L’histoire de Troie au xve siècle
Édition critique de la première traduction française de l’Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne
Introduction
Bien que l’Occident médiéval n’ait pas eu accès aux épopées homériques avant le xive siècle et surtout le xve siècle, la guerre de Troie a continué d’être considérée comme un événement fondateur et à faire partie de la culture collective de l’ensemble de l’Empire romain. En effet, l’histoire de cette guerre fut transmise à l’Occident à travers plusieurs œuvres, en particulier l’Ilias Latina, un résumé de l’Iliade composé dans le milieu scolaire au temps de l’empereur Néron, ainsi que, de manière incomplète, à travers l’Énéide. Mais ce sont surtout les œuvres de Darès de Phrygie, le De excidio Trojae, et de Dictys de Crète, l’Ephemeris belli Trojani, qui assurèrent la postérité des récits homériques. Le récit de la guerre de Troie connut une fortune extraordinaire tout au long du Moyen Âge et même jusqu’à la fin du xvie siècle, fortune liée à la fois au mythe des origines troyennes invoqué par les différentes nations européennes et à l’image de perfection culturelle et artistique que représente la ville de Troie.
L’Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne illustre tout à fait cet engouement médiéval pour la matière troyenne. Achevée en 1287, cette œuvre, qui s’inspire largement du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, propose une nouvelle façon d’envisager et d’écrire ce récit fondateur : proposer une vision morale et érudite de la guerre de Troie sans en perdre le potentiel littéraire et merveilleux. C’est à ce titre que l’œuvre de Guido n’est pas une simple traduction latine du Roman de Troie. Son souci de véracité historique lui fait d’ailleurs corriger certains passages de Benoît et faire des ajouts érudits. De plus, l’Historia se distingue également des œuvres qui l’ont précédée par un profond pessimisme face au sens de l’histoire, dont l’auteur semble seulement tirer une morale toute pragmatique à l’usage des grands de ce monde : puisque l’histoire est vouée à un éternel recommencement et soumise à un hasard aveugle, les gouvernants se doivent d’adopter une politique pragmatique propre à éviter, autant que faire se peut, de soumettre leur royaume et leur peuple aux vicissitudes de la guerre.
L’Historia destructionis Troiae connut un très large succès : près de 240 manuscrits la contenant, dont plus de 70 datent du xive siècle, sont parvenus jusqu’à nous. Ce succès s’explique par la langue utilisée par Guido, le latin, qui est la langue de communication internationale. De plus, le caractère rhétorique du texte de Guido en a fait un modèle du genre. Ce succès amena l’Historia à être traduite dans presque toutes les langues européennes. En ce qui concerne les traductions françaises, elles sont au nombre de cinq. Cette thèse présente l’édition complète de la première, dite version A, représentée par cinq manuscrits et un fragment de manuscrit, tous inédits. Cette traduction aurait été commandée par le maire de Beauvais en 1380 ; son auteur reste inconnu. Les manuscrits la conservant datent tous du xve siècle. La version A, dont le succès est notable, s’est principalement diffusée dans les États bourguignons, avec une exception pour un témoin réalisé à Amiens, bien qu’elle ait été au départ produite en France. Le manuscrit de base de la présente édition est le Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 22553.
Première partieLa tradition manuscrite de la version A
Chapitre premierDescription des manuscrits
Les manuscrits contenant la version A ont été décrits ici. Il s’agit des manuscrits Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 22553 (P), Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 9240 (B), Londres, British Library, Royal 16.F.IX (L), Turin, Biblioteca nazionale universitaria, L.II.3 (T), Amiens, bibliothèque municipale, 1193 (3) (A), Turin, Biblioteca nazionale universitaria, L.II.7. Tous ces manuscrits ont servi à l’établissement du texte de la version A, hormis le manuscrit Turin, Biblioteca nazionale universitaria, L.II.7, qui n’a pas pu être consulté, car son état de conservation ne permet pas de le reproduire.
Chapitre IILe texte de la version A
Le texte français et son modèle. — De manière générale, cette première traduction est assez fidèle à son modèle latin, bien que certaines digressions savantes de Guido ne se retrouvent pas dans le texte français. Néanmoins, les épitaphes d’Hector et d’Achille, à la fin du texte latin, ainsi que l’épilogue, n’apparaissent pas dans cette traduction. De plus, le traducteur intervient par deux fois pour insérer des parties versifiées.
Établissement du stemma. — L’établissement du stemma codicum de la version A, qui s’appuie sur l’ensemble des témoins, mis à part le Turin, Biblioteca nazionale universitaria, L.II.7 qui n’a pas pu être consulté, permet d’établir que T, B et P ont un ancêtre commun qui est de la même génération que L, et que ce témoin a donné T et un autre manuscrit (X) qui est lui-même l’ancêtre de B et X, ce dernier étant l’ancêtre de P.
Tableau comparatif des rubriques. — Les rubriques des différents témoins de cette version sont quasi identiques jusqu’au milieu du livre XXVI, bien que L omette systématiquement les rubriques jusqu’au milieu du livre VI. Cependant, après avoir annoncé le livre XXVI à la première rubrique du livre, L et T l’annoncent à nouveau à la fin de cette partie du texte ; mais cette fois ces rubriques mentionnent les événements qui apparaissent en fait dans le livre XXVII, et dès lors, L et T sont en avance d’un livre par rapport à P et B.
Deuxième partieÉdition critique de Guido A
Chapitre premierAnalyse linguistique du manuscrit de base
L’analyse linguistique du manuscrit de base a permis de relever des traits dialectaux propres à la France du Nord ainsi que quelques emplois archaïsants. Cependant le texte du manuscrit de base ne présente pas de coloration dialectale spécifiquement marquée. Il présente de plus les évolutions linguistiques, morphologiques et morpho-syntaxiques propres aux textes datant de la fin du xive et du début du xve siècle.
Chapitre IIPrincipes d’édition
Système graphique de P et transcription. — La description du système graphique du manuscrit de base et des méthodes de transcription appliquées pour la présente édition vise à rapprocher le lecteur, autant que faire se peut, du texte du manuscrit en explicitant les moyens graphiques employés par le copiste et les choix de l’éditeur.
Établissement du texte et de l’apparat. — De manière générale, l’établissement du texte suit les règles exposées dans les Fascicules I et II des Conseils pour l’édition des textes médiévaux édités respectivement en 2001 et 2002. L’apparat négatif a été choisi pour la présente thèse ; néanmoins l’état fragmentaire de T et A a nécessité la mention du sigle de ces manuscrits lorsque ces derniers avaient la même leçon que le manuscrit de base. Le premier étage de l’apparat comprend les leçons rejetées du manuscrit de base. Les leçons variantes contenues dans le deuxième étage de l’apparat ont été relevées de manière exhaustive, comprenant notamment des variantes graphiques paraissant donner des indications sur l’origine du lieu de copie du manuscrit. Le troisième étage de l’apparat a été réservé à la leçon donnée dans le texte latin de l’Historia Destructionis Troiae telle qu’elle apparaît dans l’édition de Griffin. Enfin, le quatrième étage est celui de notes éclairant certains passages du texte, en proposant l’identification des sources utilisées par l’auteur, l’explication de passages difficiles, des notes comparatives avec les œuvres ayant servi à l’élaboration de l’Historia, ou encore des notes historiques.
Chapitre IIIÉdition de Guido A
Cette édition complète de la première traduction française de l’Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne suit comme manuscrit de base Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 22553 et comme manuscrits de contrôle Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 9240, Londres, British Library, Royal 16.F.IX, Turin, Biblioteca nazionale universitaria, L.II.3, Amiens, bibliothèque municipale, 1193 (3).
Chapitre IVGlossaire
Le glossaire comprend les mots et les expressions qui pourraient gêner la lecture, c’est-à-dire ceux dont le sens moderne est différent du sens ancien, ceux dont la graphie pourrait tromper le lecteur ou ceux qui apparaissent sous une forme dialectale. Les mots non attestés ont également été relevés et, dans la mesure du possible, rapprochés de mots attestés par ailleurs.
Chapitre VIndex des noms propres
L’index des noms propres relève tous les noms propres apparaissant dans le texte du manuscrit P avec à leur suite, la forme du nom telle qu’elle apparaît dans l’édition du Roman de Troie de Constans, puis son identification d’après les noms actuels des personnages, mythologiques et historiques, et des lieux, quand cela était possible.
Chapitre VIIndex des proverbes et des locutions sentencieuses et imagées
L’index des proverbes et des locutions sentencieuses et imagées relève les différents proverbes identifiés tout au long du texte, ainsi que les locutions à caractère proverbial ou imagé. Ces proverbes et ces locutions ont été, dans la mesure du possible, identifiés ou rapprochés de proverbes et locutions attestés par ailleurs.
Troisième partieÉtude iconographique
Les cycles iconographiques étudiés sont ceux des manuscrits Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 22553, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 9240, et Londres, British Library, Royal 16.F.IX. Bruxelles offre un cycle de trente-six miniatures, Paris trente-cinq, mais il devait certainement en compter trente-sept, tandis que L en compte trente-quatre. Les cycles quasi identiques de P et B permettent d’établir qu’ils ont probablement été réalisés dans le même atelier, à Mons, mais non par le même peintre, comme l’indique leur facture quelque peu différente. Le cycle de L a lui aussi été réalisé dans les Flandres, mais l’atelier n’a pu être identifié.