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École des chartes » thèses » 2013

Négocier avec la Suède : les enjeux d’une alliance lors de la guerre de Trente ans

Étude et édition critique des instructions aux ambassadeurs et envoyés français (1630-1636)


Introduction

La France et la Suède sont deux pays dont l’éloignement géographique ainsi que les différences culturelles et religieuses, en ce début du xviie siècle, ne sont plus à démontrer. C’est uniquement dans le contexte de la guerre de Trente Ans, qui déchire alors le Saint-Empire, que se justifie l’alliance conclue à Bärwald le 23 janvier 1631. L’étude de l’union paradoxale entre ces deux pays a motivé notre travail, ainsi que la volonté de comprendre les ressorts plus particuliers de cette alliance offensive fondée sur le versement de subsides ; l’édition des instructions aux ambassadeurs, reflet de la pensée politique sur la situation en Allemagne lors de la période qui nous intéresse, en a été l’outil privilégié.

L’alliance de la France avec la Suède intervient alors que la guerre de Trente Ans dure déjà depuis une douzaine d’années. Après l’échec des négociations menées en 1629 pour que le Danemark reste dans la guerre, Louis XIII cherche l’appui de la Suède. La nécessité d’intervenir contre l’empereur Ferdinand II se fait sentir après que Richelieu a refusé la ratification de la paix de Ratisbonne en 1630. Celle-ci contraignait la France à abandonner toute velléité d’intervention dans les affaires de l’Empire. En outre, la puissance des Habsbourg grandit et leur situation au sein de l’Empire est assez favorable par rapport aux princes protestants, dont le parti est fortement affaibli par la défection de Christian IV de Danemark. Pour la Suède, le soutien de l’empereur à son ennemi polonais, dans le conflit qui les oppose pour la possession de la Livonie et des différends dynastiques, ainsi que la spoliation de princes protestants, comme l’électeur palatin, sont autant d’arguments qui justifient une intervention en Allemagne. Les négociations commencent donc auprès de Gustave-Adolphe dès 1629 par la négociation d’une trêve entre la Suède et la Pologne. À ce moment-là, les intérêts du Suédois concordent avec ceux de Louis XIII dans leur inimitié contre l’empereur, mais, cependant, leurs préoccupations territoriales, religieuses, politiques et militaires divergent profondément.

Notre travail porte ainsi sur les six premières années de l’alliance, c’est-à-dire de sa négociation – destinée à faire entrer la Suède dans la guerre –, à celle du traité de Wismar (1636), dont l’objectif est de conserver l’alliance suédoise pour la conclusion de la paix. S’appuyant sur l’édition que nous avons établie des instructions aux ambassadeurs et envoyés français pendant toute cette période, notre étude s’attache avant tout à comprendre la place que la coalition avec la Suède tient dans la politique de Richelieu, sans pour autant négliger les motivations de l’action de cette dernière.

Ce travail d’édition donne une dynamique à notre étude, qui se trouve à la croisée entre deux niveaux de réflexion. Les instructions, expression des consignes royales pour conduire les échanges, sont en effet le premier outil de négociation pour le diplomate, puisqu’elles expriment la pensée royale. On y trouve donc la conception de la pensée de Richelieu et de Louis XIII sur les affaires d’Allemagne. Véritables actes royaux, ils sont cependant le fruit d’une projection d’idée qui doit se confronter à la réalité. Les grands événements qui marquent la période qui nous intéresse dessinent ainsi des inflexions dans les sujets de négociation et la manière de les aborder. La mort de Gustave-Adolphe, au mois de novembre 1632, en est un des plus importants. Elle change profondément l’identité de l’armée suédoise qui perd alors son roi, qui était aussi un chef de guerre charismatique. Au moment de sa conclusion, le traité de Bärwald n’est pas l’élément le plus important dans le jeu des alliances françaises, mais seulement une carte à jouer contre les Habsbourg. Cependant, les victoires remportées de manière fulgurante par le « Lion du Nord », ainsi que les contemporains surnomment le roi de Suède, dès le début de son intervention, conduisent la France à s’adapter à la puissance grandissante de son allié. Le champ de notre raisonnement se situe donc entre les objectifs que reflètent les instructions et le poids des événements sur l’évolution de la négociation. Nous avons ainsi considéré ces documents comme des témoins de l’évolution d’une alliance dont les rebondissements ont profondément marqué l’intervention de la France dans l’Empire.

Dans les instructions, véritables consignes royales destinées aux ambassadeurs, se trouvent en effet de nombreuses informations, qui répondent à une multitude de questions, soit directement, dans les différents points de la négociation qui y sont abordés, soit indirectement, à travers les structures d’énonciation et dans la manière d’aborder les différents sujets. On peut alors s’abstraire de l’enchaînement des événements, à travers lequel sont souvent considérées les relations qui unissent ces deux pays européens, pour entrer dans l’essence de l’alliance en en détaillant les caractéristiques. Cette dernière brasse en effet toutes les problématiques de la guerre de Trente Ans : les problèmes religieux, les problèmes territoriaux, mais aussi la question de la nature des États et de leur place dans le jeu politique européen. Toutes ces interrogations concernent le contenu des instructions, mais, d’un point de vue de l’histoire diplomatique, l’étude poussée de ces dernières nous conduit aussi à nous interroger sur les fonctionnements de la négociation : quelle est la place ou le rôle de l’ambassadeur par rapport à ce document ? Jusqu’à quel point peut-on pousser la négociation ? Que peut-on abandonner ? Quelles sont les différentes manières de négocier pour arriver à ses fins : la menace ou le compromis ? La richesse des problématiques soulevées par les sources est donc indéniable.


Sources

L’entreprise d’édition sur laquelle s’appuie notre travail a été effectuée à partir des instructions que nous avons pu trouver dans la série Correspondance politique des archives du ministère des Affaires étrangères. Le corpus est ainsi constitué de vingt-sept actes qui concernent tout autant les ambassades les plus importantes – comme les ambassades extraordinaires du marquis de Brézé, pour la conclusion de la neutralité avec les princes de la Ligue catholique, en 1632, ou celle du comte d’Avaux en 1634-1635, pour le renouvellement de la trêve entre la Suède et la Pologne –, que les instructions données à de simples envoyés pour intervenir sur des points plus particuliers de la négociation. La variété de l’importance des documents et des objectifs qu’ils visent permet d’avoir une vision approfondie des ressorts de l’alliance. L’analyse des instructions, croisée à celle de la correspondance des envoyés, dont nous avons, autant que possible, donné les références en tête de chaque instruction pour les éléments de réponse qu’elle pouvait apporter, permet d’étudier toutes les étapes de la négociation.

Si la Suède est notre principal point d’intérêt, le contexte de la guerre de Trente Ans implique l’étude des affaires d’Allemagne. Nous avons respecté les cadres laissés par la tradition des documents en n’éditant que les instructions qui se trouvaient dans la série Suède, afin de limiter notre corpus. Pour enrichir notre travail, nous éditons cependant en annexe d’autres instructions parmi les plus importantes, qui donnaient des éléments intéressants sur certains points. De plus, certaines pièces de la correspondance se trouvaient divisées dans plusieurs sous-séries : celle de l’Allemagne, évidemment, mais aussi dans celles de la Pologne, du Danemark et de Hambourg. Les limites temporelles que nous avons fixées excluent aussi d’autres instructions plus tardives. Nous avons fait ce choix afin de ne pas empiéter plus spécifiquement sur les négociations de la paix et donc du traité de Westphalie, dont les actes ont été publiés dans la grande entreprise des Acta pacis Westphalicae.


Chapitre liminaire

L’édition de sources diplomatiques a toujours été un corollaire de la connaissance et de la recherche historique et ce, dès l’Ancien Régime, avec, par exemple, l’édition de traités. L’étude à laquelle nous nous livrons se place ainsi dans une longue tradition éditoriale héritée des travaux érudits du xixe siècle et qui n’a jamais été abandonnée. L’importance des sources pour la rédaction de l’histoire fait de leur édition une démarche toujours utile pour l’historien et l’avancée de la recherche. Néanmoins, les perspectives dans lesquelles ces initiatives ont pu être envisagées ont quelque peu évolué au cours du temps, depuis les premières initiatives du ministère des Affaires étrangères au xixe siècle. Avant d’entrer dans l’étude des instructions éditées dans la seconde partie de ce travail, il nous a semblé essentiel de dresser un bilan de l’édition d’instructions et de sources diplomatiques du règne de Louis XIII, afin de souligner l’originalité de notre travail dans le contexte historiographique actuel et le replacer dans la longue réflexion menée au cours du temps sur l’usage des sources de l’histoire.

Enfin, ce chapitre est aussi le lieu d’une mise en contexte historique et permet de revenir sur les causes et les origines de la guerre de Trente Ans, de présenter la Suède et de faire l’historique des relations qu’elle entretient avec la France avant le traité de Bärwald. La situation géopolitique de la France et de la Suède, à la veille de la conclusion de ce dernier, est ainsi présentée, ainsi que les intérêts qui portent l’un et l’autre à la lutte contre la maison de Habsbourg, avec les germes des différends qui pourront les opposer : les questions religieuses, les ambitions territoriales et les objectifs politiques.


Première partie
Faire alliance avec un grand chef de guerre (1630-1631)


Chapitre premier
Entre le roi et le négociateur, les instructions

Avant d’entrer plus profondément dans l’étude du contenu et du vocabulaire des instructions, il semble important de revenir sur les conditions de production de ce type d’acte, en présentant le fonctionnement du secrétariat d’État sous Richelieu, qui est alors chargé de les rédiger, mais aussi en analysant plus précisément leurs caractéristiques formelles et structurelles, en nous appuyant sur une étude diplomatique détaillée, ainsi que l’usage que peut en faire l’ambassadeur.

Tous ces éléments nous indiquent que ce dernier n’est que le témoin de la pensée du roi. Il conserve une large part de liberté par rapport aux consignes royales, mais quand il s’engage ce n’est qu’à titre personnel, jusqu’à ce que le roi confirme ce qu’il a avancé. Les instructions nous permettent donc de suivre de près la pensée du roi sur la relation entretenue avec la Suède, et l’édition de ce corpus nous donne la possibilité d’une analyse approfondie des sources afin de comprendre l’influence des événements sur la politique étrangère de Louis XIII et Richelieu, et de saisir l’évolution de la situation de la France dans cette alliance.

Chapitre II
Les moyens d’une alliance, le paiement des subsides

Dès le début des négociations avec la Suède, les relations de ce pays avec la France sont marquées par les négociations portant sur l’aide financière que celle-ci pouvait lui apporter. En effet, la nature de l’alliance que les deux pays envisagent, dès la médiation française pour la conclusion de la trêve d’Altmark entre la Suède et la Pologne, est clairement offensive et donc militaire. La question des ressources et du nombre d’hommes engagés dans la campagne menée en Allemagne est alors un des points essentiels de l’alliance et marque les échanges entre les deux pays.

Les instructions, complétées par la correspondance des ambassadeurs, nous donnent des éléments intéressants sur les conditions de négociations des montants et de versements des subsides. Ces paiements sont ainsi, comme pour les grosses transactions commerciales à Amsterdam, étalés dans le temps. Enfin, ils entraînent l’emploi de personnalités particulières de l’administration, suédoise en particulier.

En étudiant plus précisément le rôle des subsides dans l’alliance, ainsi que les conditions dans lesquelles ils sont payés, on soulève la question de la place du monde négociant dans les relations internationales et du moyen de pression non négligeable dont il dispose par ce biais. La dépendance des relations politiques avec le monde des marchands fragilise la bonne exécution du traité et les relations entre la France et la Suède. Mais cette fragilité, due à la dépendance financière d’un acteur par rapport à l’autre, est aussi intrinsèque à l’alliance entre les deux pays.


Deuxième partie
La France, la Suède et le Rhin (1631-1633)


Chapitre premier
« Il ne s’agit point du fait de la religion mais de la liberté de l’Empire » : la délicate position de la France envers les princes catholiques allemands

Dans le contexte de la guerre de Trente Ans, l’alliance franco-suédoise peut faire figure d’illustration de la complexité de la place de la religion dans les relations internationales. Du côté de la France, cette alliance avec une puissance protestante se justifie par la lutte contre la maison de Habsbourg et plus particulièrement sa branche espagnole qui prétend, selon la propagande française de l’époque, à la monarchie universelle, sous couvert d’une reconquête du catholicisme en Europe face à la religion protestante. Pour mener à bien cette lutte, la Suède apparaît donc comme le partenaire idéal grâce à sa grande force d’intervention militaire mais aussi à son éloignement géographique. Cependant, c’est un pays avant tout protestant, et en s’alliant avec Gustave-Adolphe, Louis XIII ne vise pas la convergence de leurs intérêts, mais cherche à faire prévaloir sa puissance face à l’Espagne. Pour autant, il ne va pas à l’encontre de la survie du catholicisme au sein de l’Empire et entretient d’étroites relations avec le duc de Bavière et les princes catholiques d’Allemagne.

Cette imbrication des intérêts politiques et religieux vient donc compliquer les relations de la France avec la Suède dès la conclusion de l’alliance, et sa difficile justification du côté de la France. Par la suite, les victoires de Gustave-Adolphe, et les conquêtes qui en découlent, rendent plus prégnantes dans les négociations les questions de l’exercice de la religion catholique et de la situation du clergé, des religieux et des biens ecclésiastiques. Cet aspect des relations entre les deux pays est dominé par la négociation de la neutralité entre la France et les divers membres de la Ligue catholique au cours de l’année 1632, qui seront finalement un échec.

La négociation de la neutralité met ainsi en avant les conséquences politiques et militaires du différend religieux qui oppose la France et la Suède. Or la politique de Richelieu, bien qu’elle s’attache à défendre, dans la limite du possible, les intérêts catholiques dans l’Empire, pousse tout de même à dépasser les questions religieuses pour négocier plus âprement les intérêts de la France. Ses objectifs sont ainsi la défense des frontières et l’expansion de l’influence française parmi les princes d’Empire, en les soumettant à sa protection, notamment contre les Suédois, dont elle sait tourner l’alliance, pourtant mal maîtrisée, à son avantage. Les relations avec les électeurs catholiques sont aussi en jeu dans les négociations et, par conséquent, l’influence de la France dans les régions rhénanes où les Suédois se sont bien avancés par leur conquête. Ces dernières, qui portent sur le libre exercice des charges ecclésiastiques, révèlent ainsi, en filigrane, les questions territoriales qui préoccupent la France.

Chapitre II
« Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » : la politique française de protection face à la Suède dans les régions rhénanes

L’échec de la neutralité entre la Ligue catholique et Gustave-Adolphe est en fait l’échec de la politique de protection menée par Richelieu auprès des électeurs catholiques contre l’envahisseur suédois. En effet, en ne respectant pas, lors de l’invasion de la Bavière au printemps 1632, le traité de Fontainebleau qui l’engageait à défendre son allié s’il était attaqué, la France montre la difficulté à tenir un tel engagement sans briser son alliance avec la Suède. Depuis la victoire de Gustave-Adolphe à Breitenfeld en septembre 1631, l’alliance conclue avec les Suédois devient problématique puisque la puissance du Lion du Nord arrive aux portes des confins de la France, sur les rives du Rhin. Les possessions suédoises, qui semblaient si lointaines au moment de la conclusion du traité de Bärwald que ce dernier ne contenait pas de clauses défensives, sont maintenant menaçantes pour l’influence française dans l’Empire.

Au xviie siècle, les frontières entre les pays ne sont pas clairement définies et certains territoires, qui dépendent cependant du même prince, ne relèvent pas de la même souveraineté. Toutes les opérations menées sur les terres qui s’étendent jusqu’au Rhin, dont font partie l’Alsace et la Lorraine, le sont du fait de la guerre. Le système de protection, vieille tradition héritée du système féodal, est alors un moyen d’intervention qui permet à de petit États de demander à un État plus puissant de les protéger. Le roi de France en profite depuis longtemps pour étendre son influence sur ses frontières, ce que Richelieu reprend pour mener à bien sa politique de lutte contre les Habsbourg. Il essaie par là d’affaiblir l’influence de l’empereur auprès de ces différents princes, mais aussi d’acquérir suffisamment de places dans les régions rhénanes pour défendre le royaume d’une éventuelle invasion de ses ennemis, voire de la poussée impérialiste de ses alliés Suédois. Les questions territoriales qui sont abordées dans les instructions concernent en effet majoritairement les régions rhénanes.

Sous couvert de la conclusion de la neutralité et d’une politique de protection vis-à-vis des électeurs catholiques et des frontières françaises, Richelieu et Louis XIII mènent une lutte de longue haleine contre les Suédois et leur présence sur les bords du Rhin. Les négociations menées tout au long de cette période montrent que la France cherche à contenir les Suédois au-delà du Rhin, se préservant une zone d’influence et un moyen d’intervention dans l’Empire. Si les questions territoriales n’avaient pas été évoquées lors de la conclusion de l’alliance, la possession de l’Alsace et de places telles que Mayence, Philippsbourg ou Brisach, font l’objet de négociations longues et suivies. La France ne lâche pas son emprise sur ce sujet. Les Suédois, protestants, menacent en effet en quelque sorte l’équilibre politique de ces régions où les Espagnols font passer leurs armées et viennent finalement défendre leurs intérêts. Tous les moyens sont alors bons pour tenter de faire convenir les Suédois de la tentative de conclusion de la neutralité, au rappel de la menace des Espagnols et, enfin, à la proposition d’argent pour se battre là où les intérêts du roi de France le nécessitent. Les questions de la stratégie militaire, même après la mort de Gustave-Adolphe, sont insolubles.


Troisième partie
De la guerre vers la paix (1633-1636)


Chapitre premier
La mort de Gustave-Adolphe le temps des ambassadeurs extraordinaires

Au mois de novembre 1632 meurt, dans le feu de la bataille de Lützen, celui que ses contemporains avaient surnommé le « Lion du Nord ». Avec la disparition de Gustave-Adolphe, ce sont toutes les perspectives de la guerre de Trente Ans qui changent d’aspect. Le roi ne laisse en effet pour seule héritière qu’une fille âgée de six ans, Christine. La Suède est alors dirigée par un conseil de régence composé de tous les plus grands officiers de la couronne. Les affaires d’Allemagne sont laissées entre les mains du grand chancelier Axel Oxenstierna, nommé ambassadeur extraordinaire avec les pleins pouvoirs en Allemagne, pour pourvoir aux nécessités de la destinée de la guerre. Les conséquences de ces changements sont cruciales pour l’alliance avec la France, et les négociations vont alors s’intensifier, d’autant que les problèmes de ressources se font sentir pour le financement des troupes que la Suède entretient sur tout le territoire de l’Empire. Pour s’adapter à ces changements, les ambassades se multiplient auprès du chancelier en Allemagne. Les sujets de négociation ne changent pas beaucoup ; cependant il paraît nécessaire de renégocier l’alliance que le traité de Bärwald avait scellée pour une durée de six ans. De plus, la stratégie de la France change face à l’échec de la négociation de la neutralité et les instructions montrent les efforts qui sont menés auprès des princes protestants afin de les faire entrer dans l’association qui unit Louis XIII avec la Suède.

Cette période d’effervescence diplomatique semble donc idéale pour se pencher sur le fonctionnement des ambassades et les conditions de négociation entre la France et la Suède en se penchant plus particulièrement sur les questions de la langue utilisée, des personnalités envoyées et de l’influence sur le vocabulaire.

La mort de Gustave-Adolphe a donc eu de grandes conséquences sur la destinée de l’alliance avec la Suède. Cette dernière est ébranlée à tous les niveaux, que ce soit dans les relations mêmes entre les deux pays, la manière de mener les ambassades ou encore la stratégie à suivre en Allemagne. La France s’engage de plus en plus aux côtés des princes allemands ; on peut alors souligner la caractéristique triangulaire de cette alliance qui implique la présence d’un troisième acteur, qui s’affirme de plus en plus à la mort du Lion du Nord : l’Empire.

Chapitre II
Vers la conclusion d’une « bonne et seure » paix

Les conséquences de la mort de Gustave-Adolphe ont poussé la France à s’investir toujours plus auprès des princes allemands afin de lutter contre la maison de Habsbourg. L’objectif principal devient alors la conclusion de la paix, afin que les paiements et la guerre durent le moins longtemps possible. À partir de la mort de Gustave-Adolphe, la conclusion de la paix se fait ainsi beaucoup plus pressante dans les instructions. Le traité de Bärwald ne contenait dans ses clauses que le fait que les deux alliés ne pouvaient conclure de paix séparée, sans plus de précision. Mais dès les nombreuses victoires du roi de Suède et son avancée sur les rives du Rhin, la question de la paix devient cruciale. Comment arrêter les conquêtes des Suédois et s’imposer comme arbitre dans l’Empire ? Telle est la question qui se pose à Louis XIII et Richelieu. Mais la suite des événements n’est pas favorable à l’accomplissement de leurs objectifs.

La question de la paix, élément essentiel des négociations, est ainsi l’objet d’une évolution tout au long de la période. Il est question de ses garanties, des conditions de sa conclusion. Elle apparaît dans les textes des instructions quand la guerre se fait trop envahissante, que ce soit par les conquêtes de Gustave-Adolphe ou après que la France soit contrainte de rentrer dans la guerre ouverte. Les négociations de la paix sont donc toujours menées en parallèle de la guerre. Pouvoir conclure une bonne paix serait le couronnement de la réussite d’une alliance. En 1636, l’alliance franco-suédoise n’en est pas à ce stade, mais Louis XIII et Richelieu savent déjà qu’ils ne peuvent s’en passer.


Conclusion

Cette étude approfondie des instructions destinées à négocier l’alliance de la France et de la Suède est révélatrice, non seulement de sa complexité mais aussi de sa modernité. En six ans, les objectifs qui ont été à l’origine de l’alliance ont beaucoup évolué pour conduire aux négociations de la paix à laquelle la France pense de plus en plus quand les événements la poussent à entrer en guerre. Elle s’est associée à la Suède pour lutter contre la maison d’Autriche, mais cette union reste précaire et les alliés sont parfois à la limite de retourner leurs armes les uns contre les autres. Le caractère militaire de cette union est indubitable et justifie pleinement le paiement des subsides élevés qui en sont la base.

La puissance acquise par la Suède a été à l’origine de cette évolution. Plus que l’évolution d’une alliance, c’est aussi l’évolution de la considération d’un pays dont les instructions sont le témoin. Un pays dont, au début des relations, il n’a quasiment pas été question dans les instructions. Gustave-Adolphe est, si l’on peut dire, l’unique raison de cette alliance par ses qualités militaires. Ce n’est que trois ans plus tard, lors de l’ambassade du comte d’Avaux, que les intérêts de la Couronne de Suède sont considérés pour pouvoir convenir des conditions de la conclusion de la paix. Les négociations sont alors menées, non plus seulement auprès du chancelier Oxenstierna, mais auprès de toutes les institutions suédoises, le conseil de régence et le Sénat. Ce désintérêt pour les motivations de la Suède et les événements se déroulant sur le pourtour de la Baltique, dans la mesure où ils ne servent pas la politique française, rappelle l’importance des affaires allemandes sans lesquelles l’alliance n’aurait pas eu lieu. La France intervient dans l’espace baltique uniquement pour y conclure la paix et amener les principaux acteurs de ces conflits lointains à porter leurs armes contre l’empereur. En faisant intervenir une telle puissance dans les territoires impériaux pour servir ses intérêts, la France permet en effet l’émergence d’une nouvelle puissance qu’elle n’avait pas soupçonnée.

L’on peut en déduire que l’alliance avec la Suède est d’une indéniable modernité. Elle est l’illustration même de la réussite d’une « négociation perpétuelle » qui conduit à conserver une alliance dont les tenants et les aboutissants semblent pourtant toujours incertains. Le bilan en est cependant mitigé, puisque certaines exigences sont abandonnées comme le fait de trouver un accord sur les stratégies militaires tant que la France n’est pas entrée en guerre, ou encore de parvenir à un accord sur la question religieuse. Mais si les historiens ont pu parler d’un ordre Westphalien, il semble que l’alliance de la France et de la Suède en soit un des signes précurseurs. On peut y voir sourdre le principe de la « raison d’État », la religion prend un aspect politique à cause de son ancrage dans les questions territoriales, sans pour autant n’être jamais abandonnée. L’efficacité de l’intervention suédoise a créé la dynamique nécessaire à la politique française pour ébranler le bloc des Habsbourg, mais ne lui a pas forcément permis d’atteindre ses objectifs. Les difficultés à trouver un accord pour arriver à la conclusion de la paix en sont la preuve. Peut-être la différence des intérêts et l’éloignement géographique ont-ils finalement garanti l’équilibre de puissance et la longévité de l’alliance entre la France et la Suède, ne permettant pas à l’un de prendre une ascendance sur l’autre et les amenant tous deux, sans résoudre pour autant leurs différends, à obtenir un rôle de choix dans l’Empire. Cependant, la puissance du modèle de la pensée politique de Richelieu et, à travers lui, de la France, a finalement influencé la Suède, avec laquelle les liens diplomatiques et culturels vont se développer tout au long du xviie siècle.


Édition critique

Le corpus est constitué des instructions et mémoires aux envoyés et ambassadeurs vers la Suède contenus dans la sous-série Suède de la série Correspondance politique des archives du ministère des Affaires étrangères. Chaque instruction est numérotée selon un ordre chronologique et son texte a été établi à partir des différentes versions qui ont pu en être trouvées. Outre l’apparat critique, la correspondance ayant fait suite à l’instruction a, autant que possible, été indiquée en tête de chacune d’elle, afin d’éclairer l’évolution des négociations.


Annexes

Cartes. — Chronologie. — Index de l’édition. — Répertoire biographique des ambassadeurs. — Édition de texte.