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École des chartes » thèses » 2010

Le consulat français de Catalogne (1679-1716)

Une institution en construction


Introduction

La question consulaire a été abordée par l’historiographie suivant trois perspectives successives : les juristes ont étudié les consuls pour légitimer leur entrée dans le corps diplomatique, les orientalistes les ont étudiés pour les écrits qu’ils ont laissés notamment sur le Moyen-Orient et, plus récemment, les historiens se sont intéressés à eux pour travailler sur la diffusion des pratiques culturelles et commerciales. Ces derniers sont revenus essentiellement sur les consulats du Levant dont les origines sont plus lointaines, les problématiques nombreuses et la documentation abondante, et ont privilégié le xviiie siècle, époque à laquelle l’institution consulaire atteint sa pleine maturité.

Pourtant, l’institution connaît une prise en main progressive par la royauté au xviie siècle, avec, en point d’orgue, la transformation de l’office en commission et sa définition par l’ordonnance de la Marine de 1681. Les consulats français d’Espagne, sous tutelle royale à partir du début de ce siècle, revêtent un intérêt tout particulier par le rôle qu’ils jouent pour la protection du commerce interlope vers les Indes. Ce rôle s’accroît après le changement dynastique de 1700, date à partir de laquelle Jérôme de Pontchartrain, secrétaire d’État de la Marine, réorganise et réforme en profondeur les consulats français d’Espagne par l’intermédiaire de son envoyé à Madrid de 1701 à 1709, François-Ambroise Daubenton de Villebois.

Parmi ces consulats français, celui de Barcelone s’inscrit dans une situation politique particulière : l’attitude des pouvoirs locaux vis-à-vis de la royauté espagnole est le plus souvent conflictuelle et se manifeste dans l’opposition entre la généralité de Catalogne et le vice-roi, capitaine général de la province nommé par le roi. Le consul, ne pouvant agir que par l’intermédiaire de ces institutions pour régler les conflits touchant les Français et pour défendre les privilèges de la nation, doit inscrire son action dans ce rapport de force. Or, s’il y parvient dans une Espagne habsbourgeoise, paradoxalement, le changement dynastique vient troubler le jeu quand la Catalogne s’oppose à la politique bourbonienne et finit par choisir le camp de l’archiduc Charles face à Philippe V. Le consulat connaît une longue période d’errance avant d’être complètement réorganisé, parallèlement à la publication des décrets de Nueva Planta en 1716.

Ainsi, le consulat français de Barcelone entre dans la modernité entre 1679 et 1716. Pour étudier cette évolution, une première partie envisage l’historique de la fonction consulaire, son implantation en Espagne et son fonctionnement administratif quand entre en poste le premier consul français de Catalogne, Laurent Soleil. La deuxième partie est consacrée à ce dernier, consul de 1679 à 1705, dont la longévité permet d’aborder la pratique consulaire au quotidien et de suivre son évolution au gré d’événements politiques aussi importants que la guerre de la Ligue d’Augsbourg et le changement dynastique. La troisième partie aborde la situation tout à fait singulière dans laquelle se trouve le consulat français de Barcelone, après 1705, date du ralliement des Catalans à l’archiduc Charles : son titulaire connaît l’exil jusqu’à la reconquête de la Catalogne, puis doit organiser la modernisation du consulat français de Barcelone


Sources

Les sources utilisées sont essentiellement des correspondances. La correspondance active des consuls français de Barcelone, conservée aux Archives nationales sous la cote Affaires étrangères BI 178 à 181, a constitué l’élément de base de cette recherche. Elle a été complétée par les lettres envoyées par le pouvoir central, conservées en Marine B⁷ et Marine B², et par les missives expédiées par les consuls à la chambre de commerce de Marseille, qui les conserve encore dans les sous-séries K 195 et K 196.

L’exploitation des archives espagnoles était indispensable à ce travail. Ont été dépouillés les documents échangés entre le consul français, les autorités françaises et espagnoles au sujet de la question consulaire. Ces archives se répartissent dans différents centres dont les archives de la couronne d’Aragon à Barcelone et l’Archivo histórico nacional de Madrid, qui, dans ses fonds Estado et Junta de negocios de los extranjeros conserve l’essentiel de ces documents.


Première partie
L’institution consulaire : définition, principes et fonctionnement


Chapitre premier
La réforme de l’institution consulaire à la fin du xviie siècle

Les origines de la fonction consulaire. — La fonction consulaire est, à l’origine, une institution marchande et urbaine. Celle qui est abordée dans ce travail trouve son origine au Moyen Âge dans la nécessité de protéger des groupes de marchands établis dans des ports étrangers pour organiser le commerce de leur ville d’origine et pour défendre les intérêts marchands.

Le consul, représentant de l’État. — Ce n’est qu’au début de l’époque moderne que la royauté s’intéresse à cette institution. L’entrée de la Provence dans le domaine royal et l’attrait économique de la Méditerranée orientale incitent les rois à placer des agents prêts à défendre les intérêts marchands français. Parallèlement aux premiers accords économiques avec les sultans, les rois font de l’institution consulaire un office.

La mise en place du réseau consulaire français en Espagne à l’époque moderne. — Ce n’est qu’au début du xviie siècle qu’un consul général d’Espagne est nommé. Des consuls sont placés à la tête de larges espaces géographiques. Ils n’y résident peu ou pas et nomment des vice-consuls dans les différents ports de leur juridiction. Barcelone est ainsi sous la responsabilité de Jean Rey, vice-consul jusqu’en 1672.

L’institution consulaire selon Colbert. — Souhaitant voir cesser le népotisme et la non résidence, Colbert reprend en main, dès son accession au secrétariat d’État de la Marine, la charge consulaire et modifie profondément sa nature en la transformant en commission révocable et en définissant clairement les droits des consuls dans le titre IX du livre I de l’ordonnance de la Marine de 1681. À cette date, la fonction consulaire est juridiquement définie d’après une logique très proche de son fonctionnement dans les postes levantins.

Chapitre II
La place des consuls dans la politique du secrétariat d’État de la Marine

La politique du secrétariat de la Marine de 1681 à 1715. — Souvent, Colbert et son fils Seignelay ont été opposés aux Pontchartrain accusés d’avoir causé le déclin de la Marine française. Pourtant, leurs politiques connaissent une continuité certaine et au-delà de cette opposition historiographique, les secrétaires d’État de la Marine successifs poursuivent, en matière de consulat, une politique commune. En ce qui concerne l’Espagne, ils développent les postes et leur donnent des titulaires expérimentés dans les questions commerciales et au fait des problématiques locales. Laurent Soleil devient ainsi, en 1679 le premier consul français de Barcelone.

Le réseau du secrétariat d’État de la Marine sous les Pontchartrain. — Tournant leurs intérêts vers l’Atlantique et le commerce avec les Indes, Louis et son fils Jérôme de Pontchartrain s’appuient sur un réseau qui trouve ses fondements en Bretagne. Leurs meilleurs agents et alliés seront utilisés en Espagne au moment du changement dynastique, qui suscite de grands espoirs économiques pour le royaume de France.

Les apports des consuls dans la politique commerciale des Pontchartrain. — Pour atteindre le commerce des Indes, il fallait intégrer les flottes de galions espagnols en partance de Cadix ou passer outre ce monopole en commerçant directement avec les Indes. Or, les marchands espagnols sont tributaires des produits finis d’autres nations. Les consuls jouent un rôle de premier plan en redistribuant depuis Marseille les marchandises importées du Levant. Le consul protège contre la visite les bâtiments français qui fournissent en contrebande la marchandise à leurs homologues espagnols. Cette défense doit se faire de manière concertée dans l’ensemble du royaume d’Espagne et explique l’intérêt que suscite la péninsule à la fin du xviie siècle.

Chapitre III
Approche de la correspondance du consulat français de Barcelone

La correspondance consulaire, un élément institutionnel. — L’étude de la correspondance montre en quoi elle constitue le premier élément institutionnel du consulat. Non pourvu d’un bâtiment officiel et contraint à l’exil, seule la correspondance régulière entre le consul et ses tutelles légitime l’existence de l’institution.

Approche diplomatique de la correspondance consulaire. — Cette correspondance revêt une forme qui témoigne d’une double influence. D’une part, elle est l’héritière des pratiques épistolaires marchandes, d’autre part de la mise en forme du secrétariat d’État de la Marine qui, peu à peu, la normalise.

La transmission du courrier : voies, rythmes et fiabilité. — La correspondance consulaire utilise une voie terrestre par le biais des postes et une maritime par celui de la chambre de commerce de Marseille. De nature très personnelle, elle renseigne sur la vie de l’institution et révèle la distance effective entre l’institution telle qu’elle est définie et telle qu’elle se vit au quotidien. Son rythme, lent avant la guerre de la Ligue d’Augsbourg s’accélère après celle-ci témoignant de l’intérêt grandissant pour les nouvelles provenant des consulats.

La correspondance du consul de Catalogne, approche quantitative. — L’accélération du rythme entraîne naturellement un changement dans les quantités d’informations échangées et témoigne du plus grand intérêt du pouvoir central pour les consulats français espagnols. La quantité d’informations échangées est en corrélation avec la conflictualité qui règne dans la province catalane. Peu avant 1705, date de l’entrée de l’archiduc Charles à Barcelone, le consul n’a jamais autant correspondu avec ses tutelles. Une correspondance trop fréquente est aussi le témoignage de l’impuissance du consul à mener à bien sa mission, compte-tenu, dans ce cas précis, du contexte politique.


Deuxième partie
Le consulat de Laurent Soleil (1679-1705)


Chapitre premier
Le cadre institutionnel et les pratiques consulaires

Le consul français et les institutions espagnoles. — Laurent Soleil, titulaire du consulat français de Barcelone pendant un quart de siècle, doit composer avec trois institutions : la généralité de Catalogne, émanation des assemblées de Catalogne ou Corts, garante des privilèges catalans ; l’audience de Catalogne, tribunal qui tente d’imposer son autorité dans les conflits qui éclatent entre marchands français et espagnols ; le vice-roi de Catalogne, Grand d’Espagne, capitaine général de la province.

La place des intérêts français dans la relation entre le vice-roi et la députation de Catalogne. — La députation de Catalogne, émanation de la Généralité, et le vice-roi prélèvent de nombreux droits sur les produits levantins ayant transité par Marseille. Ainsi, la position du consul se complique dès lors que le vice-roi, seule autorité à trancher des litiges à l’échelon provincial, est partie prenante dans les litiges qui éclatent entre la nation français et la députation catalane.

Les formes d’interventions consulaires. — Pour pouvoir résoudre les conflits, le consul est le plus souvent amené à demander l’aide de ses tutelles : ambassadeur, secrétaire d’État, commissaire extraordinaire. Ces derniers jouent de leur influence pour appuyer les cas français auprès du conseil royal d’Aragon dont dépend la Catalogne et auprès du roi d’Espagne. Ce système permet au consul de défendre la nation en tentant d’obtenir de nouveaux privilèges : ses tutelles, à la suite de la réaction des institutions espagnoles, décident d’appuyer ou non son action.

Chapitre II
Le consulat français de Barcelone au quotidien

Approche des revenus consulaires. — Laurent Soleil ne peut se maintenir comme consul que dans la mesure où il est aussi marchand. Son activité, interrompue par la guerre de la Ligue d’Augsbourg, le pousse à demander davantage au roi. Ses revenus sont proportionnels aux navires qui passent par Barcelone. Pour que le consul puisse tenir son rang, 2 500 livres sont suffisantes. Cependant, il ne peut compter ni sur le roi, ni sur la chambre de commerce de Marseille pour compléter ses revenus.

La questions des vice-consulats. — Pour mieux défendre les intérêts français, le secrétaire d’État envisage de développer le consulat en plaçant des vice-consuls dans des ports secondaires. Le consul s’oppose à cette création susceptible d’interférer avec ses propres intérêts économiques dans les ports secondaires de Catalogne.

L’opposition entre Barcelone et les autres ports catalans. — Barcelone, sous l’autorité de la Généralité, taxe fortement les marchandises des navires français ; en revanche, des ports de la province comme Mataró importent des produits manufacturés depuis Marseille qu’ils commercent ensuite à Barcelone. La Députation tente d’empêcher ces pratiques que Laurent Soleil encourage.

Chapitre III
La tentative de rationalisation du système consulaire français en Espagne et l’impasse catalane

Une volonté d’uniformisation et de normalisation des pratiques. — Après le changement dynastique, Jérôme de Pontchartrain, avec l’appui des envoyés français à Madrid, cherche à uniformiser les pratiques fiscales et à normaliser les décisions particulières en les faisant transformer en lois générales.

La visite des bâtiments français, un enjeu à toutes les échelles. — L’enjeu principal se cristallise autour des visites des bâtiments : les autorités espagnoles en défendent le bien-fondé pour éviter une contrebande trop massive alors que le secrétaire d’État et les consuls veulent les empêcher, aussi bien à l’échelle de l’Espagne pour la redistribution des produits dits de contrebande depuis Marseille que pour le commerce interlope qui se fait directement dans les Indes.


Troisième partie
Un consulat entre tourmente et réformes


Chapitre premier
Le consulat français de Barcelone dans l’impasse

La confiance envers les consuls français. — Une fois en place, le consul, commissaire révocable, jouit d’une grande confiance auprès de ses tutelles qui la réitèrent le plus souvent. Toutefois, les activités des consuls français sont de plus en plus surveillées en péninsule ibérique par l’ambassadeur, puis par le commissaire extraordinaire du Commerce et de la Marine.

La révocation de Laurent Soleil. — Laurent Soleil n’est jamais menacé de révocation jusqu’en 1705, date à laquelle la situation catalane devient inextricable. Cependant, il n’y aurait pas eu de renvoi sans la présence d’un autre candidat potentiel. Les postes consulaires espagnols trouvent peu de candidats sérieux, ce qui explique la pérennité dont leurs titulaires jouissent. Jean-Philippe Monclus, mieux implanté que Laurent Soleil dans les réseaux économiques et politiques espagnols, se place en candidat favori pour succéder à celui qu’il a poussé vers la sortie.

Le consulat français de Catalogne sous l’archiduc Charles. — Dès son entrée en poste, Jean-Philippe Monclus doit quitter la Catalogne et participe auprès de l’armée franco-espagnole à sa reconquête. Après la prise de Tortosa, place la plus au sud de la Catalogne, le consul s’y installe et tente d’y relancer le commerce des Français, en servant les deux rois : d’Espagne et de France. Finalement, il est révoqué, accusé de prévarication.

Chapitre II
Le vice-consulat de Tortosa (1709-1713)

La réorganisation des consulats et le cas de Simon Dupin. — Les troubles mettent en avant des Français qui ont servi la cause des Bourbons, comme Simon Dupin, marchand français de Valence. En retour, il obtient le poste de vice-consul de Tortosa, alors que le consulat français de Catalogne est vacant. Simon Dupin se retrouve dans une situation institutionnelle inédite.

Simon Dupin, du vice-consulat de Tortosa au consulat de Catalogne. — Simon Dupin parvient à gagner en quatre années la confiance de ses tutelles en développant le vice-consulat de Tortosa et en y jouant plus un rôle d’intendant que de consul, si bien qu’il devient consul de Barcelone.

Les consuls français de Catalogne : similitudes et différences. — Les trois consuls successifs appartiennent à l’univers marchand, ont leurs activités en Espagne mais leur formation est différente. Simon Dupin a été formé comme chancelier de consulat, alors que Jean-Philippe Monclus et Laurent Soleil, marchands, sont nommés directement consuls. Cependant, après eux, les nouveaux consuls sont rarement issus du négoce. Il semble que le choix de ces hommes soit lié à une situation politique et économique propre : celle du développement du commerce interlope vers les Indes.

Chapitre III
Réformes consulaires et provinciales (1713-1716)

Les bouleversements institutionnels en Catalogne. — L’entrée de Philippe V dans Barcelone entraîne une réorganisation institutionnelle de la province. Les décrets de Nueva Planta de 1716 suppriment la Généralité et tous ses pouvoirs sont récupérés par le représentant du roi d’Espagne en Catalogne.

La réforme du consulat français de Catalogne. — Simon Dupin, formé dans le Levant, organise le consulat selon les indications des décrets royaux : sont mis en place en 1714 une chancellerie, des députés de la nation et des vice-consulats. En trois ans, le consulat français de Catalogne est modernisé.

La nouvelle place de la France en Catalogne. — Le contexte de reconquête de la Catalogne permet à Simon Dupin d’appliquer des réformes inédites. Pourtant, les nouvelles autorités, qui ont récupéré les prérogatives de la Généralité, n’entendent pas mener une politique pro-française. Si Simon Dupin est révoqué, sa réforme lui survit et marque un changement dans la pratique consulaire française en Catalogne.

L’affaire de la symbolique consulaire. — La révocation de Simon Dupin est provoqué par son souhait d’afficher symboliquement sa présence par les armes du roi de France, comme jadis Laurent Soleil. Cependant, le changement d’attitude à l’égard de la nation française entraîne un conflit autour de la présence de ces armes.


Conclusion

Les années 1679-1716 constituent une période charnière dans la construction des consulats français de la péninsule ibérique du fait du rôle économique majeur qu’ils jouent dans les projets économiques des secrétaires d’État de la Marine successifs. Favoriser la redistribution des produits levantins jusqu’à Cadix, développer une jurisprudence favorable sur les visites de navires, défendre les intérêts français face aux Anglais et aux Hollandais, telle est la tâche des consuls français de Catalogne. Dans cette province, les consuls successifs, issus du monde marchand, se retrouvent dans une situation unique, et, malgré la forte opposition locale, parviennent à sauvegarder les intérêts français et à faire entrer leur consulat dans la modernité en le conformant aux réformes annoncées dès 1681. Ainsi, il a fallu plus de trente années pour appliquer les directives royales qui diffusaient le modèle de fonctionnement des consulats levantins à ceux de la Chrétienté, malgré des problématiques fonctionnelles éloignées.


Annexes

Cartes des consulats français en Espagne et de leur évolution. — Tableaux retraçant la fréquence des lettres envoyées par les consuls français de Barcelone, et évaluant la fiabilité des acteurs intervenant dans les questions consulaires. — Extraits de lois. — Documents édités. — Éléments diplomatiques. — Lexique.