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École des chartes » thèses » 2012

Paris capitale de guerre (1792-1794)


Introduction

On se propose de voir dans quelle mesure la guerre, entre 1792 et 1794 contribue à transformer le Paris révolutionnaire en un véritable camp retranché, en une capitale de guerre. C’est-à-dire comprendre comment son rôle de capitale influe sur le rôle que la ville joue dans la guerre et dans la transformation de ses espaces. On peut voir dans l’explosion de la poudrerie de Grenelle, le 14 fructidor an II (31 août 1794), un événement représentatif de la participation de la guerre à une forme de bouleversement des espaces urbains. Il convient alors de voir comment cet aspect s’insère dans une transformation plus large de la ville, en commençant par l’étude du quartier où est implanté cette poudrerie. Constatant qu’elle se situe à proximité du quartier militaire du Gros-Caillou, il faut se demander comment s’organisent ces espaces et étudier la façon dont ils évoluent sous l’effet des politiques qu’implique la conduite de la guerre : casernement d’hommes, présence du fait militaire dans la ville, industrialisation des espaces. Cela doit conduire à penser la place du militaire dans la ville et voir si les évolutions urbaines constatées à l’échelle d’un quartier correspondent réellement à l’instauration, par des acteurs politiques qui sont à déterminer, d’une ville de guerre, tenue par l’institution militaire et mise en défense contre une invasion ennemie.


Sources

L’étude est construite à partir de sources diverses et dispersées. Au Service historique de la défense à Vincennes, les archives du génie renseignent sur le dispositif défensif mis en place en 1792. Les archives de l’armée de terre contiennent trois cartons sur le camp sous Paris et ont été utilisées pour l’étude du mouvement et de la répartition des troupes en 1792. On y a consulté les séries B (Révolution-Empire), J (justice), X (administration) pour l’étude des états-majors et de la présence militaire dans Paris.

Ont été utilisées, aux archives de la préfecture de police, les procès-verbaux du commissaire de police de la section des Invalides, ainsi que ceux des autres sections concernées par l’explosion de Grenelle.

Aux Archives nationales, on a consulté dans les archives des comités de l’Assemblée (série D) ainsi que du pouvoir exécutif (AF II) les dossiers se rapportant aux affaires militaires, aux armes et poudres. On a utilisé les registres de délibération et les enregistrements de cartes de sûreté de la section des Invalides de la sous série F7 (police générale). La sous-série F9 (affaires militaires) a été dépouillée et l’on y trouve divers renseignements sur les affaires militaires dans les sous séries F10 et F11. Plusieurs articles de F13 (bâtiments publics) contiennent des informations sur les dégâts causés par l’explosion de Grenelle, ainsi que sur les ateliers d’armes dans la capitale et les aménagements effectués pour le casernement dans Paris. Ont été parcourus les dossiers individuels de l’explosion de la poudrerie de Grenelle (F15 3276 à 3293).

Aux archives de Paris, on a utilisé des papiers des sections. Des pièces isolées des séries 1 à 4 AZ renseignent sur les affaires militaires et quelques-unes sur l’explosion de la poudrerie de Grenelle.

On s’est appuyé également sur des sources plus classiques de l’histoire urbaine, notamment des cartes et plans à la bibliothèque historique de la ville de Paris, la Bibliothèque nationale de France et aux Archives nationales. Le musée Carnavalet et le département des estampes de la BNF ont fourni l’iconographie.


Première partie
L’espace parisien bouleversé ? L’explosion de la poudrerie de Grenelle


Chapitre premier
Différents espaces au cœur de l’événement

Le 31 août 1794, la poudrerie de Grenelle explose, faisant près de 1 000 morts. Il s’agit de mesurer l’impact de l’événement sur le Paris de l’époque, que ce soit son espace urbain ou politique, et de voir dans quelle mesure il s’inscrit dans une histoire de la transformation de Paris à cause de la guerre révolutionnaire. L’organisation des secours mobilise et utilise différents lieux et institutions situés aux abords de la poudrerie comme l’École militaire, l’infirmerie des Invalides ou l’hôpital militaire du Gros-Caillou. L’explosion cause de nombreux dégâts matériels, qui permettent de mesurer approximativement l’impact de la déflagration dans l’espace et la géographie parisienne, jusqu’à Chaillot. Le quartier du Gros-Caillou, la section des Invalides sont touchés et fournissent de la main d’œuvre pour réparer les bâtiments endommagés.

Chapitre II
Un événement révélateur d’un Paris de guerre ?

L’établissement de la poudrerie est le fait d’un Paris où se sont développées des industries de guerre. Dans l’espace politique de l’après Thermidor, l’événement fait l’objet de débats entre parties opposées de l’Assemblée. S’il est dénoncé comme un complot par chaque camp, un discours politique jacobin fait de l’espace de la poudrerie un espace sans-culotte au service de la guerre visant à défendre la patrie. L’observation de la gestion de l’événement permet aussi de constater le rôle des acteurs politiques dans l’organisation et la gestion d’un Paris de guerre : la Commune, l’Assemblée, les comités…


Deuxième partie
Espaces militaires, espaces de guerre : le paysage urbain transformé


Chapitre premier
Un quartier militaire

Après l’explosion de la poudrerie de Grenelle, plusieurs espaces avoisinants ont été concernés, affectés et mobilisés. La compréhension d’une éventuelle modification de ces espaces et du quartier sous l’effet de la guerre révolutionnaire passe par la définition préalable de l’organisation et de la géographie de ces espaces. Il convient de se pencher sur leur formation, afin de déterminer dans quelle mesure ils s’insèrent dans une structure militaire ancienne, organisée autour des quartiers de Grenelle et plus particulièrement du Gros-Caillou. Ces espaces urbains, à composante populaire, constitués au long des xviie et xviiie siècles, forment à la fin du siècle des Lumières une structure urbaine originale organisée autour du fait militaire, présent au travers de l’Hôtel des Invalides, de l’École militaire, de l’hôpital militaire du Gros-Caillou. La Révolution agit comme un révélateur sur cette organisation construite sur le temps long, en attribuant à ces espaces des fonctions pratiques et symboliques qui préparent leur évolution après 1792.

Chapitre IV
Un quartier de guerre ?

Les composantes militaires du quartier doivent être éclairées d’un nouveau jour après le déclenchement de la guerre en 1792. Il est à présent temps de se pencher sur l’évolution du quartier et de ses principaux acteurs en période de guerre, de 1792 à 1794, afin de mesurer le rôle et l’impact de celle-ci. La guerre nécessite hommes, commandement et fournitures. Sur ces trois aspects, elle donne lieu à une utilisation particulière des espaces de l’ouest parisien. L’étude des Invalides et de l’École militaire montrent l’importance du casernement dans le quartier, avec certaines spécificités comme celle de la cavalerie nationale. Des espaces sont reconvertis en lieux de production, sans que cela s’appuie seulement sur le caractère militaire des structures du quartier : interviennent aussi des raisons pratiques. La participation du quartier à l’effort de guerre s’inscrit dans un mouvement concernant l’ensemble de la capitale. Les caractéristiques du quartier entraînent une moindre modification de ses structures et limitent la recomposition de ses espaces. En ce sens, le quartier militaire a aidé à construire un quartier de guerre.

Chapitre V
Une nouvelle place pour le fait militaire dans la ville ?

Si la guerre exploite sans les bouleverser totalement les structures de cette partie de l’ouest parisien, il convient de mesurer si ces évolutions impliquent et attribuent une nouvelle place au fait militaire dans la capitale. L’étude des éléments qui modifient le climat régnant dans le Paris mobilisé pour la conduite de la guerre permet de voir que celle-ci a un fort impact sur les espaces urbains, qui arborent l’allure d’une ville de guerre, parcourue d’hommes en armes et de militaires. Mais si les militaires sont présents dans le quartier et dans la ville, ils ne sont pas à l’origine de la définition des espaces qu’ils occupent, ni à celle de l’organisation de ces espaces transformés. La transformation de Paris en une ville de guerre tenue par l’institution militaire est freinée par le pouvoir civil et par le refus par les citoyens d’une présence militaire. L’étude de celle-ci, soulignée et prenant de nouvelles formes, ainsi que de l’évolution de la définition du militaire montre que, pour ce qui est de la présence militaire, Paris ne se transforme pas en un camp soumis à l’institution militaire.


Troisième partie
Paris, place forte


Chapitre premier
La mise en place du camp

Si les rapports entre pouvoirs civil et militaire ne permettent pas de conclure à une soumission du premier au second, comme dans le cas d’une place de guerre, la volonté de transformer Paris en un camp retranché a bien existé, au cours de la réalisation à l’automne 1792 du « camp sous Paris ». Ce projet mené entre juin et octobre constitue une tentative importante de modification de l’espace parisien sous l’effet de la guerre et de l’effroi suscité par l’avancée des troupes ennemies. Les débats impliquant le roi, la garde nationale et les Parisiens autour de ce projet girondin d’établir une réunion d’hommes pour défendre Paris montrent comment impératifs militaires et débats politiques s’imbriquent dans le Paris de la Patrie en danger. Malgré les oppositions, le projet prend corps et s’étoffe après le 10 août. La direction du projet est confiée à différents organes associant à la fois Assemblée, Commune et pouvoir exécutif, notamment au sein du comité du camp sous Paris.

Chapitre II
Le dispositif militaire et stratégique

Pour élaborer et conduire les travaux de défense, un état-major du camp est organisé avec à sa tête le général Berruyer, assisté d’un directeur des travaux du camp, Belair. Sont associés à cette équipe des ingénieurs du génie et des ponts et chaussées. Il convient de voir comment cette direction élabore différents plans de défense, répartit les forces et dessine des lignes de fortifications autour de Paris. Une organisation se met en place pour permettre l’accueil de troupes armées autour et dans la capitale, leur procurer les vivres, fournitures et soins nécessaires. La protection militaire de Paris fait l’objet d’une implication des citoyens, tant dans les propositions de nomination de l’état-major et celles de plans de défense que dans leur participation à l’organisation de la logistique.

Chapitre III
L’organisation des travaux

La mise en défense de Paris nécessite de construire des retranchements autour de la ville : avec le camp sous Paris, c’est un vaste chantier qui s’ouvre sur les marges de la capitale. L’organisation est longue à se mettre en place et le travail est divisé en ateliers répartis selon les sections. Elle est perturbée par un nommé Vielvarennes, qui organise son propre recrutement d’ouvriers, à l’insu de l’administration. Travaillent au camp tant des ouvriers de la capitale que des chantiers voisins, comme celui du canal de Bourgogne, ainsi que des femmes et des enfants. Si on emploie des salariés, on a vite recours à des travailleurs volontaires, ce qui pose de nombreux problèmes : des conflits éclatent entre catégories de travailleurs, ainsi que sur le mode de rémunération de ceux-ci, à la tâche. Devant l’afflux de pétitions et de troubles, les autorités responsables du camp prennent des mesures pour assurer l’ordre sur le chantier, par le recours à la force armée ainsi que par l’établissement d’un comité de police du camp de Paris.

Chapitre IX
La fin du camp

Le ralentissement des travaux causé par les conflits du travail et des problèmes de coordination de la direction, la fin de la menace d’une invasion de Paris après la victoire de Valmy remettent en cause l’utilité du camp. Un débat s’engage à la Convention sur sa suppression. Si certains proposent d’en faire un camp d’instruction, de le conserver afin de ne pas priver Paris ni la patrie d’une protection en cas de nouveau danger, d’autres soulignent le gaspillage financier que représenterait son maintien. Les autorités voient dans la masse d’ouvriers, si elle venait à se trouver sans occupation, une source de troubles à l’ordre public. Lorsque la Convention décide la suppression du camp le 18 octobre 1792, elle pense régler cette question par le renvoi des ouvriers dans les départements. Le camp est démoli, liquidé, des indemnisations accordées aux citoyens dont les propriétés ont été affectées.


Conclusion

L’impact d’un événement comme l’explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 résonne dans l’histoire du Paris révolutionnaire au travers de la transformation de la ville dans le contexte de la guerre. Paris est défini par certains contemporains comme une ville de guerre et en arbore en effet différents aspects. Cette transformation, après 1792, est menée par les organes politiques dirigeants afin de répondre aux exigences de la guerre et aux impératifs de défense, de production, de commandement qu’elle implique à Paris. Quoiqu’affirmée par un projet politique clairement exprimé à l’automne 1792 avec l’intention d’établir un camp sous Paris, cette transformation de la ville en un camp retranché n’aboutit pas complètement sous cette forme. En revanche, les utilisations qui sont faites de l’espace urbain à l’ouest de la rive-gauche, dans la section des Invalides, évoluent. Elles s’appuient sur la définition plus ancienne d’un quartier militaire, pour fabriquer un espace concerné et impliqué dans la guerre. La ville reste commandée et organisée par les autorités civiles, tandis que les discours politiques ne se montrent pas favorables à une forte présence militaire. Cette séparation des pouvoirs inscrit aussi ces transformations urbaines dans les politiques d’un gouvernement révolutionnaire qui attribue une place contenue à l’institution militaire.


Annexes

Chronologie. — Principaux décrets relatifs au camp sous Paris. — Cartes. — Tableaux. — Iconographie.