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École des chartes » thèses » 2012

Liturgie et vie monastique à l’abbaye bénédictine Saint-Martin de Savigny d’après son ordinaire médiéval

Édition critique et commentaire du ms. Archives départementales du Rhône, 1 H 20 (deuxième quart du xiiie siècle)


Introduction

Unique témoin de la liturgie médiévale, l’ordinaire de l’abbaye bénédictine Saint-Martin de Savigny (Rhône) est une source unique pour connaître la tradition liturgique savinienne développée tout au long de l’année selon le calendrier des fêtes. Il présente un second intérêt en raison de l’originalité de sa forme, à mi-chemin entre l’ordinaire et le coutumier : il nous livre de nombreux renseignements sur l’organisation de la vie quotidienne du monastère autour de sa liturgie (la familia monastique, l’alimentation, l’hygiène, le mobilier liturgique, la charité), ce qui est d’une aide précieuse pour étudier les interactions entre liturgie et activités quotidiennes.

Cette édition se situe à une période de renouveau historiographique de l’étude de la liturgie. Le liturgiste s’appuie désormais sur l’apport d’autre sciences (archéologie, histoire de l’art, anthropologie) pour élargir le concept même de liturgie dont les implications sociales font depuis plusieurs années l’objet de nombreuses études. L’historiographie savinienne n’est pas en reste non plus. Après les contributions des érudits locaux du xixe et du début du xxe siècle, les recherches sur l’abbaye de Savigny se sont de nouveau développées ces dernières années montrant la nécessité d’une transdisciplinarité dont l’étude des sources liturgiques fait partie. Il faut dire que l’abbaye de Savigny était loin d’être un simple petit monastère rural. Quatrième puissance féodale médiévale du diocèse de Lyon au faîte de sa puissance, après l’archevêque, les comtes de Forez et les sires de Beaujeu, l’abbaye eut un rayonnement important sur toute la région environnante dans l’aire d’influence constituée par le réseau de ses dépendances.

Nous espérons ainsi que la présente édition contribuera à renouveler l’histoire de cette abbaye sous l’angle de ce qui constituait l’essence même de sa fondation : la louange perpétuelle à Dieu. Ici s’agira de déterminer les spécificités de la liturgie savinienne et de tenter d’en établir sa tradition en montrant les degrés d’influence qu’elle avait pu subir.


Sources

L’édition est intégralement fondée sur le manuscrit original de l’ordinaire de l’abbaye de Savigny, conservé aux archives départementales du Rhône sous la cote 1 H 20. Aucune copie n’étant connue, il n’y a pas de manuscrits de contrôle.

En revanche, le commentaire s’appuie sur un certain nombre de pièces issues du fonds de l’abbaye (1 H), du fonds du chapitre primatial Saint-Jean de Lyon (10 G) et du fonds de l’administration des archives (3 T) aux mêmes Archives départementales.


Première partie
Le ms. 1 H 20 des Archives départementales du Rhône : environnement culturel, production et tradition


Chapitre premier
Monachisme et culture écrite : la culture livresque médiévale à l’abbaye de Savigny

Il s’agit dans un premier temps de dresser le paysage culturel savinien à l’époque de production de l’ordinaire et, plus largement, sur toute la période médiévale, selon les sources disponibles. Cette étude permet de resituer le manuscrit dans un contexte culturel précis et local. Elle passe par une tentative de reconstitution, à partir de ce qui reste de traces dans la documentation, d’une culture livresque et encore plus d’une bibliothèque monastique, ce qui permet également de s’interroger sur la place du livre au monastère. L’ordinaire lui-même fournit un nombre important de données sur l’univers intellectuel monastique et sur une lexicographie des livres liturgiques.

Un seul livre a été physiquement conservé de cette culture livresque : l’ordinaire de l’abbaye. Pour le reste, l’étude de diverses sources a permis de retrouver les mentions d’un certain nombre de livres que possédaient l’abbaye (livres liturgiques, livres pour la méditation, livre de droit, de médecine). Se pose alors la question des conditions de conservation de ces livres : existait-il une vraie bibliothèque ? Plaçait-on des livres dans le trésor ? Qui était chargé de la garde et de l’entretien de ces biens plus ou moins précieux ? Autant de questions auxquelles, malgré des sources peu prolixes, une réponse partielle a pu être apportée.

Chapitre II
Le ms. 1 H 20, unique témoin de l’écrit liturgique médiéval à Savigny

Après l’étude du contexte culturel dans lequel se plaçait l’ordinaire, il convient de s’attarder un peu plus longuement sur le ms. 1 H 20 lui-même.

Après une présentation générale de l’ordinaire revenant sur les différentes acceptions qu’a reçu ce manuscrit au cours du temps – montrant ainsi sa nature complexe –, sur sa tradition et sur ses caractéristiques (langue et contenu), ce chapitre comprend une description codicologique détaillée du manuscrit qui permet de mieux appréhender l’objet matériel. Peu luxueux, l’ordinaire apparaît non comme un livre précieux, mais comme un livre de seconde main, d’usage quotidien pour les célébrants de l’office.

S’il n’est pas un livre liturgique à proprement parler, car il n’est pas un livre de chœur, son statut invite à s’interroger sur sa fonction et son rôle au sein du monastère. En premier lieu, la rédaction d’un ordinaire intervient dans un contexte de volonté de clarification des usages liturgiques d’une église. La codification écrite de ces usages permet un meilleur ordonnancement du culte. L’ordinaire a en effet pour rôle de régler les conflits qui surviennent entre les nombreuses fêtes du sanctoral et du temporal, tout en fixant le formulaire de chacune. Mais il est aussi un véritable document d’archives pour la communauté, qui conserve la mémoire de la tradition liturgique et de la coutume notamment par le biais de ses fondateurs. Support privilégié de la memoria, il contribue à perpétuer le souvenir des hommes liés à l’histoire spirituelle et temporelle de la communauté.


Deuxième partie
La liturgie savinienne d’après son ordinaire du xiiie siècle


Chapitre premier
Étude de la liturgie et de ses pratiques à l’abbaye de Savigny

Il s’agit dans un premier temps de replacer la liturgie savinienne dans le cadre plus général de la liturgie monastique. Les moines suivent en effet le cursus bénédictin fondé sur la récitation du psautier en une semaine : c’est la psalmodie monastique. Pour les fêtes les plus solennelles le cursus bénédictin prévoit douze leçons, par opposition au cursus qui n’en prévoit que neuf. Un certain nombre de points de vocabulaire et d’éclaircissements sur le déroulement des offices sont évoqués ici.

Dans un second temps, l’intérêt de l’étude de la liturgie savinienne est d’en dégager ses spécificités et sa tradition et notamment grâce à l’analyse du sanctoral qui détermine les influences et les originalités. À cette fin, des comparaisons ont été menées avec le calendrier d’autres grands centres liturgiques : Lyon, Cluny, Fécamp, Saint-Denis. La comparaison avec Cluny est particulièrement intéressante, parce qu’elle renvoie à l’un des débats historiographiques actuels sur l’influence de la réforme clunisienne à Savigny.

Concernant le sanctoral savinien, l’influence de l’Église de Lyon est prégnante. De même, se retrouvent des cultes plus régionaux qui tiennent une bonne place dans le calendrier. Le reste du sanctoral est largement déterminé par la tradition franque et le fonds des grands sacramentaires, communs à tous les grands monastères bénédictins. Parallèlement la présence de reliques assure l’aura et la protection du monastère. Le calendrier des fêtes saviniennes et l’étude de leur degré de solennité ont permis de dégager une hiérarchie des fêtes et une typologie des saints fêtés.

Enfin une étude particulière est consacrée au culte des morts, à travers la liturgie des défunts dans l’ordinaire, mais aussi les associations spirituelles qui mettent en commun la prière pour leurs frères défunts.

Chapitre II
Le cadre liturgique : l’environnement spatial dans le ms. 1 H 20

La description des rituels et du cérémonial liturgiques implique des références fréquentes au cadre architectural et spatial dans lequel ces activités prenaient place. La précision de certains détails permet en partie de restituer l’aménagement liturgique de l’espace ecclésial avec ses autels et ses chapelles, structuré autour de l’église abbatiale Saint-Martin et de la seconde église Sainte-Marie. Au-delà de l’espace liturgique, c’est tout l’espace conventuel claustral qu’occupent les activités quotidiennes. Mais l’étude du cérémonial liturgique contribue à montrer une forte polarisation de cet espace autour des deux églises et des oratoires adjacents. L’ordinaire contribue donc à reconstituer en partie la topographie du monastère et constitue par là une source d’intérêt majeur pour compléter les données archéologiques.

Cependant l’aire d’influence spirituelle de l’abbaye rayonne bien plus loin que l’espace proche du monastère. L’ordinaire montre en effet une assimilation des dépendances à la tradition liturgique de l’église savinienne, notamment par l’obligation faite à certains prieurs de participer à la liturgie des jours de fêtes, soit en se déplaçant en personne au monastère, soit par une redevance due pour la fête afin de couvrir les besoins matériels engendrés par celle-ci.

Chapitre III
L’organisation du monastère autour de sa liturgie

Toute la vie quotidienne des moines est rythmée par les offices. Elle est donc parfaitement réglée par les coutumes et ne laisse place à aucun moment de relâchement. Chaque instant passé hors de l’église est codifié et fait parfois l’objet d’une forte ritualisation comme les repas, les rasures, les ablutions, les moments au dortoir, les pratiques charitables. L’ordinaire fixe ainsi l’organisation de ces activités. Il donne aussi les règles de préséance au sein de la communauté afin que les rituels et gestes quotidiens soient assurés dans le respect de la hiérarchie des groupes de moines, soit en fonction de leur âge, soit en fonction leur statut dans le monastère.

Cette partie s’est nourrie d’une étude comparative avec les coutumes d’autres abbayes bénédictines. Le résultat n’a rien de surprenant : Savigny est en parfait accord avec tous les usages bénédictins dans leur ensemble. Les différences ne sont pas des divergences, mais plutôt des adaptations de la règle à une situation locale. On peut citer ici l’exemple du régime alimentaire savinien digne d’intérêt pour la plongée dans la gastronomie locale qu’il présente.

L’étude du mobilier liturgique, au travers de sa manipulation ritualisée, de son caractère symbolique et de sa grande valeur, révèle la volonté d’instaurer un faste liturgique. Le soin apporté à ces objets et leurs occurrences fréquentes dans l’ordinaire montrent leur entière intégration dans le champ du sacré et leur inscription au cœur des pratiques liturgiques.

Conclusion

Au terme de cette étude il apparaît que la liturgie et ses rituels imprègnent chaque instant de la vie du moine, lui rappelant sans cesse les préceptes de Benoît sur la laus continua et la vocation qu’on avait assignée aux orantes dans la société médiévale. Jusque-là rien de bien original pour un ordinaire bénédictin. Savigny apparaissait parfaitement garante de la tradition bénédictine.

Cependant cet ordinaire présente une spécificité singulière. Il s’ancre profondément dans une réalité temporelle et spatiale déterminée, celle de l’abbaye et de son histoire, en pérpétuant la mémoire des hommes et des lieux attachés aux origines et au rayonnement spirituel de l’établissement. Il marque la spécificité liturgique savinienne par un culte des saints empreint d’un fort attachement à l’histoire religieuse locale et par une hiérarchie des fêtes qui lui est propre. Quant à l’influence de la réforme clunisienne, il semble bien qu’elle ait pu gagner quelques temps l’abbaye aux alentours du xie siècle, mais l’ordinaire du xiiie siècle nous livre des différences trop marquées dans la liturgie pour pouvoir y déceler une influence durable.


Troisième partie
Édition


Chapitre premier
Règles d’édition

Sont exposées dans cette partie l’ensemble des règles que nous avons choisi de suivre pour rendre le texte lisible et intelligible au lecteur. Ces règles concernent plus particulièrement le cas des graphies particulières, les corrections et modifications apportées, la mise en page du texte latin et le système abréviatif employé.

Chapitre II
Texte

Le texte édité dans son intégralité n’est basé que sur le manuscrit original, conservé aux archives départementales du Rhône (cote 1 H 20) puisque nous n’en possédons pas de copie. La totalité du texte est en latin. L’apparat critique est composé de deux niveaux de notes : en premier lieu, les notes concernant le travail éditorial sur le texte et, en second lieu, les notes historiques (identifications de personnages et de lieu, remarques).

Chapitre III
Annexes à l’édition

Les annexes à l’édition comprennent un glossaire des termes latins et des termes en langue vernaculaire, les tables d’identification des pièces liturgiques et un index des pièces liturgiques.


Annexes et pièces justificatives

Carte du diocèse de Lyon au xiiie siècle. — Les dépendances saviniennes dans le diocèse de Lyon au xiiie siècle. — Ancienne enceinte de l’abbaye de Savigny. — Plan de l’abbaye au xviiie siècle. — Aménagement liturgique de l’espace ecclésial savinien au xiiie siècle. — Liste des abbés de Savigny au Moyen Âge. — Liste des actes conservés portant mention de l’abbé Guillaume Bollat. — Procès-verbal de réintégration de l’ordinaire de Savigny aux archives départementales en 1899. — Ornementation du ms. 1 H 20. — Calendrier du sanctoral savinien. — Hiérarchie des fêtes saviniennes. — Actes d’associations spirituelles de l’abbaye de Savigny avec les monastères de Saint-Rigaud (Saône-et-Loire) et Saint-Allyre (aujourd’hui à Clermont-Ferrand). — Le cérémonial de la bénédiction des cendres, d’après le Liber refusionum (ms. Archives départementales du Rhône, 1 H 27/3). — La fête des morts à Savigny d’après le Liber refusionum.