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École des chartes » thèses » 2011

La revue Mouseion (1927-1946)

Les musées et la coopération culturelle internationale


Introduction

La première guerre mondiale représente une rupture en termes géopolitiques autant que culturels. L’époque est celle des évolutions radicales, dans tous les domaines. Les hommes de l’entre-deux-guerres, conscients que plus rien ne sera comme avant, vivent dans la crainte qu’une nouvelle hécatombe ait lieu. La Société des nations (SDN) voit le jour dans ces temps difficiles. Cette organisation internationale a pour ambition de rétablir un équilibre dans le jeu international, sur des bases diplomatiques, économiques, juridiques, mais également culturelles. Les musées apparaissent alors comme un des moyens d’ancrer le pacifisme dans les esprits. Quoi de plus cosmopolite en effet que les collections d’un musée ? Le visiteur, en passant d’une salle à une autre, explore les cultures à travers les œuvres d’art. L’émotion esthétique que suscite la contemplation d’un chef-d’œuvre doit amener à une prise de conscience de l’universalité du génie humain, et à une meilleure appréhension des autres cultures. Selon ce raisonnement, l’art deviendrait dès lors le meilleur rempart contre la guerre.

C’est dans cette optique qu’est fondé en 1926, sous les auspices de la SDN, l’Office international des musées (OIM) ou International Museums Office. Ancêtre de l’actuel International Council of Museums (ICOM), l’OIM a pour ambition de susciter la coopération internationale entre les musées, par le biais d’expositions transnationales, d’échanges d’œuvres d’art et, surtout, par la diffusion des techniques muséales. La revue Mouseion, fondée en 1927, répond à ces trois exigences. Diffusée d’abord dans les musées européens, puis dans le reste du monde, le bulletin de l’OIM publie des articles muséologiques de qualité, en faisant appel aux principales personnalités scientifiques de l’époque.

L’existence de cette revue conduit à s’interroger sur cette phase pré-historique de la muséologie, discipline qui n’acquiert ses lettres de noblesse qu’après 1945, mais qui porte les prémices de son développement ultérieur durant ces années d’entre-deux-guerres. La rédaction de la revue Mouseion, sise au Palais-Royal, dans les locaux de la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI) – International Committee on Intellectual Cooperation (IICI) –, est un véritable laboratoire d’expérimentation muséal. Les destructions de musées opérées pendant la guerre laissent le champ libre à toutes les audaces. Autour de Mouseion, les muséologues renouvellent la conception du musée et, plus largement, de la place de la culture dans la société.

Dans un premier temps, ce travail analyse la mise en place de cette revue internationale, en la situant dans le contexte de l’entre-deux-guerres. La deuxième étape de ce travail consiste à présenter les différents musées et conceptions muséologiques exposés dans la revue. Une remise en perspective historique et scientifique des articles de la revue est proposée. Enfin, est étudié l’impact des tensions internationales en œuvre dès les années 1930 sur le monde des musées et du patrimoine.


Sources

Les sources utilisées sont conservées au centre des archives de l’Unesco. Le sujet impliquait de s’intéresser d’abord à l’organisation de la coopération culturelle par la SDN. A donc été dépouillée une partie des archives de l’IICI, portant sur la commission des Lettres et des Arts de la SDN et sur l’OIM (Unesco-IICI-boîtes 245, 465-466, 529, 642-643). Les archives de l’OIM ont ensuite fourni de précieux renseignements sur le fonctionnement de l’organisation ainsi que sur la rédaction de Mouseion. Le réseau professionnel et amical tissé par les membres de l’OIM – qui sont souvent des rédacteurs de la revue – a ainsi pu être reconstitué, grâce aux archives du fonds de l’OIM (Unesco-IICI-OIM-boîtes 347, 350, 353-360 et 373). Les comptes rendus des premières séances de l’Unesco ont permis de retracer la transition entre l’OIM, d’une part, et l’Unesco et l’ICOM, d’autre part. La revue Mouseion elle-même, enfin, constitue une source de premier ordre. Ses cinquante-six numéros représentent plusieurs milliers de pages et des centaines de planches sur les musées, les monuments, les techniques de conservation et de restauration.


Première partie
Genèse et mise en place de Mouseion, revue internationale de muséologie (1926-1930)


Chapitre premier
L’esprit de Genève à l’origine de la revue Mouseion

La mise en place de la revue Mouseion correspond au besoin qui se fait jour de diffuser les idées nouvelles portées par la SDN. L’idéal de coopération culturelle doit passer par le biais des musées : ceux-ci doivent ouvrir leurs collections aux œuvres d’art étrangères et coopérer entre eux. C’est à l’historien d’art Henri Focillon que revient la paternité de l’OIM. En 1926, devant une assemblée éclairée composée de personnalités telles que Béla Bartók, Thomas Mann ou Paul Valéry, il propose la création d’une organisation internationale de coopération spécialisée dans les champs des musées et du patrimoine. La proposition est unanimement saluée et est officiellement ratifiée lors de la viie assemblée de la SDN. L’année suivante, le premier numéro de Mouseion est publié.

Chapitre II
Fonctions de Mouseion

La nouvelle revue s’affirme aussitôt comme une publication scientifique, censée toucher un public international de connaisseurs : conservateurs de musées, administrateurs des beaux-arts, universitaires et amateurs d’art représentent le lectorat ciblé par l’ambitieuse revue. Publié d’abord en français, puis en cinq langues à partir de 1931 (français, anglais, allemand, espagnol et italien), Mouseion se veut résolument internationaliste. Elle sollicite les spécialistes du monde entier, mais publie majoritairement, il est vrai, des auteurs européens. Sa diffusion n’en est pas moins internationale. Première revue muséologique internationale, Mouseion parvient au fil des ans à réaliser son souhait de devenir « une libre tribune pour les conservateurs du monde entier ».


Deuxième partie
Mouseion : un tour du monde des musées de l’entre-deux-guerres (1930-1946)


Chapitre premier
Le renouveau des musées d’après-guerre

Les musées ne sortent pas indemnes du conflit. Dans la crise des valeurs de l’après-guerre, ceux-ci sont assimilés à des vestiges d’un autre temps, à des reliques mortifères et élitistes qui n’ont plus de raison d’être. Les musées passent alors par une profonde remise en question de leurs conceptions, notamment en matière d’exposition des collections. Les grands musées nationaux, comme le musée du Louvre, le British Museum ou les Musées royaux de Bruxelles sont réorganisés selon les principes nouveaux venus des États-Unis. Les musées se lancent dans une reconquête de leur légitimité au sein de la société. L’importance de leur mission sociale et éducative s’affirme alors et devient un des arguments de leur bien-fondé.

Chapitre II
Les conférences internationales de l’OIM

Durant les années 1930, l’OIM organise de grandes conférences internationales d’experts, destinés à faire le point sur les évolutions muséales et patrimoniales. La revue Mouseion relaye cette action, en publiant les communications scientifiques lues à ces occasions. En 1930, une première conférence se tient à Rome, sur le thème de la restauration d’art. L’apport des techniques venues de la chimie et de la physique révolutionne les connaissances en matière picturale et sculpturale. L’année suivante a lieu la conférence d’Athènes : il s’agit d’une date-clé dans l’histoire patrimoniale, puisque c’est à cette occasion qu’apparaît officiellement la notion de patrimoine commun de l’humanité, qui va ensuite être repris par l’Unesco. En 1934, l’OIM organise une conférence sur l’architecture et l’aménagement des musées à Madrid : cette rencontre donne lieu à un manuel à usage des conservateurs : Muséographie. Une dernière conférence a lieu au Caire, sur les nouvelles techniques archéologiques. La guerre interrompt cette intense activité scientifique.


Troisième partie
L’écho des tensions internationales
dans le monde des musées (1933-1946)


Chapitre premier
Les musées totalitaires

Si les années 1920 sont marquées par l’avènement du fascisme en Italie et du Parti bolchevique en Russie, c’est surtout la décennie suivante qui marque le début d’une marche vers la guerre. L’arrivée au pouvoir du chancelier Adolf Hitler en Allemagne a des incidences politiques et idéologiques dont les ondes de choc parviennent jusqu’à l’atmosphère feutrée des musées. De nombreux conservateurs sont révoqués et les musées deviennent les porte-paroles du nouveau régime. En URSS, le régime stalinien procède de la même manière autoritaire avec les musées. Aux antipodes de l’idéal genevois, le nouveau musée totalitaire est utilisé comme un outil de propagande de masse, destiné à glorifier la nation, le chef et les idéaux martiaux.

Chapitre II
Protéger le patrimoine en temps de guerre (1936-1946) 

La guerre d’Espagne qui débute en 1936 ranime le spectre d’une nouvelle guerre sur le continent européen. Les conservateurs espagnols font cependant montre d’une excellente préparation à cette perspective : dès les premiers jours de la guerre, les collections des musées sont entreposées en lieu sûr et les monuments sont protégés des bombardements. La revue Mouseion publie de nombreux articles sur la protection du patrimoine en temps de guerre, afin que les techniques expérimentées en Espagne soient le plus largement possible diffusées. La guerre civile espagnole suscite une vague de réflexions sur ce qu’est le patrimoine et sur la responsabilité collective en cas de destruction. En ce temps de crise, la notion de patrimoine commun de l’humanité devient de plus en plus présente dans les milieux internationalistes de la coopération intellectuelle. L’OIM s’efforce, en vain, de lancer des projets de conventions internationales destinées à inscrire dans le droit la protection des biens culturels. La seconde guerre mondiale balaye tous ces efforts, et avec elle cesse la parution de Mouseion.


Conclusion

L’OIM reprend durant une courte période la publication de Mouseion durant l’année 1946. L’avenir de la revue est lié est celui de l’organisation. Durant la guerre, les ministres des Affaires étrangères du camp allié mettent sur pied une nouvelle organisation internationale, sous l’égide des États-Unis. L’Unesco naît en 1946 et ses compétences rejoignent celles de l’OIM, rendu obsolète. La période de transition entre les deux organisations n’est pas sans heurts : l’Unesco et surtout l’ICOM demeurent cependant fidèles à l’idéal internationaliste de la défunte organisation et poursuivent le travail engagé durant l’entre-deux-guerres. Mouseion n’est plus dès 1946 ; en 1949, une nouvelle revue de l’ICOM est fondée, Museum (l’actuelle Museum International). Bien que brève, l’existence de l’OIM et de Mouseion a ouvert de nombreuses perspectives dans le domaine de la coopération culturelle internationale. Dès 1946, c’est sur un terreau intellectuel fertile que l’Unesco peut s’implanter.


Annexes

Statuts de l’OIM. — Organigramme de l’OIM au sein de l’Organisation de coopération intellectuelle (OCI) de la SDN. — L’œuvre de coopération intellectuelle de Paul Valéry : coupure de presse, lettre de Henri Focillon à Paul Valéry (30 septembre 1921), carte de Paul Valéry comme membre de la SDN. — Statistiques des nationalités représentées parmi les rédacteurs de Mouseion. — Évolution des couvertures de Mouseion entre 1927 et 1946. — Bulletin d’abonnement à la revue. — Bulletin aux abonnés (1946). — Conférence d’Athènes (1931) : ordres du jour de la conférence, liste des experts présents à Athènes, conclusions de la conférence, résolutions adoptées par la CICI et la SDN après Athènes. — Muséographie : liste des participants à la conférence de Madrid, table des matières, liste des musées. — Le Corbusier et les musées : lettre de Le Corbusier à Paul Valéry sur le projet du Palais des Nations de la SDN (10 mars 1927). — Article de Mouseion sur le projet du musée à croissance illimitée par Le Corbusier (1940). — Catalogue iconographique. — Répertoire.