Poétique de louange et d’éloge à Cluny au xiie siècle
Édition critique des œuvres poétiques complètes de Pierre le Vénérable et de Pierre de Poitiers et du Mariale de Bernard de Morlas
Première partieIntroduction générale
Chapitre premierLa poésie à Cluny des origines au xiie siècle
Les rapports que Cluny entretient avec la culture en général et avec la poésie en particulier ne sont pas fondamentalement différents de ceux qu’entretiennent le christianisme et le monachisme dans l’Antiquité et au Moyen Âge ; cependant, la personnalité des abbés de Cluny, qui sont tous, même quand ils n’ont pas laissé d’œuvre écrite, des hommes de culture, a fortement marqué l’abbaye puis l’ordre tout entier et a fait se développer le goût des livres : la bibliothèque de Cluny est, dès les origines, l’une des plus grandes du royaume. La pratique poétique chez les moines clunisiens ne serait pas digne d’un grand intérêt au point de vue de l’histoire littéraire et se limiterait à des épitaphes et à des inscriptions, si, régulièrement, les abbés n’avaient été eux-mêmes poètes, et favorables aux poètes. C’est le cas d’Odon, le quasi fondateur, qui laisse parmi son héritage l’Occupatio, somme théologique et ascétique en vers particulièrement exigeante sur le plan de la forme, quoique peu sensible dans le ton. Après une période moins productive, la poésie fait un grand retour à Cluny en la personne de l’abbé Odilon, qui laisse de courtes pièces sacrées et profanes, et surtout en celle de son disciple et ami, Jotsald de Saint-Claude, qui, pleurant la mort de son maître, a confié à la postérité l’un des plus purs sommets de la poésie médiévale. C’est à l’un de ces deux personnages, comme il est probable, que l’on doit un poème rythmique sur la mort de l’abbé Mayeul, Maiole, pater inclite. Catherine Magne a récemment attiré l’attention sur ce texte sans en percevoir la structure poétique ; il est édité ici à nouveaux frais d’après son unique témoin, le manuscrit lat. 5611 de la Bibliothèque nationale de France (Saint-Martial de Limoges, fin du xie ou début du xiie siècle).
Dès cette époque – car sous l’abbatiat d’Hugues de Semur on n’écrit presque plus de vers – les caractères propres de la poétique clunisienne sont posés : ce sont, d’une part, l’exigence en matière de forme, héritée d’Odon, et d’autre part la thématique double de la louange, divine, et de l’éloge, humain. Les poètes clunisiens de la génération suivante, qui seront les derniers dont les écrits, qui plus est célèbres du vivant de leurs auteurs, n’aient pas sombré dans l’oubli, sont imprégnés de ces deux traits marquants ou s’astreignent volontairement à s’y montrer fidèles : ce sont Pierre le Vénérable, neuvième abbé de Cluny, Pierre de Poitiers, qui fut appelé par le précédent à Cluny pour y devenir son secrétaire, Bernard de Morlas et Raoul Tortaire, qui firent vraisemblablement l’objet d’une semblable invitation et entretinrent des relations proches, quoique mal connues, avec l’abbé.
Chapitre IIRaoul Tortaire
Raoul Tortaire semble avoir assuré la transition au moins chronologique entre le Cluny d’Hugues le Grand et celui de Pierre le Vénérable. Un nouvel examen de ses œuvres poétiques et de leur tradition manuscrite invite à revoir le statut des œuvres considérées comme douteuses depuis le xixe siècle, Éloges de Cluny et de Pierre le Vénérable, Épitaphe d’Abélard, et, dans une moindre mesure, un bref De ovo : rien en effet ne permet de les rejeter. Peut-être faut-il donc reconsidérer également la date potentielle de son décès et la repousser jusqu’en 1142 ou 1143, ou au-delà, ce qui donnerait au poète une longévité peu fréquente, mais pas exceptionnelle. Dans tous les cas, Raoul a très probablement fait partie des poètes invités par Pierre le Vénérable à Cluny.
Chapitre IIIPierre le Vénérable
La vie de Pierre le Vénérable a fait l’objet de nombreuses études, notamment par dom Jean Leclercq et par le Père Jean-Pierre Torrell, o.p., et Denise Bouthillier, qui ont traité exhaustivement la question. Le recul du temps permet néanmoins de faire une synthèse des éléments rassemblés et de proposer quelques corrections mineures. Pierre le Vénérable est un caractère fort et son implication dans la vie politique, religieuse et culturelle de son temps, due tant à sa position sociale qu’à ses qualités propres, font que, plus que celle d’un homme de chair et de sang, c’est l’image d’un « saint de vitrail », selon le mot de Georges Duby, que les ouvrages même les plus récents transmettent. Ses rapports avec Bernard de Clairvaux, avec Abélard, sont trop facilement sujets à simplification et à généralisation et nuisent à une bonne connaissance du personnage pour lui-même. Soumis à des circonstances qui ne sont pas favorables à Cluny, tant sur le plan religieux qu’économique, le successeur d’Hugues de Semur doit l’égaler sans avoir ses moyens et en régissant directement des milliers de moines répartis à travers toute l’Europe, des confins du Portugal à la Pologne et jusqu’au Mont Thabor. Une politique habilement menée grâce à des soutiens puissants lui permet de faire face aux profondes mutations de son temps, mais l’historien ne peut oublier que, Pierre le Vénérable mort, l’ordre clunisien va sombrer dans la léthargie jusqu’à être supprimé à la fin du xviiie siècle. L’étude de ce « soleil d’automne, annonciateur d’un long hiver » (Joseph de Ghellinck), doit donc autant comprendre les raisons du déclin qui va suivre, ou plus précisément les raisons de cet apogée soutenu et entretenu pour une trentaine d’années à grands frais et à grands efforts, qu’envisager le xiie siècle clunisien par rapport à son passé plus que par rapport à son futur.
Pour cela, l’œuvre littéraire de Pierre le Vénérable et le rôle de ce dernier dans les lettres et la culture de son temps donnent de précieuses informations. Outre une correspondance importante dont la fonction a été explicitée par Giles Constable à l’occasion de l’édition critique, outre trois grands traités d’apologétique et quelques sermons, la poésie de Pierre le Vénérable témoigne d’une culture de très loin supérieure à la moyenne et donc, indirectement, d’une formation qui, pour inconnue des historiens, n’en fut pas moins excellente, et entretenue durant toute une vie à l’occasion de nombreux voyages et à la faveur de ses séjours dans les bibliothèques de tel ou tel monastère. D’autre part, les vers de Pierre le Vénérable font voir en creux que, très attaché à ce que Cluny joue un rôle culturel, conscient du prestige que cela apporterait à l’ordre et prêt à répondre aux critiques que d’aucuns, dont Cîteaux, n’ont pas manqué de faire, l’abbé s’est attaché à réunir autour de lui à Cluny tous ceux dont la plume et le style contribueraient à la constitution d’un cercle littéraire. Ce sont, en premier lieu, de simples moines comme Pierre de Poitiers, rencontré à l’occasion de séjours en Aquitaine et invité à résidence à Cluny pour y être le secrétaire de l’abbé et se livrer avec plus de facilités à la pratique de la littérature, ou comme Bernard de Morlas qui fut très vraisemblablement, quoique sur le tard, appelé auprès de Pierre le Vénérable. Mais ce sont aussi des personnages connus pour d’autres raisons mais poètes avérés : Abélard en tout premier lieu, bien sûr, mais aussi l’évêque Atton de Troyes, ami proche et principal correspondant de Pierre le Vénérable, auteur méconnu de quelques pièces du célèbre Codex Calixtinus – à la rédaction et à la copie duquel Pierre de Poitiers a peut-être contribué – qui se retira à la fin de ses jours à Cluny, et Raoul Tortaire déjà cité.
D’autre part, le corpus poétique de Pierre le Vénérable montre en lui-même à quel point l’abbé était sensible à la défense de son ordre et avait compris combien la littérature pouvait être un élément déterminant dans ses luttes ; sa poésie profane, métrique, l’illustre : le grand Poème apologétique en distiques élégiaques, défense de Pierre de Poitiers à qui on avait reproché son éloge de l’abbé, fait office de manifeste, tandis que les épitaphes attribuables à Pierre le Vénérable attestent que la théorie qu’il énonce face à la critique a été mise en pratique ; une lettre en vers, enfin, œuvre « de commande » et de panache, fait l’étalage subtil de la vaste culture de son auteur. Cependant, la poésie à Cluny n’a jamais été qu’un moyen : la vocation primordiale de l’ordre est la louange divine, et la louange par le culte, par cette liturgie qui, bien que très mal connue, a laissé des indices éloquents pour ce qui est de son importance : le psautier y est chanté plus de deux fois en entier chaque jour, là où la règle prévoit de le répartir sur la semaine, et on ne compte pas les messes qui se célèbrent dans l’abbatiale. Il est donc naturel que Pierre le Vénérable, chef d’ordre et chef de file, ait illustré largement la poésie sacrée, par des proses, des hymnes, des répons, dont le manque apparent d’originalité correspond surtout aux critères du genre. Ce corpus sacré est protéiforme. Mètre et rythme sont représentés à parts à peu près égales, le mètre étant plutôt réservé aux hymnes et aux répons, en strophes saphiques ou en hexamètres, mais aussi dans des formes plus rares, la strophe asclépiade ou le tétramètre dactylique catalectique ; le rythme est utilisé dans les proses et dans deux poèmes, un Rhythmus de vita sancti Hugonis et surtout un vaste poème sur la vie du Christ à tendances eschatologiques. Ces deux dernières pièces ne sont pas destinées à un usage liturgique, ce qui implique d’opérer une nouvelle division entre des œuvres proprement liturgiques – quoiqu’elles n’aient, semble-t-il, que très peu été utilisées réellement – et d’autres « paraliturgiques » mais d’inspiration également religieuse. D’autre part, les modèles de Pierre le Vénérable sont variables : si telle prose est très proche des productions victorines, telle autre répond aux critères formels des xe et xie siècles. Une seule de ces pièces, la cinquième de cette édition, Orbis totus unda lotus christiani lavacri, témoigne d’une réelle originalité, et se distingue par un fait de style – mais dont les conséquences théologiques sont évidentes – qui semble unique dans un cadre liturgique à cette époque : l’insertion au discours direct de propos prêtés à la Vierge elle-même sur plus de la moitié de la prose. C’est ce texte également qui fournit nombre de rapprochements textuels avec le Mariale de Bernard de Morlas.
Chapitre IVPierre de Poitiers
À cause de son nom, le secrétaire de Pierre le Vénérable a été très souvent confondu avec de nombreux autres personnages. D’abord moine à Montierneuf, à Poitiers, ou à Saint-Jean-d’Angély, ou dans ces deux monastères, il se fit remarquer de Pierre le Vénérable en rédigeant, au cours du premier séjour de l’abbé en Aquitaine, vers 1125, son panégyrique, qu’il compléta à l’occasion d’un second voyage du même Pierre le Vénérable à la fin 1133. À cette date ou peu après, sensible aux appels répétés de Pierre de Poitiers, l’abbé le prit à son service comme secrétaire tout en lui laissant des loisirs suffisants pour satisfaire son goût de l’érémitisme et des belles lettres. C’est à peu près tout ce que l’on sait de cette vie très humble, tout entière vouée au service d’un maître, déjà retracée par Giles Constable, qui cependant sur quelques points a pu être précisé ou infirmé, grâce surtout à un meilleur texte du Panégyrique.
Ce long poème en l’hommage de Pierre le Vénérable est l’œuvre principale de Pierre de Poitiers, avec quelques poèmes brefs et quelques lettres, presque toutes, sauf deux, incluses dans la correspondance de l’abbé : Pierre de Poitiers en fut en effet le premier éditeur. Ces deux lettres font ici l’objet d’une édition ; la première est une lettre de dédicace à Pierre le Vénérable ; la seconde est une réponse aux critiques qui s’élevèrent à l’occasion de la publication du Panégyrique et, en pratique, doit être un schéma préparatoire du Poème apologétique de Pierre le Vénérable. Les trois autres poèmes de Pierre de Poitiers sont une épigramme contre son calomniateur, et deux épitaphes, la première de Gélase II et la seconde de l’évêque de Salamanque Alonso Pérez. Pour la première, l’édition critique, mettant au jour un texte sûr, rend vains des reproches d’inexactitudes factuelles commises par l’auteur sur la biographie de Gélase II.
Chapitre VBernard de Morlas
Si l’existence de Bernard de Morlas, moine clunisien, est bien attestée, sa biographie est une suite de suppositions plus ou moins fondées. Un nouvel exposé des éléments certains en présence fournit une base de travail et permet de contester certaines hypothèses trop faibles : bien qu’il ait certainement résidé un temps au prieuré clunisien de Nogent-le-Rotrou, il est très improbable qu’il en fut le prieur. En revanche, des liens avec Pierre le Vénérable sont connus anciennement puisque Bernard lui a dédicacé son De contemptu mundi, vaste fresque ascétique entièrement composée dans la forme très contraignante du tripertitus dactylicus, hexamètre dactylique catalectique à triple rime. Un autre de ses grands poèmes, sur une thématique proche, le De octo vitiis, fut dédié et présenté personnellement à Eugène III : le plus probable pour expliquer une rencontre personnelle avec le pape au cours de l’un de ses rares séjours romains est que Bernard de Morlas faisait partie de la suite de Pierre le Vénérable durant l’une de ses visites ad limina. Enfin, outre l’ensemble de cinq grands poèmes dont font partie les deux cités, une version préliminaire du De contemptu mundi redécouverte récemment et un sermon accompagné d’un envoi à Matthieu d’Albano, un dernier poème, non moins vaste que les premiers mais cette fois rythmique et non plus métrique, connu depuis le xixe siècle sous le nom de Mariale, est généralement attribué à Bernard de Morlas sur la foi de certains manuscrits qui sont parmi les meilleurs. Des parallèles textuels non relevés jusqu’à présent entre le Mariale et une prose de Pierre le Vénérable permettent de conforter puissamment l’hypothèse que Bernard de Morlas est bien l’auteur du premier, même si aucune certitude ne peut être établie absolument.
Tout comme la versification complexe des grands poèmes métriques l’y rattachait par l’exigence de la forme, le Mariale rejoint la thématique de la louange divine et rattache Bernard de Morlas au courant clunisien. Cette suite de méditations et d’hymnes encadrée d’un prologue en vers léonins et d’un épilogue en strophes saphiques rythmiques léonines exploite toutes les possibilités qu’offre le découpage rythmique du vieux septénaire trochaïque. Mais, alors que le Mariale est, sur le plan formel, à la pointe du goût qui a cours au milieu du xiie siècle, il est pour le fond, pour l’image assez hiératique qu’il peint de la Vierge, pour son désintérêt pour les analogies bibliques chères à l’école victorine, l’œuvre d’un homme en retard d’une génération : c’est une caractéristique qu’il partage avec Pierre le Vénérable et avec Abélard. L’extraordinaire succès des séquences parisiennes et de la façon d’Adam de Saint-Victor, qui va nourrir toute la poésie liturgique et dévotionnelle pour le reste du Moyen Âge, n’a pas ému le Cluny des années 1140-1150. Au lieu de rechercher l’image explicite, Bernard préfère l’allusion suggérée, pratiquée par le moyen de références bibliques très réécrites et très travaillées, et porte toute son attention sur la justesse du ton et sur la précision des termes ; à l’échelle des cinq cent trente-huit strophes du Mariale dans sa version canonique, c’est l’œuvre de toute une vie, et la tradition manuscrite en porte le reflet.
Conclusion
La grande nouveauté de Pierre le Vénérable, par rapport à ses prédécesseurs, n’est pas d’avoir modifié les thématiques de la composition poétique, qu’il a au contraire affinées et défendues, mais d’avoir radicalement modifié les conditions de cette composition : il est le premier abbé de Cluny à avoir cherché de manière manifeste à créer à Cluny un cercle littéraire, une école poétique. La souplesse de la règle bénédictine telle qu’elle se pratique dans l’ordre y est propice, même si elle tend à se durcir sous l’influence nouvelle des Cisterciens, et parce que le laisser-aller avait trop prévalu, par l’action de Pierre le Vénérable lui-même. Mais l’exigence première du moine n’est pas oubliée, elle est au contraire renforcée ; c’est une manière particulière de la pratiquer qui est défendue. La poésie, à Cluny, n’est pas une alternative à l’office divin, elle en est une application particulière et comme une « science auxiliaire » : la louange de Dieu peut se faire aussi par la poésie, qui s’adresse à Dieu directement ou à lui par sa Mère, par ses saints, et indirectement mais sans équivoque par l’éloge des vivants et des morts, pour autant qu’ils se montrent être la digne image de la divinité. Pour avoir prolongé ses plus belles années en créant un jardin des muses, Cluny n’a jamais eu d’autre vocation que d’être le déambulatoire, la promenade des anges, deambulatorium angelorum, selon la formule percutante d’Hildebert de Lavardin, souvent reprise dès le xiie siècle même.
Deuxième partieétude critique
Chapitre premierL’œuvre poétique de Pierre le Vénérable et de Pierre de Poitiers
Le corpus poétique de Pierre le Vénérable et celui de Pierre de Poitiers sont intimement liés d’un point de vue littéraire et historique, mais également pour leur transmission : leur rassemblement est en effet l’œuvre de Pierre de Poitiers qui a mis ses propres compositions en tête de celles de son maître. Les témoins, manuscrits et imprimés, sont cependant peu nombreux. Deux collections se distinguent : la première et la plus connue est issue d’un manuscrit sans doute clunisien, aujourd’hui perdu, et qui servit de base à l’édition princeps des œuvres de Pierre le Vénérable ; cette édition, datée de 1522, fut réalisée par un cluniste, Pierre de Montmartre. Une seconde collection est connue uniquement par le manuscrit Douai, bibliothèque municipale, 381 ; c’est un manuscrit copié à Anchin au plus tard dans les dix ans qui suivirent la mort de Pierre le Vénérable, en 1156. Ces deux états d’un même corpus sont de bonne qualité ; ils ne se distinguent, pour le texte, que par des variantes, souvent assez importantes mais d’égale qualité. En revanche, la grande différence repose sur les textes présents ; si, pour les œuvres en prose, les deux collections sont très proches, pour la poésie, le manuscrit d’Anchin (sigle A) possède quelques pièces liturgiques en plus et surtout l’intégralité du grand poème apologétique, que la tradition clunisienne, représentée par l’édition princeps (sigle C), ampute des soixante derniers vers.
Le témoin A, le plus complet et le plus proche dans le temps de l’auteur, a été retenu comme manuscrit de base de l’édition, tant pour le choix des textes à retenir comme authentiques que pour le choix des leçons, dans la mesure où les fautes que l’on peut tenir pour propres au manuscrit sont très peu nombreuses ; c’est également le choix qu’avait fait Giles Constable pour son édition des Lettres de Pierre le Vénérable, dont la tradition textuelle est, dans les grandes lignes, similaire à celle des pièces poétiques.
Outre ces deux témoins, certains textes sont transmis individuellement. Les manuscrits concernés ont été collationnés à de rares exceptions près, sans qu’il soit possible pour autant d’établir un stemma. Ce sont les manuscrits Auxerre, bibliothèque municipale, 145 (132, sigle Au) ; Berne, Bibliothèque de la Bourgeoisie, 211 (B) ; Munich, Bayerische Staatsbibliothek, clm 14676 (R) ; Orléans, bibliothèque municipale, 175 (152, sigle F1) ; Paris, bibliothèque de l’Arsenal, 135 (Sa) ; Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 3639 (Co), 9875 (Chr), 10511 (Au1), 14872 (V), 17716 (P), nouv. acq. lat. 443 (F2), 1578 (Chr3), 1916 (Chr2), 3126 (N). Le témoin R est issu, très vraisemblablement, du manuscrit qui servit de base à l’édition princeps. Le témoin P, copié sans doute à Saint-Martin-des-Champs peu après 1189, fournit deux textes retenus comme douteux, connus uniquement par ce manuscrit, et donnés à la fin de l’édition.
L’authenticité d’un « office marial » copié dans P et proposé, avec de grandes réserves, par dom Wilmart pour l’attribution à Pierre le Vénérable, s’est avérée sujette à caution ; cet office n’a donc pas été retenu. Un répons (no VIII, inc. Christe, Dei splendor) n’était connu jusqu’à une date récente que par la mention que Pierre le Vénérable en fait dans une lettre. Il a été redécouvert récemment par Udo Wawrzyniak, grâce aux dépouillements de l’Iter Helveticum, et édité par ses soins sur des témoins qui sont cependant tous très tardifs ; faute d’avoir pu consulter ces manuscrits, nous avons repris cette édition. Seuls des dépouillements sélectifs, infructueux, ont été effectués pour retrouver ce répons en France, mais il est probable que d’autres témoins existent.
Pour Pierre de Poitiers, la situation était plus simple ; les rapports entre A et C observés pour Pierre le Vénérable valent également pour son secrétaire.
Pour les œuvres de Pierre le Vénérable, des notices ont été réalisées afin de donner synthétiquement les références bibliographiques parfois nombreuses et les commentaires plus techniques qui n’avaient pas leur place dans l’introduction générale.
Chapitre IILe Mariale de Bernard de Morlas
La tradition manuscrite du Mariale est riche : plus de cinquante témoins du xiie au xvie siècle, répartis dans toute l’Europe. Une trentaine ont été retenus, les plus anciens ou les meilleurs. Pour chacun, une notice codicologique est donnée, plus ou moins détaillée selon l’importance du manuscrit, ainsi qu’une description précise du Mariale dans chacun ; à la suite, une liste des témoins non collationnés donne quelques indications sur ces manuscrits.
L’étude des variantes permet de distinguer au moins deux versions préliminaires, l’une très brève, l’autre plus longue, et deux éditions successives ; la première a été très diffusée et a subi des modifications parfois importantes qu’il faudrait peut-être faire remonter à l’auteur lui-même ; la dernière édition n’a presque pas été diffusée mais est manifestement la meilleure. Elle se caractérise par un texte très sûr et par l’addition de l’épilogue. La présente édition critique, qui se veut en principe stemmatique, a en pratique consisté à éditer presque partout cette dernière édition qui reflète la volonté de l’auteur, et qui est représentée par le manuscrit lat. 2445A de la Bibliothèque nationale de France (sigle P1).
À la suite de l’établissement de la tradition, la question du prologue et de l’épilogue, présents de manière sporadique dans les manuscrits, celles des « rythmes extravagants » donnés en plus du texte canonique dans certains témoins, du titre et de l’auteur, ont fait l’objet d’études ; de nouveaux éléments en faveur de l’attribution à Bernard de Morlas sont proposés, ainsi que la réintroduction du seul véritable « titre » donné dans la tradition manuscrite, Egregium opus : le nom de Mariale est en effet tardif et relève plus de l’argument que du titre. Les éditions du texte sont également présentées.
Les manuscrits utilisés pour l’édition sont : Avranches, bibliothèque municipale, 213 (Ar) ; Besançon, bibliothèque municipale, 140 (Be) ; Cambrai, bibliothèque municipale, 804 (Ca) ; Cambridge, Saint John’s College Library, D.15 (90, Cb1), Jesus College Library, Q. B. 4 (21, Cb2), University Library, Ff. vi. 14 (Cb3) ; Darmstadt, Hessische Landes- und Hochschulebibliothek (actuellement, Universitäts- und Landesbibl.), 2777 (D) ; Heiligenkreuz, Stiftsbibliothek, 108 (Hk) ; Copenhague, Kongelige Bibliotek, Fabr. 81 in-8o (K) ; Londres, The British Library, Add. 21927 (L1), Arundel 201 (L2), Harley 2882 (L3), Royal 2 A. ix. (L4), 7 A. vi. (L5), 8 B. i. (L6) ; Lyon, bibliothèque interuniversitaire, 42 (14, Ly1) ; bibliothèque municipale, 623 (540, Ly2) ; Saint-Omer, bibliothèque municipale, 115 (Or) ; Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 2445A (P1), 2833 (P2), 10522 (P5), 11867 (P6), 13571 (P8), 16565 (P11) ; Rouen, bibliothèque municipale, 651 (A. 289, Rn) ; Troyes, bibliothèque municipale, 914 (Tr) ; Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, Vat. lat. 13 (V) ; Valenciennes, bibliothèque municipale, 828 (610, Va) ; Vendôme, bibliothèque municipale, 44 (Ve) ; Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, 815 (W) ; Zwettl, Sitftsbibliothek, 55 (Zw).
Les autres manuscrits cités sont : Anvers, Staatsbibliothek, B. 417 (7) ; Augsbourg, Staats- und Stadtbibliothek, 8o 15 ; Avignon, bibliothèque municipale, 342 ; Brno, Knihovna Jiřího Mahena, R 349 (D/K.I.alep.3) ; Bruxelles, Bibliothèque royale, II. 2544 (3312 ; ancien Philipps 299) ; Dublin, Trinity College Library, 277 (C.2.14) ; Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Plut. XXV. 3 ; Hildesheim, Dombibiothek, J 32 ; Karlsruhe, Badische Landesbibliothek, Aug. 36 ; Lisbonne, Biblioteca nacional de Portugal, Alc. 149 ; Londres, British Library, Add. 16975, 30935, Harley 206 ; Mons, bibliothèque communale, 25/118 (103-118) ; Munich, Bayerische Staatsbibliothek, clm 3094, 4423, 19353, 19824 ; New York, Columbia University, Plimpton 80 ; Oxford, Bodleian Library, 23, Laud. misc. 22, Lyell 30 ; Oxford, Jesus College Library, 124 ; Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 1196, 3638, 3639, 13285, 15161, 16499 ; Prague, Národní knihovna, XII. D. 10, XIII. B. 5 ; Troyes, bibliothèque municipale, 1331 ; Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, Reg. lat. 29, 121 ; Washington, Library of Congress, 51 ; Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 168 noviss. 8o.
Troisième partieÉditions
Chapitre premierPetri Pictaviensis Carmina et Petri Venerabilis Carmina
Pour cette édition, les œuvres des deux Pierre ont été séparées plus explicitement qu’elles ne le sont dans la tradition, qui intercale le Poème apologétique de Pierre le Vénérable parmi les œuvres de Pierre de Poitiers, après son Panégyrique, puisque les deux poèmes sont intimement liés historiquement. Les œuvres de Pierre de Poitiers précèdent, dans l’ordre de la tradition. Aucun témoin manuscrit ne donnant la totalité des œuvres poétiques attribuables à Pierre le Vénérable, il a fallu adopter un ordre cohérent pour cette édition ; en l’occurrence, les pièces sacrées précèdent dans l’ordre liturgique du sanctoral ; les pièces profanes suivent, le Poème apologétique en premier, suivi des épitaphes, dans l’ordre dans lequel les témoins les donnent. Le texte retenu est celui du témoin A, avec de minimes corrections orthographiques. L’apparat est triple : un apparat critique positif donnant toutes les leçons de tous les manuscrits et des éditions de la Bibliotheca cluniacensis, de la Patrologie latine et des Analecta hymnica ; un apparat des sources et parallèles scripturaires et un apparat des sources et parallèles littéraires. Pour certaines pièces, un quatrième étage de notes distingue les sources littéraires ayant inspiré directement l’auteur, par exemple le deuxième livre des Dialogues de Grégoire le Grand pour le premier hymne à saint Benoît de Pierre le Vénérable (no IX).
Chapitre II
Bernardi Morlanensis Egregium opus sive Mariale
Le Mariale est édité dans une orthographe uniformisée conforme aux grands principes suivis au Moyen Âge. Le découpage des rythmes est original et cherche à suivre autant que possible ce qui découle de l’étude des manuscrits. L’apparat du texte est double : apparat critique fournissant les leçons des manuscrits et de l’édition des Analecta hymnica, et apparat sélectif des sources et parallèles scripturaires. Pour le prologue et l’épilogue est ajouté un apparat des sources et parallèles littéraires. À la suite du texte « canonique » du Mariale, les rythmes « extravagants » sont édités dans un ordre approximatif d’authenticité. Le premier peut être tenu pour certainement authentique bien que l’auteur l’ait sans doute exclu assez tôt du Mariale à proprement parler, et l’ait diffusé à part ; le second est peut-être également authentique. Les suivants sont en revanche étrangers à Bernard de Morlas.
Annexes
Description codicologique du manuscrit des œuvres poétiques de Raoul Tortaire (Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, Reg. lat. 1357).
Index des sources et parallèles scripturaires et liturgiques. — Index des sources et parallèles littéraires.