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École des chartes » thèses » 2012

Chapeaux, chapeliers et autres couvre-chefs à Paris (1550-1660)

Aspects économiques, sociaux et symboliques


Introduction

Le port d’un couvre-chef est une constante du costume de l’époque moderne. Le cas parisien s’impose en raison de la réputation de sa production chapelière et des changements institutionnels et techniques qui frappent la chapellerie à cette époque. Les chapeliers constituent une communauté complexe et hétérogène, tant sur le plan professionnel que privé, dans un contexte religieux et politique difficile. Mais l’étude du couvre-chef à l’époque moderne ne peut se limiter au chapeau, ni à sa fabrication et à sa commercialisation. Les Parisiens ont à leur disposition d’autres couvre-chefs, tout aussi utilisés que le chapeau, comme le bonnet, le chaperon, la coiffe, le béguin, la calotte ou encore le chrémeau, qu’ils agrémentent de ces indispensables garnitures que sont les plumes et les enseignes. Il faut également prendre en compte la gestuelle et le discours symbolique et social sur ces objets, qui apparaissent alors bien moins anodins et anecdotiques dans cette société attachée aux apparences, et à la notion d’honneur.


Sources et historiographie

Retour sur une jeune discipline. — L’étude historique du costume et de la mode est souvent perçue comme divertissante, peu sérieuse. À l’origine, et pour encore de nombreux historiens, notamment historiens de l’art, le costume n’est qu’un indice de datation de l’œuvre. Depuis les années 1960, et encore plus depuis les années 1980, où apparaissent les « dress studies », l’histoire du costume ne se limite plus à une description des modes, mais prend en compte sa fabrication, son port, son utilisation et sa représentation. Dans cette histoire du costume, les couvre-chefs font partie des accessoires et ont donné lieu à peu d’études. On peut citer le mémoire de maîtrise de Sophie Jolivet sur le Couvre-chef à la fin du Moyen Âge : histoire, symboles et métiers, l’exemple bourguignon (1995), prélude à une thèse sur le costume à la cour de Philippe le Bon, ainsi que des travaux menés sur les corporations de chapeliers au xviiie siècle par Michael Sonenscher, Emile Isnard et Peter Arnaud entre autres.

Des sources multiples. — En l’absence presque complète de couvre-chefs de l’époque, les sources utilisées sont de trois sortes : archives, sources imprimées, iconographie. Aux Archives nationales, ont été largement mis à contribution les inventaires après décès, dans la lignée des travaux pionniers de Daniel Roche, mais aussi d’autres actes notariés – contrats de mariage et de vente, contrats d’apprentissage, baux de location et de rente, quittances, obligations –, les registres des jurandes et maîtrise des métiers de Paris (série Y), ceux de Saint Germain des Prés (sous-série Z²), les adjudications du parc civil (série Y), ainsi que certains actes des séries K et KK. Ont également été consultés les registres d’écrous de la Conciergerie, aux archives de la Préfecture de police de Paris, et des archives provinciales aux archives départementales du Rhône et de la Seine-Maritime. La série de manuscrits, dite « fichier Laborde », au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, a fourni des informations sur la vie personnelle des chapeliers. Les sources imprimées comprennent des nombreux ouvrages d’époque, à portée littéraire, satirique, administrative ou historique, à quoi s’ajoutent deux ouvrages techniques du xviiie siècle : la série d’articles consacrée à la chapellerie dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, et L’art du chapelier de l’abbé Nollet. En matière d’iconographie, les fonds principaux ont été celui des estampes (collection Hennin) et celui des œuvres flamandes.


Première partie
Le chapeau, de l’atelier à la tête


Chapitre premier
Les matières premières

La fabrication du chapeau se fait à partir de matières premières variées en qualité et en provenance. La laine de mouton, pour les chapeaux communs, peut être indigène ou étrangère. On en trouve importée du Berry, de Beauce, de Pologne, d’Espagne ou d’Autriche. Les poils de lapin, de bien moindre qualité, viennent de France ou d’Angleterre. Le roi des matériaux est le castor du Nouveau-Monde, qui apparaît dans les stocks de chapeliers à partir de 1581. Toute une économie et de nouveaux produits se développent autour du castor. Le poil de vigogne connait moins de succès. Les chapeaux de l’époque sont souvent doublés, en totalité ou en partie, c’est pourquoi les étoffes de velours ou de satin ont une grande importance. Il faut aussi prendre en compte les « drogues » qui servent à la teinture des chapeaux et à leur apprêt final, ainsi que les garnitures vendues par les chapeliers, et qui consistent en cordons de diverses sortes et coûts.

Chapitre II
La fabrication du chapeau

Qu’il s’agisse d’un chapeau de castor ou de laine commune, la fabrication comprend toujours quatre étapes, plus une subsidiaire : préparation du poil, foulage, dressage du chapeau, teinture si besoin est, garniture. Les étapes sont longues et délicates, et nécessitent un fort investissement en outils et de grandes surfaces de travail. Certains chapeliers, dits en vieux ou raccoutreurs, s’occupent de « repasser » les vieux chapeaux afin de leur redonner forme, couleur et usage. La comparaison avec quelques chapeliers lyonnais de la même époque montre une similarité d’outillage et une plus grande qualité des produits parisiens.

Chapitre III
La vente de chapeaux

Les marchandisesparisiennes. — Les marchandises parisiennes sont de plus belle qualité que celles de province et se déclinent du simple chapeau de laine au chapeau de castor, avec une grande variété de garnitures qui ont une influence non négligeable sur le prix : cordons, broderies, doublures, bords. Le chapeau le plus communément porté est le feutre de laine noire, à cordon, et aux bords brodés. La forme des chapeaux intéresse peu le priseur, de même que les couleurs autres que le noir, le blanc, le gris et le rouge. Les porteurs en revanche sont souvent précisés : il y a des chapeaux d’homme, des chapeaux d’enfant, de page et même de femme, même si ces derniers disparaissent des inventaires à la fin du xvie siècle.

Les modalités de vente. — La vente s’effectue aux particuliers mais aussi aux professionnels. Les créances font état d’une importante circulation entre collègues parisiens, mais aussi avec des collègues chapeliers et des merciers de tout le royaume, ainsi que quelques revendeurs à l’étranger. Des particuliers provinciaux n’hésitent pas non plus à se fournir chez des chapeliers parisiens. La vente à crédit est la norme, mais elle implique un équilibre financier fragile, qui aboutit parfois à la banqueroute. Les merciers et les fripiers sont les grands concurrents des chapeliers. Les premiers ont le droit de vendre et d’approprier les chapeaux, droit que les chapeliers parviennent à restreindre dès 1568. Les seconds se sont spécialisés dans le chapeau d’occasion, mais ils sont soupçonnés de s’approvisionner frauduleusement.


Deuxième partie
La vie professionnelle


Chapitre premier
La hiérarchie du métier

Une hiérarchie verticale. — Le métier comprend une hiérarchie verticale et une hiérarchie horizontale. En bas de l’échelle, très méconnue, on trouve la masse des ouvriers et des serviteurs. La première étape de la carrière de chapelier est l’apprentissage, fixé à cinq ans, suivi du temps de compagnonnage, d’un minimum de quatre ans. La réception à la maîtrise se fait de différentes façons. Les statuts prescrivent un chef-d’œuvre composé de trois chapeaux à réaliser devant les jurés du métier, et le paiement des droits de réception ; le fils de maître a des facilités financières et l’exemption du chef-d’œuvre, tout comme l’époux d’une fille ou d’une veuve de maître ; d’autres sont reçus par lettres de maîtrise. Il existe enfin des maîtres privilégiés suivant la cour, office qui marque la réussite sociale et financière de l’individu.

Une hiérarchie horizontale. — La hiérarchie horizontale est une particularité parisienne, tout comme la séparation précoce entre le métier de bonnetier et celui de chapelier. La terminologie concernant les maîtres chapeliers est floue : ils se qualifient tantôt de chapeliers, de maîtres chapeliers, de marchands chapeliers ou de maîtres marchands chapeliers. Tout aussi floue est la distinction entre les maîtres des faubourgs et ceux de Paris qui tend à disparaître au xviie siècle. Certains chapeliers se spécialisent, dans les faits, plutôt vers la teinture ou plutôt vers la chapellerie d’occasion. Cette dernière option est réservée à des chapeliers en difficulté et se trouve fortement réglementée par les statuts de 1612.

L’organisation du métier. — Le métier est organisé par une série de statuts remontant à 1327, et modifiés à plusieurs reprises, dont trois fois entre 1550 et 1660, à savoir en 1578, 1612 et 1658. Après cette date, les modifications sont ponctuelles. L’accent est mis sur la qualité des matières utilisées et des produits, sur le déroulement de la carrière et sur la police interne au métier. Des jurés et des bacheliers inspectent régulièrement les ateliers, et les occasions de conflits sont nombreuses, que ce soit sur la malfaçon d’un chapeau, sa vente illégale ou les employés.


Troisième partie
Les chapeliers en leur privé


Il s’agit ici de décrire la vie quotidienne, les succès et les infortunes d’une catégorie socioprofessionnelle du textile. Elle y apparaît bien moins modeste que prévu.

Chapitre premier
L’habitation des chapeliers parisiens

Les actes notariés donnent à voir une concentration de chapeliers au cœur de la ville, sur l’île de la Cité, les ponts y menant et dans les rues les prolongeant, comme la rue Saint-Denis ou la rue Saint-Jacques. Deux autres pôles se trouvent sur la rive gauche, dans les faubourgs Saint-Marcel et Saint-Germain-des-Prés. Ces mêmes documents mettent en lumière, chez les chapeliers, la grande part des locations et la constitution, pour les plus riches, d’un véritable patrimoine immobilier en ville et dans la banlieue, dont ils tirent revenus en nature, loyers, et rentes. Les pièces à vivre et les lieux à vocation professionnelle sont fortement imbriqués, pour ne pas dire confondus.

Chapitre II
Les possessions mobilières

Parmi le gros mobilier, le lit et les rangements se distinguent, par leur coût et la précision du priseur. En s’appuyant sur les objets relatifs à la cuisine et sur des comptes contemporains pour pallier la rareté des produits alimentaires trouvés chez les chapeliers, une esquisse de leur alimentation et de leur pouvoir d’achat est possible. La chambre du défunt, la présence d’une salle ou d’un cabinet sont autant d’espaces à la fois privés et publics : si les plus pauvres chapeliers et les compagnons vivent dans une seule pièce, d’autres comme Achille Ladhivé, Daniel Hélot, Jacques Collin ou encore Richard Fauvé se servent de leurs pièces pour faire étalage de leur richesse ou au contraire pour se retirer au calme, parmi des objets artistiques et de dévotion. Les rares bibliothèques trouvées, et surtout la capacité graphologique des chapeliers, sont le prétexte à s’interroger sur leur niveau d’instruction.

Les garde-robes des chapeliers sont aussi une vitrine morale et de réussite sociale. Le poids d’habits et de linge dans les inventaires, l’attention scrupuleuse des priseurs incitent à accorder toute son attention à ces objets. Les garde-robes des chapeliers sont celles de Parisiens modestes, qui suivent les changements de mode dans la mesure de leurs moyens financiers et de leur volonté d’ascension sociale. Les couleurs sombres dominent, mais les jeux de doublures de couleurs, des passements et l’apparition dès la fin du xvie siècle de nouvelles couleurs plus claires appellent à réévaluer l’idée d’une garde-robe sombre et très modeste chez les artisans parisiens. Il ne faut pas oublier les bijoux, à la fois objets de richesse et de dévotion, présents chez tous les chapeliers, ainsi que les objets de toilette qui permettent d’aborder la question de l’hygiène.

Chapitre III
De la vie familiale à la vie sociale

La sociabilité des chapeliers est presque exclusivement confondue avec le monde de la chapellerie. Les contrats de mariage livrent une endogamie voisine de 40 %, avec des témoins faisant partie de la famille et du métier dans la majorité des cas. Les dots sont très diverses, allant de trente à dix mille livres. La place des enfants dans la famille, celle des femmes dans l’économie du ménage et celle des domestiques sont subordonnées aux quelques informations délivrées par les actes : on repère notamment les enfants mineurs, en raison de la tutelle à exercer, et les femmes quand elles pratiquent une activité complémentaire ou cherchent à se séparer de leur époux. De même, la fin de vie et les maladies qui frappent les chapeliers ne transparaissent qu’épisodiquement.

D’autres types de liens peuvent cependant exister, comme les liens spirituels ou les fonctions urbaines. Les données éparses sur les baptêmes renseignent sur les liens d’amitié de certains chapeliers. D’autres sont plus ou moins impliqués dans la vie de leur paroisse, et poussent leurs enfants à entrer en religion. En ces temps troublés pour Paris, la présence d’armes, l’implication dans le guet et la police des quartiers revêtent une signification essentielle, mais peu de chapeliers occupent des fonctions urbaines

Les alliances matrimoniales et les facilités professionnelles encouragent la formation de dynasties de chapeliers. La mieux connue est celle des Le Page, que l’on peut suivre de 1570 à 1664 sur trois générations. Cette dynastie présente à la fois des traits communs avec les autres chapeliers et des spécificités. L’endogamie est de règle, et les Le Page résident tous dans la paroisse Saint-Jacques-de-la-Boucherie ou dans celle des Innocents. Les six inventaires après décès les concernant montrent la réussite plus ou moins franche des quatre frères et sœurs de la deuxième génération, et les stratégies d’ascension sociale de deux d’entre eux, Pierre Le Page, et Marguerite. Cette dernière, après deux mariages avec des maîtres chapeliers, épouse un écuyer de l’Écurie du roi, prend le qualificatif de « dame » Marguerite, marie sa fille au notaire parisien Germain Tronson et favorise les religieuses du Roule. Pierre Le Page en revanche s’est plutôt impliqué dans le métier, où il a été juré à plusieurs reprises, et où il a poussé ses fils.


Quatrième partie
Chapeaux et couvre-chefs en société


Chapitre premier
Des chapeaux, des couvre-chefs et des hommes

Le chapeau des parisiens. — Les garde-robes des particuliers reflètent les stocks des chapeliers, avec la diffusion massive du castor à partir des années 1580, une diffusion plus discrète de la vigogne à partir des années 1640 et une présence constante des chapeaux doublés. Les formes sont plus souvent mentionnées : on observe la constante augmentation des ailes, tandis que la calotte prend de la hauteur jusque dans les années 1630, avant de décroître. On trouve deux chapeaux par garde-robe en moyenne, pour des prix oscillant entre cinq souls et soixante livres l’unité.

Un bonnet protéiforme et multifonction. — Les bonnets sont des couvre-chefs tout aussi présents que les chapeaux chez les Parisiens, qui les utilisent de jour comme de nuit, hommes autant que femmes. On en trouve de très communs et de très ouvragés, détaillés par quelques tailleurs et surtout des bonnetiers et des merciers. Une place à part doit être faite au bonnet carré et au bonnet rond, couvre-chefs spécifiques de l’homme d’Église et de l’homme de science, qui sont le symbole de leur savoir et de leur autorité, et de ce fait la cible des critiques et des satires.

Les autres couvre-chefs. — À part le chapeau et le bonnet, les Parisiens utilisent des coiffes, dont l’ornementation et l’usage se développent au xviie siècle. Elles servent autant aux femmes qu’aux hommes, et autant pour le jour que la nuit. La toque est un couvre-chef entre le bonnet et le chapeau, très en vogue au xvie siècle, et dont l’usage se restreint aux enfants dès la fin du xvie siècle. Les enfants ont aussi à leur disposition des chrémeaux, des coquilles et des béguins, qui se révèlent parfois très ouvragés pour avoir été notés par les priseurs. La calotte est un couvre-chef masculin, porté par les hommes âgés et les courtisans : son essor au xviie siècle donne lieu à des débats passionnés et humoristiques sur ses avantages salutaires. L’escoffion est plus un bijou qu’un couvre-chef : cette résille d’or et de pierreries apparaît rarement dans les inventaires des Parisiens.

Couronne de fleurs et chapeau de paille. — Les couvre-chefs végétaux occupent une place particulière dans les garde-robes parisiennes, où la modicité de leur prix et leur nature même expliquent leur rareté. Pourtant on les utilise à l’occasion de cérémonies religieuses et privées, ce dont les récits contemporains et les œuvres iconographiques témoignent, et pour se protéger du soleil en toute occasion. Hérité du répertoire symbolique et iconographique antique, la couronne végétale a été intégrée au système iconographique chrétien, comme symbole de victoire, de paix, de joie et d’innocence. Le goût pour l’Antiquité qui marque la Renaissance explique l’importance de ce motif au xvie et au xviie siècle.

Chapitre II
Une femme toujours couverte

Il convenait de traiter à part la question du couvre-chef féminin et notamment du chaperon. Selon les prescriptions bibliques, la femme honorable doit avoir la tête couverte en public. La femme du xvie et du xviie siècle continue de respecter ces prescriptions, même si la part de chevelure couverte se réduit petit à petit. Le couvre-chef féminin par excellence est le chaperon. Son usage tend à se restreindre à la femme. Il ne subsiste dans les garde-robes masculines que chez les gens de justice et certains autres officiers, mais son déclin est inévitable. La question du chapeau féminin est épineuse : des chapeaux féminins sont attestés, mais les représentations de femme portant des chapeaux à larges ailes sont exceptionnelles, à la différence des petites toques en vogue au xvie siècle. Il semble que ce soit une spécificité française : non seulement la question n’a pas été l’objet de débat houleux comme en Angleterre, mais en plus les Parisiennes préfèrent porter chaperon ou coiffe à la différence des Espagnoles et des Italiennes qui portent plus volontiers de larges chapeaux.

Chapitre III
Le chapeau fait-il l’Homme ?

Qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, l’individu des xvie et xviie siècles porte un couvre-chef pour marquer son humanité et ses capacités sociales. On peut ainsi opposer les figures du Christ et de la Vierge aux créatures fantastiques de Jérôme Bosch et de Denis Boutemie. Dans les deux cas, le port d’un chapeau les humanise, non sans que les théoriciens de la Contre-Réforme expriment leurs réticences. Pour certains saints, comme pour certaines professions, le couvre-chef fait partie des attributs connus de tous. L’humanité par le couvre-chef passe aussi par son importance dans le cadre de la charité aux pauvres.

Chapitre IV
Le chapeau dans l’exercice social. Se couvrir et se découvrir à bon escient

Le bon maniement du chapeau est un exercice social essentiel pour l’époque. Les marques de respect à un supérieur hiérarchique et devant Dieu ou leur refus sont scrupuleusement analysés par les observateurs. Le fait de se découvrir est un geste de respect mutuel qui lie toute la société masculine, du mendiant au roi, et dont la pratique dépasse les frontières du royaume et de la culture occidentale : même chez le Grand Turc on se découvre en signe de respect. Il s’agit de manière symbolique de concéder une situation de faiblesse et d’humilité, en présentant sa tête sans protection, à un supérieur. Quand cette situation de faiblesse n’est pas voulue, la destinée du couvre-chef traduit alors le désordre social : on refuse à la victime l’honneur d’être couverte et protégée, et on la place hors du contexte social normal.

Chapitre V
Des couvre-chefs bien plus que salutaires

Les aspects salutaires des couvre-chefs transparaissent dans les documents de l’époque, mais ce n’est pas leur seul usage. Le couvre-chef est une vitrine privilégiée pour afficher ses opinions, son amour, sa réussite et ses idées politiques au moyen de signes de reconnaissance, mais aussi pour exprimer son état d’esprit et son caractère. Les enseignes et les plumes font partie de ces signes. Les premières sont des bijoux d’origine médiévale, dont les thématiques changent au cours du xvie siècle et dont l’usage se démocratise dans le même temps, avant de laisser la place aux aigrettes, des bijoux bien moins chargés de sens, dans la première moitié du xviie siècle. Les plumes sont un élément indispensable du couvre-chef, mais elles sont peu présentes dans les garde-robes au contraire de l’iconographie, à moins de recourir aux actes concernant les plumassiers. Enfin il est apparu que les couvre-chefs et leurs accessoires occupent une grande place dans les échanges de l’époque, à savoir le don et le contre-don, les salaires ou encore l’imposition.

Chapitre VI
Couvre-chef et justice, du délit à la peine

L’importance du couvre-chef est aussi visible dans le domaine judiciaire, où il apparaît à différents moments, mais toujours en relation avec les notions d’honneur et de déshonneur. C’est un objet dont le vol et le recel sont faciles, à l’instar des autres pièces de vêtement. C’est aussi un objet que l’on malmène, et à travers lui, son propriétaire que l’on offense. Dans son étude portant sur les lettres de rémission en Artois du xve au xviie siècle, Robert Muchembled soulignait la fréquence des chapeaux dans les actes et dans les motifs de disputes mortelles. Le couvre-chef est enfin un élément de la peine : on réalise son amende honorable tête nue, ou bien on se voit revêtu d’un couvre-chef d’infamie qui entame le capital d’honorabilité du coupable.


Conclusion

Les chapeliers parisiens exercent un métier complexe, nécessitant un savoir-faire délicat et des moyens financiers importants. Sur le plan privé, c’est un groupe où se côtoient artisans modestes et d’autres plus aisés, marqué par une endogamie prononcée mais non majoritaire, une prédilection pour la vie en location, des résidences au cœur de Paris et les rentes. C’est un groupe qui dans la majorité a passé avec succès les difficultés politiques et religieuses du xvie siècle, sans toutefois trop s’impliquer d’un côté ou de l’autre. L’arrivée des produits du Nouveau-Monde, le soutien des autorités et le réseau économique des chapeliers leur ont très probablement permis de pallier les difficultés économiques de la seconde moitié du xvie siècle. Le chapeau et les autres couvre-chefs sont des objets bien moins anodins qu’ils n’y paraissent. On ne peut résumer leur importance à une question de modes car leurs usages dépassent le cadre esthétique et leur étude requiert la prise en compte d’un large éventail de sources.


Annexes

Tableau d’ordre des inventaires de chapeliers. — Tableaux et graphiques statistiques. — Planches de l’Encyclopédie et de L’art du Chapelier. — Patrons. — Exemples des différents couvre-chefs et de leurs évolutions. — Cartes. — Coupes d’habitations. — Généalogie de la famille Le Page (1570-1664). — Contrat d’apprentissage de Bastien Georges chez Michel Chevallier, maître chapelier au faubourg Saint-Jacques (25 février 1647). — Extraits de l’inventaire après décès de Daniel Hélot (18 février-19 mai 1660). — Liste des jurés chapeliers à Paris. — Quelques exemples de signatures de chapeliers. — Marché pour l’enseigne de Guillaume Le Liepvre, au « Lievre chapeauté » (13 avril 1636). — La legende et description du bonnet carré, avec les proprietez, composition et vertus d’icelluy. — La calotte, par le sieur Laurens (1629) – Répertoire biographique des chapeliers parisiens et de leur famille.