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École des chartes » thèses » 2012

Entre Moyen Âge et Renaissance ?

La commande artistique de l’amiral Louis Malet de Graville (v. 1440-1516)


Introduction

Cette thèse a l’ambition de s’insérer dans le mouvement de redécouverte et de réhabilitation de la période artistique, partagée entre Moyen Âge et Renaissance, que constituent la fin du xve siècle et le tout début du xvie siècle : plus qu’une phase de transition, il s’agit d’un moment artistique à part entière, dans lequel de grands commanditaires, à l’instar de l’amiral de Graville, jouèrent un rôle non négligeable.

Si l’artiste de l’époque et sa production sortent progressivement de l’ombre, le second acteur essentiel dans la genèse de l’œuvre d’art, le commanditaire, est encore mal cerné, notamment dans ses motivations, ses intérêts, ses partenaires, ses goûts et son rôle dans cette phase d’épanouissement artistique. L’étude de la commande artistique de l’amiral de Graville semblait ainsi tout indiquée.

Issu d’une famille de noblesse militaire, Louis Malet de Graville fit partie de ces hommes auxquels la disparition progressive des grands féodaux ouvrit les portes du pouvoir et de la fortune. Conseiller de Louis XI, Charles VIII et Louis XII, amiral de France de 1487 à sa mort en 1516, il demeure une figure un peu oubliée, connue cependant par quelques œuvres qu’il commanda, telles que la Mise au Tombeau sculptée de Malesherbes ou ses riches manuscrits enluminés, qui auguraient d’un mécénat autrement plus développé.

Il s’agit donc d’exhumer des pans entiers de la commande artistique de l’amiral demeurés dans l’ombre. Toutes les formes de l’activité artistique ont été étudiées : architecture, sculpture, enluminure, vitraux, menuiserie, tapisserie. Surtout, la commande artistique du personnage a été appréhendée dans sa totalité : en plus des œuvres et des édifices qui font l’originalité du mécénat de Louis Malet de Graville et témoignent de ses goûts personnels, a été prise en compte la commande qualifiée d’« ordinaire », ou de convenance sociale, souvent négligée par la recherche, que tout seigneur se devait d’assurer pour tenir son rang, mettre en valeur ses seigneuries, soutenir la vie religieuse des territoires qui étaient sous son contrôle, préparer sa mort et illustrer son lignage. Enfin, ce mécénat s’inscrivait dans un milieu et dans un réseau d’échanges entre commanditaires, ce qui permet de le mettre en perspective, d’en dégager les originalités et de poser la question de sa modernité.


Sources

À l’étude des édifices et des œuvres conservés s’est ajouté un travail de dépouillement d’archives. En plus des nombreuses minutes conservées dans le Minutier central des notaires parisiens des Archives nationales, sources les plus explicites pour ce travail, quelques documents tirés des séries J, KK, L, LL, MM, P, Q1, S et T ont été mis à contribution. Le chartrier de Malesherbes, aujourd’hui aux Archives nationales (399 AP), comprend plusieurs comptes de seigneuries ayant appartenu à l’amiral qui ont été exploités, tout comme le fonds de la seigneurie de Marcoussis conservé aux archives départementales de l’Essonne (13 J) et celui du marquisat de Graville aux archives départementales de la Seine-Maritime (série A). Des documents conservés aux archives départementales d’Eure-et-Loir (testaments de l’amiral et de son épouse), à la médiathèque de l’architecture et du patrimoine, au département des Manuscrits et à celui des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France complètent ce panorama.


Chapitre liminaire
Nouveau regard sur la biographie de Louis Malet de Graville


Il convenait en premier lieu de s’attacher à revoir, à la lumière des dernières recherches historiques, la biographie de Louis Malet de Graville, qui n’a pas fait l’objet d’étude depuis les travaux de Paul-Michel Perret publiés en 1889. Sa vie et sa carrière politique permettent en effet de mettre en perspective certains aspects de la commande artistique du personnage.

Louis Malet de Graville était issu de deux prestigieuses lignées. La première, la famille Malet de Graville, originaire de Normandie, s’est illustrée depuis le xive siècle par le service de la Couronne. Par le mariage de son grand-père, Graville était également l’héritier du grand maître de l’hôtel de Charles VI, Jean de Montaigu, mis à mort en 1409 par les Bourguignons.

C’est à la cour de Louis XI que Graville fit ses débuts ; il se vit confier par le roi nombre de charges et de revenus. Sa position lui permit de côtoyer au plus près le roi et les grands seigneurs de son entourage.

À la mort de Louis XI, il devint un personnage incontournable pour les régents Anne et Pierre de Beaujeu par son soutien indéfectible, notamment lors de la Guerre Folle. Il en fut récompensé par la charge d’amiral de France obtenue en 1487. Pendant la guerre de Bretagne, il joua un rôle central, suivant au plus près les opérations et les dirigeant, aux côtés du jeune Charles VIII. Il devint dès lors le conseiller écouté du roi. Fort de son expérience, il s’opposa farouchement à la campagne italienne destinée à la reprise de l’héritage napolitain prônée par les jeunes conseillers du souverain. Il se vit donc confier la défense du royaume pendant l’absence du roi, et notamment des gouvernements de Normandie et de Picardie, alors sous la menace des Impériaux. L’échec de l’expédition transalpine le replaça au centre du jeu, mais la mort soudaine de Charles VIII mit un terme à son retour en grâce.

Louis Malet de Graville avait été l’un des ennemis intimes du duc d’Orléans, devenu roi sous le nom de Louis XII. Mais, s’il fut écarté du Conseil royal, c’était en sa qualité d’ancien serviteur de Louis XI ; l’alliance matrimoniale qui le liait à Georges d’Amboise (sa fille Jeanne avait épousé le neveu du cardinal, Charles II d’Amboise) garantissait son maintien en charge. En 1504, après la disgrâce du maréchal de Gié, il fut appelé à le remplacer dans le maniement des finances. Il mourut le 30 octobre 1516.


Première partie
Les devoirs d’un grand seigneur foncier


Première section
La commande du seigneur au sein de ses domaines

Chapitre premier
Les cadres de la commande d’un grand seigneur foncier

Le seigneur de Graville était possessionné en Normandie, avec la seigneurie de Graville, et surtout au sud de l’Île-de-France, autour de plusieurs seigneuries : Marcoussis, Arpajon, Malesherbes, Milly-la-Forêt. Il mena une politique d’acquisition extrêmement active qui lui permit d’agrandir, notamment en Île-de-France, des domaines issus d’héritages, dont celui de Jean de Montaigu, et de confiscations. Il en tirait des revenus conséquents qui, associés aux nombreux gages qu’il percevait, firent de lui l’un des seigneurs les plus fortunés du royaume et lui permirent d’entretenir un train véritablement princier.

Après les ravages que la guerre de Cent Ans avait causés dans ces domaines, Graville entreprit de les relever de leurs ruines. Ce relèvement passa par la construction de nouvelles infrastructures et s’appuya sur de nouveaux moyens humains encadrés par un réseau pyramidal d’officiers et sur une organisation archivistique poussée, dont le remarquable Terrier de Marcoussis est la vitrine. L’amiral fit donc fructifier ses domaines en faisant construire ou reconstruire de nombreux bâtiments utilitaires et se posa en bienfaiteur de la population en faisant bâtir deux halles monumentales toujours conservées, à Milly-la-Forêt et à Arpajon, vraisemblablement réalisées par la même équipe au cours de la décennie 1470.

Chapitre II
La résidence principale du seigneur de Graville : le château de Marcoussis

Le château de Marcoussis, bâti entre 1403 et 1408 par Jean de Montaigu, fut restauré et modernisé par Graville pour en faire la résidence d’apparat de ses domaines champêtres. Cette forteresse au caractère militaire prégnant était dotée d’une chapelle double dont la disposition, la décoration et l’ameublement ont pu être en partie reconstitués.

Des travaux y ont été entrepris par Louis Malet de Graville. Il fit déplacer l’escalier principal et réaménager les pièces de réception, décorées à la gloire de Charles VIII, ainsi que les jardins. Certains contrats conservés au Minutier central des notaires de Paris permettent de dater ces campagnes de travaux de la fin de la décennie 1490 et du début des années 1500. Quant à la barbacane du château, elle ne semble pas devoir être rattachée à l’action de l’amiral.

La découverte d’un fragment de l’inventaire après décès de l’amiral dressé au château de Marcoussis permet de retrouver plus précisément l’emplacement de certaines pièces et surtout d’étudier l’aménagement des logis. On y remarque l’importance des garde-robes et des cabinets consacrés à divers usages et l’abondance d’un mobilier assez peu varié : couches et couchettes, dressoirs et armoires, coffres. Les tissus d’ameublement y sont surreprésentés, tout comme les décors fixes et mobiles, peintures murales, lambris, textiles, tentures. Certaines miniatures tirées de manuscrits ayant appartenu à l’amiral permettent de vérifier les enseignements de cet inventaire.

Chapitre III
Un véritable maillage castral

Si l’amiral ne fut pas à proprement parler un grand bâtisseur de châteaux, à la différence de son ami Jean Bourré, il restaura et modernisa systématiquement les nombreuses résidences castrales qui lui étaient parvenues par héritage ou par achat.

La résidence de Malesherbes, située entre Paris et Orléans, apparaît comme une demeure plus intime pour l’amiral, où il pouvait plus facilement laisser son empreinte et déployer ses fondations spirituelles. Là encore, l’amiral modernisa la demeure : des analyses dendrochronologiques menées sur les charpentes de certaines tours médiévales encore conservées montrent qu’un grand chantier de réfection des toitures a été mené dans la décennie 1470. Des édifices situés dans la basse-cour et toujours en place permettent de préciser son action. La grange monumentale, dominant la paysage grâce à sa tour hors-œuvre, est sans aucun doute à mettre à son crédit, notamment grâce à l’apport d’analyses dendrochronologiques et des comparaisons effectuées avec d’autres édifices de l’époque. La chapelle castrale abrite une arcade au décor flamboyant assez raffiné qui contraste avec l’apparence extérieure assez frustre de l’édifice. Le maître d’œuvre est sans doute Pierre Charles dit Goron ; une promesse de livraison de matériaux passée en 1489 correspond probablement à ce chantier.

Deux autres châteaux tiennent une place importante dans le maillage castral mis en place par l’amiral. Le château ancestral de Graville tout d’abord, en Normandie, qui connut des travaux de réparations commandés par les parents de l’amiral, poursuivis a minima par ce dernier, qui ne fréquentait que sporadiquement la demeure et qui transforma le donjon en prison. Le château de Milly-la-Forêt, situé non loin de celui de Malesherbes, fut davantage l’objet de ses attentions : le seul compte conservé signale des travaux entrepris au donjon, mais les vestiges monumentaux, notamment le châtelet d’entrée brique et pierre, attribuable aux années 1500, indique des travaux de grande ampleur en lien avec les dernières nouveautés du temps.

Deuxième section
Œuvrer pour l’Église ou les devoirs d’un pieux seigneur

Chapitre premier
Au cœur d’un large mouvement de reconstruction d’églises

Le seigneur de Graville aida très largement à reconstruire les églises paroissiales situées dans ses seigneuries qui avaient souffert des troubles de la guerre de Cent Ans et, surtout, du manque d’entretien. Cette action fut appréhendée principalement grâce aux nombreuses marques héraldiques laissées dans les édifices toujours en place et par quelques rares mentions écrites.

Plusieurs églises franciliennes connurent ainsi d’importants travaux, financés en partie ou en totalité par le seigneur et sa femme. La nef de l’église Sainte-Marie-Madeleine de Marcoussis fut reconstruite à la toute fin du xve siècle. L’église Saint-Clément d’Arpajon, dont la nef fut détruite par un incendie en 1360, ne fut reconstruite que grâce à l’amiral de Graville. Les partis pris architecturaux de la nef sont riches de sens : sa grande simplicité témoigne d’influences parisiennes et orléanaises ; la spiritualité exigeante de l’amiral trouve ici un de ses plus beaux témoignages artistiques. Quant à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois de Dourdan, ses tours de façade, les chapelles et le portail qui flanquent le bas-côté nord furent vraisemblablement entamés par la fabrique avec l’aide de l’amiral qui fut seigneur de la ville de 1513 à 1516. L’église Sainte-Geneviève d’Héricy, dont la nef, le bas-côté sud et la façade furent reconstruits et agrandis avec l’aide de l’amiral, se signale par la diversité des supports de sa nef, et notamment sa colonne torse qui montre toute l’influence que purent avoir certaines formules parisiennes dans les campagnes environnantes. Enfin, pour l’église Saint-Martin de Malesherbes, qui ne renferme aucun signe héraldique signalant l’intervention de l’amiral, plusieurs mentions documentaires laissent à penser que celui-ci et son épouse ont sans doute pu, là comme dans d’autres édifices disparus, soutenir sa reconstruction.

En Normandie, le père de l’amiral, Jean VI Malet de Graville, avait financé sur ses propres deniers la construction et l’aménagement d’une chapelle, la chapelle Saint-Léonard de Rouelles, dont le compte et des vues anciennes ont été conservés. Ce petit édifice assez simple était orné d’une statue de saint Léonard, aux armes de la famille, qui a été retrouvée. Œuvre d’un maçon et tailleur d’images reconnu, Guillaume le Franc, elle est sans doute le fruit d’un vœu fait par le seigneur lors de sa captivité en Angleterre. En Normandie, Louis Malet de Graville poursuivit l’action de son père, notamment en finançant la reconstruction de l’église Saint-Michel d’Ingouville.

Le cas de la collégiale Notre-Dame de l’Assomption de Milly-la-Forêt mérite une étude à part : il s’agit en effet d’une refondation complète. La nef fut reconstruite et l’église dotée d’un ensemble de stalles toujours sur place, de facture vraisemblablement parisienne. Une maîtrise d’enfants de chœur lui fut adjointe, logée dans un nouveau bâtiment construit à son intention.

L’amiral de Graville apparaît en définitive comme un grand bâtisseur d’églises rurales. Cette charge faisait certes partie de ses devoirs seigneuriaux, mais l’ampleur et le nombre des chantiers, consacrés généralement à la nef des édifices, en font un bienfaiteur soucieux du renouveau spirituel de ses censitaires. Certaines similitudes architecturales constatées entre les différentes églises franciliennes ont pu faire songer à l’emploi par les fabriques, sur les conseils de l’amiral, d’une même équipe de maîtres d’œuvre, active dans la région entre 1490 et 1510. Mais chaque édifice conserve ses particularismes et participe plutôt d’une aire où perçaient des influences non seulement parisiennes, mais aussi propres au quart sud-ouest de l’Île-de-France.

Chapitre II
Des donations aux églises ponctuelles mais innombrables

Les cathédrales de Sens, de Rouen et de Chartres reçurent des bienfaits de la part de l’amiral de Graville. Celui-ci finança de façon non négligeable la construction du bras nord du transept de la cathédrale de Sens et combla d’ornements liturgiques à ses armes celles de Rouen et de Chartres. Ce fut également le cas pour plusieurs couvents, notamment de Cordeliers (Pontoise, Pont-Audemer). La baie axiale de l’église prieurale Saint-Lô de Bourg-Achard est le témoin le plus grandiose de ces bienfaits offerts à de très nombreuses institutions réparties dans tout le nord du royaume : si une incohérence héraldique a pu être détectée, l’étude du contexte de sa commande et des liens des Malet de Graville avec la ville fait conclure à un don de l’amiral.

Chapitre III
Héritage et mémoire : les fondations funéraires de l’amiral de Graville

Tout noble avait la responsabilité d’entretenir la mémoire de ses aïeux. Deux nécropoles tenaient une place toute particulière dans la géographie mémorielle et funéraire de l’amiral. La première était le prieuré Sainte-Honorine de Graville. Si les restaurations drastiques ultérieures ne permettent plus d’y déceler des travaux entrepris à l’époque de Malet de Graville, on sait, par des sources écrites, qu’il commanda les gisants de ses parents destinés à y être placés. L’autre nécropole était le couvent des Célestins de Marcoussis. La dévotion à l’ordre des Célestins était une tradition familiale, calquée sur le modèle royal. L’analyse des relevés de la collection Gaignières représentant les vitraux du couvent de Marcoussis, la commande probable du tombeau de Jean de Montaigu, les reconstructions et donations faites par Louis Malet de Graville et son épouse Marie de Balsac participent du grand programme familial qu’ils mirent en œuvre dans l’église conventuelle.

L’amiral fut en réalité le bienfaiteur de l’ensemble de l’ordre des Célestins. À Paris, il suivait l’exemple de son oncle et de ses cousins, les frères d’Espinay. À Rouen, il fit bâtir une chapelle placée sous le vocable des Dix-Mille Martyrs, sur le modèle de celle de Paris, où il figurait sur les verrières avec sa famille, réalisées vers 1487-1488.

À leur tour, l’amiral et son épouse durent élire leur dernière demeure. L’apport des différents testaments est ici décisif et montre les tergiversations d’un Louis Malet de Graville tiraillé, dans son choix de lieu de sépulture, entre ses devoirs lignagers et son attirance pour la réforme monastique du tournant du xvie siècle.


Deuxième partie
Une commande personnelle d’exception


Première section
Du palais à l’oratoire, en passant par la bibliothèque : la commande personnelle de Louis Malet de Graville

Chapitre premier
Le grand officier et son roi

À côté d’une commande imposée par la convenance sociale, le mécénat de l’amiral de Graville se caractérise par des éléments bien personnels. Le service de l’État et le culte de la Couronne participent de ceux-ci. Louis XI, Charles VIII et Louis XII résidèrent régulièrement dans les châteaux de l’amiral. D’autre part, Graville fit preuve de sa fidélité par ses commandes : sa bibliothèque, tournée vers l’histoire des heures glorieuses du royaume, en est le témoin. L’étude des ouvrages toujours conservés lui ayant appartenu a montré que trois luxueux manuscrits étaient destinés à être offerts aux souverains.

La volonté de servir le roi imposait à l’amiral de résider à ses côtés, et notamment à Paris qui restait, autour de 1500, la capitale du royaume. Pour cela, il entretint deux hôtels urbains situés dans le quartier Saint-Paul, non loin de la résidence royale des Tournelles. Il chercha ainsi à recouvrer l’ancien hôtel de Jean de Montaigu, l’hôtel du Porc-Épic, où il entreprit d’importants travaux, et fit bâtir, en 1503, un nouvel hôtel rue Saint-Antoine.

Enfin, il convient de s’interroger sur l’éventuelle action artistique qu’il aurait menée dans le cadre de ses fonctions politiques. Capitaine des châteaux de Vincennes et de Beauté, il supervisa, par l’intermédiaire de lieutenants, plusieurs chantiers. Ce rôle de capitaine ordonnateur de travaux est bien illustré par les sources consacrées aux réparations faites sur son ordre au château de Pont-de-l’Arche.

Chapitre II
Un des plus grands amateurs de manuscrits des années 1500

La commande artistique de Louis Malet de Graville est surtout connue par les nombreux chefs-d’œuvre enluminés qu’elle a engendrés. En l’absence d’inventaire, ce sont les marques héraldiques et les mentions de succession qui ont permis de réunir un important corpus de trente et un manuscrits toujours conservés qui ont appartenu avec certitude à l’amiral et son épouse. Contrairement à ce que l’on a pu penser à cause de la confusion qui existait jusqu’alors entre les armes de Marie de Balsac et de sa fille Anne de Graville, la totalité de la bibliothèque du couple n’échut pas à cette dernière, même si c’est elle qui marqua le plus d’attention à la sauvegarder. L’historique des différents ouvrages a ainsi été retracé.

La bibliothèque de l’amiral a, au premier abord, tout d’une bibliothèque nobiliaire classique de la fin du Moyen Âge. L’histoire antique ou celle des moments illustres de la monarchie avaient ses faveurs, tout comme les romans. Le goût de Graville pour les textes traduits sous le règne de Charles V est cependant plus singulier et témoigne d’une culture de serviteur de l’État. L’amiral a également joué un rôle dans la diffusion de certains textes élaborés à la cour de Bourgogne. Dans cette bibliothèque, les riches manuscrits à peintures, dotés de luxueuses reliures, côtoyaient des ouvrages plus modestes, destinés au travail et à la lecture.

Enfin, un dernier éclairage est consacré à la bibliothèque de Marie de Balsac et à ses propres caractéristiques : le rôle de bibliophile de l’épouse de l’amiral, appréciant les anciens manuscrits, a été reconsidéré.

Chapitre III
Une figure de mécène laïc de la réforme gallicane

Un des traits les plus originaux de la personnalité de l’amiral de Graville est qu’il fut l’un des grands soutiens laïcs de la réforme gallicane qui vit le jour dans les années 1485-1490. Avec Jean Standonck, chef de file des réformateurs qui peuplaient son entourage, il fut le refondateur du collège de Montaigu à Paris où il finança de grands travaux et imposa une discipline toute monastique. De même, il soutint, à travers le royaume et particulièrement à Paris et sur ses terres, la réformation des établissements religieux.

Cette spiritualité exigeante se traduisit dans sa commande artistique et cette influence est tout à fait remarquable. Certains motifs iconographiques, centrés sur la Passion, ou son goût pour des matériaux assez frustres en découlent. C’est dans cette optique que la Mise au tombeau destinée à la chapelle castrale de Malesherbes a été reconsidérée comme un témoin de sa piété. La découverte de la tête de la Vierge de Pitié qui l’accompagnait a permis de mettre en perspective cette œuvre et de revaloriser la manière de son sculpteur, Adrien Wincart.

Deuxième section
Le réseau et l’homme

Chapitre premier
Une famille d’amateurs d’art

La commande artistique de l’amiral s’inscrit dans un dense réseau de relations tissées non seulement avec des artistes, mais aussi avec d’autres commanditaires, et en premier lieu les membres de sa famille. Si Jean de Montaigu put servir de modèle de mécène et de bibliophile pour Graville, Jean VI Malet de Graville, son père, ne put mener un mécénat en bonne et due forme. La branche maternelle, les Montauban, servit alors de relais.

Les propres cousins de l’amiral, les Espinay, une fratrie de prélats établis à Paris, bénéficièrent de son ascension et firent montre, notamment le cardinal André d’Espinay, d’une commande artistique non négligeable qui fit d’eux, un moment, les rivaux des Amboise dans la capitale.

Marie de Balsac fut une partenaire attentive aux commandes de son époux, bien que son rôle soit difficile à percevoir à cause de sa mort bien antérieure à celle de l’amiral. Ce sont véritablement ses filles qui poursuivirent son œuvre, notamment Anne de Graville, Jeanne de Graville et son époux Charles II d’Amboise, pour lequel Graville joua le rôle d’introducteur dans le milieu artistique parisien.

Chapitre II
Au cœur d’un vaste réseau de commanditaires : des relations artistiques au tournant du xvie siècle

Graville entretint des relations artistiques avec nombre des grands commanditaires de son époque, qui eurent une certaine influence sur lui ou prirent modèle sur son propre mécénat.

Il est apparu que les membres de l’entourage de Louis XI, que Graville avait longuement côtoyés, modelèrent profondément ses goûts. Le cas des relations tissées entre l’amiral et Jean Bourré, trésorier de France, est exemplaire par le nombre de documents et d’œuvres, notamment des manuscrits, qui en témoignent. D’autres grands serviteurs jouèrent un rôle important, comme Louis de Laval, Louis Bâtard de Bourbon ou Philippe de Commynes. Tous s’adressaient aux mêmes artistes : Jean Fouquet, Colin d’Amiens, Jean Colombe et Maître François.

L’alliance politique ne va cependant pas de pair avec les relations artistiques. Ainsi, aucun élément tangible n’a pu être trouvé reliant la commande artistique de l’amiral à celle de ses protecteurs, Anne et Pierre de Beaujeu. De même, un des grands ennemis de Louis XI, Jacques d’Armagnac, fut un interlocuteur de Graville en matière artistique.

Sous Charles VIII et Louis XII, l’amiral tint une place centrale au sein de la vie de cour, renouvelée par la volonté d’Anne de Beaujeu. De grands serviteurs de ces rois furent ses interlocuteurs en matière artistique, comme Jean de Bruges et Pierre le Gendre, ou de grands dignitaires ecclésiastiques, à l’image de Georges d’Amboise ou de Tristan de Salazar.

Chapitre III
Les goûts personnels de Louis Malet de Graville

Malgré des échanges nourris avec d’autres commanditaires, la commande de l’amiral est demeurée bien spécifique.

Les modalités pratiques de la commande ont été étudiées à partir des sources écrites. Le rôle des intermédiaires, Marie de Balsac, l’évêque Jean d’Espinay, mais surtout le maître d’hôtel Jean Bailly, apparaît important.

Certains artistes et certaines formes eurent les préférences de l’amiral. S’il sollicita très peu les artistes ligériens, Paris faisait figure de capitale artistique pour l’amiral. Colin d’Amiens, peintre parisien polyvalent, eut ses faveurs, notamment comme fournisseur de patrons pour la sculpture ou pour des tentures. D’autre part, il goûtait la manière de Maître François et de son successeur, le Maître de Jacques de Besançon, identifiés avec François le Barbier père et fils : Graville fut presqu’un mécène pour les enlumineurs parisiens qui évoluaient dans leur style.

Sa commande artistique se déploie en réalité entre deux générations. Marqués par les modes qui virent le jour sous Louis XI, appréciant l’art et l’architecture venus de Flandre, notamment l’architecture brique et pierre, mais n’ayant pas emprunté, à la différence des seigneurs de son rang, le tournant de l’italianisme, il eut une identité artistique tout à fait personnelle où la modernité ne résidait pas dans la recherche d’ornements ou d’œuvres italianisants, mais dans celle de motifs ou de matériaux simples, voire rustiques, qui correspondaient à des pratiques dévotionnelles les plus avancées. À côté d’un mécénat d’apparat propre à illustrer son rang, une commande plus intime et plus personnelle se fait jour.


Conclusion

Louis Malet de Graville apparaît comme l’un des grands commanditaires du royaume autour des années 1500. Sa fortune et sa condition lui imposaient une certaine obligation d’ostentation et de largesse, en bref une commande artistique de convenance sociale. Il fut ainsi un important acteur du formidable mouvement de reconstruction de royaume qui suivit, avec un certain décalage, la fin de la guerre de Cent Ans. En tant que l’un des plus puissants personnages du royaume, il dut mener grand train, reconstruire les seigneuries familiales et veiller sur les âmes de sa lignée et de ses censitaires.

Parallèlement, une certaine sensibilité artistique et des goûts propres sont apparus. Son soutien au mouvement de la réforme religieuse et l’influence de celle-ci, non seulement sur sa piété, mais également sur sa commande, en sont les caractéristiques majeures. Le goût pour la lecture et les riches productions enluminées d’origine parisienne en est une autre.

Outre la découverte d’œuvres et d’édifices inédits, l’étude monographique de la personnalité d’un commanditaire et de tous les aspects de son mécénat a permis d’approfondir la connaissance des œuvres existantes, en les mettant en perspective entre elles ou avec d’autres productions issues de la commande de partenaires de l’amiral. Tout un réseau de commanditaires est ainsi apparu.

Sa commande artistique demeure originale. Il fut, non pas tiraillé entre Flandre et Italie, à l’instar de bon nombre de ses contemporains, mais entre luxe et austérité : le seigneur et le courtisan se devaient d’être fastueux, l’homme se voulait simple et pieux. En somme, Graville relevait plutôt du Moyen Âge par ses goûts, mais était déjà un homme de la Renaissance par ses attitudes de commanditaire.


Pièces justificatives

Édition de trente-deux documents : testaments, marchés, inventaires, comptes, lettres, délibérations capitulaires.


Catalogue des manuscrits

Liste des ouvrages ayant fait partie de la bibliothèque de Louis Malet de Graville et de Marie de Balsac. — Notices complètes des trente et un manuscrits conservés avec datation, attribution, commentaire historique et stylistique, reproductions.


Annexes

Dossier iconographique : planches réparties par édifices et type d’objets. — Généalogies. — Cartes. — Index des noms de personnes et de lieux.