Le sanctoral de l’ordinaire de Saint-Victor de Paris
Édition critique et commentaire
Première partieCommentaire
Chapitre premierRappel historique
Saint-Victor de Paris est l’une des abbayes de chanoines réguliers les plus prestigieuses de Paris aux xiie et xiiie siècles. Son histoire commence en 1108 lorsque Guillaume de Champeaux vient s’installer sur les rives de la Bièvre en ermitage. L’abbaye est fondée en 1113 par Louis VI le Gros et son premier abbé est Gilduin, possible auteur du Liber ordinis Sancti Victoris, coutumier de l’établissement. L’abbaye semble avoir connu un succès rapide, notamment grâce à la réputation des maîtres qui y enseignent et à l’engouement dont bénéficie après la réforme grégorienne le mouvement des chanoines réguliers.
Jusqu’à présent, l’histoire de Saint-Victor a surtout été écrite au travers de celle de ses grands intellectuels et maîtres, notamment Hugues. En revanche, sa liturgie, qui manque sans doute du faste d’autres établissements comme Saint-Denis, n’a guère retenu l’attention. Pourtant, grâce notamment à la diffusion du coutumier, elle est suivie à l’abbaye Sainte-Geneviève, d’obédience victorine à partir de 1148, puis est adoptée rapidement par d’autres congrégations qui l’adaptent à leurs besoins (les Trinitaires au cours du xiiie siècle, par exemple), preuve qu’on la jugeait efficiente.
Chapitre IIDescription codicologique du manuscrit
L’ordinaire de Saint-Victor de Paris (V1) est contenu aujourd’hui dans un manuscrit composite, le manuscrit lat. 14506 de la Bibliothèque nationale de France, formant recueil avec plusieurs autres textes non liturgiques, notamment des textes attribués à Hugues de Saint-Victor.
Il court des feuillets 261 à 343 de ce manuscrit. Un calendrier liturgique (fol. 261 à 266v) précède l’ordinaire proprement dit (fol. 267 à 326) et une série de prescriptions compilées dans l’ordre chronologique de leur adoption le suit (fol. 326 à 343). Une main principale a composé l’ordinaire, peut-être également le calendrier, mais un grand nombre d’autres mains, au moins treize, sont ensuite intervenues sur le manuscrit pour l’amender, le corriger et le compléter et ce, jusqu’au début du xve siècle.
La datation du manuscrit est, comme souvent, approximative, mais des arguments tant codicologiques qu’historiques donnent à penser que l’ordinaire de Saint-Victor a été composé initialement durant les dernières années du xiie siècle ou les premières années du xiiie siècle.
Au moins trois autres ordinaires furent copiés plus tard (deux au xve siècle, un au xvie siècle) à Saint-Victor : ils sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France sous les cotes lat. 14455, 15064 et 14456. Tous reprennent largement le texte de V1 en intégrant ses corrections marginales et n’apportent que peu d’ajouts.
Chapitre IIIQu’est-ce qu’un ordinaire ? Pourquoi n’éditer que le sanctoral ?
Pour définir ce qu’est un ordinaire, il faut revenir à l’usage que l’on en fait. Un ordinaire n’est pas un livre de chœur à proprement parler, mais plutôt un livre « de sacristie ». Il est consulté par le prêtre desservant afin de repérer les pièces qui doivent être utilisées pour la célébration de l’office et de la messe, mais également pour déterminer l’organisation du culte d’une fête du sanctoral ou du temporal, l’éventuel partage des propres qui doit être effectué…
L’ordinaire de Saint-Victor est organisé en trois parties principales : après un prologue, le temporal est suivi du sanctoral, puis du commun des saints. Une série de prescriptions à caractère non liturgique, pour la plupart d’entre elles, vient ensuite, compilée par différentes mains jusqu’au milieu du xiiie siècle.
À Saint-Victor, ordinaire et coutumier sont parfaitement distincts, bien que n’ayant pas été composés au même moment ; l’ordinaire est strictement liturgique, à l’exception de ces prescriptions finales, d’une rigueur qui confine à la sécheresse et ne comporte presque aucun détail qui ne soit liturgique.
Le choix de n’éditer que le sanctoral plutôt que la totalité de l’ordinaire tient à plusieurs raisons : les délais, nécessairement restreints, impartis à l’élaboration d’une thèse d’École des chartes ne permettaient pas de prendre en compte la totalité de l’ordinaire. Par ailleurs, le sanctoral présente un double intérêt scientifique : cette partie constitue un ensemble intellectuellement et liturgiquement cohérent, tout en présentant le plus de particularités, ce qui est le cas de tout ordinaire. En effet, alors que les particularismes d’ordre et de lieux sont moindres dans le temporal, qui renferme les propres du temps ordinaire, tout ce qui concerne les cycles du Seigneur (Noël et Pâques, principalement) et les féries des Quatre-Temps, le sanctoral adjoint généralement un certain nombre de cultes locaux à un socle de saints universels.
L’étude des fêtes qui compose le sanctoral est au cœur du commentaire. Après qu’ont été déterminées les fêtes propres de Saint-Victor, celles-ci sont analysées de façon concise, ainsi que les fêtes parisiennes, nombreuses à Saint-Victor. Une typologie des fêtes de rite élevé (neuf lectures, doubles, « tout double ») complète l’enquête. L’objet principal du commentaire est de rendre lisible par un non-spécialiste l’édition du sanctoral. Une édition d’un texte liturgique fait appel à un grand nombre de connaissances préliminaires dont le lecteur ne peut se dispenser. Par conséquent, un glossaire explicite les principaux termes utilisés tant dans le commentaire que dans l’édition. Une étude détaillée d’une fête particulière, la Saint-Marc, est également menée, permettant au lecteur de comprendre les enjeux que doit régler un ordinaire : occurrence de plusieurs fêtes un même jour, concurrence de vêpres, etc.
La dernière partie du commentaire propose différents éclairages pour aborder la lecture du sanctoral en le confrontant à d’autres types de sources, qui permettent de mieux le comprendre. Dans un premier temps, l’étude archéologique de l’abbaye permet d’avoir un aperçu de la topographie de l’église abbatiale. Le descriptif des cérémonies de purification des autels correspond peu ou prou à l’ordre dans lequel se déroulent les processions dominicales ou lors de certaines fêtes doubles (Assomption de la Vierge ou Toussaint, par exemple) et l’ordre dans lequel les autels sont purifiés correspond à la hiérarchie des saints que l’on célèbre principalement à l’abbaye. Les saints auxquels on a attribué un autel sont ceux qui constituent le fonds sanctoral propre à l’abbaye ainsi que les grands saints du calendrier liturgique.
Les dates de composition des différents ordinaires victorins (V1, V2, V3, V4) ont ensuite été mises en relation avec des événements matériels, tels que les différentes campagnes de réfection de l’église abbatiale de Saint-Victor. Il apparaît que les Victorins furent soucieux de rénover leur « mobilier livresque », pour reprendre une idée de Jean-Baptiste Lebigue, en même temps qu’ils rénovaient leurs bâtiments ou lors de l’arrivée d’une relique d’importance telle que le pied de saint Victor.
Enfin, les particularismes de la liturgie victorine sont éclairés par une confrontation de l’ordinaire de Saint-Victor avec celui des Prémontrés et avec les Ecclesiastica officia des Cisterciens, autour de trois ensembles de prescriptions : la Saint-Augustin et la décollation de saint Jean-Baptiste, la purification de la Vierge et les fêtes de sainte Lucie et saint Thomas. Ces deux documents sont suffisamment différents de V1, tant sur la forme que sur le fond, pour faire ressortir les caractéristiques victorines. Ces trois textes reflètent des conceptions différentes de documents liturgiques à caractère prescriptif.
Enfin, dans la perspective d’élargir la réflexion à la totalité de l’ordinaire, une brève étude des incidences du temporal sur le sanctoral a été esquissée, notamment au travers de la question des féries des Quatre-Temps et de leur place dans l’année liturgique. La coutume victorine d’un carême pendant l’Avent est également abordée.
Deuxième partieÉdition
L’édition du sanctoral de l’ordinaire de Saint-Victor, ainsi que du calendrier liturgique initial, est basée sur le texte du plus ancien ordinaire victorin (V1). Le but de cette édition a été de rendre lisible le texte liturgique par une normalisation stricte de sa mise en forme. Les abréviations récurrentes introduisant les différentes pièces liturgiques n’ont pas été développées, mais ont été maintenues dans une forme abrégée normalisée, sauf dans le contexte d’une phrase rédigée pour en faciliter la lecture. L’orthographe, la ponctuation ainsi que la présentation typographique ont également été normalisées, dans le même but de lisibilité du texte et de cohérence intellectuelle.
Les corrections et les ajouts postérieurs à la composition initiale sont intégrés dans le texte mais distingués visuellement par des crochets et des plus petits caractères. Une identification des mains qui les apposent est proposée dans la mesure du possible en apparat critique. Les normes de présentation typographique sont globalement celles qu’a utilisées Edward Foley dans son édition de l’ordinaire de Saint-Denis.
Chaque paragraphe, correspondant à un jour, est doté de deux étages de notes qui correspondent à deux niveaux d’apparat. Le premier est l’apparat critique (avec les variantes de V2 et de V3), le second l’apparat d’identification des sources. Les grands répertoires classiques et les bases de données électroniques ont été utilisés pour identifier les sources.
Annexes
Texte des « statuts liturgiques victorins », regroupant les chapitres du coutumier (Liber ordinis Sancti Victoris) qui traitent de matière liturgique (avec renvoi à l’édition du Corpus christianorum continuatio medievalis) et ceux contenus à la fin de l’ordinaire (avec renvoi aux feuillets du manuscrit BNF, lat. 14506). — Transcription de parties tirées du temporal, d’après V1. — Identification des mentions nécrologiques portées sur le calendrier. — Liste non exhaustive des manuscrits liturgiques à l’usage de Saint-Victor de Paris. — Index des pièces liturgiques.