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École des chartes » thèses » 2010

Les collections d’objets d’art d’Anne de Bretagne à travers ses inventaires

Le spectacle et les coulisses


Introduction

Anne de Bretagne apparaît comme l’une des figures féminines les plus étudiées de l’histoire de France. Duchesse de Bretagne, deux fois reine de France, cette forte personnalité qui tint un rôle primordial dans le conflit breton n’a cessé d’interroger les historiens. Adulée par les Bretons en tant que symbole de l’indépendance et du particularisme de leur région, cette reine demeure encore aujourd’hui au cœur de débats historiques. Les monographies qui lui sont consacrées sont légion et un très grand nombre d’aspects de son action politique et de sa vie en général ont été abondamment étudiés, à tel point que s’est créé peu à peu le « mythe d’Anne de Bretagne ».

Au-delà de l’intérêt que le personnage a suscité auprès des historiens, les historiens d’art se sont également intéressés à la duchesse devenue reine. Cependant, les études sur son action artistique ont été conduites sous deux angles bien définis. Une attention toute particulière fut portée d’une part sur ses rapports avec le monde du livre – les enluminures dues aux commandes de cette reine sont nombreuses et de qualité exceptionnelle –, et d’autre part sur le « trésor des ducs de Bretagne », mais essentiellement pour les rares objets d’art qui sont parvenus jusqu’à nous.

Une étude globale sur la constitution, l’aspect et la gestion des collections d’Anne de Bretagne n’avait donc jamais été réalisée, alors même que ses inventaires, mis en rapport avec d’autres sources complémentaires, en fournissent toute la matière nécessaire. C’est ainsi qu’a pu être menée pour la première fois une étude sur les collections d’Anne de Bretagne dans leur ensemble.

La source principale de cette étude est le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France fr. 22335, dit « manuscrit des Blancs-Manteaux ». Si ce manuscrit a été partiellement édité par Le Roux de Lincy, dans sa Vie de la reine Anne de Bretagne ainsi que dans plusieurs livraisons de la Bibliothèque de l’école des chartes, il n’avait cependant jusque-là jamais été édité dans son intégralité ; les études qui en avaient été faites n’étaient que partielles, chacune d’elles ne portant que sur une partie de l’inventaire. Une analyse globale et précise de ce document a permis une approche à la fois générale et approfondie de l’aspect et de la gestion des collections de cette reine à la fin du Moyen Âge.

La plupart des œuvres mentionnées dans ce manuscrit ont aujourd’hui disparu, mais l’intérêt de son étude pour l’histoire de l’art n’en demeure pas moins primordial. L’histoire de l’art du Moyen Âge souffre en effet souvent du manque d’œuvres conservées et les inventaires apparaissent justement comme un des éléments essentiels pour combler ce vide. C’est, par exemple, en partie à eux que nous devons aujourd’hui notre connaissance du faste des cours princières du royaume de France aux xive et xve siècles. C’est donc dans la lignée de cette approche historique que s’inscrit ce travail.

La particularité de cette étude tient également à la nature même des inventaires d’Anne de Bretagne : ce n’est pas un inventaire exhaustif, réalisé après le décès du propriétaire ou de l’officier en charge des collections, mais un rassemblement, constitué a posteriori, de documents qui, s’apparentant ainsi à des minutes de gestion, ne recensent qu’une partie des collections de la reine à un moment donné. Par conséquent, s’ils ne fournissent pas la description de l’ensemble de ses biens, ni même d’ailleurs d’indication sur la proportion qui y est représentée, ils permettent en revanche une immersion dans le quotidien des collections et de leur gestion et en donnent à voir un aspect qui, bien que partiel, s’avère assurément représentatif de l’ensemble.


Sources

La source principale de cette étude est donc constituée par les inventaires communément appelés « inventaire d’Anne de Bretagne » contenus au début du manuscrit composite de la Bibliothèque nationale de France fr. 22335, dont l’édition est donnée en annexe. Une partie du travail a consisté à appréhender et à comprendre l’organisation de cette compilation qui apparaît, dans le panorama des inventaires princiers de la fin du Moyen Âge, comme un ensemble original.

Cette source a été complétée et mise en relation avec d’autres documents. Malgré les pertes subies par la chambre des comptes de Blois, certains comptes de la Trésorerie générale d’Anne de Bretagne nous sont parvenus, comme ceux des années 1492-1493, 1493-1494 et 1495-1496, aux Archives nationales, et celui de 1497-1498, à la bibliothèque municipale de Nantes. Ces comptes sont particulièrement riches en informations sur les artistes et les marchands au service de la reine. Un fragment de compte de l’Extraordinaire de l’Argenterie d’Anne de Bretagne, conservé aux Archives nationales, est également précieux pour obtenir des renseignements sur l’habillement de la reine. Enfin, nous disposons de deux états des gages des officiers d’Anne, l’un aux Archives nationales, pour les années 1492-1493, et le second aux archives départementales de Loire-Atlantique, pour les années 1498-1499.


Première partie
Gestion et administration : les lieux et les hommes


Chapitre premier
Habiter et résider : les lieux de vie de la reine-duchesse

Les caractéristiques de l’habitation royale, à la fin du Moyen Âge, sont intrinsèquement liées à une donnée fondamentale : le caractère nomade de la cour. La vie de cour dépendait de cet impératif profondément ancré dans les mentalités pour des raisons multiples. Anne de Bretagne a ainsi principalement évolué entre différentes résidences du Val de Loire – chaque roi ayant de surcroît ses préférences –, Paris et, en raison des guerres d’Italie, la région lyonnaise.

C’est également à partir de cet impératif de vie nomade que s’étaient, depuis longtemps déjà, fixés la nature et les composants du mobilier. De fait, les textiles, plus aisément transportables, et les menus objets, tels les arts de la table, tenaient une place plus importante que les meubles de menuiserie, et un soin tout particulier leur était accordé.

Chapitre II
La reine s’entoure

Chaque roi, reine ou prince de sang disposait, à la fin du Moyen Âge, d’une maison, ensemble d’officiers à son service chargé notamment de l’approvisionnement de la cour. La cour d’Anne de Bretagne est passée à la postérité comme la première cour féminine importante et pour avoir été un jalon essentiel dans la formation de la société curiale. Les sources considérées permettent de revenir sur cette vision. Anne de Bretagne ne fut pas la première reine à développer sa maison, héritant notamment en cela de sa mère Marguerite de Foix, mais il apparaît qu’elle laissa son empreinte dans l’histoire de cette institution puisqu’elle en augmenta de manière non négligeable le nombre des officiers par rapport aux reines qui l’ont précédée.

Elle s’entoura par ailleurs d’une cour de dames organisée et régie selon sa volonté, sans qu’il soit néanmoins possible d’affirmer l’instauration d’un ordre curial, en dépit de l’importance du motif de la cordelière dans ses collections.

Parmi les hommes de sa maison, certains étaient spécifiquement chargés de l’entretien de ses collections, tel le tapissier Jean Lefèvre. Cependant, la reine pouvait également faire appel à des officiers extérieurs à sa maison, comme le montre son attachement à Jacques de Beaune, trésorier général des finances. Par-delà les changements de roi, la permanence relative de certains officiers à son service est peut-être, par ailleurs, l’expression d’une certaine autonomie que la reine entendait imposer dans la gestion de ses collections.

Chapitre III
Une gestion des objets au quotidien

Les inventaires du manuscrit de la Bibliothèque nationale de France fr. 22335, compilation réalisée à différents moments et traitant à chaque fois d’une partie seulement des collections, ne proposent pas une liste figée d’objets extraits de leur contexte d’utilisation, mais dévoilent comment et en quelles occasions les objets se déplaçaient et circulaient, comment et par qui ils étaient gardés et en quoi consistait leur entretien au jour le jour. C’est donc au cœur même de la vie de la reine et de la cour que nous pénétrons grâce à eux.

La circulation à la fois incessante et partielle des collections, conséquence du caractère nomade de la cour, exige une organisation rigoureuse. Pour ce faire, un ensemble de personnels était au service de la reine et, parmi eux, un rôle majeur était accordé aux tapissiers.

Aucun garde-meuble royal n’existait à cette époque ; cependant Anne de Bretagne semble avoir eu des lieux de prédilection pour entreposer ses objets lors de ses déplacements. La maison personnelle de Jacques de Beaune fut ainsi régulièrement sollicitée. C’est également la place et le rôle du château de Nantes qui frappe dans l’organisation de la gestion des collections. Alors même que la reine n’y résidait pas régulièrement, il apparaît meublé en permanence comme une sorte de réserve dans laquelle Anne pouvait puiser pour les préparatifs des plus grandes cérémonies.

L’entretien quotidien des collections est par ailleurs un volet primordial de leur gestion. Les artistes sont constamment sollicités pour embellir, réparer ou modifier les objets, au gré des besoins.


Deuxième partie
Origines des collections


Chapitre premier
Les différentes voies d’acquisition

L’instantanéité caractéristique des inventaires ne doit pas faire oublier que cet ensemble d’objets est le fruit d’un processus de constitution étalé dans le temps et obéissant à diverses modalités. Anne de Bretagne hérita ainsi des biens de ses aïeux, les ducs de Bretagne, qui ne cessèrent d’enrichir leurs collections durant tout le xve siècle en raison de leur volonté de rivaliser avec les grands princes du royaume de France. Plusieurs de leurs biens se retrouvent par conséquent dans les inventaires de la reine, comme le démontre en partie la comparaison entre les inventaires d’Anne et ceux de ses prédécesseurs.

Les collections d’Anne ont également été enrichies par ses époux successifs, que ce soit par héritage, pour Charles VIII, ou par cadeaux.

Les conséquences et les répercussions des guerres d’Italie et, de manière plus générale, les contacts et les échanges avec la péninsule jouèrent aussi un rôle important dans l’évolution et l’aspect des collections de la reine.

En outre, la vie d’une reine était ponctuée par des cérémonies solennelles, qui engendraient des remises protocolaires de cadeaux, notamment par les villes du royaume.

Enfin, les commandes et les achats constituent également un facteur important d’évolution des collections. Si les grands événements de la vie de cour, au premier rang desquels les cérémonies solennelles, apparaissent comme les temps forts de la création artistique, les commandes et les achats n’en sont pas moins des jalons, sinon quotidiens, du moins réguliers.

L’ensemble de ces voies d’acquisition contribue à expliquer l’importance des collections d’Anne.

Chapitre II
Les artistes sollicités par la reine principaux acteurs de l’histoire des collections

Les artistes sont les acteurs principaux du processus de constitution, d’accroissement et d’entretien des collections : ils suscitent des commandes, parfois des achats et ce sont également eux qui prennent soin des objets au fil du temps.

Différents types d’artistes interviennent dans la vie d’une cour : les orfèvres, les tapissiers et les autres artistes textiles, tels les brodeurs, fourreurs, tailleurs. Les comptes de la Trésorerie générale de la reine sont particulièrement riches en informations sur leur activité. Parmi eux, il faut attacher une attention particulière au tapissier, puisque le terme est polysémique : il peut désigner aussi bien le marchand, le licier que l’officier en charge des tapisseries et, en la personne de Jean Lefèvre notamment, il apparaît que le cumul de ces fonctions n’est pas impossible.

Si le cadre et les modalités précises de l’activité de ces artistes ne sont sans doute pas clairement définissables, la diversité des tâches qui leur incombait est un fait marquant de cette étude, même s’il était déjà connu par ailleurs.

Il apparaît en outre qu’un lien privilégié s’est établi entre Anne de Bretagne et certains artistes, qui furent plus directement rattachés à son service et étroitement associés à la mise en œuvre de la volonté royale. Pour autant, le qualificatif d’artiste de cour n’est pas simple à utiliser et soulève divers problèmes.

Certaines aires géographiques, comme Paris pour les orfèvres ou Tours pour les brodeurs, se dégagent également comme des villes de prédilection auxquelles la reine choisit de s’adresser.

Par ailleurs, on reconnaît dans les artistes de son entourage les traces d’un attachement à la Bretagne de son enfance. Le lapidaire de la reine Guillaume Charruau était, en effet, une personnalité déjà présente et active à la cour bretonne, alors que Jean Lefèvre, tapissier de la reine et un des administrateurs principaux de ses collections, travaillait déjà pour son père, François II.

Chapitre III
Les marchands et leurs marchandises

Les artistes n’étaient pas les seuls acteurs de la vie artistique d’une cour princière : les marchands jouaient également un rôle primordial. Intermédiaires indispensables dans le champ artistique, l’objet de leur commerce pouvait être les matières premières nécessaires à la création, comme les produits finis. Certains marchands étaient officiellement attachés au service de la cour, détenteurs du titre de « marchant suivant la cour ». Il existait par ailleurs des marchands polyvalents, qui ne restreignaient pas leur domaine de compétence à un type particulier de produit et pouvaient aussi bien faire commerce de textiles que de productions de joaillerie. Le cas des achats de tapisseries apparaît particulier : le couple royal s’adressa en effet parfois à des tapissiers, qu’ils soient liciers ou simples marchands, mais également souvent aux grands officiers du royaume. Enfin, cette étude révèle la suprématie des marchands tourangeaux, qui contrôlent une large part de l’approvisionnement de la cour royale en cette fin de xve siècle.


Troisième partie
Étude des objets


Chapitre premier
L’orfèvrerie civile : la vaisselle d’apparat et les bijoux de la reine Anne

Les comptes et les documents associés aux inventaires permettent d’étudier aussi bien les pièces de vaisselle que les bijoux d’Anne de Bretagne.

La vaisselle d’orfèvrerie comptait parmi les pièces mobilières les plus importantes du Moyen Âge et les princes lui accordaient un soin particulier. Exposée sur les tables lors des banquets et des grandes cérémonies de cour, elle reflétait la puissance de leur propriétaire. L’étude de la vaisselle d’Anne permet d’en appréhender la richesse. Plusieurs pièces sont en or, les autres en argent doré ou en argent et certaines d’entre elles sont ornées de pierres précieuses, de pierres dures ou d’émaux. La richesse de ces matériaux est cependant quelque peu contrebalancée par les décors qui apparaissent peu originaux, ce qui est confirmé par la comparaison des collections d’Anne de Bretagne avec celles d’autres princesses contemporaines, telle Charlotte d’Albret. Les plus belles pièces d’apparat font néanmoins preuve d’un foisonnement de décorations et de détails.

Chapitre II
Diverses pièces textiles

À côté des pièces d’orfèvrerie, les textiles tenaient une place essentielle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, pour le décor provisoire des résidences et pour celui, éphémère, des grandes cérémonies. Par les matières et les couleurs employées, les tentures participaient pleinement au souci de manifester l’opulence et le luxe et permettaient par ailleurs à leur propriétaire d’affirmer son identité, au moyen des armoiries et emblèmes qui y étaient fréquemment apposés. Les tentures d’Anne de Bretagne exposent ainsi souvent un décor qui n’est que prétexte à la représentation des motifs principaux que sont la cordelière et les A, son emblème et ses chiffres.

Un grand soin était également attaché à l’aspect des souverains eux-mêmes et l’opulence de leurs vêtements et de leurs parures faisait écho à la richesse des tentures accrochées au mur. Les plus riches fourrures garnissaient, à ce titre, nombre de leurs habits, ceux d’apparat du moins.

Pour les tentures d’ameublement comme pour les vêtements, rien n’était laissé au hasard et le choix des couleurs et des étoffes répondait, de manière générale, à une intention prééminente, la glorification des souverains, de leur puissance et de leur autorité.

Chapitre III
Les tapisseries historiées

Les tapisseries comptaient parmi les composants principaux du mobilier à la fin du Moyen Âge. Correspondant à la fois aux impératifs de vie nomade et à ceux de représentation et, depuis le milieu du xive siècle, de grands cycles historiés déclinés sur plusieurs pièces recouvraient les murs des résidences ainsi que leurs meubles.

Les inventaires de la reine mentionnent plusieurs tapisseries et la plupart d’entre elles sont décrites de façon suffisamment précise pour permettre l’étude de leur iconographie, de leur facture et, plus rarement, de leur provenance. Cette recherche se heurte néanmoins à certaines difficultés, pour partie liées aux problèmes d’interprétation des termes employés : le mot « tapisserie » peut en effet désigner à cette époque tout type de réalisations textiles ou toute sorte de tissus d’ameublement, sans qu’il s’agisse à proprement parler de tapisseries. Par ailleurs, les inventaires ne précisent pas toujours quel est le détenteur des tapisseries, qui peut être certes la reine, mais aussi le roi ou le couple royal.

Les inventaires recensent aussi bien des tapisseries à sujet profane que religieux. Les thèmes profanes relèvent notamment de l’histoire, ancienne ou contemporaine, mais il est également fait mention de sujets moins nobles, tels les travaux et les occupations de la vie quotidienne. Parmi les tapisseries religieuses, c’est l’Ancien Testament qui s’impose comme le vivier essentiel de la création, plus adapté à la vie de cour, même si le Nouveau Testament n’est pas pour autant totalement absent.

Plus que des sujets correspondant à des choix ou des goûts individuels, il apparaît en fait bien souvent que l’on retrouve, dans les collections d’Anne, les mêmes thèmes que chez les autres princes. Cette convergence se comprend aisément lorsque l’on considère la place que tiennent les tapisseries dans l’affirmation de l’autorité et du prestige de leur propriétaire.

Chapitre IV
Les objets religieux

Enfin, les objets religieux, d’orfèvrerie ou textiles, tiennent une place importante au sein des collections de la reine. Ils meublaient les chapelles et les oratoires et participaient à la glorification de Dieu et du prince. Les textiles liturgiques étaient ainsi le plus souvent ornés de riches orfrois de broderie et les pièces d’orfèvrerie étaient, elles aussi, particulièrement soignées.

Épilogue
La réception de Philippe le Beau et de Jeanne de Castille mise en scène et diplomatie

La réception au château de Blois de Philippe le Beau et de Jeanne de Castille en décembre 1501 apparaît comme un parfait exemple de l’utilisation des collections royales. Bien connu grâce au récit de Théodore et Denis Godefroy, cet événement traduit de manière concrète comment le couple royal, au travers de l’ameublement et de la décoration du château, entend montrer la puissance et la richesse du royaume de France. L’importance accordée aux textiles et aux arts de la table y est manifeste, alors que les pièces de menuiserie ne font que concourir à exhiber ces deux types d’ouvrages. Cette cérémonie rappelle également l’importance des collections d’Anne de Bretagne puisque nombre de tentures alors exposées lui appartiennent en propre. Enfin, l’exploitation des collections royales révèle comment celles-ci acquièrent, par-delà les possessions personnelles, une dimension politique et symbolique pour affirmer non seulement la puissance actuelle du roi, mais encore la continuité et la permanence de cette puissance, et donc de la royauté en elle-même.


Conclusion

Embrasser l’ensemble des collections d’Anne de Bretagne, reine duchesse de la fin du Moyen Âge, est une vaste ambition. La difficulté de cette entreprise tient à la définition même du sujet : mener une étude globale à partir de composants de nature différente. L’intérêt était cependant bien de faire émerger une unité au sein de cette diversité et de cerner à la fois la finalité de cet ensemble d’objets et le rôle dévolu à Anne dans leur gestion et leur évolution.

Un des aspects qui ressort d’emblée de la présentation des pièces possédées par la reine et, de manière plus générale, par le couple royal est que ces arts – l’orfèvrerie, la tapisserie et les autres tentures – participent pleinement de la glorification du prince. Les formes d’expression s’adaptent aux mœurs et au mode de vie de la cour et les différentes pièces présentent un caractère profondément spectaculaire et théâtral, dans la mesure où elles constituent les éléments d’un décor dressé selon les circonstances. Au-delà d’une signification inhérente à chaque objet pris individuellement, un sens émerge donc de leur rassemblement.

Cet art total, éphémère et vivant exigeait naturellement une solide organisation, rendue d’autant plus nécessaire par l’itinérance de la cour. À ce titre, les inventaires sont à la fois les témoins et les instruments de la mise en scène des collections et de leur gestion quotidienne : par-delà leur caractère par nature éclaté, on perçoit bien l’organisation qui – pourrait-on dire, en coulisses – sous-tend et rend possible la mise en cohérence de l’ensemble.

Quelle était la place dévolue à Anne de Bretagne dans ce système ? Pour ce qui est des objets d’art eux-mêmes, de leur forme et de leur choix, il apparaît que les impératifs sociaux laissent peu de place à la liberté du « collectionneur » et à un éventuel goût personnel. C’est finalement surtout dans l’organisation et la gestion de ses collections qu’Anne imposa son empreinte et ses choix propres. Les inventaires étudiés reflètent, à cet égard, le fort intérêt que la reine Anne de Bretagne attacha à ses collections et comment elle eut à cœur de s’en servir comme un moyen et une forme d’affirmation de soi.


Annexes

Édition des inventaires d’Anne de Bretagne d’après le manuscrit de la Bibliothèque nationale de France fr. 22335. — Présentation succincte des différents inventaires selon leur ordre d’apparition dans le manuscrit. — Tableau de concordance entre les objets mentionnés dans les inventaires d’Anne de Bretagne et ceux présents dans les inventaires du mobilier du château de Nantes avant qu’Anne ne devienne reine de France, dans l’inventaire du garde-meuble de François Ier et dans les inventaires du mobilier de Louis XIV. — Iconographie : soixante-douze objets, tirés des collections des ducs de Bretagne et d’Anne de Bretagne ou citées à titre de comparaison.