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École des chartes » thèses » 2011

G. W. Leibniz, Dynamica de potentia et legibus naturæ corporæ

Matériaux pour une édition critique


INTRODUCTION

Les lois qui gouvernent les chocs entre les corps constituent l’un des problèmes centraux de la physique du xviie siècle. La question sembla suffisamment importante pour inciter la Royal Society de Londres à organiser en 1668 un concours, auquel participèrent Christopher Wren, John Wallis et Christian Huygens. D’autres publications suivirent, celles de Mariotte puis de Malebranche en 1675.

C’est dans ce contexte que naît et se développe la réflexion de Leibniz sur les lois du mouvement, contribution fondamentale au débat philosophique et scientifique du xviie siècle et clé d’accès essentielle pour comprendre la métaphysique du philosophe. Après le tournant opéré dans le De corporum concursu de 1678, où Leibniz inaugure la « réforme de la mécanique », la Dynamica de potentia et legibus naturae corporeae de 1689 représente la systématisation la plus aboutie des principes de sa physique. Les différentes versions du texte reflètent la complexité du processus d’élaboration : alors que la première naît sous l’influence des Principia newtoniens, les versions postérieures et leurs annotations reflètent, dans une certaine mesure, les intenses discussions que Leibniz a eues avec les savants italiens lors de son voyage de plus d’un an (1689-1690) dans la péninsule.

La seule édition imprimée à ce jour de ce texte capital (au tome VI des Mathematische Schriften publiés de 1849 à 1863 par Karl Immanuel Gerhardt) est partielle et fort lacunaire, car elle repose sur la simple transcription d’une copie que Leibniz avait fait préparer par le baron Rudolph Christian Bodenhausen, en vue d’une impression à laquelle il renonça.

La présente étude comprend notamment l’analyse codicologique, préalable nécessaire à l’établissement du texte, et la transcription de ce volumineux manuscrit, complète dans toutes ses parties et conforme aux critères actuels de l’ecdotique. Elle réunit ainsi les matériaux sur lesquels pourra se fonder enfin l’édition critique de la Dynamica. Les critères retenus se prêteront notamment à une élaboration électronique.


Sources

Le manuscrit qui constitue le corpus de la Dynamica, conservé aujourd’hui à la division Handschriften und Sonderbestände de la Gottfried Wilhelm Leibniz Bibliothek (GWLB) de Hanovre, compte 898 feuillets. Cet ensemble a été divisé par la bibliothèque en trois parties, identifiées par les cotes suivantes : LH XXXV, 11, 18 A (440 fol.) ; LH XXXV, 11, 18 B (242 fol.) ; et LH XXXV, 11, 18 C (216 fol.). La division ne coïncide cependant ni par l’écriture ni par la chronologie avec la stratification des phases de rédaction qui déterminent la formation du corpus.

En effet, il faut distinguer :

1o le brouillon proprement dit, écrit par Leibniz : section A, fol. 1-284 et 353-440 ; section B, fol. 235-242 ; section C, fol. 1-26 ;

2o la première copie, confiée par Leibniz à un copiste, ensuite abondamment corrigée et complétée de la main de l’auteur : section A, fol. 287-350 ; section B, fol. 5-206 ;

3o la dernière version, transcrite par Bodenhausen à partir des deux précédentes : section C, fol. 27-222 ; c’est l’état du texte qui a servi à l’édition de Gerhardt.

Les sections A et B et 26 feuillets de la section C ne sont pas en cahiers : il s’agit majoritairement de feuillets isolés au format in-4o. Le reste de la section C (transcription de Bodenhausen) est réuni en deux cahiers : le premier de 123 feuillets, le second de 71 feuillets.

La correspondance entre Leibniz et Bodenhausen, disponible dans l’édition dite « Akademie Ausgabe » du corpus leibnizien (3e série, t. IV), est d’une importance fondamentale pour comprendre l’histoire du manuscrit. Les nombreuses références à celle-ci qui jalonnent la Dynamica permettent en effet de reconstruire avec précision la chronologie et les circonstances qui ont présidé à la genèse du texte.


Première partie
Genèse de la Dynamica


Chapitre premier
Formation de la dynamique leibnizienne

Pendant son séjour à Paris (1672-1676), Leibniz élabore les premières observations critiques concernant les lois du choc présentes dans les Principia de Descartes : il s’agit d’une série de notes, écrites entre la fin de 1675 et le début de 1676, où la conservation de la quantité de conatus est opposée à la thèse cartésienne de la conservation des quantités de mouvement. Dans une lettre de 1677, une fois achevé le séjour à Paris, Leibniz écrit que, sur la route du retour vers l’Allemagne, il s’est définitivement convaincu de la fausseté, au moins partielle, non seulement des lois du mouvement proposées par Descartes mais aussi de toutes celles qui ont été publiées jusqu’alors. En janvier 1678, dans le De corporum concursu, il élabore une théorie cohérente sur le choc entre les corps. Il y fixe, d’une part, le principe selon lequel l’effet entier est toujours égal à sa cause, tandis que, de l’autre, il détermine l’évaluation de la force à travers la formule mv2. Ceci implique une distinction entre la conservation de la force et la conservation de la quantité de mouvement, sur laquelle se fonderont les critiques ensuite adressées à Descartes.

Dans ce cadre, la Dynamica de potentia de 1689 représente la systématisation la plus importante et la plus complète des principes de la dynamique leibnizienne. Toutes les analyses ultérieures du philosophe seront construites à partir de cette synthèse : le Specimen dynamicum de 1695, adaptation destinée à faire ressortir davantage l’aspect métaphysique de ses thèses, mais aussi les Animadversiones in partem generalem Principiorum Cartesianorum et l’Essay de dynamique de 1692, qui en représentent d’autres aboutissements. Même la combinaison des équations relatives pour former l’équation absolue de conservation de la quantité d’action – sans doute le point le plus remarquable du tardif Essay de dynamique (1700) – résulte des chaînes déductives élaborées dans la Dynamica de potentia.

Chapitre II
L’Iter italicum de Leibniz

En octobre 1687, Leibniz quitte Hanovre pour n’y retourner que le 10 juin 1690, après avoir séjourné en Italie de mars 1689 au 30 mars 1690. Le motif officiel du voyage est la rédaction d’une histoire de la maison de Brunswick-Lunebourg, qui lui avait été commandée quelques années auparavant par le duc Ernest-Auguste de Hanovre. Arrivé à Munich puis à Augsbourg pour consulter un ancien manuscrit de l’Historia de Guelfis principibus cité par Aventius, il était venu à bout d’une question historiographique controversée, en établissant l’origine commune de la maison des Welf et de celle des Este. Désirant pousser sa recherche jusqu’aux origines des Welf, il lui était nécessaire de se déplacer en Italie.

Toutefois, pour Leibniz, l’iter italicum représente surtout l’occasion d’entrer en contact avec les académies italiennes, comme l’académie du Cimento de Florence ou l’académie des Lynx et l’Accademia fisicomatematica de Rome. Les traces des rencontres avec les savants italiens sont largement presentes dans les deux textes majeurs rédigés par Leibniz durant ce long séjour : le Phoranomus, fortement inspiré (jusque dans le choix de la forme du dialogue) des écrits de Galilée, et la Dynamica de potentia. La rédaction et la composition matérielle du manuscrit de la Dynamica se révèlent donc largement conditionnées par les circonstances qui ont marqué le déroulement du voyage de Leibniz.

Chapitre III
De « Unsere Dynamica » à « Seine Dynamicorum »

Leibniz entreprend la rédaction initiale de la Dynamica de potentia en août et septembre 1689, au moment même où il vient de terminer le Phoranomus. Les phases successives de rédaction de ce texte occupent la fin de son séjour à Rome et la durée de son passage à Florence (du 22 novembre au 22 décembre 1629). Elles s’achèvent sur toute une série d’ajustements qu’il fait parvenir, de Venise où il réside jusqu’au 18 mars 1680, à Bodenhausen, précepteur des fils de Côme III de Médicis, à qui il avait déjà remis une copie du texte lors de son séjour à Florence. Leibniz a en effet le projet de publier la Dynamica à Florence sous les auspices du grand-duc de Toscane, dans la version transcrite par Bodenhausen.

Il est ainsi possible de suivre, lettre après lettre, les événements qui ont marqué la composition du manuscrit, de l’enthousiasme initial des deux savants dans l’entreprise commune (« unsere Dynamica ») jusqu’à la déception causée par les procrastinations continues de Leibniz, éloquemment exprimée par le changement d’adjectif qualificatif (« seine Dynamicorum ») dans les dernières lettres de Bodenhausen. En effet, le projet n’aboutit jamais, car Leibniz tarda indéfiniment à rédiger et à transmettre la fin de l’ouvrage. Il évoque, pour s’en excuser, la volonté d’y intégrer nombre de nouvelles considérations, mais aussi la crainte d’une réception hostile aux thèses qu’il expose.

Après la mort de Bodenhausen, survenue le 9 avril 1698, Leibniz demanda à Magnus Gabriel Block de récupérer toutes les pièces relatives à la Dynamica conservées auprès des exécuteurs testamentaires de Bodenhausen, le marquis Della Renna et un certain M. Andreini.


Deuxième partie
Transcription


Chapitre premier
Le brouillon (A)

La perspective génétique fait l’objet d’un consensus général depuis plusieurs années dans le monde des études leibniziennes, les moindres détails matériels que l’on observe dans la composition des manuscrits pouvant jouer un rôle déterminant pour comprendre la pensée du philosophe. Tout en s’inspirant des usages recommandés par l’École des chartes dans la transcription des manuscrits du xviie siècle, la notation employée a été adaptée de manière à satisfaire aux exigences méthodologiques de la génétique textuelle, en rendant compte, aussi clairement que possible, de l’extrême complexité stratigraphique du manuscrit. Afin de permettre une lecture suivie tout en représentant de la manière la plus économique la stratigraphie du texte et sa disposition matérielle sur la feuille, les strates d’écriture ont été distinguées au fil du texte par un apparat de sigles suscrits, particulièrement abondant dans le brouillon.

Chapitre II
La version du copiste (B)

La première copie de la Dynamica, réalisée par un copiste au service de Leibniz, est transcrite ensuite. Une attention particulière a été réservée à l’identification des très nombreuses adjonctions et intégrations de la main de Leibniz qui caractérisent cette version intermédiaire du texte.

Chapitre III
La copie de Bodenhausen (C)

La transcription complète de la copie réalisée à Florence par Bodenhausen sur les indications de Leibniz remédie aux défauts signalés dans l’édition Gerhard, à la fois lacunaire et insuffisamment rigoureuse au regard des critères d’édition actuels.


Annexes

Instruments : schéma chronologique ; tables synoptiques des chapitres. — Projet d’édition électronique de la Dynamica : brève description. — Photographies : une page du brouillon (A) ; une feuille de la version du copiste (B) ; dessins de Bodenhausen pour la Dynamica (C).— Index des noms et des matières.