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École des chartes » thèses » 2011

Les chasses impériales de Napoléon Ier


Introduction

En dépit de nombreux et récents travaux universitaires et expositions consacrés à la pratique de la chasse des rois, des princes ou d’aristocrates ayant marqué l’histoire de France, un certain vide historiographique reste à combler. En effet, entre les études sur la chasse sous l’Ancien Régime, comme celle de Philippe Salvadori, et la thèse d’École des chartes de Géraldine Péoc’h soutenue en 2005 sur les chasses impériales de Napoléon III, le premier xixe siècle apparaît comme singulièrement délaissé. Il semble exister en particulier un vide historiographique autour de l’histoire de la chasse sous le règne de Napoléon Ier. Le sujet n’est bien entendu pas entièrement neuf : les forêts, et en particulier leur exploitation, ont été bien étudiées ces dernières années, à la suite des progrès de l’histoire forestière. En revanche, le personnage de Napoléon lui-même, sa pratique de la chasse et celle de son entourage n’ont jusqu’à présent été qu’imparfaitement traités. La plupart des historiens s’essayant à une histoire du Premier Empire y consacrent moins d’une page, brossant au sein d’un chapitre sur la cour impériale un tableau rapide à l’aide de sources limitées aux quelques mémoires des contemporains les plus connus. Il en ressort qu’au bout de presque deux siècles d’études, sur ce point précis, l’historiographie n’a pu se détacher de l’image d’un Napoléon chasseur maladroit, et ne chassant que rarement pour se conformer à la tradition monarchique. Cette vision peut cependant sembler caricaturale, au moins autant que celle présentant Louis XVI comme un forcené de la chasse.

Étudier les chasses de Napoléon Ier implique de bâtir un corpus de sources suffisamment large pour aller au-delà des poncifs, et suffisamment cohérent pour restituer la totalité d’une image entièrement brouillée depuis la chute de l’Empire. Il faut également prendre en compte l’historiographie de la période et replacer les chasses impériales dans leur contexte, celui d’une reconstitution de la tradition monarchique au service d’une dynastie nouvelle. Si les chasses participent sans conteste de la thématique bien connue de la continuité symbolique entre l’Ancien Régime et le Premier Empire, il convient de mesurer l’usage qui est fait de cette tradition, en rendant sa place à la pratique de la chasse dans la vie politique de l’Empire, dans les habitudes de vie de la cour impériale et dans la vie quotidienne de Napoléon. L’intérêt est de parvenir à cerner en quoi la chasse, comme événement et comme tradition, était instrumentalisée et mise au service de la pratique du pouvoir de l’empereur. Cette étude prend ainsi place dans le mouvement plus large du retour aux sources primaires de l’histoire du Premier Empire, et dans le sillage des nombreuses recherches réalisées autour de la pratique du pouvoir sous l’Empire ou du rôle des différents grands officiers.


Sources

Le corpus de sources utilisé est étonnamment vaste pour un sujet aussi peu connu. En effet, au sein de la sous-série O2 des Archives nationales, renfermant les archives de la Maison de l’empereur, il faut ajouter aux archives de l’administration du grand veneur une partie significative de celles des autres grands officiers, intendants et administrateurs. Ce corpus peut aussi s’étendre aux archives de la secrétairerie d’État impériale, ainsi qu’à différents fonds d’archives privées. Les allusions à la chasse sont en effet nombreuses dans l’ensemble de ces documents, car certains des aspects annexes de l’organisation des chasses relevaient des attributions d’un nombre important des acteurs de la période, comme le grand écuyer, ou l’intendant général. Les sources imprimées sont également essentielles, à commencer par les journaux qui consacraient au déroulement des chasses des entrefilets réguliers, comportant nombre d’indications importantes. Les mémorialistes, enfin, par les jugements qu’ils formulent et les récits qu’ils rapportent, donnent des éclairages importants sur le déroulement des chasses impériales, ainsi que sur l’attitude de Napoléon Ier au cours de ses chasses. Enfin, différentes sources de seconde main procurent un éclairage historiographique, comme les archives de l’historien Frédéric Masson, dont les notes de travail relatives aux chasses constituent un important dossier. Il faut également étendre la notion de « source » aux objets et tableaux conservés dans les musées, aux bâtiments et aux espaces liés aux chasse, dont la plupart existent encore. À titre d’exemple, les armes de Napoléon, les peintures représentant ses chasses, et les bâtiments édifiés pour accueillir les chasseurs sont également des sources à prendre en compte.


Première partie
Napoléon et la chasse, entre rupture et continuité


Chapitre premier
1800-1804 : le chasseur débutant

Ce premier chapitre évoque la découverte de la chasse par Napoléon Bonaparte, son adhésion aux habitudes de vie de la société dirigeante du Directoire et du Consulat, sa volonté de renouer avec les habitudes des Bourbons, et enfin la création de la vénerie consulaire en 1802, qui est autant le résultat d’une démarche politique que d’une réflexion personnelle. En effet, lors de ses premières chasses en 1800, Bonaparte, invité par la famille Girardin à chasser à Ermenonville, se montra peu motivé par la chasse. De même, lors des négociations du traité de Mortefontaine cette même année, où il ne se joignit pas à la chasse organisée lors des festivités. Il faut dire que malgré un regain d’intérêt à partir du Directoire, la chasse était tombée en désuétude au début de la Révolution, suite à la dispersion des équipages, à la raréfaction des chiens et des chevaux, et au braconnage intensif. Le départ des chasseurs les plus assidus en émigration, la mise sous séquestre et la vente comme biens nationaux de leurs forêts avaient fini de faire voler en éclats la tradition cynégétique française. Cela explique que les premières chasses auxquelles fut convié le Premier consul furent peu réussies. Malgré cela, l’intérêt de posséder un équipage de chasse apparut rapidement à Bonaparte, car il était nécessaire pour la représentation du pouvoir auprès d’invités de marque. L’absence d’équipage fut par exemple remarquée au cours du séjour du roi d’Étrurie à Paris. Bonaparte fit ainsi l’acquisition, non loin de la Malmaison et de Saint-Cloud, de deux pavillons et d’un parc de chasse. En 1802, il nomma le baron d’Hanneucourt, un chasseur renommé, à la tête de son équipage, qu’il dota d’un budget autonome, d’un chenil et d’une écurie. En plus des exigences de la représentation, cette apparition est liée à l’émergence d’un intérêt sincère de Bonaparte pour la vie en plein air et la prise d’exercice, et notamment la pratique de l’équitation. L’apparition du premier équipage de chasse s’explique cependant aussi par les craintes pour la sûreté du Premier consul, menacé par différentes conspirations qui projetaient de l’enlever au cours d’une chasse. Bonaparte put donc dès 1802 chasser en toute sécurité et assurer une des fonctions de la représentation monarchique tout en s’adonnant aux loisirs.

Chapitre II
1804-1809 : la continuité de l’Ancien Régime ou le rôle du prince chasseur

En 1804, la proclamation de l’Empire provoqua un retour progressif des usages et des apparences de l’Ancien Régime. Napoléon se fit notamment attribuer la Liste civile dont Louis XVI disposait en 1791, qui comportait des palais, comme Versailles et Fontainebleau, et de nombreuses forêts, dont la gestion incomba à un intendant général. Il organisa également l’administration de sa cour en créant des grands officiers. L’office de grand veneur fut confié au maréchal Berthier, chasseur passionné, qui fut chargé d’organiser les premières chasses impériales qui eurent lieu peu avant le sacre. En novembre 1804, Napoléon mit ainsi en scène sa rencontre avec le pape Pie VII en forêt de Fontainebleau, en organisant une fausse chasse à courre. Cette attitude est caractéristique du début de l’Empire, où les chasses vinrent essentiellement appuyer la représentation du souverain et ses entreprises politiques. L’étiquette et l’organisation de la vénerie impériale s’inspirèrent ainsi beaucoup de la pratique de la chasse sous Louis XVI, dont la plupart des veneurs mirent leur expérience au service de l’Empire. Cependant, des chasses furent rapidement organisées en l’honneur d’invités de marque, notamment les ambassadeurs et les princes allemands en visite. Elles jouèrent ainsi un rôle important dans l’intégration du nouvel empereur dans le cercle des souverains européens. La chasse servait aussi de métaphore de la victoire militaire, Napoléon chassant au début et à la fin de chaque campagne en compagnie de ses alliés, ou encore lors des occupations successives de Vienne par les troupes françaises. Les chasses jouaient aussi un rôle fédérateur dans la politique nationale : des membres de l’aristocratie d’Ancien Régime se ralliaient à l’Empire en entrant au service du grand veneur, tandis que les invitations à la chasse étaient utilisées comme des instruments de régulation de la vie du Palais impérial. Enfin, ces deux aspects, diplomatiques et curiaux, étaient réunis lors des séjours de chasse à Fontainebleau, qui renouaient avec les apparences de l’Ancien Régime tout en mettant en scène l’autorité du souverain et le faste de sa cour. La chasse apparaissait ainsi comme une cérémonie impériale, un instrument de pouvoir utilisé par Napoléon pour renforcer ses liens avec ses alliés ou avec ses obligés.

Chapitre III 
1810-1814 : un chasseur passionné ?

À partir de 1809, le contexte des chasses changea fortement. Au retour de la campagne d’Autriche, Napoléon séjourna en effet à Fontainebleau où il chassa quotidiennement. Quelques jours plus tard, son divorce avec Joséphine le poussa à adopter la chasse comme distraction afin d’oublier son chagrin. Dès lors, son intérêt pour la chasse semble s’être renforcé et sa pratique évolua. Retiré à Trianon, il chassa en effet seul et prit goût à cette activité, qui lui permettait de canaliser son énergie dans une période de calme politique. Au tournant de l’année 1810, il réforma ainsi la Liste civile et ordonna des achats de forêts pour plusieurs millions de francs, dans le but de reconstituer l’ancien domaine de chasse royal. Il fit dans le même temps accélérer la restauration et l’ameublement de différents châteaux de chasse comme Rambouillet, Trianon et Compiègne, et racheta pour son équipage de chasse l’hôtel du grand veneur de Versailles, prélude à la restauration et à la construction de plusieurs bâtiments destinés à améliorer le quotidien et le travail de ses veneurs. Dans les mois qui précédèrent son remariage avec Marie-Louise, il pratiqua la chasse de manière presque quotidienne, ce dont les lettres de ses proches font écho avec parfois une certaine lassitude. Il chassa ainsi le matin avant d’expédier sa demande en mariage à la fille de l’empereur d’Autriche, à qui il envoya peu après du gibier en présent. Par la suite, il prit l’habitude d’emmener sa nouvelle épouse chasser, lui faisant même prendre des leçons d’équitation. Les déplacements de la cour dans les différentes résidences de plaisance autour de Paris montre que le contexte politique apaisé permit à Napoléon de prendre des loisirs. Au cours des années 1810 et 1811, les moyens accordés aux chasses augmentèrent ainsi conjointement à la pratique de l’empereur, qui fit l’achat de domaines, de pavillons de chasse, et qui modifia l’étiquette de manière à davantage centrer les chasses sur la détente que sur la politique. Cependant, dès 1812, la chasse joua à nouveau un rôle dans la politique impériale. Dès son retour de Russie à la fin de 1812, Napoléon se remit à chasser afin de donner à son emploi du temps une apparence de normalité. Il fit parler de ses chasses dans la presse et chercha à rassurer le public en organisant des chasses factices au cours desquelles il se fit acclamer par la foule. Une des chasses les plus célèbres est celle qui servit de couverture à la négociation du second Concordat, signé à Fontainebleau en janvier 1813. Ces chasses publiques, qui durèrent jusqu’en novembre 1813, ne doivent cependant pas dissimuler le maintien de la chasse comme pratique privée, Napoléon séjournant encore à Trianon au printemps de 1813, ou se faisant aménager un parc de chasse à l’île d’Elbe en 1814. Durant les Cent-Jours, s’il supprima l’office de grand veneur pour des raisons d’économies, il passa ainsi tout de même commande de matériel de chasse qu’il emmena avec lui à Sainte-Hélène, où il fit ses dernières chasses en 1816. Au bout de plusieurs années de pratique, la chasse semble donc avoir pris une part plus importante dans la vie quotidienne de Napoléon, qui en vint à l’apprécier comme un loisir et en fit une activité de son quotidien.


Deuxième partie
Les chasses au quotidien à la cour du Premier Empire


Chapitre premier
Napoléon à la chasse : fiction et réalité

Ce chapitre vise à dépeindre la pratique de la chasse de Napoléon et de son entourage au quotidien, à décrire le déroulement des chasses impériales et à revenir sur la conception traditionnelle de l’empereur maladroit à la chasse, mauvais cavalier et tireur exécrable, vision propagée par de nombreux mémorialistes, par les anecdotes reprises par les historiens depuis le xixe siècle, mais qui a toutefois un certain fondement. Napoléon semble avoir eu lui-même à cœur de laisser à la postérité un bon souvenir de ses chasses, dont il parle dans le Mémorial de Sainte-Hélène en déformant la réalité. Ainsi, l’étude du déroulement des chasses dans le détail permet de constater que Napoléon n’en respectait pas toujours ni l’étiquette ni les traditions, et qu’il se contentait souvent, en matière de chasse, d’une promenade au grand air assortie de l’opportunité de tirer sur un gibier domestiqué acheté la veille chez un éleveur. Napoléon semble avoir été en revanche un cavalier capable, montant à la chasse à courre avec la même endurance qu’à la guerre. Mais il a également été un tireur maladroit, à l’origine de plusieurs accidents graves, comme la perte d’un œil par le maréchal Masséna. Malgré ce manque d’intérêt pour les usages et la pratique de la vénerie, Napoléon était tout de même un rude chasseur, et les chasses impériales un univers dangereux. De nombreux accidents, parfois mortels, témoignent que Napoléon et son entourage étaient souvent mis en danger au cours des chasses. La chasse permettait ainsi à Napoléon de s’imposer physiquement auprès de certains invités, tout en les mettant à l’épreuve. Plus qu’une pratique de cour policée, la chasse semble ainsi avoir été pour Napoléon et son entourage, composé de courtisans mais aussi de militaires et d’hommes d’action, un prétexte à l’épuisement.

Chapitre II
La chasse, une distraction de Cour

La chasse était omniprésente dans la vie du Palais impérial. Elle était tout d’abord un élément du cadre du quotidien, par les nombreuses peintures de chasse, les cartes des chasses exposées dans les appartements impériaux, ou encore par le cadre géographique des résidences impériales, toutes situées à proximité des forêts. Le besoin qu’avait Napoléon de vivre à proximité de la nature, souligné par tous ses biographes, explique ses déplacements dans les palais d’Île-de-France ainsi que ses sorties fréquentes en forêt. Il faut aussi souligner la diversité des participants aux chasses, dont l’identité montre qu’il s’agissait d’une activité incontournable pour tous les courtisans. L’analyse de l’emploi du temps de Napoléon permet de mettre en lumière sa pratique de la chasse, qui s’organisait différemment selon les lieux, les époques, et s’articulait de manière parfois chaotique avec les autres moments de la vie de cour. Ainsi, il apparaît que les chasses avaient plutôt lieu le matin quand Napoléon séjournait à Paris, tandis qu’elles ne débutaient qu’en début d’après-midi lors des séjours à Rambouillet, mais duraient alors souvent jusqu’à la nuit tombée. De par leur durée, les chasses à courre imposaient d’aménager les horaires des séances des différents conseils, de décaler des audiences ou d’annuler des représentations du théâtre de la cour. Surtout, la chasse prenait le pas sur le déroulement des repas impériaux, qui avaient souvent lieu dans les pavillons de chasse aménagés à cet effet. La question du cadre des chasses mérite également d’être soulignée, puisqu’elle est liée à celle de la pratique. L’étude de l’aménagement des différentes résidences de chasse montre ainsi qu’elles devaient répondre à différents critères pour pouvoir être utilisables par la cour du Premier Empire. Il fallait notamment qu’une résidence de chasse puisse permettre la pratique de la chasse, de la promenade dans un jardin, tout en étant proche de la ville et des voies de communication. La chronologie de l’aménagement des différents châteaux et pavillons qui forment un réseau au sein des forêts autour de Paris montre que Napoléon se donna progressivement les moyens de pratiquer la chasse en conservant ses habitudes de confort. Du début de l’Empire, où les chasses étaient accueillies dans des rendez-vous humides, jusqu’au réaménagement du luxueux pavillon de Bagatelle en 1810, mené par l’architecte Fontaine, tout une réflexion fut ainsi menée sur l’adéquation entre les lieux de vie de Napoléon et sa pratique de la chasse, lui permettant de mener de front ses activités de chef d’État et celles de chasseur.

Chapitre III
Chasse et travail, une cohabitation nécessaire

Après l’évocation du cadre des chasses, et de sa place dans le quotidien de la cour, il faut également parler de l’imbrication de la chasse et des activités gouvernementales de l’empereur, de la manière dont les loisirs cynégétiques et les responsabilités officielles s’articulaient et de leur impact respectif. Il apparaît tout d’abord que la chasse fut pour Napoléon une source d’inspiration. De nombreuses lettres concernant la gestion des forêts, les besoins en bois de la Marine, ou encore l’aménagement des palais impériaux, furent écrites à la suite de chasses, Napoléon se servant de ce qu’il avait vu sur le terrain pour rédiger sa lettre. En outre, de nombreuses chasses furent des prétextes à des inspections, des visites, ou des entrevues politiques, qui montrent que même à la chasse, Napoléon ne négligeait pas les occasions de faire preuve de son autorité. Le domaine impérial, agrandi pour les besoins des chasses, était en outre une source de revenus importants pour l’empereur, qu’il ne négligeait pas car elle complétait la dotation de la Liste civile. Les résidences de chasse de Napoléon semblent également avoir progressivement acquis les différentes caractéristiques qui en faisaient des palais de gouvernement, d’où Napoléon pouvait jouer son rôle de dirigeant de toute l’Europe sans quitter la campagne, et faire cohabiter ses chasses et son travail. Cependant, le décompte des lettres envoyées par l’empereur les jours de chasse montre qu’il n’hésitait parfois pas à délaisser entièrement son gouvernement pour partir chasser. Au contraire, il semble qu’à certains jours, Napoléon se soit montré capable d’écrire et de travailler longuement malgré des chasses ayant duré plusieurs heures. Chaque chasse doit ainsi être replacée dans son contexte politique ou militaire pour être pleinement comprise, soit comme un événement diplomatique, soit comme un loisir destiné à meubler une période de calme politique, ou au contraire comme un répit pris dans un contexte mouvementé. La chasse impériale s’impose ainsi comme un élément du quotidien de l’empereur et de sa cour.


Troisième partie
La réception des chasses impériales


Chapitre premier
Les chasses réelles et leurs témoins

La dernière partie vise à restituer la place des chasses dans le cadre plus vaste de l’Empire, en faisant tout d’abord une place à ceux qui y assistaient et participaient. L’influence des chasses se retrouve tout d’abord chez les proches de Napoléon qui y prenaient part et qui, par imitation de l’empereur, eurent eux aussi leurs propres équipages. Les fêtes et les chasses offertes par les maréchaux Berthier et Bessières, notamment, semblent avoir été des grands moments de la vie de cour, ainsi que des faveurs faites par Napoléon à ses maréchaux. De même, les nobles revenus d’émigration renouèrent avec cette pratique, en devenant lieutenants de louveterie nommés par le grand veneur, ce qui était un signe d’adhésion à l’Empire, ou en cherchant à se faire inviter aux chasses. La vie cynégétique connut ainsi sous l’Empire un renouveau après la disparition des chasses aristocratiques sous la Révolution. L’influence la plus importante des chasses impériales se retrouve cependant surtout chez ceux qui y assistaient. En effet, la vision de Napoléon chassant le cerf semble avoir été, pour les Parisiens et les habitants d’Île-de-France un spectacle fréquent mais recherché, voire même un but de promenade. Les mouvements de foule provoqués par les chasses, les placets ou demandes adressés à l’empereur au moment de la curée, montrent que les chasses impériales éveillaient, en même temps que le souvenir des Bourbons, une certaine curiosité. L’opportunité d’adresser des doléances à l’empereur, ou d’obtenir une rétribution en servant de rabatteur, semblent avoir également éveillé l’intérêt des sujets. De manière plus générale, les chasses impériales enrichissaient ceux qui y assistaient ou qui vivaient à proximité des lieux qui les accueillaient, Napoléon se montrant généreux avec les riverains, faisant des aumônes aux villes voisines ou laissant le bétail paître dans ses forêts, ce qui venait encore renforcer sa popularité et faire de chaque passage de l’équipage de la vénerie impériale un événement, voire une fête populaire. L’empereur a par ailleurs lui-même joué avec cet aspect, en organisant ses chasses comme de véritables bains de foule, en particulier à la fin de son règne. La chasse était donc pour Napoléon un moyen de créer des liens et d’entrer en contact avec ses sujets.

Chapitre II
Des publics indirects

La connaissance des chasses impériales n’était pas seulement réservée à ceux qui y participaient ou qui y assistaient. En effet, plusieurs médias, visant chacun un public spécifique, permettaient de se faire une idée de l’apparence et du déroulement des chasses impériales. Tout d’abord, les chasses impériales furent de plus en plus représentées par les artistes de la période napoléonienne, devenant même un des éléments de l’iconographie du régime impérial. Au Salon de 1808, plusieurs peintures de Carle Vernet, le peintre des chasses et des chevaux le plus célèbre du temps, représentaient ainsi les chasses de l’empereur, même si, dans le même temps, une toile commémorant la rencontre du pape et de l’empereur en 1804 tentait partiellement d’éclipser le contexte forestier de la rencontre. Aux Salons de 1810 et de 1812, plusieurs autres peintures représentant Napoléon chassant furent également exposées, dont une grande toile de Carle Vernet, très remarquée en 1812. Le principal support de représentation fut cependant la porcelaine de Sèvres, dont la production, bien que réduite, fut tout de même suffisamment régulière pour en faire un genre à part au cours de la période. Il y eut ainsi de nombreux vases, tasses, services en porcelaine peinte représentant les chasses impériales. La plupart étaient dus à Jean-François Robert, qui fut encouragé par Napoléon en personne et qui eut l’opportunité de peindre les chasses d’après nature. De manière beaucoup moins fréquente, des scènes de chasses furent aussi gravées. Par le biais des imprimés, la réputation des chasses impériales put aussi se répandre. Différents imprimés parlèrent ainsi des chasses, notamment des ouvrages de circonstance, des mémoires de contemporains publiés dès l’Empire, ou encore des guides décrivant les alentours de Paris. Les chasses furent surtout évoquées dans la presse, selon des modalités qui évoluèrent en même temps que le contrôle du pouvoir politique sur le monde de l’édition. Le Journal de l’Empire, le Journal de Paris, deux des quotidiens les plus importants de l’époque, ainsi que le Mercure de France, qui paraissait trois fois par mois, firent ainsi très régulièrement écho aux chasses impériales, par des récits détaillés, qui sont une source essentielle. La publicité des chasses dans la presse, timide dans les premières années de l’Empire, culmina en 1809 et 1810, au moment où Napoléon tentait de renforcer son image de souverain pacifique. Elle déclina par la suite en 1811 et 1812, quand la chasse devint une pratique privée. En 1813, les dernières chasses furent en revanche bien rapportées par les journaux, soucieux de préserver les apparences et la popularité de l’empereur. On constate de plus, par différentes lettres de Napoléon et du grand maréchal Duroc, que les différents entrefilets, très stéréotypés, étaient rédigés dans les bureaux du palais et expédiés aux différentes rédactions, qui ne disposaient que d’une marge de manœuvre limitée. Une plus grande liberté se retrouve dans la presse anglaise, qui détournait les récits de chasse en insistant sur l’usurpation de la symbolique de la chasse royale par Napoléon. Dans tous les cas, qu’il s’agisse de représentations graphiques ou de journaux, le public touché était surtout parisien, même si des relais étaient assurés en province et à l’étranger.

Chapitre III
Les chasses hors de l’Empire

Les chasses impériales furent également connues en dehors de l’Empire. Tout d’abord, les membres de la famille impériale qui montèrent sur différents trônes européens disposèrent tous de services des chasses conçus sur le modèle de la vénerie impériale, et s’inspirèrent fortement du modèle des Tuileries pour organiser leurs cours. Louis Bonaparte employa ainsi différents veneurs ayant servi Louis XV pour créer son service des chasses, et il se passionna pour la fauconnerie, faisant aménager le palais du Loo pour ses plaisirs. Jérôme fit de même en Westphalie, chassant très régulièrement à courre et à tir, ce qui contribua à sa réputation de prince frivole et dépensier. La chasse lui permit cependant de rallier à son service différents éléments de la noblesse locale et contribua à l’intégrer aux princes allemands pour qui la chasse était un art de vivre, notamment son beau-père le roi de Wurtemberg. Joseph, le Napoléonide le plus vivement intéressé par la chasse, présente la particularité d’avoir par deux fois succédé à des Bourbons, connus comme de grands chasseurs, à Naples et en Espagne. Dans les deux cas, il réforma l’administration de la vénerie et la gestion des domaines de chasse, mais reprit à son compte les nombreuses résidences de plaisance laissées par ses prédécesseurs. Il fut en outre le seul frère à tenter d’inviter Napoléon dans son royaume sous prétexte de chasse afin de renforcer son autorité. De cette manière, les chasses impériales trouvaient leur écho dans l’Europe napoléonienne. Par ailleurs, Napoléon se rendait dans les États alliés et chassait lors de ses visites officielles, notamment avec les rois de Saxe et de Wurtemberg, les chasses servant à incarner l’alliance entre les différents souverains. De la même façon, Napoléon reçut fréquemment ses alliés en France, leur faisant profiter des ressources de ses forêts et leur prêtant même à l’occasion son équipage de chasse. Enfin, la pratique des présents diplomatiques était fortement liée aux chasses, et cela dès le Consulat. L’habitude fut prise par Napoléon d’offrir aux têtes couronnées et aux diplomates des armes de luxe et des pièces de porcelaine représentant des chasses. Il reçut souvent en présent des chiens, des chevaux, ainsi que du gibier, notamment des cerfs expédiés en France par ses alliés, qui servirent à repeupler les forêts d’Île-de-France. La pratique de la chasse était donc une des composantes de l’Europe napoléonienne, dont les souverains formaient une communauté de chasseurs.


Conclusion

Au cours de son règne, Napoléon aura chassé plus de trois cent cinquante fois. C’est du moins le nombre qui apparaît par la confrontation des différentes sources. Cette activité aura donc marqué sa vie quotidienne et eu une influence importance sur la vie curiale et sur la politique de son temps. L’administration des chasses fondée en 1804 et inspirée de l’ancienne monarchie remplit si bien son rôle de représentation en se conformant aux usages que la monarchie restaurée n’y fit que des ajustements minimes, tout en restreignant son usage aux loisirs de la famille royale. Sous le Second Empire, la vénerie impériale fut à nouveau recréée sur le même modèle et perçue comme un des éléments de l’héritage napoléonien. Au final, l’héritage, mais aussi l’image des chasses impériales auront été présents tout au long du xixe siècle dans les usages des différentes dynasties. Cependant, les chasses de Napoléon furent également victimes de leur succès : ramenées au rang de simple imitation monarchique, éclipsées par celles de Charles X d’abord, puis par celles de Napoléon III, leur important rôle politique fut oublié et perpétué uniquement dans les nombreuses descriptions caricaturales de l’historiographie napoléonienne.


Pièces justificatives

L’étiquette des chasses. — Édition du journal d’un capitaine forestier sous l’Empire.


Annexes

Documents iconographiques : armes de chasse, représentations figurées, dessins d’architectes, plans, vues des résidences impériales. — Carte des domaines de chasse impériaux en 1812 et des différentes capitaineries des chasse. — Analyse du budget de la vénerie. — Calendrier des chasses de Napoléon. — Glossaire des termes de vénerie les plus courants.