« »
École des chartes » thèses » 2011

Faire profession d’historien au xviie siècle

Étude de la carrière de Pierre Louvet (1617-1684)


Introduction

Si le nom de Pierre Louvet n’évoque rien à personne aujourd’hui, sinon aux usagers des archives municipales de Montpellier et à quelques habitants de Villefranche-sur-Saône, ce n’est pas parce qu’il a sombré dans l’oubli, mais bien plutôt parce qu’il n’en est jamais sorti : auteur d’ouvrages peu estimés, P. Louvet fut, dès son vivant, tenu pour un historien des plus médiocres. L’étude de sa carrière n’est pourtant pas dénuée d’intérêt, bien au contraire même. P. Louvet, en effet, s’est illustré par un parcours et des pratiques peu ordinaires, qui l’individualisent assez nettement des autres historiens de son temps. Pendant plus de vingt ans, il a circulé dans le sud de la France, de province en province et de ville en ville, laissant ici un inventaire d’archives, là un livre d’histoire, généralement une Histoire locale, tantôt sous la forme d’un abrégé, tantôt sous celle d’un grand volume accompagné de preuves ; ce faisant, il fut tout à la fois l’un des rares historiens du xviie siècle à avoir travaillé comme archiviste et le seul à s’être spécialisé dans l’histoire locale. Autrement dit, s’intéresser à ce personnage obscur permet de mettre en lumière des activités inusitées chez ses pairs et, partant, fort peu documentées de nos jours. Surtout, s’intéresser à ce personnage permet de faire apparaître un modèle de carrière à nul autre pareil et pas seulement parce que celle-ci fut entièrement provinciale : P. Louvet ne fut ni clerc ni domestique d’un Grand, sinon éphémèrement ; à la place, il sollicita de manière récurrente et systématique les institutions locales, leur demandant emploi ou gratification pour ses livres.


Sources

Il n’existe aucun fonds d’archives constitué sur Pierre Louvet. Du reste, le sort de ses papiers est totalement inconnu, passées les premières années du xviiie siècle. Il a fallu, de ce fait, un patient travail de recherche pour rassembler les sources le concernant, travail d’autant plus difficile que leur éclatement géographique était grand, conséquence de son extrême mobilité, et que les documents se rapportant à lui n’étaient que rarement signalés par les catalogues de bibliothèques et les inventaires d’archives, en raison même de son obscurité.

Afin de restituer au mieux ce qu’a été son parcours, nous avons utilisé prioritairement les archives (registres des délibérations et livres de comptes) des institutions qui l’ont employé ou qu’il a sollicitées pour obtenir emploi ou gratification. En complément, on a recouru également – entre autres choses – aux archives des notaires de certaines des villes dans lesquelles il a séjourné (Montpellier, Toulouse et Villefranche-sur-Saône), ce qui a permis parfois d’heureuses découvertes – ainsi d’un contrat d’édition à Toulouse. Pour tenter de rendre compte de sa situation à Sisteron, où il s’était établi en 1643, nous avons dépouillé de manière exhaustive les registres des notaires de la ville – nous y avons retrouvé son contrat de mariage mais pas son testament – et utilisé les cadastres de la commune ; nous nous sommes aussi servi des registres des délibérations de cette dernière et de ceux de diverses autres institutions pour essayer de mesurer son degré de participation à la vie locale. Enfin, pour tenter de déterminer quelle position il a occupé au sein du « champ historien », nous avons recherché ses lettres et consulté les correspondances et mémoires publiés de ses pairs mais, cette fois, avec un succès très limité, sauf à considérer le silence des sources comme étant significatif en soi.

À cela, bien évidemment, s’est ajoutée l’étude de ses œuvres, soit trois inventaires (ceux des archives communales de Montpellier, Bordeaux et Villefranche-sur-Saône, tous trois conservés par les services d’archives municipales de ces villes – celui de Montpellier a fait l’objet d’une édition à la fin du xixe siècle), une table des matières (conservée aux archives municipales de Toulouse) et quinze Histoires, dont trois restées manuscrites (l’une d’entre elle – celle du Beaujolais – a été éditée au début du xxe siècle ; précisons que nous n’avons pas retrouvé ses Histoires des gouverneurs de Languedoc, de Montpellier et de Sisteron).


Première partie
Bribes biographiques


Chapitre premier
Les années de formation de P. Louvet et ses débuts professionnels (1617 - 1653/1654)

On sait peu de choses sur l’origine sociale et les années de formation de P. Louvet, sinon qu’il est né à Beauvais en 1617, qu’il a été confié en 1622 à une institution charitable chargée de l’entretien et de l’éducation des orphelins de la ville, qu’il a été l’un des rares parmi ses camarades d’infortune à aller au collège et le seul à poursuivre ses études au-delà de la classe de rhétorique. En 1634, effectivement, il partit à Paris pour faire sa philosophie ; quelques années plus tard, vraisemblablement après qu’il eut renoncé à devenir clerc, il entreprit des études de médecine, ce qui le conduisit dans le Midi, à Aix-en-Provence et à Montpellier pour y suivre des cours, et à Orange ou à Avignon pour y prendre ses grades de docteur.

En 1643, après un retour infructueux à Beauvais, il s’installa à Sisteron, à l’extrême nord de la Provence, très certainement afin de se mettre à l’abri des poursuites des régents de la faculté de médecine d’Aix qui cherchaient alors à empêcher l’installation dans la province des diplômés d’Orange et d’Avignon. Peinant à se faire une clientèle, il prit l’année suivante la direction du collège de la ville, à la sollicitation des consuls. Cette activité, qu’il exerça au début de manière épisodique, devint son emploi ordinaire à partir de l’automne 1648, époque vers laquelle naquit son premier enfant. En septembre 1652, il devint régent principal du collège de Digne, fonction dont il fut démis au printemps suivant, sans doute à la suite d’un conflit avec les pères jésuites qui en assuraient la direction.

Chapitre II
P. Louvet historien (du) local itinérant (1654-1663)

À l’automne 1654, P. Louvet s’établit à Montpellier, où il entra rapidement au service d’un jeune conseiller à la Cour des comptes, aides et finances en qualité de professeur d’histoire et de géographie. En 1655, il fit paraître son premier livre, un Abrégé de l’histoire de Languedoc, qu’il présenta comme un prolongement de ses activités d’enseignant. Il le dédia au prince de Conti, mais c’est des États provinciaux qu’il reçut une forte récompense : 400 livres. Sa carrière d’historien était désormais lancée.

Dans les années qui suivirent, P. Louvet multiplia les déplacements : Toulouse (1657-1658), Bordeaux (1658-1659), Toulouse de nouveau (1659-1660), la Provence (1660-1662) et finalement Montpellier (1662-1663). À chacune de ces étapes correspondirent un ou plusieurs travaux et de nouvelles gratifications de la part des institutions qu’il sollicitait, le plus souvent des municipalités auxquelles il vendait ses services d’archiviste ou dédiait ses ouvrages, sans que celles-ci les lui aient commandés : une nouvelle édition de l’Abrégé de l’histoire de Languedoc lui valut ainsi 200 livres de la part du conseil de ville de Toulouse ; une table des matières contenues dans les livres des annales de cette même ville lui rapporta 250 livres ; un abrégé de l’histoire de Guyenne et un inventaire des archives consulaires de Bordeaux 600 livres, un inventaire des archives conservées au greffe consulaire de l’hôtel de ville de Toulouse 200 livres et un autre inventaire, cette fois des archives de Montpellier, 800 livres. P. Louvet, toutefois, n’eut pas toujours la même réussite durant cette période. L’Histoire des gouverneurs de Languedoc, pour laquelle il passa contrat avec l’imprimeur toulousain François Boude, ne vit jamais le jour, possiblement pour des raisons financières – il offrit de la dédier aux États de Languedoc mais n’en reçut qu’une subvention modeste, ce qui l’obligea, quelques mois plus tard, à faire cette même proposition aux capitouls de Toulouse, qui ne se montrèrent guère plus généreux –, quoique lui-même, plus tard, ait suggéré des motifs politiques à cette parution avortée. Il en alla sensiblement de même de son Histoire du parlement de Provence : cette cour ne lui laissa pas le temps de la lui présenter ni même de l’achever, puisqu’elle la lui racheta contre 200 livres, de crainte de le voir aborder les récents troubles survenus dans la province et, par la même occasion, le conflit qui opposait deux factions en son sein. Durant cette période, il rédigea également un texte pour célébrer la signature du traité des Pyrénées, texte qu’il lui valut probablement d’être récompensé par le roi.

Chapitre III
P. Louvet en lyonnais et beaujolais, entre histoire générale et histoire locale (1664 - 1673/1674)

P. Louvet s’installa à Lyon au cours de l’année 1664, dans un premier temps pour travailler à l’histoire de cette ville et, à terme, pour y faire paraître quelques uns des textes qu’il avait en réserve, parmi lesquels une grande Histoire de Montpellier tirée de ses archives. Aucun de ces projets ne vit le jour. À la place, parurent sous son nom deux continuations d’ouvrages à succès (l’Histoire romaine du P. Coëffeteau et l’Histoire des plus illustres favoris anciens et modernes de Pierre Dupuy), dont l’analyse fait apparaître qu’il n’était alors guère plus qu’un collaborateur de marchands-libraires. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il ait travaillé comme correcteur d’imprimerie à cette époque.

Aiguillonné par le besoin d’argent, P. Louvet, en 1666, se fixa à Villefranche, capitale du Beaujolais (aujourd’hui Villefranche-sur-Saône), pour y prendre la direction du collège, tombé en déshérence. Il assura cette fonction pendant trois ans, jusqu’en 1669. Après quoi, il retourna à ses activités d’historien. À l’été de cette année-là, il annonça, via un prospectus, son intention de travailler à l’histoire de la province ; moins de deux ans plus tard, au printemps 1671, il publia une Histoire de Villefranche, avant-coureuse de son Histoire du Beaujolais. Ce livre, ainsi que l’inventaire des archives de la ville qu’il avait dressé à l’hiver 1668-1669, lui valurent de recevoir 150 livres de l’échevinage mais celui-ci, insatisfait pour diverses raisons, en fit faire aussitôt une nouvelle édition. Malgré cela, il continua à travailler à son Histoire du Beaujolais et ceci avec d’autant plus de confiance que, l’ayant augmentée d’une partie relative à l’histoire de la Dombes, il œuvrait désormais pour le compte de Mademoiselle, baronne de Beaujolais et princesse de Dombes. La souveraineté de cette principauté était alors sur la sellette et il s’employait à la défendre. Celle-ci ayant été finalement reconnue par le Conseil du roi, Louvet, le 22 mai 1672, se vit délivrer un brevet d’« historiographe de la souveraineté de Dombes » en récompense de ses services – précisons que l’octroi de ce titre ne signifie pas qu’il ait reçu des gages, du moins n’en avons-nous retrouvé aucune trace.

P. Louvet, cette année-là, repassa à Lyon, probablement dans l’intention d’y faire imprimer son Histoire de Beaujolais et de Dombes après que l’entourage de la princesse eut renoncé à le faire, ce à quoi il ne parvint jamais. Il donna à la place deux ouvrages inspirés par les événements de l’époque, en l’occurrence par la guerre de Hollande : un abrégé de l’histoire de France en forme d’agrégation d’histoires locales, pour lequel il se contenta de reprendre ses textes antérieurs, et une histoire de cette guerre, conçue initialement comme une Histoire en deux volumes de l’avènement et de la chute de la République des Provinces-Unies – il en donna finalement quatre, qui mêlent ou juxtaposent extraits de gazettes et de feuilles à la main, développements historiques – on y trouve notamment un abrégé de l’histoire de la Franche-Comté – et poésies.

Chapitre IV
P. Louvet, historien de la Provence (1674-1684)

Vers 1674, P. Louvet retourna en Provence ; il ne devait plus la quitter jusqu’à sa mort, si ce n’est en 1678 pour aller à Toulouse présenter aux capitouls un abrégé des livres des annales. Entre 1676 et 1680, il fit paraître trois ouvrages sur l’histoire de cette province, qui sont en tous points emblématiques de ses méthodes et procédés d’écriture, puisqu’ils combinent recours à des formes éditoriales attractives – abrégé et « additions illustrations », cette dernière forme étant imitée d’un grand succès de librairie, l’édition des Mémoires de Michel de Castelnau par Jean Le Laboureur –, et pratique du recyclage – les deux derniers livres contiennent notamment de très larges extraits de son Histoire du parlement de Provence. Ces procédés d’écriture, du reste, lui attirèrent à la fin de sa vie les critiques d’un historien aixois, Jean-Scholastique Pitton, en réponse aux accusations de plagiat qu’il avait proférées contre lui ; entre temps, il avait obtenu 1200 livres de l’assemblée des communautés de Provence pour ses deux derniers ouvrages.

Étant de retour à Sisteron après vingt ans d’absence presque continuelle, P. Louvet trouva dans l’écriture un moyen de reprendre pied au sein de la communauté. Il se fit l’historien de la ville, composant sur son passé un ouvrage qui n’eut d’autre circulation que manuscrite ; il publia également, grâce à une indemnité que le conseil de ville lui alloua, un discours à la gloire de ses saints patrons. Malgré cela, il ne joua aucun rôle véritablement significatif dans la vie de la commune, échouant même à plusieurs reprises à se faire élire premier consul. Redevenu régent de collège en 1683, il mourut à l’été 1684 en un lieu qui nous est resté inconnu.

Chapitre V
Le bilan d’une vie

Tenter d’évaluer les revenus que P. Louvet tira de son travail est une véritable gageure. En effet, on ne saurait additionner les gratifications qu’il reçut, sinon celles qu’il perçut en qualité d’archiviste (1700 livres au total pour vingt-six mois de travail), dans la mesure où une partie d’entre elles consistait, en fait, en des aides à l’impression ou en des indemnités destinées à le rembourser d’une partie de ses frais. Comme le montre le contrat passé avec Boude, Louvet prenait effectivement à sa charge une partie du coût d’impression de ses ouvrages, du moins de ses Histoires locales (exception faite de l’Abrégé de l’histoire de Provence), ce qui devait lui permettre d’avoir part au produit de leur vente. C’est sans doute dans cette perspective, d’ailleurs, qu’il installa son fils cadet Jean-Pierre comme libraire vers 1675 ; c’est chez Charles David et chez lui, en tout cas, qu’il fit paraître en 1679 son Histoire des troubles de Provence. L’étude de sa fortune foncière et immobilière permet tout de même d’affirmer que son travail devait être sa principale source de revenus et que celle-ci était assez modeste. Sans ressource familiale, c’est de sa femme, fille d’un petit marchand de Sisteron, qu’il tirait les quelques biens qu’il possédait au terroir de cette ville ; en près de quarante ans, ses investissements se limitèrent presque entièrement à l’achat d’une maison. Le fait que sa réussite fut médiocre est encore confirmé par la trajectoire de ses enfants : son fils aîné, François, devint aumônier d’une galère, tandis que son fils cadet, Jean-Pierre, se porta finalement acquéreur d’un office de procureur du roi en l’hôtel de ville de Sisteron.


Deuxième partie
P. Louvet archiviste ou l’activité d’archiviste envisagée comme profession


Chapitre premier
Être archiviste à l’époque moderne

P. Louvet devint archiviste à une époque où la fonction de classificateur d’archives et de rédacteur d’inventaire tendait à se dissocier de celle de garde des archives. Cette dernière, charge municipale essentiellement honorifique, incombait à des autochtones, quand la première, véritable travail, échoyait de plus en plus à des spécialistes qui pouvaient être étrangers aux communautés qui les employaient, encore que leur recrutement fut généralement localisé, P. Louvet ayant constitué à cet égard une notable exception. Ces spécialistes du traitement des archives étaient généralement des juristes, le plus souvent des avocats, parce qu’ils étaient les mieux à même de lire et surtout de comprendre les actes qu’ils avaient à analyser. De ce point de vue, P. Louvet constitua aussi une exception et qui plus est, une exception appelée à durer, le xviiie siècle n’ayant pas vu davantage d’historien être employé comme archiviste, la professionnalisation de cette activité au cours de ce siècle ayant même passé par une répudiation de l’histoire et ceci, bien que l’archiviste et l’historien aient partagé un certain nombre de compétences. Le travail de ces archivistes spécialisés, qui pouvait être réglé par contrat, ne se limitait pas au classement et à l’inventaire d’un fonds d’archives. Il leur fallait aussi rechercher les pièces qui en avaient été tirées, procéder à l’élimination de certains documents et effectuer des réparations. Le niveau comme les modalités de leur rémunération étaient variables suivant l’importance du travail qu’ils avaient à accomplir.

Chapitre II
Considérations sur l’œuvre archivistique de P. Louvet

Nous avons retrouvé trois des quatre inventaires que dressa P. Louvet. Celui des archives communales de Bordeaux est un inventaire méthodique, les documents y étant classés par matières suivant l’ordre alphabétique ; ceux de Montpellier et de Villefranche-sur-Saône sont des inventaires de type notarié, Louvet ayant décrit les documents dans l’ordre où il les rencontrait, même si l’on trouve ici ou là quelques traces de tentatives de reclassement méthodique. La teneur des analyses est très variable suivant les inventaires : elles sont sommaires à Bordeaux et à Villefranche-sur-Saône mais très fouillées à Montpellier, ce qui paraît témoigner du rôle prépondérant joué par les commanditaires dans la définition des types d’inventaires et d’analyses à mettre en œuvre. On peut distinguer toutefois quelques traits récurrents : des descriptions diplomatiques assez précises, l’absence d’analyse pour certains documents tels que pièces justificatives des comptes et lettres-missives ou le recours à des analyses en forme d’historique pour les pièces relatives à des procès.


Troisième partie
P. Louvet historien local ou les ruses et stratagèmes d’un historien professionnel


Chapitre premier
Tentative de définition d’un genre méconnu : l’histoire locale

L’histoire locale, désignée pendant toute l’époque moderne sous le terme générique et assez équivoque d’« histoire particulière », se définit d’abord comme un objet local, que ce soit en considération de son sujet, un sujet alors en voie de localisation, dans la mesure où l’on passe lentement d’une histoire des seigneurs ou des évêques d’un lieu à l’histoire civile ou ecclésiastique de ces lieux, ou du savoir sur lequel elle se fonde, ce savoir étant partiellement localisé (connaissance du « local », des traditions orales, utilisation des archives des collectivités territoriales, etc.). Cause ou conséquence de ce dernier élément, l’histoire locale est aussi une production locale : elle est systématiquement le fait d’autochtones ou à défaut de « naturalisés », qui, tous ou presque, se prévalent d’une pratique désintéressée de l’écriture, puisqu’ils prétendent n’entreprendre leurs ouvrages que pour la gloire de leur patrie ; accessoirement, l’histoire locale est aussi, en grande partie, un produit des presses provinciales. Le public de ces textes, par contre, n’est que très imparfaitement localisé. Nombre de ces histoires apparaissent même tiraillés entre les exigences d’un public local pas nécessairement savant et celles d’un public savant le plus souvent « étranger ».

Chapitre II
P. Louvet et l’histoire locale

P. Louvet rompt avec la pratique traditionnelle des historiens locaux. En tant que professionnel de l’histoire s’étant spécialisé dans ce genre, il est amené à multiplier les ouvrages, ce qui le met la plupart du temps dans une position d’étranger vis-à-vis des villes et provinces sur lesquelles il écrit. Surtout, ce statut de professionnel, combiné au fait qu’il prenne à sa charge une partie des frais d’impression de ses livres, l’amène, l’oblige même, à privilégier une forme éditoriale spécifique, absolument inusitée dans ce contexte : l’abrégé, qui présente l’avantage d’être relativement peu coûteux à produire, et ceci à tous points de vue, tout en étant assez facile à vendre, cette forme connaissant alors un succès important. L’abrégé d’histoire locale, dont Louvet est le véritable inventeur, introduit ainsi une nouvelle rupture, non plus seulement par rapport aux pratiques et valeurs ordinaires des historiens locaux, mais aussi par rapport à ses propres aspirations. P. Louvet, en effet, voulait faire œuvre d’historien érudit, ce dont témoigne très nettement son Histoire du Beaujolais et le prospectus qui la précéda, comme ce que l’on peut deviner de ses lectures et attitudes religieuses et politiques ; or l’abrégé, malgré son succès ou à cause de celui-ci, était tenu pour illégitime d’un point de vue intellectuel, étant assimilé à un plagiat. De ce fait, rédiger un abrégé était une pratique déclassante et Louvet, bien qu’il tentât de se justifier en donnant des abrégés érudits, c’est-à-dire des abrégés saturés de références bibliographiques et archivistiques, se trouva condamné à n’occuper tout au plus qu’une position subalterne au sein du « champ historien ».


Conclusion

P. Louvet, au prix d’une mobilité géographique très importante et au prix d’un ancrage provincial exclusif, vendit ses talents et ses ouvrages aux communautés locales du Midi de la France. Ce modèle de carrière a conféré à l’historien qu’il était une certaine autonomie ou plus exactement une autonomie relative, que l’on pourrait aussi qualifier de dépendance diffuse, étant donné qu’il n’était pas attaché à un maître mais à plusieurs. Cette autonomie était encore renforcée par la relation contractuelle qui le liait aux libraires. Ceux-ci, dans la plupart des cas, étaient des partenaires commerciaux, des associés, puisqu’il assumait une partie des frais d’impression de ses ouvrages. Cette position, cependant, était une position fragile, incertaine, parce qu’elle le condamnait à des pratiques d’écriture peu estimées, qui le dénonçaient comme un historien écrivant pour vivre, et, surtout, parce qu’elles ne lui garantissait aucun revenu, du moins aucun revenu stable, ce qui explique en partie qu’il ait dû se livrer à de basses besognes (donner des suites d’ouvrages à succès, voire se faire employer comme correcteur d’imprimerie), redevenir régent de collège ou proposer à dom Luc d’Achery, le bibliothécaire de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, de le servir comme factotum. À cet égard, son exemple montre la difficulté qu’il y avait à vivre de l’histoire dès lors que l’on n’était pas domestique d’un Grand.


Pièces justificatives

Nombreuses pièces, pour la plupart inédites, parmi lesquelles des délibérations de communes, assemblées provinciales et cours souveraines, des pages de cadastres sisteronais, des contrats notariés (contrat de mariage de P. Louvet, baux pour la régence de collèges, contrat d’édition, contrats d’arrentement, reddition de comptes, etc.), un devis pour l’impression de l’Histoire du Beaujolais et de la Dombes, des lettres de P. Louvet à dom Luc d’Achery, etc.

Portrait de P. Louvet. — Abrégé chronologique de sa vie. — Catalogue de ses œuvres. — Extrait de l’inventaire des archives communales de Bordeaux. — Extrait de l’inventaire des archives communales de Villefranche-sur-Saône. — Tableau recensant et décrivant une centaine d’Histoires locales publiées entre les xvie et xviiie siècles — Prospectus de l’Histoire du Beaujolais. — Liste des sources imprimées employées par P. Louvet.