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École des chartes » thèses » 2013

Aux sources d’une armée permanente

Édition critique et commentaire des ordonnances militaires de Charles le Téméraire (1471-1476)


Introduction

À partir de 1471, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, s’efforce de mettre en place une armée permanente pour la « garde, seürté et deffense » de ses terres ; cette armée est constituée de ce que l’on appelle « les compagnies de l’ordonnance », ou les compagnies d’ordonnance. Il suit en cela l’exemple de son cousin le roi de France, qui s’est doté d’un tel outil vingt-six ans plus tôt. L’ordonnance d’Abbeville met en place cette institution le 31 juillet 1471. Elle est par la suite remplacée par deux ordonnances successives, celle de Bohain le 13 novembre 1472 puis celle de Saint-Maximin de Trèves en novembre 1473. Cette dernière ordonnance est en outre complétée par une dernière ordonnance, dite du camp de Lausanne, prise lors de la campagne de 1476 contre les Suisses, pour réorganiser l’armée bourguignonne après la défaite de Grandson.

Une telle institution est une chose exceptionnelle au Moyen Âge, n’ayant eu qu’un seul précédent. De fait, elle a très tôt intéressé les historiens et bénéficie d’une bibliographie relativement abondante. Toutefois, les textes à son origine sont relativement méconnus, faisant au mieux l’objet de vieilles éditions. L’objectif principal de ce travail est donc de fournir une édition critique de toutes ces ordonnances, et d’en livrer un commentaire prenant en compte des points jusqu’alors négligés de ces ordonnances ainsi que les avancées récentes de la recherche. Il s’agit de déterminer l’originalité de cette institution, et donc la part de l’influence du modèle français, mais aussi d’autres éventuelles sources d’inspiration, autour de trois axes d’étude, que sont les aspects militaires, l’encadrement de l’armée et enfin le service du duc.


Sources

Les sources essentielles de cette étude sont bien entendu les quatre ordonnances militaires de Charles le Téméraire. Celle de 1471 est connue par une copie dans un registre de la chambre des comptes de Dijon, tandis qu’une copie de travail de celle de 1476 en est le seul témoin survivant. Celle de 1472 n’est connue que par une édition de la fin du xvie siècle. Quant à celle de 1473, ce sont treize témoins survivants qui ont pu être mis à profit pour établir cette édition. Parmi ceux-ci, on compte cinq manuscrits contemporains, exemplaires fournis aux capitaines des compagnies, deux copies destinées aux Chambres des comptes ainsi que l’exemplaire du duc lui-même, qui a été utilisé comme manuscrit de base pour cette édition.

Il faut à cela ajouter d’autres textes législatifs du duc, ainsi que les chroniques contemporaines. Les ordonnances royales fournissent un support de comparaison intéressant. Enfin et surtout, les documents administratifs et surtout financiers peuvent venir à l’appui des textes législatifs.


Édition

Les quatre ordonnances de 1471, 1472 et 1473 sont éditées en texte intégral.


Première partie
Anatomie de la compagnie : l’institution militaire et son usage


Chapitre premier
Structures et terminologie

Il faut tout d’abord s’intéresser à la définition de la compagnie, groupe régi par les ordonnances, et de la lance, cellule de base de la compagnie, mais aussi et surtout à la hiérarchie imposée par ces ordonnances et à ses évolutions successives. Au fil des ordonnances s’établit une véritable chaîne de commandement qui concerne d’abord seulement les compagnies de cavaliers puis est étendue au reste de l’armée ; celle-ci constitue par ailleurs une véritable nouveauté au Moyen Âge, n’ayant pas d’équivalent à part en Italie.

Chapitre II
Réglementation de l’armement

Les gens de guerre se doivent d’être propriétaires de leur équipement, ce dernier ne leur étant pas fourni par l’autorité qui les emploie. De manière à avoir des combattants efficaces et correspondant au rôle qu’on attend d’eux, cette autorité se doit donc de réglementer l’armement, à la fois offensif et défensif, que les gens de guerre doivent posséder. Les trois ordonnances de 1471, 1472 et 1473 décrivent minutieusement cet armement, qui est même la préoccupation principale de la première de ces ordonnances.

Chapitre III
La compagnie au combat

Les équipements dont doivent être dotés les gens de guerre fournissent des indications quant aux rôles que ces gens doivent remplir au combat. En outre, l’article entier concernant les entraînements collectifs contenu dans l’ordonnance de 1473, chose totalement inédite au Moyen Âge, et le plan prévisionnel pour la bataille de Morat contenu dans l’ordonnance de 1476, permettent de voir la manière dont le duc envisageait l’usage de ses troupes.

Chapitre IV
Troupes auxiliaires et réserves

Les compagnies d’ordonnance ne sont pas destinées, du moins à court terme, à former l’essentiel de l’armée ducale, mais plutôt un noyau permanent autour duquel elle doit se réunir en cas de guerre. Elle est destinée à être complétée par diverses formes de réserves et de troupes auxiliaires, allant du ban et de l’arrière-ban mentionnés dans les ordonnances à la garde du duc, en passant par l’artillerie et le recours massif aux mercenaires.


Deuxième partie
L’encadrement des compagnies permanentes


Chapitre premier
Le logement des gens de guerre

La création de troupes permanentes amène des problèmes nouveaux : il faut les entretenir, même en temps de paix. En l’absence de casernes, c’est aux populations locales de les loger. Il s’agit donc de fournir un cadre réglementaire à ce logement des gens de guerre, de sorte à ce qu’il ne se fasse pas au détriment des sujets du duc.

Chapitre II
Des contrôles réguliers

La vie du soldat des compagnies d’ordonnance en temps de paix doit être scandée par des contrôles réguliers, que sont les montres d’armes et les revues, les paiements mais aussi les entraînements collectifs, introduits par l’ordonnance de 1473. Ces contrôles sont autant de moyens de s’assurer de la valeur des gens de guerre, mais aussi de leur assiduité.

Chapitre III
Compagnies d’ordonnance et justice

Les gens de guerre sont réputés être des criminels en puissance. Pour pallier à cela, il faut, bien plus qu’instaurer des cadres réglementaires, exercer une justice militaire dissuadant les gens de guerre de se livrer à toutes sortes de crimes. Les ordonnances de Charles le Téméraire s’y attachent avec zèle, définissant les pouvoirs de chacun en matière de justice et de répression.

Chapitre IV
Une priorité : la lutte contre la désertion

La désertion est un fléau dont souffrent toutes les armées médiévales, qui va en s’aggravant lorsque l’armée devient permanente. Les compagnies d’ordonnance bourguignonnes, là encore, ne font pas exception. Les trois ordonnances de 1471, 1472 et 1473 contiennent un nombre croissant de mesures pour lutter contre la désertion et définissent les pouvoirs de chacun en tel cas.


Troisième partie
L’armée permanente : un outil au service du pouvoir ducal


Chapitre premier
Loyauté, serments et moralité : servir le duc et servir Dieu

Le serment est, à la fin du Moyen Âge, le moyen le plus classique de lier les troupes à leur employeur. Les ordonnances de 1471 et de 1472 mettent en place une procédure semblable ; mais surtout, l’ordonnance de 1473 définit en détail le serment que doivent prononcer les capitaines. Celui-ci est bien plus vaste qu’un simple serment de loyauté : les conducteurs sont aussi les garants du comportement de leurs hommes, autant envers les sujets du duc qu’envers Dieu. L’ordonnance de 1476 souligne par ailleurs l’importance de la moralité des gens de guerre en prenant des mesures particulièrement sévères à ce sujet.

Chapitre II
La mise en scène du pouvoir ducal

Le duc cherche également à acquérir la loyauté et l’obéissance de ses gens de guerre par un moyen plus subtil : la théâtralisation de leurs relations avec lui, dans le but de susciter amour mais aussi et surtout crainte. L’ordonnance de 1473 met en place un véritable cérémonial militaire mettant en scène le duc, mais aussi l’ordonnance elle-même au travers de rituels comme la remise des symboles de commandement aux conducteurs ou la lecture du texte de l’ordonnance aux nouvelles recrues.

Chapitre III
L’élaboration d’une réforme

Il convient de s’interroger, à la lumière des points étudiés précédemment, sur ce qu’ont été les conditions d’élaboration de ces ordonnances, et, surtout, quels sont les objectifs qui les sous-tendent, individuellement mais aussi comme partie d’une plus vaste réforme des institutions bourguignonnes entreprise par Charles le Téméraire. En somme, s’il est délicat de déterminer si tel était son but, il s’est doté, par ces ordonnances, de l’un des éléments constitutifs d’un État.


Conclusion

Dans la majorité de leurs aspects, les ordonnances militaires de Charles le Téméraire se présentent – bien plus que comme une réelle innovation –, comme une synthèse de ce qui se fait alors de mieux en Europe, s’inspirant du modèle français mais manifestant aussi des influences italiennes, anglaises et suisses, influences que le duc a su dépasser, notamment par le recours aux théoriciens militaires antiques.


Pièces justificatives

Ordonnance au maréchal de Bourgogne de juillet 1468. — Mandements pour la levée des compagnies d’ordonnances. — Lettres de commissions de commissaires à passer les montres et revues. — Instructions aux commissaires à passer les montres et revues. — Rôles de montre. — Lettre de commission d’un conducteur. — Extrait du compte de l’argentier concernant le paiement des manuscrits de l’ordonnance.


Annexes

Organigrammes. — Illustrations des manuscrits. — Sommaire des manuscrits I et J. — Ordonnances royales sur les gens de guerre. — Glossaire.