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École des chartes » thèses » 2011

Les Nuits attiques d’Aulu-Gelle au Moyen Âge et à la Renaissance

Histoire de la transmission d’un texte


Introduction

Dans les Nuits attiques, Aulu-Gelle se propose d’offrir à ses lecteurs le matériel brut de ses fiches de lecture ou notes prises au gré de conférences et d’entretiens avec certains de ses amis philosophes, philologues ou juristes. Les sujets qu’il y aborde sont nombreux et embrassent tous les champs de la connaissance : philologie, littérature, histoire, philosophie, sciences… C’est cette diversité qui a sans doute assuré le succès de son œuvre dès l’Antiquité, comme en témoignent Apulée, Lactance, Nonius, Ammien Marcellin, Macrobe, Servius, saint Augustin et l’Historia Augusta.

Le désintérêt relatif, du vie au viiie siècle, pour les Nuits attiques est illustré par le destin du témoin le plus ancien que nous en ayons conservé, le manuscrit A (Vatican, Biblioteca apostolica Vaticana, 24), copié au ive ou au ve siècle : le texte a été gratté entre le vie et le viiie siècle pour accueillir une partie d’une version latine de la Bible (les livres de Judith, Tobie et Esther). Ce manuscrit contenait à l’origine les livres I à VII des Nuits attiques. Cela ne constitue pas une originalité puisque tous les manuscrits médiévaux conservés renferment soit les sept premiers livres de l’œuvre d’Aulu-Gelle, soit les livres IX à XX, tandis que le livre VIII s’est perdu entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Cette perte, ainsi que cette division de la tradition manuscrite en deux parties, est vraisemblablement la conséquence du passage du rouleau au codex, qui s’est terminé à peu près à l’époque où a été copié le manuscrit A. Il faut attendre le ixe siècle pour débusquer les premiers indices de la circulation du texte au cœur de l’Europe médiévale et c’est donc à partir de la Renaissance carolingienne que commence cette histoire de la transmission des Nuits attiques.

Aucune synthèse n’avait encore été réalisée sur la transmission des Nuits attiques au Moyen Âge et à la Renaissance. Le sujet est apparu intéressant à plusieurs titres. L’œuvre d’Aulu-Gelle a connu une fortune importante à la Renaissance, inspirant notamment à Ange Politien ses Miscellanées. Avant toute réflexion sur la réception littéraire des Nuits attiques chez les auteurs humanistes, il semblait important d’étudier la façon dont avait circulé matériellement le texte : sur quels supports ? dans quelles régions ? entre quelles mains ? Procéder à cette étude uniquement pour la Renaissance paraissait insuffisant. La comparaison avec la période médiévale ne pouvait que permettre de mettre en perspective la situation à la Renaissance. Dresser un panorama de la circulation du texte des Nuits attiques dans l’Europe médiévale offrait, en effet, la possibilité de mieux repérer les ruptures et les continuités entre le Moyen Âge et la Renaissance. Le texte était-il déjà connu au Moyen Âge ? Avait-il été redécouvert par les humanistes ? Quels étaient les liens entre la tradition manuscrite médiévale et celle de la Renaissance ? Autant de questions qui permettaient de poser des fondements solides à une analyse de l’influence des Nuits attiques dans les œuvres de la Renaissance.


Sources

Outre la quinzaine d’exemplaires médiévaux des Nuits attiques, cent vingt témoins de ce texte, datés des xve et xvie siècles, sont encore conservés aujourd’hui. Il faut y ajouter les manuscrits contenant des extraits de l’œuvre d’Aulu-Gelle soit dans le cadre de florilèges, soit de manière isolée. Les éditions incunables des Nuits attiques, au nombre de dix, datées de 1469 à 1500, constituent, enfin, une dernière source de l’étude de la transmission de cette œuvre au xve siècle.


Première partie
Les Nuits attiques au Moyen Âge, histoire d’une diffusion partielle et fragmentaire


Chapitre premier
Une diffusion partielle des Nuits attiques du ixe au xie siècle ?

Loup de Ferrières, lecteur et éditeur des Nuits attiques. — Loup de Ferrières est l’un des artisans importants de la diffusion des Nuits attiques au ixe siècle. Lorsqu’il était à Fulda, il aurait demandé à l’ancien secrétaire de Charlemagne, Éginhard, alors retiré au monastère de Seligenstadt, de lui envoyer entre autres un exemplaire de l’œuvre d’Aulu-Gelle pour corriger et annoter son propre manuscrit des Nuits attiques (O, Vatican, Biblioteca apostolica Vaticana, Reg. lat. 597). L’abbé de Fulda, Raban Maur, aurait emprunté à Loup de Ferrières la copie d’éginhard afin de réaliser le manuscrit (F, Leeuwarden, Provinciale Bibliotheek, B. A. Fr. 55). Le « modèle » de F et O, les deux témoins les plus anciens des Nuits attiques, n’est connu que par la correspondance de Loup de Ferrières avec Éginhard et n’est pas conservé par ailleurs.

Un manuscrit des livres I à VII avant le xiie siècle ? — Les manuscrits F et O ne contiennent que les livres IX à XX des Nuits attiques. Il en va de même pour le manuscrit X (Leyde, Bibliotheek der Rijksuniversiteit, Voss. Lat. F112), copié au xe siècle. Cependant, quelques indices permettent de supposer que les premiers livres des Nuits attiques étaient connus, au moins de manière fragmentaire, dès le ixe siècle : notamment le renvoi dans les gloses d’un manuscrit d’œuvres de comput de Bède (Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin-Preußischer Kulturbesitz, Phillipps 1832) à un extrait du troisième livre des Nuits attiques ainsi que les similitudes entre un passage du Periphyseon de Jean Scot érigène et le premier chapitre du premier livre des Nuits attiques. Enfin, l’Anthologia valerio-gelliana, florilège d’extraits des Nuits attiques et des Faits et dits mémorables de Valère-Maxime, dont le plus ancien témoin date du xie siècle, conserve également des extraits des trois premiers livres de l’œuvre d’Aulu-Gelle.

Tableau géographique de la circulation des Nuits attiques du ixe au xie siècle. — Le texte des Nuits attiques aurait donc circulé entre le ixe et le xie siècle essentiellement en Allemagne, entre Fulda et Seligenstadt, et en France, dans la région d’Auxerre et celle de Laon. Un exemplaire de l’œuvre d’Aulu-Gelle était, en outre, présent dans la bibliothèque du monastère Saint-Adalbert à Egmond dès le xie siècle.

Chapitre II
Lieux et milieux de la diffusion des Nuits attiques aux xiie et xiiie siècles

Circulation du texte des Nuits attiques en deux parties aux traditions indépendantes. —  partir du xiie siècle, les sept premiers livres des Nuits attiques circulent en France, au nord de la Loire. C’est ce qu’attestent deux témoins du xiie siècle : R (Leyde, Bibliotheek der Rijskuniversiteit, Gronov. 21) et P (Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 5765). Par ailleurs, le texte des livres IX à XX des Nuits attiques continue à se diffuser également au nord de la Loire, à partir de Ferrières. Il nous reste quatre témoins de cette seconde partie, datés du xiie siècle : les manuscrits Π (Vatican, Biblioteca apostolica Vaticana, Reg. lat. 1646), G (Paris, Bibliothèque nationale de France, 13038), Z (Leyde, Bibliotheek der Rijksuniversiteit, Voss. lat. F. 7), et B (Berne, Burgerbibliothek, 404 et Leyde, Bibliotheek der Rijksuniversiteit, B.P.L. 1925). Trois manuscrits des Nuits attiques du xiiie siècle sont conservés : C (Cambridge, Clare College, 26), un manuscrit des sept premiers livres d’origine anglaise, peut-être un produit du monastère de Saint-Albans ; Q (Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 8664), un manuscrit français de la deuxième partie ; V (Vatican, Biblioteca apostolica Vaticana, lat. 3452), également d’origine française, qui a pour particularité de contenir à la fois les livres I à VII et les livres IX à XX. Il s’agit du plus ancien manuscrit conservé qui renferme l’intégralité ou presque du texte d’Aulu-Gelle. Les deux parties ont été copiées par deux copistes différents mais contemporains et d’après deux traditions manuscrites indépendantes. Un autre manuscrit complet a peut-être existé avant le xve siècle : le codex Buslidianus, aujourd’hui perdu, connu notammment par le témoignage des érudits du xvie siècle qui s’en sont servis pour leurs éditions des Nuits attiques.

Diffusion d’extraits via les florilèges. — Par sa composition en courts chapitres aux sujets très divers, l’œuvre d’Aulu-Gelle se prêtait bien au choix de passages propres à s’insérer dans un recueil de morceaux choisis. Outre l’Anthologia valerio-gelliana, cinq autres florilèges ont contribué à la diffusion de certains chapitres des Nuits attiques : le Florilegium gallicum ; le Florilegium angelicum ; le Florilegium morale oxoniense ; un florilège patristique conservé dans le manuscrit Troyes, bibliothèque municipale, 1926 ; le florilège Φ reconstitué à partir d’extraits des Nuits attiques présents dans trois manuscrits (L, Oxford, Bodleian Library, Lat. Class. d. 39 ; K, Oxford, Bodleian Library, Rawlinson G139 ; Poppi, Biblioteca Comunale Rilliana, 39) ainsi que dans le Polyhistor de Guillaume de Malmesbury, le Policraticus de Jean de Salisbury et les Abbreviationes chronicorum de Raoul de Diceto.

Un essai de panorama de la diffusion des Nuits attiques aux xiie et xiiie siècles. — D’après l’étude des manuscrits et des florilèges, le texte des Nuits attiques a circulé aux xiie et xiiie siècles en France, à Provins, Sens et dans la région de Chartres, et en Angleterre, à Cantorbéry et Saint-Albans. Les inventaires ou catalogues de bibliothèques médiévales ainsi que les échanges épistolaires entre certains lettrés permettent de compléter ce panorama de la diffusion des Nuits attiques. Des manuscrits de cette œuvre se seraient donc trouvés dans les rayons des bibliothèques de plusieurs monastères : Michelsberg à Bamberg, Saint-Vit à Corvey, Cluny, Sainte-Colombe à Sens, Sainte-Croix à Orléans, Saint-Pierre de Lobbes et Saint-Victor à Paris. Le texte des Nuits attiques faisait également partie de la bibliothèque de Richard de Fournival.

Chapitre III
Les lecteurs médiévaux des Nuits attiques

Guillaume de Malmesbury et Jean de Salisbury : deux lecteurs des Nuits attiques et une même source ? — Aulu-Gelle est cité par deux figures importantes d’érudits du xiie siècle : Guillaume de Malmesbury et Jean de Salisbury. Outre leur origine anglaise, tous deux ont en commun de ne pas s’être limités, à l’instar de leurs contemporains, à la lecture des auteurs classiques scolaires, ce qui explique leur intérêt entre autres pour les Nuits attiques. Guillaume de Malmesbury témoigne d’une connaissance plus complète et précise de l’œuvre d’Aulu-Gelle que Jean de Salisbury, qui le cite rarement explicitement dans son Policraticus. La similitude dans le Polyhistor de Guillaume de Malmesbury et le Policraticus de Jean de Salisbury à la fois du choix des extraits des Nuits attiques et des lectures de ces passages sur le plan de la tradition manuscrite nous amène à penser que les deux auteurs médiévaux ont puisé leurs citations à une même source qui pourrait être le florilegium Φ. Guillaume de Malmesbury en serait peut-être même l’auteur.

Autres lecteurs d’Aulu-Gelle à la fin du Moyen Âge. — Au Moyen Âge, l’œuvre d’Aulu-Gelle semble être connue essentiellement par l’intermédiaire des florilèges. C’est ce dont témoignent les citations des Nuits attiques présentes dans les œuvres de trois auteurs anglais : Raoul de Diceto († 1202), Gautier Map (ca. 1140 - ca. 1210) et Giraud de Barri (1147-1223). Parmi les lecteurs d’Aulu-Gelle, il convient de relever, au xiie siècle, le grammairien Pierre Hélie et le lexicographe Adam du Petit-Pont et, au xiiie siècle, l’auteur de la vaste encyclopédie Speculum majus, Vincent de Beauvais.

Les passages des Nuits attiques les plus prisés au Moyen Âge. — L’analyse des extraits des Nuits attiques présents dans les florilèges et les œuvres des auteurs médiévaux permet de discerner le profit que le lecteur médiéval recherchait dans la lecture de l’œuvre d’Aulu-Gelle. Celle-ci semble avoir fourni avant tout un réservoir de sentences, de textes fragmentaires peu connus par ailleurs et, surtout, de récits historiques mettant en valeur les vertus des grands hommes de l’Antiquité, propres à servir d’exemples pour illustrer les propos des auteurs médiévaux.


Deuxième partie
La « Renaissance » des Nuits attiques


Chapitre premier
La production du livre manuscrit en Italie au xve siècle

L’invention de l’écriture humanistique. — Peu avant 1400 apparaît un nouveau type d’écriture mis au point par Le Pogge, puis développé par Niccolò Niccoli : l’écriture humanistique. Celle-ci sera utilisée tout au long du xve siècle pour la copie d’un grand nombre de manuscrits, tout particulièrement pour les textes classiques. Aussi n’est-il pas étonnant de trouver parmi les manuscrits recentiores des Nuits attiques une proportion importante de copies en écriture humanistique.

La répartition chronologique et géographique de la production des manuscrits humanistiques en Italie. — La production des manuscrits en Italie croît lentement durant les quatre premières décennies du xve siècle avant de s’accélérer et d’atteindre son apogée au milieu du siècle. Sans doute en raison de l’installation de l’imprimerie en Italie à partir de 1464, elle décline lentement dans le troisième quart du xve siècle. La répartition chronologique des manuscrits datés des Nuits attiques au xve siècle correspond à cette évolution générale. De même, la répartition géographique des manuscrits de l’œuvre d’Aulu-Gelle ne semble guère présenter d’originalité par rapport à l’ensemble de la production de livres manuscrits en Italie au xve siècle. Florence et la Toscane s’imposent comme centre principal de la production manuscrite.

Copistes, commanditaires et libraires : l’exemple de Vespasiano da Bisticci. — Des humanistes tels que Niccolò Niccoli ou Giorgio Antonio Vespucci copient des manuscrits pour leur propre usage. Les manuscrits des Nuits attiques N (Florence, Biblioteca nazionale centrale, conv. Soppr. J. IV. 26), copié par le premier et complété par le second, et fK (Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Edili 188), intégralement de la main du second, en constituent de bons exemples. Dans le même temps, se met en place une commercialisation du livre humanistique en Italie. Des libraires servent, d’une part, d’intermédiaire entre des commanditaires et des copistes et sont, d’autre part, à la tête d’un réseau de copistes et d’enlumineurs qui réalisent des manuscrits afin de constituer leur fond de commerce. Ces libraires ou « cartolai » fournissent également le matériel nécessaire à la confection des manuscrits et ont aussi une activité de chasseurs de manuscrits de seconde main. L’exemple le plus célèbre de ces « cartolai » est le Florentin Vespasiano da Bisticci qui est impliqué dans la réalisation de plusieurs copies des Nuits attiques.

À la recherche d’un « bon » manuscrit de l’œuvre d’Aulu-Gelle. — Dès le xive siècle, Aulu-Gelle fait partie des auteurs classiques dont les premiers humanistes recherchent les meilleurs manuscrits. Leurs échanges épistolaires en témoignent tout particulièrement. Dans l’entourage du Pogge notamment se manifeste une grande effervescence afin de trouver un « bon » texte des Nuits attiques.

Chapitre II
« Éditer » les Nuits attiques à la Renaissance : les recentiores et la concurrence de l’imprimé

Traits communs à l’ensemble des manuscrits recentiores des Nuits attiques. — Les manuscrits dits recentiores, c’est-à-dire ceux qui ont été copiés à partir du xve siècle, présentent un certain nombre de caractéristiques communes qui les rapprochent davantage des premières éditions imprimées que de leurs ancêtres médiévaux : leur origine italienne ; leur décor plus ou moins riche ; la présence de l’ensemble du texte des Nuits attiques à l’exception du livre VIII irrémédiablement perdu depuis la fin de l’Antiquité ; l’inversion des livres VI et VII ; le rejet de la préface en fin du volume.

Critères de classement des manuscrits recentiores des Nuits attiques. — Malgré cette apparente homogénéité du corpus, il est possible de repérer des éléments qui permettent de distinguer différents groupes de recentiores : la présence des titres des chapitres ou capitula, soit sous forme de listes en début de chaque chapitre, soit sous la forme de table des matières en début ou fin de volume ; la lecture des capitula du livre XIX ; la présence ou non des capitula du livre VIII dont la perte est plus ou moins signalée ; l’enchaînement entre la préface et la fin du livre XX ; le traitement des passages en grec.

L’élaboration d’un paratexte : notabilia et index. — Dans les manuscrits recentiores commencent à s’élaborer des outils qui permettent au lecteur de se répérer dans le texte des Nuits attiques. Si une partie de son charme réside dans son caractère désordonné, y trouver l’information sans index peut relever de la gageure. Afin d’ouvrir des voies d’accès pour entrer dans le texte d’Aulu-Gelle, les humanistes ont élaboré des index. Quinze des manuscrits recentiores conservés présentent des index.

Les Nuits attiques à l’heure de l’imprimé. — L’editio princeps des Nuits attiques est imprimée en 1469 chez Konrad Sweynheym et Arnold Pannartz à Rome, où les deux imprimeurs allemands sont installés depuis deux ans, après avoir quitté Subiaco. Les dix éditions incunables des Nuits attiques sont toutes italiennes. Après l’editio princeps et sa réédition parue en 1472 à Rome chez Sweynheym et Pannartz, des éditions des Nuits attiques paraissent régulièrement, de 1472 à 1500, à Venise et à Brescia.

Chapitre III
Copistes et enlumineurs à l’œuvre dans les

recentiores Difficultés d’identification. — Copistes et enlumineurs ne se laissent pas toujours aisément identifier. Les colophons, qui contiennent certes des informations de valeur inégale, constituent la source essentielle de connaissance des copistes des manuscrits recentiores. Les enlumineurs signent rarement leur travail. C’est pourquoi les attributions pour ces derniers sont plus ardues et moins certaines.

Les différents centres de production des recentiores des Nuits attiques. — L’étude des manuscrits recentiores des Nuits attiques a permis d’identifier une cinquantaine de copistes ainsi qu’une dizaine d’enlumineurs. En s’intéressant de manière plus approfondie à ces différents artisans et artistes, il a été possible d’affiner l’approche de la production manuscrite de l’œuvre d’Aulu-Gelle dans l’Italie du xve siècle et de mettre en évidence les éventuels réseaux qui les reliaient entre eux ainsi qu’avec leurs commanditaires. Différents centre de production des manuscrits de l’œuvre d’Aulu-Gelle ont ainsi été identifiés : à Florence, autour de Niccolò Niccoli, Côme de Médicis et Vespasiano da Bisticci ; à Rome, notamment dans l’entourage du pape Pie II ; à Naples, au service des souverains aragonais de Naples ; à Milan, à la cour des Visconti et des Sforza ; à Urbino, au service de Frédéric de Montefeltro et à Césène, pour le compte de Malatesta Novello.

Les copistes spécialistes du grec. — Il convient d’accorder une attention particulière aux copistes qui ont transcrit les passages en grec. S’ils sont plus nombreux qu’au Moyen Âge, ils demeurent en minorité. En effet, comme en témoignent de nombreux manuscrits recentiores, tous les copistes n’étaient pas en mesure d’écrire la langue d’Homère. Bien souvent ils se contentaient de signaler par la lettre G qu’un passage en grec prenait place à cet endroit du texte. D’autres laissaient un espace réservé afin qu’un helléniste plus aguerri, tel que Ambrogio Traversari, Giovanni Skutariotes, Guarino de Vérone, Pietro da Montagnana, Giorgio Antonio Vespucci, Sozomeno da Pistoia ou Michelangelo Panicale, complète la copie.

Chapitre VII
Les Nuits attiques dans les bibliothèques de la Renaissance

Les Nuits attiques sur les rayons des bibliothèques ecclésiastiques. — On continue de trouver des exemplaires des Nuits attiques dans les bibliothèques d’établissements religieux à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance. Si de manière générale l’aire géographique de leur diffusion s’étend et même se déplace vers le sud, cependant, des manuscrits du texte d’Aulu-Gelle sont encore présents dans les grands centres culturels de l’Europe médiévale.

Les Nuits attiques dans les collections des humanistes. — L’œuvre d’Aulu-Gelle est présente sur les rayons des bibliothèques des plus grands humanistes : celui qui a pris comme modèle les Nuits attiques pour ses Miscellanées, Ange Politien ; les Florentins Niccolò Niccoli et Francesco Sassetti ; la famille romaine des Maffei ; le médecin des ducs de Milan, Ambrogio Griffi ; l’humaniste Guarnerio d’Artegna ; le Calabrais Aulo Giano Parrasio ; les hellénistes Antonio Corbinelli, Bessarion et Giorgio Antonio Vespucci ; des humanistes étrangers de passage en Italie, tels que William Gray et Robert Flemmyng.

Les Nuits attiques dans les bibliothèques princières. — Il est remarquable que le texte d’Aulu-Gelle soit présent dans les plus grandes bibliothèques princières de la Renaissance, en Italie, à commencer par celle de Côme de Médicis jusqu’à celle des rois aragonais de Naples en passant par celle des ducs de Milan, mais aussi en dehors de la péninsule italienne, et notamment en Hongrie, dans la bibliothèque de Matthias Corvin. Les bibliothèques princières se distinguent par le fait qu’elles sont constituées et enrichies, en premier lieu, à des fins de prestige et comme moyen d’affirmer leur puissance publique. Le livre n’est pas seulement un instrument de travail, le support d’un texte dont la lecture et l’étude constituent une fin en soi, mais il est aussi un objet précieux dont la réalisation fait l’objet de soins tout particuliers.


Conclusion

L’œuvre d’Aulu-Gelle semble donc bien avoir connu, à partir du xve siècle, une « Renaissance ». Tandis qu’au Moyen Âge la lecture des Nuits attiques semblait être le fait des plus érudits, ce texte est relativement bien répandu aux xve et xvie siècles. Il fait ainsi partie des premiers textes dont Giovanni Andrea Bussi réalise l’editio princeps. Elle est d’ailleurs présente dans les bibliothèques les plus importantes et les plus prestigieuses de la Renaissance : celles d’humanistes, à l’image de Niccoli ou Ange Politien, mais aussi de princes, à l’instar des rois aragonais de Naples ou de Matthias Corvin. Ce travail ouvre à ce titre un certain nombre de pistes pour l’étude de la réception littéraire des Nuits attiques à la Renaissance.


Annexes

Catalogues des manuscrits et des éditions incunables des Nuits attiques. — Liste des manuscrits datés. — Liste des manuscrits perdus des Nuits attiques. — Tableau des copistes des manuscrits recentiores des Nuits attiques. — Tableau des enlumineurs des manuscrits recentiores des Nuits attiques. — Tableau des possesseurs des manuscrits recentiores des Nuits attiques aux xve et xvie siècles.