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École des chartes » thèses » 2013

La correspondance du docteur Pierre-Fidèle Bretonneau (1778-1862)

Édition critique et commentaire


Introduction

Pierre-Fidèle Bretonneau (1778-1862) fut l’un des acteurs du tournant médical que constitue le xixe siècle, par les découvertes qu’on lui reconnaît, mais aussi par la méthode scientifique qu’il a contribué à diffuser par l’intermédiaire de son école. S’il est surtout célèbre pour avoir identifié la diphtérie et la fièvre typhoïde, il n’est presque jamais oublié lorsque sont évoquées les questions de contagion et surtout de spécificité, doctrines dont il a été un très grand et fervent promoteur. Proche de l’école anatomo-clinique, il a défendu toute sa vie l’idée que la médecine doit découler de l’observation, des faits, et non des écoles de pensée et des opinions établies.

Objet historique à multiples facettes, la correspondance de Bretonneau entre dans le champ varié des correspondances de savants qui, au-delà des perspectives biographiques évidentes, touchent à l’histoire dans tous ses aspects. Témoignage de son époque, elle permet en effet de saisir un arrière-plan politique, social, culturel, et, par la personnalité originale de Bretonneau, elle laisse une large place à des sujets techniques ou encore botaniques.

De nombreux travaux – éditions ou biographies – ont déjà valorisé cette abondante correspondance et l’ont rendue publique très tôt (P. Triaire, 1892 ; J. Lorenzi 1960-1966 ; É. Aron, 1979). Il était toutefois nécessaire de reprendre ces travaux, en tentant de pallier leurs défauts, en portant un nouveau regard sur cette correspondance, et en y ajoutant davantage de matériaux. Améliorer l’étude historique du personnage de Pierre-Fidèle Bretonneau passait nécessairement par la réalisation d’une nouvelle édition, la plus complète et la plus scientifique possible, de la correspondance du médecin de Tours. Celle-ci, parfois éclairée par des sources complémentaires, ouvre un champ de perspectives des plus vastes.

À travers les anecdotes et les récits qu’elle réunit, la correspondance livre un témoignage du monde médical de l’époque, qu’il soit parisien ou tourangeau, de son évolution, ses recherches et ses débats, de l’organisation de l’enseignement et des hôpitaux au xixe siècle. Elle est aussi un moyen de comprendre le fonctionnement des réseaux et des écoles de pensée au cœur de la capitale, notamment par le biais du réseau tourangeau formé autour de ses deux illustres représentants, Velpeau et Trousseau, et dont certains membres sont encore mal identifiés. Les lettres de Bretonneau sont enfin un point d’accès pour étudier ses influences médicales, les auteurs dont il a pu lire voire posséder les œuvres, ceux auxquels il s’est référé pour revenir aux sources des affections qu’il étudiait. Elles permettent de saisir par là même le cheminement de la pensée d’un médecin-chercheur au début du xixe siècle. La correspondance est enfin une clé majeure pour comprendre comment un médecin de province, qui a peu écrit et très peu publié, a pu se construire une telle renommée.


Sources

L’essentiel des originaux de la correspondance de Bretonneau se trouve conservé à la bibliothèque universitaire de médecine de Tours (fonds Bretonneau). Un autre fonds important se trouve à la bibliothèque municipale de Tours (manuscrit 1444). Le reste des originaux est dispersé dans divers lieux de conservation (bibliothèque inter-universitaire de santé de Paris, bibliothèque de l’Académie de médecine, bibliothèque universitaire d’Uppsala, archives départementales d’Indre-et-Loire, collections en mains privées).

La particularité de la correspondance de Bretonneau est qu’une partie des originaux n’est aujourd’hui plus consultable. Les lettres concernées ne subsistent que sous la forme d’éditions publiées, principalement dans l’ouvrage de Paul Triaire, ou de copies manuscrites.

D’autres sources ne concernant pas la correspondance ont permis d’éclairer certains points peu traités dans celle-ci ou d’en préciser d’autres. Les gisements les plus importants se trouvent aux Archives nationales, aux archives départementales d’Indre-et-Loire (fonds Lorenzi, 10 F), ainsi qu’à la bibliothèque universitaire de médecine de Tours (fonds Boutineau, fonds émile Aron).


Première partie
La correspondance de Bretonneau : de la reconstruction aux éditions


Chapitre premier
La reconstruction de l’ensemble du corpus : lettres conservées, lettres dispersées

L’histoire de la correspondance est compliquée par la dispersion des lettres dans différents fonds. Sa recomposition reste donc difficile en raison de la variété des lieux de conservation et du manque d’information concernant la filiation des fonds concernés. à l’exception du manuscrit 1444 de la bibliothèque municipale de Tours, la transmission de la plupart des fonds ne peut être basée que sur des hypothèses.

Le corpus contient également des copies de lettres, qu’elles aient été éditées (P. Triaire, 1892 ; P. Boiteau, 1860) ou qu’elles soient demeurées des copies manuscrites. Outre l’impossibilité de les rattacher à des fonds qui existent ou ont existé, ces copies posent également la question de leur fidélité vis-à-vis des originaux qui ont aujourd’hui disparu.

Chapitre II
Analyse du corpus : diversité des scripteurs, des sujets et des enjeux

Outre Bretonneau et ses secrétaires, plus de quarante correspondants ponctuent ce corpus, à des fréquences variées. Différents cercles se retrouvent : amis, confrères, patients, et élèves de l’école de Tours – principalement Alfred Velpeau et Armand Trousseau.

Selon les époques, les correspondants changent ainsi que les intérêts et les sujets de conversation. Ainsi la première époque (1801-1809) est celle des discussions passionnées avec l’ancien maître à dessin, Jean-Baptiste Cloquet, qui touchent à un grand nombre de sujets techniques et artistiques. Vient ensuite l’époque du doctorat (1813-1815), caractérisée par des échanges entre Bretonneau et sa femme, mais également avec ses amis parisiens (André Marie Constant Duméril, Louis-Benoît Guersant) dont certains se poursuivent avec les années. La période de 1820 à 1850 est celle d’une correspondance médicale assidue entre le maître et ses élèves, dans laquelle les carrières des élèves, les travaux de Bretonneau, la diffusion de ses idées, et la création de l’école secondaire de médecine de Tours tiennent une grande place. La fin de la correspondance (1850-1859) est assez variée, mais elle se concentre pour une bonne part sur des considérations horticoles.

D’importants enjeux transversaux se lisent à travers ces grandes phases de la correspondance. Le premier est bien sûr biographique. La personnalité de Bretonneau tout d’abord est dépeinte dans ses propres lettres mais aussi dans les récits de consultations faits par ses proches. Elle se lit également dans ce qui donne à la figure de Bretonneau sa particularité : son éloignement géographique de Paris, qui est l’une des raisons de la richesse de sa correspondance. Sur le plan médical, les lettres de Bretonneau sont une source précieuse pour constater l’évolution de ses réflexions.

Grâce au large éventail chronologique qu’elle propose et à sa densité, la correspondance permet de saisir tout un arrière-plan d’histoire médicale mais aussi politique et parfois culturelle. On y lit l’évolution de la médecine au xixe siècle, les questions brûlantes de l’époque, les conceptions des différentes écoles parisiennes et leur évolution. Au-delà de son aspect médical, la correspondance est aussi le témoin d’une histoire scientifique en marche par les travaux et les découvertes qui y sont mentionnés. L’aspect artistique et littéraire, bien que secondaire, est néanmoins bien présent et témoigne d’une culture partagée à l’époque dans le milieu dans lequel évolue Bretonneau. Quant aux aspects politiques, on constate qu’ils ne sont pas aussi rares que l’ont dit les historiens.

Chapitre III
Les éditions au cours des siècles

L’édition de P. Triaire (Bretonneau et ses correspondants, 1892) a été le déclencheur de l’intérêt porté très tôt à la correspondance et à la figure de Bretonneau. Néanmoins, dans les choix d’édition de Triaire se lit un intérêt relativement limité au monde médical parisien du xixe siècle. Le tri effectué dans l’ensemble des lettres qu’il avait à sa disposition à l’époque nous empêche aujourd’hui de connaître l’étendue de ce corpus originel. Triaire a également réalisé une censure sur la vie privée de Bretonneau, et a commis de nombreuses omissions, des erreurs de lecture, de transcription, et, plus graves, des erreurs de datation, alors qu’il est impossible de distinguer, dans son édition, les datations sûres ou supposées.

L’intérêt pour la correspondance de Bretonneau ne s’est pas affaibli au xxe siècle, et l’on constate quelques améliorations dans la lecture et la transcription. L’attention s’est souvent portée plus spécialement sur la vie privée de Bretonneau, et sur la période de jeunesse (1801-1815) peu illustrée dans l’édition de Triaire. J. Lorenzi (Revue médicale de Tours,1960-1966) a surtout transcrit des passages en les accompagnant de notes explicatives, mais a eu le grand intérêt de proposer des lettres inédites à l’époque et des identifications historiques très détaillées. J. Luthier (1962, 1967) a réalisé des éditions partielles de commémoration, en présentant parfois des lettres inédites ou corrigées vis-à-vis de l’édition de Triaire, mais avec de très rares notes. La dernière édition en date (F.-G. Theuriau, 2005) ne s’intéresse qu’à la période 1801-1809. Aucun de ces travaux n’avait donc pour but de donner une édition exhaustive de la correspondance.


Deuxième partie
Un travail biographique entre mythes et réalités


Chapitre premier
Historiographie : un mythe persistant

De façon générale, par leur situation de médecins, la plupart des auteurs qui se sont penchés sur la vie et l’œuvre de Bretonneau ont donné des réflexions objectives et précises sur ses travaux et ses apports à la médecine. Le constat est différent lorsque l’intérêt des biographes s’est porté sur la personnalité et la vie privée du médecin de Tours. Un « mythe » de Bretonneau s’est en effet construit très tôt grâce à des anecdotes plus ou moins véridiques qui ont nourri de nombreuses légendes sur sa personnalité et qui ont été reprises régulièrement par les auteurs. Dès sa mort, une certaine image de Bretonneau s’est concrétisée à travers les nombreux éloges parus ou prononcés par ses élèves et amis, qui manquent tous de précisions. Cette image, construite entre faits erronés propagés et anecdotes véridiques oubliées, a formé dès 1862 un terreau d’idées qui ont été abondamment reprises par la suite. Ces écrits ne constituaient cependant pas de véritables biographies de Bretonneau, et la construction du mythe du médecin de Tours a donc surtout été due à Triaire.

À l’époque de la parution de l’ouvrage, à la fin du siècle, le nom de Bretonneau devenait de plus en plus obscur et celui-ci ne bénéficiait pas de la même renommée que ses élèves Velpeau et Trousseau. Triaire eut le mérite de le remettre au premier plan, au moment où les travaux sur la diphtérie connaissaient un renouveau. Il a également apporté des corrections vis-à-vis des précédents travaux. Néanmoins, son œuvre est loin d’être parfaite, puisque l’on constate un certain manque d’objectivité et des erreurs biographiques.

Les travaux du début du xxe siècle ont certes continué de mettre en valeur la figure de Bretonneau, mais, en reprenant les conceptions nées au xixe siècle, ils n’ont pas apporté de nouveaux éléments historiques ou de nouvelles réflexions, à l’exception des recherches de L. Dubreuil-Chambardel sur l’ascendance de Bretonneau.

Ce n’est qu’à partir des années soixante qu’un retour aux sources historiques – principalement la correspondance mais également des documents d’archives – marque un véritable tournant des études sur Bretonneau, celui de l’exactitude des faits par rapport à la légende. Le travail d’érudition de J. Lorenzi a ainsi permis d’éclaircir un grand nombre de points obscurs ou erronés concernant la vie et l’œuvre de Bretonneau. Transformé en biographie par É. Aron en 1979, il a permis la réalisation d’une œuvre « constructive et durable » selon leurs vœux, dont le défaut majeur, cependant, est l’absence de mention des sources et de références aux lettres citées. Cette recherche renouvelée sur Bretonneau n’a toutefois pas empêché des travaux postérieurs de puiser dans l’imaginaire du xixe siècle.

Chapitre II
Retour aux sources : étude biographique d’après la correspondance

Il convenait de prendre appui sur la correspondance et les sources complémentaires pour tenter une nouvelle étude biographique et rectifier les erreurs propagées depuis le xixe siècle, sans pour autant prétendre à réaliser une biographie exhaustive.

Période peu présente dans la correspondance, qui ne commence qu’en 1795, la jeunesse de Bretonneau n’est que rarement évoquée, ce qui a encouragé nombre de légendes sur son éducation. Né le 3 avril 1778 à Saint-Georges-sur-Cher, issu d’une longue lignée de médecins ou chirurgiens, Bretonneau semble avoir bénéficié d’une éducation familiale normale qui, quoique peu rigoureuse, ne fut pas aussi négligée qu’on a pu le dire.

En 1795, Bretonneau fut nommé élève de l’école de Santé de Paris fraîchement créée, et, contrairement à ce qui fut écrit à la fin du xixe siècle, il n’y fut pas envoyé par la châtelaine de Chenonceaux. Ce fut à Paris qu’il lia de fortes amitiés, notamment avec André Marie Constant Duméril, Jules-César de Savigny, ou encore Louis-Benoît Guersant. Il fit également partie de la Société médicale d’émulation, dans les Mémoires de laquelle il publia son premier travail médical, une traduction de l’ouvrage de Paolo Mascagni sur les vaisseaux lymphatiques. La période de 1797 à 1801 est très mal connue, par manque de sources : il semble que Bretonneau revint à Saint-Georges-sur-Cher, non sans avoir de fréquents contacts avec les habitants du château de Chenonceau, madame Dupin, le comte et la comtesse de Villeneuve, ainsi que Marie-Thérèse Adam, dame de compagnie et protégée de madame Dupin, que Bretonneau épousa à Paris en 1801. Il retourna en effet brièvement à Paris, vers cette époque, pour terminer ses études, mais échoua à un examen et revint s’installer à Chenonceaux comme simple officier de santé.

L’époque de la vie des époux Bretonneau à Chenonceaux, illustrée par les lettres envoyées à Jean-Baptiste Cloquet, se démarque par la quasi-absence de considérations médicales. Outre ses occupations champêtres de pêche, jardinage et apiculture, Bretonneau s’adonna à de multiples passions, dont la menuiserie, la taillanderie, la verrerie, la sculpture, etc. Il les mit, dès cette époque et plus tard, au service de la médecine, en fabriquant ou en améliorant ses instruments médicaux (aiguilles à cataracte, canules, souffloir, etc.). Il entreprit également de concevoir des thermomètres, des allumettes, et surtout des tubes capillaires pour le transport de la vaccine, qui lui valurent une médaille du Comité central de vaccine en 1806. À la fin de l’année 1814, poussé par ses amis à la place de médecin-chef de l’Hospice général de Tours devenue vacante, il dut cependant, pour y prétendre, passer son doctorat de médecine à Paris. Grâce à l’aide de Duméril, il s’en acquitta rapidement et, en janvier 1815, il soutint une thèse innovante sur les bandages compressifs appliqués aux inflammations de la peau. Bien que partagée avec Jean-Baptiste Duchêne-Duperron, la place lui revint, et ce en dépit des nombreux postulants, dont Félix Bouriat, figure distinguée du monde médical de Tours.

Dans l’exercice de la médecine et dans son enseignement, Bretonneau professait la primauté de l’observation et de l’expérience sur les systèmes et les doctrines préconçues. Cette méthode, qui se rapprochait de l’école anatomo-clinique promue en France par Corvisart, Bayle, Bichat et Laennec, fut donc celle qu’il transmit à ses nombreux élèves, dont les plus connus sont Alfred Velpeau, Armand Trousseau. Beaucoup sont mentionnés dans la correspondance (Morand, Chaumier, Gouraud, Moreau, Parmentier, Jacquart, Miquel…) même si tous ne vinrent pas terminer leur formation à Paris. Ce nouveau poste avait l’intérêt d’ajouter à son expérience clinique les enseignements de l’anatomie pathologique et de l’observation, et Bretonneau s’intéressa de fait à un grand nombre de maladies, évoquées au fil de la correspondance. Il développa une thérapeutique née de l’observation, de l’expérience, et également de son imagination et de son habileté technique, qui se basait sur sa conception de la spécificité des maladies. Il s’opposait ainsi à la thérapeutique phare de l’époque, la médication antiphlogistique prônée par Broussais, qui encourageait l’usage des saignées, des sangsues et de la diète.

Dans le large éventail d’affections auxquelles il s’intéressa, ce furent la diphtérie et la dothinentérie (fièvre typhoïde) qui l’occupèrent particulièrement et qui firent sa renommée. Par un travail de lectures de sources anciennes et d’observations, il put distinguer, parmi toutes les affections de la gorge qui étaient largement confondues à son époque, celles qui étaient d’origine diphtérique. La première et la plus importante de ses conclusions fut donc l’unité clinique de l’angine maligne, de la gangrène scorbutique et du croup, affections qu’il rassembla sous le nom de diphtérie. Il modifia la thérapeutique, et prôna l’usage de la trachéotomie pour lutter, en dernier recours, contre l’asphyxie. Déjà annoncés par des lectures à l’Académie de médecine, les travaux de Bretonneau furent rendus publics par un traité, Des inflammations spéciales du tissu muqueux, et en particulier de la diphthérite, dont la publication en 1826 fut le résultat d’un long travail de rappels à l’ordre et de corrections par ses élèves. Bien accueillies dans l’ensemble, ses théories n’éteignirent cependant pas les opinions anciennes, et la nature contagieuse de la maladie ne fut pas admise. Son influence se remarqua cependant dans l’essor que prit la trachéotomie à partir de cette époque. Née d’un regard neuf porté sur les fièvres, la dothinentérie fut la « deuxième fille » de Bretonneau. Il démontra qu’elle n’était en aucun cas une nouvelle affection mais bien une modalité de fièvres déjà connues, qui n’étaient donc que des variétés cliniques d’une seule et même maladie. Il la définit comme une affection générale avec lésion spéciale localisée dans l’appareil folliculaire de l’intestin grêle, ce qui contredisait les théories parisiennes (Petit et Serres, Broussais). Contrairement au précédent traité, celui consacré à la dothinentérie ne vit jamais le jour, et ce ne fut qu’en 1922 que L. Dubreuil-Chambardel le publia. Pour pallier cette absence, et de crainte que les idées de Bretonneau ne soient pillées, Trousseau et Velpeau s’efforcèrent de les rendre publiques par des articles et des thèses.

Convaincu par l’idée de contagion, au contraire des écoles de pensée parisiennes qui supportaient l’idée de génération spontanée et d’infection, Bretonneau dut défendre cette notion avec d’autant plus d’ardeur que ses propres élèves étaient parfois réticents à les accepter. À plusieurs occasions (étude de la fièvre jaune par Trousseau à Gibraltar en 1828, épidémie de choléra de 1832, épidémie de dothinentérie en 1829 à Vendôme), il n’hésita pas à développer ses théories dans sa correspondance. En rejetant ainsi la doctrine de la génération spontanée et celle de l’infection, Bretonneau en arriva à l’idée de spécificité, c’est-à-dire de l’existence de germes morbides, d’espèces absolument distinctes, produisant chacune leur maladie particulière. Cette théorie avait par ailleurs germé d’après les exemples d’action spécifique qu’il rencontra dans la nature, et notamment dans son travail sur les cantharides.

Bretonneau envoyait volontiers ses meilleurs élèves terminer leurs études à Paris, et les encourageait à y rester pour faire carrière. L’« école de Tours » qui se forma alors ne manqua pas de se faire remarquer, en particulier grâce au fort caractère de ses figures centrales, Velpeau et Trousseau. Le réseau tourangeau fonctionna très bien, autant dans l’accueil des nouveaux arrivants que dans la diffusion des idées du maître, à grand renfort d’articles publiés dans les revues médicales, de thèses, et d’interventions dans les sociétés scientifiques de la capitale. Il bénéficia également du réseau d’amis que Bretonneau avait conservé à Paris. L’intérêt de cette dense correspondance entre Paris et Tours fut d’une part, d’accroître la masse des observations médicales, et d’autre part, de juger les écoles parisiennes, et notamment celle de Broussais.

Démissionnant définitivement de l’hôpital en 1839, Bretonneau put se consacrer à la création d’une école secondaire de médecine à Tours, dont le projet était soutenu par ses élèves et le doyen de la Faculté de Paris, Orfila. Son refus soudain, en 1841, de prendre la direction de la future école, pour des raisons qui demeurent encore obscures, l’éloigna donc de tout enseignement médical.

Retiré à Palluau, domaine situé à Saint-Cyr-sur-Loire qu’il avait acquis en 1831, Bretonneau n’abandonna pas l’exercice de la médecine. Au contraire, sa renommée importante lui valut toujours davantage de patients, parfois illustres comme le chansonnier Béranger ou encore Tocqueville. Sa correspondance témoigne également de la continuité de ses recherches médicales, notamment grâce à de fréquents échanges avec Trousseau. Palluau fut par ailleurs l’occasion pour Bretonneau de s’adonner à sa passion de l’horticulture, et son jardin fut dès lors le théâtre d’expérimentations et de créations variées. La correspondance des années 1840 est marquée par un vrai renouvellement des sujets de conversation, et par l’apparition de quantité de noms d’horticulteurs.

Sous plusieurs aspects, Bretonneau prouva la modernité de ses idées. Prenant place parmi les précurseurs de la bactériologie et les pionniers de l’asepsie, il ne fut cependant que peu reconnu pour cela. Son large héritage était néanmoins conséquent et la diffusion de ses idées se poursuivit après sa mort, grâce à la fidélité de ses élèves. Son nom resta ainsi longtemps associé à la diphtérie, à la fièvre typhoïde, ainsi qu’à la vaccine grâce à ses tubes capillaires qui prirent le nom de « tubes Bretonneau ».


Troisième partie
Édition


Cette partie est consacrée à l’édition de la correspondance, comprenant quatre cent soixante-douze lettres. Elle a été réalisée selon un ordre chronologique, et s’étend de 1795 à 1859. Les règles d’édition utilisées suivent, de manière générale, les principes de l’édition des textes contemporains. Chaque lettre est précédée d’un numéro d’ordre, de la mention des émetteurs et destinataires, de la date de temps et de lieu, d’un tableau de la tradition et d’une analyse.


Conclusion

Par la découverte de nouveaux originaux et de nouvelles copies, cette thèse rassemble la correspondance connue de Bretonneau en une édition harmonisée, plus complète et plus scientifique que les travaux antérieurs. Beaucoup de questions demeurent cependant non résolues, notamment en ce qui concerne la transmission de la correspondance depuis le xixe siècle. Néanmoins en l’état actuel, la correspondance dévoile une diversité intéressante et constitue une base presque complète pour se pencher sur la vie, les influences et les travaux de Bretonneau. Par l’édition de lettres jusqu’ici inédites, elle permet d’éclairer les aspects les moins connus de la vie du médecin de Tours et de présenter une figure aux multiples facettes.


Annexes

Édition d’une correspondance complémentaire. — Tables de la correspondance (table générale de l’édition, tables des correspondants et des envois). — Glossaire médical. — Illustrations de la correspondance, exemples d’écriture, aspects matériels. — Notices biographiques des principales personnes citées. — Index des noms de personnes, d’institutions et de lieux.