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École des chartes » thèses » 2011

Les monnaies mérovingiennes modifiées à des fins non monétaires

Usages et perceptions des métaux précieux


Introduction

Les monnaies qui font l’objet de cette étude sont les pièces d’époque mérovingienne au sens large, c’est-à-dire frappées entre la seconde moitié du ve siècle et la première moitié du viiie siècle, et qui ont subi à cette même époque des modifications dans le but d’en faire un usage autre que monétaire.

De nombreuses altérations ou modifications physiques peuvent survenir lors des cycles de l’utilisation et du recyclage du métal constituant les monnaies. Ces dernières sont couramment refondues, refrappées, parfois surfrappées par les autorités émettrices. Leur circulation normale entraîne usure, traces de vérifications de leur métal, parfois même des coupures pour fractionner la valeur du numéraire. Certaines transformations, coupures ou rayures du type sont aussi liées à la démonétisation des pièces ou à leur remise en circulation. Les modifications physiques volontaires apportées aux monnaies sont cependant surtout liées à une utilisation autre que monétaire. Elles fournissent des indications précieuses sur la façon de considérer ces pièces en tant qu’objet, et pas seulement comme instrument d’échange.

On connaît peu d’études spécifiquement consacrées à la monnaie modifiée. Elles ont en général pour argument des objets d’exception, sont cantonnées à une approche liée uniquement à la numismatique, à l’archéologie ou à l’histoire de l’art. Dans le cours de cette étude, les ressources de chacune de ces disciplines ont été mobilisées, selon une orientation générale liée aux théories anthropologiques récentes sur la culture matérielle et sa place dans l’étude des mentalités, et en particulier celle d’I. Kopytoff sur la biographie culturelle des objets.


Première partie
Définition de l’objet d’étude et du corpus


Chapitre premier
Constitution et composition des ensembles étudiés

L’étude a porté sur deux ensembles de monnaies mérovingiennes modifiées. Le premier (corpus A) correspond aux découvertes en contexte mérovingien dans les limites de la France actuelle. Ont été prises en compte toutes les monnaies frappées entre la seconde moitié du ve siècle et la première moitié du viiie siècle dans tous les territoires contrôlés à un moment donné par la dynastie mérovingienne.

Le second groupe de monnaies (corpus B) comprend les monnaies mérovingiennes modifiées conservées dans les collections publiques françaises. Il s’agit cette fois strictement des frappes des souverains mérovingiens, dont la provenance est inconnue ou qui ont été découvertes hors de France.

Plusieurs facteurs pèsent sur la composition de ces ensembles et sur leur interprétation. Le recensement des collections numismatiques et des trouvailles monétaires françaises est très inégal, ce qui rend illusoire la possibilité d’un corpus exhaustif. La date de la fouille et les évolutions de l’archéologie nationale conditionnent les techniques mises en œuvre, la conservation et la documentation des objets mis au jour. La précision et la fiabilité des informations dont on dispose en sont considérablement affectées, ainsi que le devenir du mobilier, qui peut être perdu, ou conservé selon les cas dans des cabinets numismatiques, des musées ou divers autres types de dépôts temporaires ou définitifs.

L’archéologie mérovingienne a longtemps reposé sur l’étude des sépultures et de leur mobilier, qui constituent par conséquent encore actuellement l’essentiel des sites connus. La pratique de l’inhumation habillée tend de plus à privilégier le nord du territoire et la période précédant le début du viiie siècle du point de vue de l’abondance du mobilier retrouvé. Ces éléments influent sans doute sur les trouvailles recensées : une étude de leur répartition révèle que ces monnaies modifiées se trouvent presque toujours au nord-est du territoire et en contexte funéraire.

Le corpus A permet cependant une étude conciliant approche archéologique et numismatique qui dépasse les cadres habituels de la collaboration entre ces deux disciplines, qui se limite traditionnellement surtout à des questions de datation.

Chapitre II
Les catalogues : remarques méthodologiques et pratiques

L’abondance du mobilier recensé a conduit à la création d’une base de données. Les normes de description des monnaies et des modifications dont elles ont fait l’objet ont par conséquent fait l’objet d’une étude, ainsi que la manière de gérer l’hétérogénéité de l’information disponible. Les champs ont été répartis en catégories portant notamment sur la monnaie, la modification subie, l’objet dans lequel elle est éventuellement intégrée, le contexte de découverte ; une nomenclature a été définie.

Chapitre III
Analyse des monnaies modifiées conservées à la Bibliothèque nationale de France

Une partie des monnaies du corpus B a fait l’objet d’une observation plus poussée, ainsi que d’analyses de composition par LA-ICP-MS et par spectrographie de fluorescence X au Centre Ernest Babelon-IRAMAT du Centre national de la recherche scientifique.

Les techniques mises en jeu dans la modification des monnaies ont ainsi pu être précisées. Elles sont plus ou moins frustes selon les cas, mais le lien entre la valeur de la monnaie de départ et la nature de la transformation n’est pas systématique. Le corpus B se compose pour l’essentiel de tiers de sous, transformés surtout par perforation ou adjonction de bélière, par simple pincement du flan, par soudure ou par brasure, et dans un cas grâce à un rivet. Les quelques sous d’or représentés présentent parfois des montures plus élaborées – bague, médaillon (cercle de grènetis extérieur) – mais celles-ci se retrouvent également sur quelques rares tiers de sous. Les monnaies à bas titre ou fourrées sont plus souvent simplement percées que les autres, et elle représentent une proportion assez importante du corpus pour qu’on puisse supposer qu’elles étaient particulièrement recherchées pour ce genre d’usage.

Les bélières sont en général de meilleur titre que les monnaies auxquelles elles sont fixées ; les seules exceptions concernent des monnaies exceptionnellement riches en or. Elles contiennent souvent des quantités non négligeables de cuivre, ce qui concorde avec les techniques d’orfèvrerie en usage dans l’Antiquité. Les alliages sont de composition très variable et semblent mal maîtrisés ; ces irrégularités sont cependant nettement plus marquées dans la composition du métal des monnaies que dans celui des montures et attaches.

Le sens dans lequel la perforation ou la fixation de la bélière a eu lieu peut souvent être déterminé, et fournit des indications quant au type monétaire privilégié par l’artisan : il s’agit à égalité des bustes et des croix, qui sont aussi les types les plus courants du monnayage de l’époque. Certains éléments graphiques peuvent également servir de guides – on constate par exemple que la perforation a souvent lieu dans un des « o » de la légende. La modification a en outre parfois lieu indépendamment de toute considération graphique, et on peut dans ce cas envisager une utilisation plus liée à l’aspect brillant du métal qu’à l’iconographie de la monnaie.

L’usure relative de la monnaie et de la fixation donne en outre une idée de la chronologie de la modification et de l’enfouissement. Les monnaies modifiées ont souvent fait l’objet d’une utilisation assez prolongée pour occasionner dégradations, réparations, renforts et parfois des transformations multiples et successives. Les transformations sont globalement contemporaines de la période de circulation de la monnaie.


Deuxième partie
Une biographie matérielle des monnaies modifiées


Chapitre premier
Première étape de la vie des monnaies modifiées : l’approche numismatique

Il existe un débat de longue date autour des noms de lieux et de personnes cités par les légendes monétaires et plus particulièrement autour du personnage du monetarius, qui a des conséquences importantes sur l’interprétation des conditions de la frappe des monnaies mérovingiennes et des objectifs des émissions. Une hypothèse fait de ce personnage un orfèvre, sur la base notamment du personnage d’Abbon cité par la Vita Eligii. Ce rapprochement aurait des conséquences sur les rapports de la monnaie aux autres objets de métal précieux de la période, du point de vue du travail mais aussi de la composition, et resserrerait les liens entre la monnaie et le bijou. La modification serait alors effectuée par les mêmes ateliers, avec les mêmes outils, et à partir du même stock de métal. Le monétaire est de plus nettement distinct du graveur de coins, ainsi que du monnayeur. La fabrication effective des monnaies serait donc le fait d’un autre artisan. On a pu présenter le monetarius comme un homme de confiance, un responsable chargé du maniement et de la gestion du métal précieux, mais pas nécessairement de sa transformation matérielle.

Un second aspect de ce débat tourne autour de la fonction de la monnaie à l’époque mérovingienne. Selon qu’elle est perçue avant tout comme un instrument du commerce, de la fiscalité ou de prestige, sa transformation en ornement prend une signification différente : marque de richesse ou de pouvoir, symbole politique ou religieux, souvenir de l’Empire romain ou encore réserve de valeur susceptible d’être remise en circulation.

Les monnaies en circulation à l’époque mérovingienne et donc susceptibles d’être modifiées incluent non seulement les frappes des divers royaumes mérovingiens à proprement parler, dont l’extension géographique varie considérablement au cours de la période, mais aussi celles des royaumes barbares ayant pris en Gaule le relais de la monnaie impériale. La chronologie de ces monnayages est difficile à établir avec précision, ce qui est un obstacle de taille à la datation des modifications éventuelles et de la déposition. On retrouve également en contexte mérovingien des monnaies anciennes, gauloises ou romaines, ainsi que des monnaies byzantines. Lorsque ce sont de monnaies de cuivre, de billon voire d’argent, on peut supposer qu’elles ont servi de petite monnaie d’appoint ou qu’elles ont été conservées comme objets de curiosité ou comme amulettes ; les monnaies d’or et d’argent sont plutôt interprétées comme des objets de prestige liés au passé, ou comme l’indice d’une thésaurisation ancienne.

Chapitre II
Seconde étape de la vie des objets : l’approche de l’histoire de l’art

L’histoire de l’art s’est peu intéressée à la numismatique, en dépit de la place considérable que tient par sa vaste diffusion l’iconographie monétaire dans la culture visuelle de son époque. Réciproquement, la numismatique ne s’est intéressée qu’aux questions stylistiques permettant d’identifier des graveurs, des influences et des modèles dans les types monétaires, afin de situer géographiquement, chronologiquement et éventuellement idéologiquement les monnaies étudiées, sans jamais se pencher sur des questions esthétiques. Des rapprochements stylistiques, techniques et iconographiques avec d’autres objets et formes d’art sont cependant susceptibles de suggérer des pistes pour l’interprétation des monnaies modifiées. L’époque mérovingienne a produit des objets de forme et de fabrication semblables aux monnaies, comme les sceaux, les rivets monétiformes, mais aussi des substituts de monnaie comme les tremisses de cuivre, des fausses monnaies et des monnaies d’exception. Les similitudes et les différences de ces objets par rapport aux monnaies traditionnelles donnent des indications intéressantes sur les finalités possibles – économiques, mais aussi ornementales ou funéraires – des monnaies mérovingiennes, en particulier modifiées.

Orfèvres et monétaires sont impliqués dans la fabrication d’une monnaie modifiée, et il est probable que ces deux aspects du travail des métaux précieux ont au moins à l’occasion lieu dans les mêmes ateliers et mettent en jeu les mêmes individus. Tous travaillent en tous cas à partir du même stock de matière première, dont les variations, quelle que soit leur cause, les affectent simultanément sinon de façon similaire. Lorsque la monnaie d’or cède la place au numéraire d’argent vers le milieu du viie siècle, un mouvement inverse s’opère dans l’orfèvrerie. Or le numéraire d’or mérovingien semble dès l’origine avoir une fonction de prestige plus que commerciale, contrairement à la monnaie d’argent, et son iconographie s’accorde bien, sous une apparente uniformité, avec l’ambiguïté entre thèmes païens, impériaux et chrétiens qui prévaut à l’époque mérovingienne. Les types les plus courants – qui n’excluent pas cependant une certaine variété ni n’interdisent toute fantaisie aux graveurs – sont les bustes et têtes, les Victoires et leurs dérivés, les croix et les chrismes. Ils ont probablement donné lieu à une grande variété dans la réception et l’interprétation, accentuée dans le cas d’une circulation prolongée. Il est possible que le choix d’une monnaie comme élément de parure, parfois, ait été lié simplement à leur forme et à leur matière précieuse. L’iconographie des pièces relevait plus probablement d’un choix conscient, en particulier dans le cas de monnaies contemporaines du travail de l’orfèvre.

La monnaie en orfèvrerie semble donner lieu à des attitudes contradictoires. D’une part, elles donnent parfois lieu à des modifications successives indiquant qu’on leur accordait une valeur certaine en dépit de leur peu d’ampleur et de couleur ; d’autre part, le travail de modification de ces objets est souvent fruste et relativement pauvre en regard des réalisations de l’époque. L’abondance de monnaies fourrées fait écho aux stratégies visant à économiser les métaux précieux, tout en donnant aux objets l’aspect le plus riche et le plus brillant possible. De tels objets pourraient avoir trouvé dans la bijouterie une légitimité et une valeur auxquelles ils ne pouvaient prétendre comme instruments d’échange, voire avoir fait l’objet d’une production spécifique. Le nombre des imitations de types monétaires utilisées dans l’ornement, surtout sur les fibules, va dans ce sens.

Dans ses formes, le bijou monétaire mérovingien se nourrit à la fois de la tradition du médaillon monétaire romain, dont la Gaule était au Bas Empire un centre de production et de diffusion important, et des monnaies modifiées et bractéates germaniques, toutes liées à un contexte économique et politique troublé favorisant la thésaurisation. La perforation, si fréquente à l’époque mérovingienne, est une caractéristique du barbaricum, mais le port de monnaies en pendentif isolé, insérées dans des colliers, montées en bague, et aussi parfois directement cousues sur le vêtement, s’accorde avec les habitudes romaines du passé et les modes byzantines du moment. La châtelaine et l’aumônière constituent quant à elles une innovation inspirée des pratiques germaniques.


Troisième partie
La biographie culturelle de la monnaie modifiée : interprétations et perspectives


Chapitre premier
Interprétation des objets des corpus

L’historiographie anglo-saxonne, dynamisée sur les questions touchant aux usages alternatifs des monnaies dans l’Angleterre du haut Moyen Âge par des découvertes prestigieuses comme la sépulture de Sutton Hoo ou le trésor de Saint-Martin de Canterbury, offre des pistes de réflexion intéressantes pour l’étude des monnaies modifiées mérovingiennes. Les conditions particulières qui prévalent alors sur le territoire anglais permettent de percevoir plus distinctement certains de ces phénomènes : le rôle de la monnaie y est manifestement autre que commercial ; des monnaies antiques et étrangères très diverses y circulent et y font longtemps l’objet de transformations, avant puis après l’apparition de frappes insulaires présentant des liens étroits avec celles des royaumes mérovingiens ; les monnaies modifiées et déposées en contexte funéraire sont particulièrement nombreuses et bien étudiées. Des divergences dans la situation de l’Angleterre et de la Gaule mérovingiennes par rapport à la monnaie, liées surtout à l’inégale permanence du modèle impérial romain, nécessitent des précautions méthodologiques. Le recours et l’exploitation par les chercheurs anglais de l’iconographie et des analyses élémentaires constituent cependant un modèle appréciable.

Quelques nécropoles mérovingiennes, parmi lesquelles ont été retenues ici celles de Nouvion-en-Ponthieu, de Lavoye, de Bierry-les-Belles-Fontaines ou encore des Champs Traversains, sont inhabituellement riches en monnaies modifiées. Chacune présente ses caractères propres, et il est par conséquent difficile de tirer des conclusions générales de leur étude. Les objets des corpus A et B permettent, quant à eux, de déceler de grandes tendances, sachant que les colliers d’Arcy-Sainte-Restitue et d’Épinal, objets exceptionnels, ont dû être considérés isolément. Les monnaies modifiées le sont pour la plupart par simple perforation, souvent rudimentaire. Elles sont parfois munies de bélières, et un peu plus rarement montées en bague. Dans un cas, la monnaie était insérée dans un grènetis ; l’unique monnaie montée en broche était, quant à elle, le fruit d’une modification largement postérieure à l’époque mérovingienne.

L’intervalle de temps entre la frappe et la transformation en bijou, et entre la frappe et l’ensevelissement semble aller diminuant : au viie siècle, les monnaies sont transformées presque immédiatement. Comme ces transformations concernent de façon de plus en plus exclusive des monnaies d’or, le phénomène est sans doute lié au passage au numéraire d’argent, et au retranchement de plus en plus explicite de la monnaie d’or dans des fonctions autres que commerciales. Les sous d’or modifiés représentent une part minoritaire du corpus, mais ils sont relativement nombreux par rapport à la fraction du numéraire mérovingien connu. La majorité des monnaies modifiées sont cependant des tiers de sou, avec une proportion importante de monnaies fourrées. Les modifications sont rarement univoques quant au choix du type et n’observent pas d’iconographie qui soit systématiquement privilégiée. Lorsque le contexte de découverte est connu avec quelque précision, il s’agit sans exception de contextes funéraires, et presque toujours de tombes féminines. Elles sont rarement combinées à plus de deux ou trois exemplaires, en général en association avec un mobilier de type aristocratique.

Chapitre II
Quelques éclairages sur la société mérovingienne fournis par les monnaies modifiées

La répartition des trouvailles et la nature des monnaies choisies, tout comme la pratique de les modifier, donnent des indications sur le degré de planétarisation et sur la circulation des pièces. Ces objets sont particulièrement intéressants à étudier dans la société mérovingienne, qui se caractérise par un système de sphères d’échanges symboliques autant que matériels, reposant sur le don autant que sur le commerce. La frappe et l’émission monétaires revêtent un rôle symbolique et politique crucial. Elles servent l’expression du prestige social et, dans le cas des rois, reflètent les rapports des Francs avec les modèles impériaux romain et byzantin. La monnaie participe à la composition du trésor, principal instrument de pouvoir. L’iconographie choisie est en outre un véritable instrument de propagande, qui fournit des indications intéressantes sur les évolutions et les revendications politiques des émetteurs. Le choix de telle ou telle monnaie comme ornement est sans doute souvent révélateur d’une prise de position délibérée de la part de son propriétaire.

Plus généralement, la possession et l’ostentation brillante de l’or sont un indice du statut et de la position de l’individu et de son groupe familial. Les métaux précieux font l’objet de stratégies complexes de thésaurisation et d’ostentation visant à affirmer le pouvoir et la richesse du groupe. Elles trouvent leur expression la plus subtile et la plus débattue dans les pratiques funéraires. La présence de mobilier funéraire a longtemps été interprétée comme un indicateur ethnique ; on considère actuellement qu’elle correspond plutôt à une évolution chronologique, liée à la stabilisation progressive de la société alto-médiévale. Après la disparition des cadres romains, le groupe exprime son statut par le mobilier funéraire et le rituel entourant l’inhumation de ses membres ; à mesure que la hiérarchie sociale se stabilise, ceux-ci se standardisent et s’appauvrissent. Des questions se posent cependant concernant les critères pertinents pour déterminer la valeur relative accordée au mobilier funéraire. L’abondance des monnaies fourrées parmi les monnaies modifiées suggère notamment une attitude différente en contexte commercial et funéraire vis-à-vis des objets présentant seulement l’apparence du métal précieux par rapport aux objets en métal précieux massif. L’extension géographique et chronologique des objets, les allégeances et alliances politiques qu’implique leur iconographie jouent un rôle autant que leur valeur matérielle brute. Le choix du mobilier dépend également du personnage inhumé, de sa place et de son rôle dans le groupe familial et social. Les monnaies modifiées, comme de façon générale les bijoux, sont un mobilier surtout féminin ; elles révèlent le rôle économique, politique et symbolique important de ces dernières dans la société mérovingienne, sans permettre cependant de décider si ce rôle était actif ou passif.

Le dépôt funéraire semble avoir été avant tout social ; les sépultures mérovingiennes recèlent cependant bon nombre d’objets que les archéologues considèrent comme des amulettes et des objets magiques associés à des croyances païennes, mais aussi au christianisme rudimentaire du très haut Moyen Âge. Les monnaies modifiées pourraient ainsi avoir été utilisées comme amulettes et talismans en vertu de leur matière, de leur iconographie – animaux, bustes, personnages ailés, mais aussi croix – ou de leur légende, puisqu’une valeur magique était souvent associée à l’écrit. L’attitude de l’Église vis-à-vis de ces pratiques est d’ailleurs ambiguës associant condamnations des pratiques superstitieuses et de la richesse temporelle à une inscription forte dans les structures de pouvoir. L’Église, comme un puissant laïc, accumule terres et richesses, donne et reçoit, fait travailler les métaux précieux ; les monnaies qu’elle émet font probablement souvent office de médailles de dévotion. Une évolution progressive se fait cependant avec la montée en puissance d’un modèle chrétien d’inhumation et d’expression du pouvoir.


Conclusion

L’époque mérovingienne est une période de transition conduisant à la mise en place d’un système monétaire nouveau fondé sur le denier d’argent. Dans l’intervalle, les pièces de monnaie font l’objet d’usages autres que celui d’intermédiaire des échanges et de réserve de valeur marchande ; elles tiennent une place inhabituelle dans les mentalités, que les modifications qu’elles peuvent subir rendent sensibles. Les bijoux intégrant des monnaies n’étaient pas simplement une démonstration de richesse, mais s’inséraient dans un système symbolique complexe mettant en jeu des aspects politiques, sociaux et religieux, dont témoigne leur présence fréquente dans les sépultures.


Catalogue

Un catalogue regroupe toutes les informations et illustrations concernant les objets des corpus A et B, traités dans deux parties distinctes. Dans le premier cas, les monnaies découvertes sur le territoire français sont réparties entre celles qui sont connues par simple mention et celles qui sont conservées, ou illustrées selon les cas par des dessins, des gravures ou des photographies de qualité variable. Le collier découvert à Arcy-Sainte-Restitue est catalogué à part. En ce qui concerne le corpus B, les monnaies conservées dans les collections publiques françaises, une première section du catalogue recense les monnaies conservées à la Bibliothèque nationale de France, dont celles qui ont été analysées à l’IRAMAT. Une seconde section regroupe les objets issus d’autres institutions. Les résultats d’analyse sont présentés de façon plus détaillée sous forme de tableau à la suite du catalogue.