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École des chartes » thèses » 2012

Caxton imprimeur. Le troisième livre du Recueil des histoires de Troyes


Introduction

En 1473-1474, William Caxton imprime pour la première fois un livre en anglais : le Recuyell of the historyes of Troyes, sa traduction du Recueil des histoires de Troyes de Raoul Lefèvre. Le texte d’origine est imprimé par le marchand anglais installé à Bruges avant la fin de l’année 1475. Ce texte français, tel que Caxton l’imprime, fait l’objet, dans cette thèse, d’une édition partielle. Le choix de n’éditer que le troisième livre correspond à la volonté de compléter le travail de Marc Aeschbach, éditeur du Recueil tel que Raoul Lefèvre l’a composé, c’est-à-dire en deux livres. L’édition du texte français est la première étape d’une étude consacrée à Caxton, traducteur et imprimeur.


Sources

L’édition du troisième livre du Recueil imprimé par Caxton a été établie à partir des exemplaires de la Bibliothèque nationale de France (RES- Y2- 170) et de la Pierpont Morgan Library (manuscrit 638). Afin de mettre cette édition en perspective et de montrer son rôle dans l’établissement du Recueil en trois livres, ont été consultés le manuscrit 9254 de la Bibliothèque royale de Belgique (B1) ; le manuscrit 78 D48 de la Koninklijke Bibliotheek (LH) ; le manuscrit Royal 17. E II de la British Library (L) ; le manuscrit 3692 de la Bibliothèque de l’Arsenal (P1) ; le manuscrit 312 de la Bibliothèque de l’Institut de France (P2) ; les manuscrits français 59 (P3), 252 (P4), 253 (P5), 255 (P6), 6361 (P8), et 22552 (P9) de la Bibliothèque nationale de France ; le manuscrit Palatini latini 1962 de la Bibliothèque apostolique vaticane (R) ; les manuscrits 3298 (V2) et 3439 (V3) de la Österreichische Nationalbibliothek. Les éditions antérieures au xvie siècle ont également été utilisées : celle de Bellaert à Haarlem vers 1484-88 (à la Bibliothèque apostolique vaticane, Incunable Stampati Rossiano 717), de Topié à Lyon en 1490 (à la Bibliothèque nationale de France, Réserve Y2- 169), de Maillet dans la même ville en 1494-1495 (Réserve Y2- 171) et de Vérard à Paris vers 1494-1495 (Réserve Y2- 345).


Première partie
Commentaire


Chapitre premier
Origines du Recueil des histoires de Troyes

Le Recueil des histoires de Troyes est une réécriture très libre du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure. Cette œuvre et les nombreux écrits qui s’en inspirent, dont la traduction latine de Guido delle Colonne, n’ont que peu de rapport avec la mythologie grecque ou l’œuvre d’Homère. L’histoire de Troie a été adaptée au contexte médiéval et en particulier aux attentes religieuses des lecteurs.

À la cour du duc de Bourgogne Philippe Le Bon, Raoul Lefèvre rédige un Recueil en deux livres consacré à l’histoire d’Hercule, en utilisant la Généalogie des dieux de Boccace en complément de la version donnée par le Roman de Troie et ses adaptations. Le contexte n’est pas anodin : la maison de Bourgogne avait en effet adopté Hercule comme patron et ancêtre.

Le troisième livre, objet de l’édition, contient le récit du conflit opposant les Grecs aux Troyens et n’a pas été rédigé par Raoul Lefèvre, mort en 1464. Il s’agit, en fait, d’une traduction française de l’Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne, progressivement agrégée au Recueil en deux livres afin de pallier l’omission de la guerre de Troie dans les deux premiers livres. Cette traduction, nommée Guido C, est la troisième traduction de l’Historia en français. Des remaniements sont survenus lors de la traduction puis lors de l’intégration au Recueil : plus grande concision, amputation des quatre premiers livres, ajout du sacrifice d’Iphigénie, etc.

Chapitre II
Classer les différents états du texte

Ces modifications permettent de retracer l’histoire du texte et de son intégration au Recueil, et de faire apparaître des liens entre les manuscrits consultés. Elles permettent également de saisir le rôle de l’édition de Caxton dans la fixation du texte du Recueil. Les éditions antérieures au xvie siècle reprennent en effet une « formule » très proche.

L’examen du troisième livre permet de compléter le classement en deux familles établi par Marc Aeschbach quant aux deux premiers livres. Il permet également de reprendre l’idée d’une intégration progressive défendue par Bayot à partir d’une étude sommaire des prologues. Il est possible de distinguer quatre groupes. Le premier témoigne d’une simple juxtaposition du Recueil et de Guido C ; le second d’un premier remaniement consistant en l’insertion d’un prologue, d’un premier chapitre modifié et du sacrifice d’Iphigénie ; le troisième reprend nombre des caractéristiques du second, mais le dernier paragraphe sur les fondations troyennes a été amputé. Enfin, le quatrième état, le plus fréquemment observé, contient un prologue modifié et un premier chapitre cohérent avec le deuxième livre du Recueil. L’édition de Caxton se trouve dans ce dernier groupe. Elle y occupe une place intermédiaire, puisque Caxton a souvent fait le choix de la concision et que son texte a été modifié lors de sa réédition par Topié.

Chapitre III
L’édition de Caxton

Gouverneur de la nation anglaise de Bruges depuis 1462, Caxton entretient d’étroits contacts avec la cour de Bourgogne, notamment avec la duchesse Marguerite d’York, épouse de Charles le Téméraire et dédicataire de la traduction anglaise du Recueil. Le frère de cette dernière, le souverain anglais Edouard IV, qui exile Caxton à Cologne lors d’un épisode de la guerre des Deux-Roses, lui permet paradoxalement d’achever cette traduction et de se former aux techniques d’impression. Si la duchesse de Bourgogne et de Brabant semble avoir récompensé Caxton, ni la traduction ni l’impression du Recueil ne peuvent être considérées comme des commandes princières.

La cour de Bourgogne, par les talents artistiques qu’elle attire, exerce une influence profonde sur le travail de Caxton : Lotte Hellinga cite notamment les noms de David Aubert et du maître de Marie de Bourgogne. Caxton est également en relation avec d’autres imprimeurs des Pays-Bas : non pas Colard Mansion dont le nom a souvent été avancé mais plus probablement Johan Veldener. Ce dernier a sans doute fourni les caractères utilisés par Caxton (type 1) pour cette édition. La taille de ces caractères gothiques qui diffèrent grandement de ceux habituellement utilisés par Veldener et imitent ceux des manuscrits de luxe indique le peu d’intérêt porté aux coûts par l’imprimeur débutant. L’étude des caractères effectuée par William Blades demeure remarquable, même si son hypothèse concernant Colard Mansion est désormais réfutée. Ce chapitre est accompagné d’une reproduction du frontispice dédicatoire et d’une planche, établie par Blades, représentant le jeu de caractères de Caxton.

Chapitre IV
Pessimisme et mélancolie dans le Recueil

Dans son édition, Caxton parachève une série de transformations du texte initiée par Guido. Le texte édité à Bruges diffère en effet largement du Roman de Troie et même du texte latin de l’Historia. À l’inverse du poème de Benoît de Sainte-Maure, le texte du troisième livre du Recueil est factuel et mélancolique. Dans le texte latin de Guido et sa traduction française insérée dans le Recueil, l’affrontement entre Grecs et Troyens n’est pas narré de façon épique et le surnaturel est présenté comme inquiétant. Le troisième livre du Recueil n’est donc pas seulement la traduction d’une traduction du Roman de Troie mais bien le résultat d’une longue série de remaniements. Les changements narratifs y sont suffisamment importants pour donner un sens nouveau au texte. Son extrême concision et sa description infernale de la religion antique le rendent parfois encore plus saturnien que l’Historia.


Deuxième partie
Édition du troisième livre du Recueil des histoires de Troyes


En ce qui concerne le texte imprimé par Caxton, les principes utilisés par Marc Aeschbach dans son édition des deux premiers livres du Recueil ont dans l’ensemble été repris.

Afin de rendre le texte aussi lisible que possible, tout en montrant les recompositions de ce livre, chaque étage de note contient une leçon. Les manuscrits des deux premiers groupes – trop éloignés du texte édité – n’ont pas été inclus dans l’apparat critique. Le premier étage de notes est occupé par le troisième groupe, le deuxième par les manuscrits du troisième groupe non influencés par le travail de Caxton, le troisième par les textes copiés sur la version de Caxton (si une correction a été apportée au texte de Caxton, la forme rejetée est indiquée dans cet étage), le quatrième par la réédition de Topié et les textes qui en découlent.

À ces notes de bas de page s’ajoutent deux séries de notes de fin. La première signale les principaux écarts entre le texte de Caxton et l’original latin ou les manuscrits antérieurs. Confrontée aux notes de bas de page, cette série de notes de fin permet de déterminer si la variation constatée entre Guido et sa traduction intégrée au Recueil est imputable à Caxton. La dernière série de notes porte sur l’identification des sources citées et des proverbes.


Annexes

Transcription du début du Livre V de Guido. — Transcription des incipits P2 et P8. — Transcription du premier chapitre de R et V2. — Transcription du paragraphe consacré au sacrifice d’Iphigénie chez Guido, dans les manuscrits P2 et LH. — Transcription du récit de la deuxième bataille dans le manuscrit P1. — Transcription de chapitres consacrés aux batailles dans les manuscrits L et P1. — Transcription de l’arrivée des Amazones dans le manuscrit LH. — Transcription du dernier paragraphe sur les fondations troyennes dans les manuscrits P2 et dans un manuscrit de Guido C (Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique 9652). — Note sur l’influence de Caxton sur Spenser. — Index géographique. — Index des noms de personne. — Photographies de manuscrits et d’éditions.