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École des chartes » thèses » 2011

Science, académisme et sociabilité savante

Édition critique et étude du Journal de la vie privée de Jean-Dominique Cassini (1710-1712)


Introduction

Fondée en 1666 à Paris par Louis XIV, l’Académie des sciences est aujourd’hui riche d’une histoire de près de trois cent cinquante ans. Cependant, ce n’est qu’assez récemment que les historiens, en particulier anglo-saxons (J. McClellan, A. Stroup et surtout R. Hahn), ont jugé bon de s’y intéresser. Les recherches historiques de ces dernières années se sont particulièrement appuyées sur des archives à caractère purement scientifique, afin d’élaborer l’histoire des disciplines représentées à l’Académie et de mesurer la participation de cet établissement à ce que l’on a appelé la « Révolution scientifique » du xviie siècle. Quant aux travaux sur l’Académie en tant que corps constitué, ils se sont principalement fondés sur des documents d’origine administrative, émanant tant de cette Compagnie que du pouvoir royal.

Cependant, on observe depuis peu une réévaluation des archives personnelles des scientifiques, ainsi qu’un intérêt croissant pour l’envers du décor : la place du savant non plus seulement au service de l’État, mais également au sein de la société, et la façon dont son activité professionnelle particulière est considérée par ceux dont la place et le rang sont établis depuis longtemps. Par ailleurs, cet intérêt des historiens pour les documents personnels des savants et pour leurs comportement et situation dans la sphère « privée » de la société recoupe en partie l’enthousiasme nouveau pour les écrits produits par la démocratisation progressive de l’écriture, les « documents du for privé », qui font l’objet depuis 2003 d’un programme de recherche collectif du Centre national de la recherche scientifique (GDR n° 2649).

Le Journal de la vie privée de Jean-Dominique Cassini, dans les deux dernières années de sa vie, depuis le 1er juin 1710 jusqu’au 11 sept. 1712. Dicté par lui-même jusqu’au moment de sa mort, est à la fois document du « for privé » et archive personnelle d’un grand astronome d’origine italienne, né en 1625, et membre de l’Académie des sciences entre 1666 et 1712, au sujet duquel l’historiographie est, somme toute, assez mince compte tenu de l’importance numérique de ses recherches académiques. Cité par certains historiens, comme sa biographe A. Cassini, ce Journal présente une mine de renseignements, non seulement sur ce que peut être la vie quotidienne d’un astronome de l’Observatoire pendant le règne de Louis XIV, mais également sur l’environnement mondain dans lequel il évolue et son rôle dans la société, ainsi que sur ses relations avec le monde scientifique, local et international, de l’époque.

Il importe toutefois de replacer cet écrit dans un contexte plus large, celui de l’ensemble de la carrière scientifique et de l’élévation sociale du savant, dont ce texte présente en quelque sorte l’aboutissement, en recréant en quelque sorte le « monde de Cassini ».


Sources

Le manuscrit original, écrit non de la main de Cassini, aveugle à cette époque, mais par un de ses secrétaires, est conservé au département des Cartes et Plans de la Bibliothèque nationale de France, sous la cote Ge-DD-2066(2). Il s’agit du seul exemplaire connu de ce texte.

De nombreux autres documents ont été utilisés pour l’éclairer. Parmi les principaux, on notera les registres annuels des procès-verbaux de l’Académie des sciences, conservés dans les archives de l’Académie, et principalement ceux des années 1710 à 1712.

La plupart des archives des Cassini sont conservées à l’Observatoire de Paris. Parmi elles, les journaux d’observations des Cassini (D1 1-8 et D3 1-27), leurs correspondances (B4 9-12), ainsi que certains écrits personnels et autobiographiques (recueils factices D1 11 et D1 13) ont été particulièrement utiles à ce travail.

Enfin, les archives du secrétariat d’État de la Maison du roi aux Archives nationales, surtout celles de l’Observatoire (O1 1691), ainsi que les fonds du Minutier central, en particulier ceux des études LXXVIII et CXII, ont été longuement exploités.


Première partie
Étude


Chapitre premier
Un savant à la renommée internationale

Le parcours italien d’un fils de notable niçois. — Né en 1625 à Perinaldo, dans le comté de Nice, Jean-Dominique Cassini a surtout dû sa formation intellectuelle et ses premiers réseaux mondains à l’action de protecteurs génois et bolonais. Il séjourne en effet à Gênes entre 1638 et 1646, puis à Bologne entre 1646 et 1668. C’est là qu’il est initié aux mathématiques, principalement par les Jésuites, et qu’il se lie à des patriciens qui deviendront ses premiers patrons, comme le futur doge de Gênes F.-M. Imperiale Lercaro, et le marquis bolonais Malvasia.

En effet, contrairement à la France, l’Italie est une terre de mécénat scientifique princier, où les grands procurent volontiers leur appui aux savants, quand, en France, ils le réservent plutôt aux artistes. Mais le xviie siècle est également l’âge du « mouvement académique baroque », qui voit se créer un peu partout en Europe des cercles indépendants s’adonnant à la pratique de la science nouvelle, comme l’Académie de Montmor en France. Enfin, au mécénat princier et aux cercles privés succède une nouvelle forme d’exercice en commun de la science, avec la fondation d’académies à caractère plus ou moins étatique, comme l’Accademia del Cimento à Florence et, surtout, la Royal Society à Londres.

L’Académie des sciences au temps de Jean-Dominique Cassini. — C’est toutefois un modèle à part qui naît en France en 1666 avec l’Académie des sciences. Conçue par Colbert, la création de cette institution vise à augmenter le prestige de Louis XIV en étendant son pouvoir sur un nouveau domaine. Les sciences sont avant tout mises au service du roi, et cela implique de faire venir en France des savants de grand renom, tel Cassini, qui arrive à Paris en 1669 après d’intenses tractations diplomatiques.

Cependant, en l’absence de tout statut pour régir son activité, l’Académie des sciences s’essouffle assez rapidement malgré la bonne volonté de ses membres. C’est grâce à l’action de la dynastie ministérielle des Pontchartrain, dont trois membres, le chancelier de France Louis, le secrétaire d’État de la Maison du roi Jérôme, et l’abbé Bignon, sorte de ministre de la Culture occulte infiltré dans la compagnie, qu’un nouveau souffle va lui être accordé avec le premier règlement de son histoire, en 1699. L’organisation stricte qui est maintenant celle de l’Académie des sciences crée les conditions d’une production scientifique efficace, mais elle est aussi l’occasion de définir plus précisément la place de ses membres, non seulement dans la société, avec leur état de « pensionnaires du roi », mais aussi les uns par rapport aux autres au sein de la Compagnie, certains comme J.-D. Cassini paraissant plus privilégiés que les autres.

« En appelant Cassini en France, on nuisit tout à la fois à l’astronomie et à Cassini lui-même » (J.-B. Delambre). — Installé quasiment dès son arrivée en France à l’Observatoire royal nouvellement construit pour le bénéfice des savants de l’Académie des sciences, Jean-Dominique Cassini, qui a âprement critiqué les plans de son architecte Claude Perrault, est vite accusé d’en monopoliser l’usage, même si les récits de visites de nombreux autres savants dans ce bâtiment démentent cette assertion. Il n’en est d’ailleurs en aucune manière le directeur, ce poste n’étant créé qu’en 1771. Quant à l’Instruction qu’il rédige à ceux qui travaillent à l’Observatoire, il s’agit davantage d’un simple vade mecum que d’ordres stricts pour ses confrères, qui mènent chacun leur programme. En particulier, les relations qui unissent les La Hire, astronomes et académiciens résidant eux aussi à l’Observatoire, et les Cassini, sont parfaitement courtoises et empreintes d’une saine émulation, plutôt que d’une véritable rivalité. Toutefois, ils préfèrent travailler séparément et ont chacun leurs domaines de prédilection, La Hire étant plus ouvert aux problèmes physiques et mathématiques, quand Cassini est véritablement spécialiste d’astronomie. Il arrive cependant à l’Italien de s’adonner à des recherches autres que la simple observation du ciel, en particulier vers la fin de sa vie, alors que sa vue commence à faiblir. Il réfléchit ainsi longuement aux problèmes de chronologie, de comput pascal et de réforme du calendrier, principalement au début du xviiie siècle, alors qu’un projet de réforme est discuté à Rome par la Sacrée Congrégation afin de revoir une nouvelle fois le calendrier et d’en permettre l’adoption dans les pays protestants : c’est à Cassini et à ses proches de l’Académie qu’il est fait appel, même si les suggestions du savant ne seront finalement pas retenues.

Outre l’action de Jean-Dominique Cassini à l’Observatoire, c’est également à l’Académie des sciences que son influence a parfois été vue d’un mauvais œil, surtout a posteriori. Son fils Jacques et son neveu Jacques-Philippe Maraldi intègrent en effet la compagnie très jeunes, surtout le premier, et en gravissent rapidement les échelons. Ils ne sont pourtant pas les seuls à bénéficier de ces pratiques népotistes, dont leurs collègues La Hire donnent également un bon exemple. Mais c’est surtout d’avoir monopolisé l’activité de l’Académie que les Cassini sont accusés. L’étude détaillée de leur implication dans la vie académique entre 1699 et 1715, période où l’application du nouveau règlement rend plus faciles les évaluations quantitatives grâce aux registres des procès-verbaux de l’Académie et aux travaux sur ses publications, montre toutefois que, si leur activité a été bien supérieure à la moyenne, elle a été légèrement surévaluée, non seulement parce que l’astronomie est une discipline particulière qui permet à ceux qui la pratiquent de proposer des interventions nombreuses et diverses, mais très courtes, mais aussi parce que le volume de la production scientifique des Cassini n’a peut-être pas été suffisamment comparée à celle de leurs collègues. En effet, on constate que les La Hire sont omniprésents sur la scène académique, en particulier le fondateur de la dynastie, Philippe. C’est donc davantage le groupe de l’Observatoire tout entier que la seule famille Cassini qui « domine » l’Académie des sciences du début du xviiie siècle.

Toutefois, il est vrai que J.-D. Cassini jouit d’une renommée bien plus importante que Philippe de La Hire, prestige qui lui permet d’être également très influent en dehors du cadre formel de l’Académie. Cela est surtout visible à travers son réseau de correspondants, nombreux et dévoués, dans son action en faveur des expéditions scientifiques de la fin du xviie siècle, en particulier celle de la fin 1681 et du début 1682, dont ses journaux d’observations gardent une trace importante, ainsi que dans l’appui considérable qu’il fournit en 1706 aux fondateurs de la Société royale des sciences de Montpellier, et en 1711 à celui de l’Istituto delle Scienze de Bologne. L’étude du Journal de sa vie privée montre en outre que, même alors qu’il ne se rend plus guère à l’Académie à cause de ses infirmités, il continue d’agir en faveur de ses correspondants et amis, et à influer sur la vie de l’institution en transmettant à l’abbé Bignon des rapports sur de nombreux mémoires qu’on lui soumet, à peser dans les élections des nouveaux membres, et à recommander aux personnages les plus prestigieux ceux qui lui demandent son aide. Influents certes, mais pas despotes, contrairement à ce qu’ont prétendu certains détracteurs, car soumis à l’omnipotence de Bignon qui fait la loi à l’Académie, les Cassini-Maraldi doivent avant tout leur prééminence à leur assiduité au travail et à leur capacité à répondre aux attentes du pouvoir royal et de la sphère scientifique en général.

Chapitre II
« Comment devinrent français des gentilshommes italiens »

L’enracinement français de la famille Cassini : réseaux parisiens, réseaux picards. — « Un individu n’arrive pas à grand-chose s’il n’est pas enraciné dans une parentèle solidaire dont les membres s’entraident et conjuguent leurs efforts pour pousser le mieux placé et le plus doué d’entre eux » (A. Jouanna). Pourtant, à son arrivée à Paris, J.-D. Cassini ne recherche pas la compagnie d’autres Italiens immigrés, par exemple en s’installant dans les quartiers de la capitale qu’ils fréquentent. Il se retrouve coupé des liens qu’il a créés de l’autre côté des Alpes, et forcé d’en tisser de nouveaux, par exemple avec son confrère académicien Claude-Antoine Couplet, attaché à son service.

Mais c’est surtout en étant naturalisé français en avril 1673 que Cassini va se lancer dans un processus d’intégration définitive dans la société qui l’accueille, annonçant sa volonté de rester en France jusqu’à sa mort, contrairement à l’accord passé en 1669 avec ses employeurs italiens. Cette intégration est presque immédiatement confortée, en novembre 1673, par son union avec Geneviève de Laistre, fille d’un lieutenant-général au bailliage de Clermont-en-Beauvaisis et membre d’une famille de la noblesse de robe jouissant d’un statut social assez important en Île-de-France, en Picardie et dans le Blésois. Le mariage de leur fils Jacques marque une étape supplémentaire : s’il consolide l’intégration des Cassini à la société française, il témoigne surtout de leur élévation en son sein. Jacques Cassini épouse en effet, en avril 1711, Suzanne-Françoise Charpentier du Charmoy, issue elle aussi d’une famille de la noblesse de robe, intimement liée à la vieille noblesse d’épée, ainsi qu’à de très grandes familles parlementaires comme les Nesmond et même les Pontchartrain.

Savant, courtisan et officier du roi : une situation sociale ambiguë. — De mieux en mieux intégré à la société française, Cassini s’efforce vite d’en adopter les usages, particulièrement en renonçant à sa langue maternelle, pour lui et pour les siens. Mais c’est surtout à la noblesse française qu’il s’efforce de s’assimiler. Ses parents sont manifestement des notables urbains davantage que de vrais seigneurs. Cependant, une fois à Paris, Cassini vit noblement, et ses descendants tâcheront de faire reconnaître leur noblesse comme datant d’avant son arrivée en France. En orientant son fils aîné vers le métier des armes, J.-D. Cassini montre le souci qu’il a de respecter les vieilles traditions de son pays d’accueil. Quant à son cadet, Jacques, il acquiert un office de maître de la Chambre des comptes, s’assurant par là une noblesse d’office. On note également une modification de la situation pécuniaire des Cassini, comme en témoignent les clauses financières de leurs contrats de mariage. Généreusement pensionné par le roi, propriétaire de plusieurs maisons en ville et à la campagne et de rentes assez considérables, J.-D. Cassini permet ainsi à son fils d’épouser une femme qui apporte 130 000 livres de dot, somme assez élevée, surtout pour un pensionnaire académicien, technicien au statut social peu clair en même temps que serviteur du roi.

Comme pour tous les courtisans, Versailles est pour J.-D. Cassini un passage obligé. C’est là qu’il se rend régulièrement pour présenter au souverain les résultats de ses recherches, mais aussi cultiver ses relations avec des personnages en vue, particulièrement avec le duc de Bourgogne et son entourage, dont son fils Jacques est un familier. Mais c’est également à l’Observatoire que les Cassini entretiennent leurs relations avec les grands personnages du royaume, en utilisant le bâtiment comme un « hôtel en ville », une habitation noble, qu’ils partagent toutefois avec les familles La Hire et Couplet. L’Observatoire est un espace de vie publique et pas uniquement de pratique de la science. Les journaux d’observations du savant, ainsi que le Journal de sa vie privée, témoignent des incessantes visites des grands, et même de souverains comme Louis XIV ou le roi Jacques II d’Angleterre, ainsi que de « curieux », simplement venus se tenir au courant des avancées de la science. Ni endroit où l’on tient « salon », ni véritable espace de parade, ni simple lieu scientifique, l’Observatoire est ainsi un lieu de représentation, du pouvoir royal et de soi-même, de la science et de l’intérêt qu’on lui porte.

Chapitre III
Un vieil astronome en son for privé

Jean-Dominique Cassini, une vieillesse bien remplie. — La vision qu’ont de la vieillesse les hommes de la Renaissance et du Grand Siècle est particulièrement peu amène. À quatre-vingt-six ans, J.-D. Cassini devrait être vu, selon les critères de l’époque, comme un poids pour sa famille ainsi que pour l’Académie des sciences, où il continue à occuper une place, bloquant la carrière de savants plus jeunes. Il est pourtant l’objet de toutes les attentions, de la part des membres de sa famille élargie, qui intègre des éléments habituellement absents des cellules conjugales traditionnelles, comme des nombreux visiteurs qui continuent à se succéder à l’Observatoire, mais aussi de la part d’amis vivant au loin, parfois même à l’étranger, et qui forment autour de lui un réseau solide, relayant à travers l’Europe les nouvelles du vieil homme. Les échanges de lettres, de nouvelles mais aussi de cadeaux cimentent ainsi de nombreuses relations amicales, dont certaines sont évoquées avec une tendresse explicite par Cassini, quand d’autres se dessinent en filigrane dans le Journal de sa vie privée, par la régularité des attentions qui les fondent.

Dans la lignée des plaisirs évoqués dans le traité De la vieillesse de Cicéron, livre de chevet de J.-D. Cassini, le vieil astronome partage avec ses proches les douceurs de la vie, dans laquelle les agréments de la table et de la commensalité tiennent une place importante. Par ailleurs, les maux qui l’affligent dans ses dernières années, en lui ôtant en particulier l’usage de ses yeux, le poussent à faire davantage appel à d’autres sens. L’ouïe est par exemple sollicitée dès qu’il s’agit de prendre connaissance de documents écrits, des nouvelles du temps, ou d’entendre les délassements musicaux que lui proposent ses amis. Quant au toucher, il lui est indispensable pour découvrir certains objets nouveaux, mais surtout pour se mouvoir, seul ou accompagné. La religion est également d’un grand secours au savant, qui puise du réconfort dans la compagnie de nombreux ecclésiastiques de toutes les « tendances », jansénistes ou romains de stricte obédience, avec qui il discute de ses lectures savantes et pieuses, mais aussi dans la participation quasi quotidienne à la messe, en paroisse ou dans une chapelle privée aménagée spécialement pour lui à l’Observatoire, et dans la récitation des offices.

Cassini face à lui-même : pratiques de l’ego-écriture. — C’est surtout l’écriture quotidienne de soi qui permet au vieil homme de traverser ses dernières années de vieillesse et de cécité avec équanimité. Ces pratiques ne datent pas du début du Journal, Cassini consignant tous les jours ses observations, et ce dès son installation à l’Observatoire, dans des journaux spéciaux. Il lui arrive également de composer des récits plus construits, à caractère proprement autobiographiques, dont une partie a été éditée par son arrière-petit-fils Cassini IV. Le Journal de sa vie privée est cependant un écrit à part. Son scripteur, manifestement un domestique du savant, reste inconnu. Il émane cependant directement de J.-D. Cassini, qui s’efforce grâce à lui de lutter contre la déchéance qu’il sent l’envahir, en quantifiant et maîtrisant le temps qui passe, mais aussi en luttant en quelque sorte contre la décrépitude physique en en consignant les moindres maux et remèdes, exerçant ainsi son esprit autant que son corps. Ni autobiographie rétrospective, ni journal intime, ni chronique du temps, ni livre de raison, le Journal de la vie privée de J.-D. Cassini est un genre hybride, que l’on peut rapprocher des diaires, à l’origine journaux quotidiens tenus par certains religieux, rendant compte en toute simplicité des événements de la journée et dont l’intérêt est de relater la vie de tous les jours, les visites, les rencontres, les aides. Tout comme pour Benjamin Constant, le journal de Cassini est « une espèce d’histoire, et [il a] besoin de [son] histoire comme de celle d’un autre, pour ne pas [s’]oublier et [s’]ignorer ».

Épilogue

L’Académie des sciences s’est très vite efforcée de centraliser les papiers des savants qui la composent, en particulier par le biais de ses secrétaires perpétuels. Il arrive cependant que, du fait d’une confusion entre papiers personnels et archives scientifiques, certaines familles comme les Cassini conservent indifféremment toutes les productions de leurs membres, au grand dam de certains comme J.-N. Delisle dans les années 1730. C’est ainsi que l’ensemble des papiers des Cassini est entre les mains de l’arrière-petit-fils et homonyme de Jean-Dominique Cassini Ier lors de la Révolution. Cassini IV se pose en gardien et continuateur de l’histoire familiale, entretenant autour de son bisaïeul une sorte de culte, notamment dans le Beauvaisis, terre d’origine de son arrière-grand-mère. Il rédige également ses mémoires, mettant l’accent sur les qualités du fondateur de la dynastie Cassini en France. Mais s’il remet au bureau des Longitudes l’ensemble des papiers scientifiques de ses ancêtres au début du xixe siècle, on ignore ce qu’il est advenu du Journal de la vie privée de J.-D. Cassini, qui se retrouve à la Bibliothèque nationale de France, et non à l’Observatoire avec les papiers familiaux. C’est pourtant Cassini IV qui le fait relier, et propose explicitement son auteur, dans un « avant-propos », comme un modèle de comportement savant, mais aussi humain.

Conclusion

La mort de J.-D. Cassini, survenue le 14 septembre 1712, ne passe pas inaperçue dans les nouvelles du temps, puisque les périodiques non seulement scientifiques, mais aussi mondains comme le Mercure galant, ne manquent pas de la mentionner, de même que les grands mémorialistes. Il est pourtant enterré en toute discrétion à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, dont dépend l’Observatoire. Mais il laisse derrière lui un nom illustre, non seulement du fait de ses découvertes, mais surtout parce qu’il a su assurer l’avenir de ses descendants. En plus d’avoir hissé sa famille dans les rangs de la noblesse comme second ordre de la société, J.-D. Cassini est à l’origine d’une sorte de noblesse scientifique, prouvée par des titres comme ceux d’« astronome du roi » et « pensionnaire de l’Académie des sciences », et quasiment transmissibles à la postérité.


Deuxième partie
édition


Édition critique intégrale du Journal de la vie privée de Jean-Dominique Cassini, dans les deux dernières années de sa vie, depuis le 1er juin 1710 jusqu’au 11 sept. 1712. Dicté par lui-même jusqu’au moment de sa mort, dont manque un bifeuillet couvrant les dates du 18 mai au début du 27 mai 1712.


Pièces justificatives

Édition des contrats de mariage passés entre Jean-Dominique Cassini et Geneviève de Laistre (AN, Minutier central, CXII, 367, contrat du 11 novembre 1673) ; et entre Jacques Cassini et Suzanne-Françoise Charpentier du Charmoy (AN, Minutier central, LXVIII, 546, contrat du 4 avril 1711). Édition des donations de Jean-Dominique Cassini à son fils Jacques (AN, Minutier central, CXII, 444, donation du 3 mars 1711) et d’Élisabeth Godeffroy à sa fille Suzanne-Françoise (AN, Minutier central, LXVIII, 546, donation du 4 avril 1711).


Annexes

Figures, tableaux et reproductions illustrant les relations familiales et la position sociale des Cassini, leur activité scientifique à l’Académie des sciences (notamment la liste des Mémoires présentés à l’Académie des sciences entre 1710 et 1712) et à l’Observatoire. — Index des noms géographiques et patronymiques (étude et édition).