite de l’intervention des princes allemands, le souvenir de la bataille de Leipzig et des guerres de Libération est désormais détourné au profit du pouvoir que les diverses dynasties ont pu exercer dans leurs États. Les rois de Bavière ou de Prusse se servent de la référence à cette période pour consolider leurs trônes. Mais la confrontation nourrit également un débat entre stratèges de part et d’autre du Rhin, chacun tentant de défendre l’honneur de son camp. À partir des années 1840, après la crise du Rhin et la montée de revendications nationales, la bataille de Leipzig fait l’objet de relectures visant à l’élever au rang de mythe de la naissance de la nation allemande : dès lors Bavarois, Saxons, Prussiens, Hessois, Badois se seraient unis en 1813 afin de se libérer de la domination française.

Chapitre II
Un regain d’intérêt (1863-1871)

En 1863, la commémoration du cinquantième anniversaire de la bataille donne lieu à une importante fête organisée à Leipzig. Elle marque l’occasion de réunir des vétérans et d’inaugurer de nombreux monuments, mais elle illustre aussi l’ambition de la Prusse de se placer à la tête d’un mouvement dont l’aboutissement serait la réunion des Allemands au sein d’un même État. De fait, la bataille est érigée au rang de mythe servant de source d’inspiration aux artistes désireux de louer la valeur des soldats ou d’apporter leur contribution à la légende napoléonienne.

Chapitre III
La bataille dans les mémoires et souvenirs (1819-1871)

En Allemagne, les soldats de la Coalition ou les habitants de Leipzig ont aussi voulu partager leur expérience des combats. Un recueil de témoignages a notamment été publié en 1863 dans le cadre des commémorations par une association dont l’objection était de préserver le souvenir de ces événements.


Conclusion

Lorsque l’on songe à Napoléon, il est sans doute plus aisé de s’imaginer le général d’Italie ou l’empereur qui avait bénéficié du « Soleil d’Austerlitz » plutôt que de se représenter ses défaites et notamment celle de Leipzig. Pourtant, en France cette confrontation s’est inscrite dans le récit de la chute de Napoléon entre les neiges de Russie et l’embarquement sur le Bellérophon. En effet, Leipzig n’est pas apparue comme une défaite honteuse dont il aurait été préférable de taire jusqu’au moindre souvenir, ni comme l’un de ces grands revers de l’histoire de France qu’ont été Azincourt, Pavie ou Waterloo. Au cours du xixe siècle, le récit de la bataille de Leipzig s’est peu à peu construit à partir de témoignages, des textes des relations officielles ou des rapports militaires. Sur les deux rives du Rhin, la défaite a servi l’image de Napoléon construite par sa légende. Après les quelques années où il a été dénoncé comme un tyran sanguinaire, l’évocation de la confrontation d’octobre 1813 a servi sa gloire. En effet, en France, la défaite ne pouvait être du fait de l’empereur ; on l’imputa donc à l’explosion prématurée du pont, au manque de munition ou à la défection des Saxons. En Allemagne, alors même qu’il s’agissait d’une victoire, des interrogations se sont développées afin de comprendre comment Napoléon avait pu être vaincu, tant cela semblait impensable. Ce qui se traduisit d’ailleurs par une production iconographique qui le mettait en valeur, mais qui a aussi souligné le courage et la témérité des troupes qui ont combattu dans ces plaines. La représentation de la bataille de Leipzig a donc été soumise à de nombreuses relectures qui ont varié en fonction du contexte politique. Son champ de bataille est rapidement devenu un véritable lieu de mémoire, site symbolique de la naissance de la nation allemande dont les régimes qui se sont ensuite succédés ont cherché à récupérer le souvenir.


Pièces justificatives

Poèmes. — Chansons. — Deux lettres du général Marchand à sa femme.


Annexes

Liste des mémorialistes publiés en France. — Documentation iconographique  : caricatures, gravures, esquisses de projets de monuments commémoratifs. — Graphiques. — Cartes.