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École des chartes » thèses » 2013

L’œuvre juridique du doctor tholosanus Pierre Hélie (milieu du xive siècle)

Édition critique et commentaire du traité sur l’emphytéose


Introduction

La réflexion historique portée sur les moyens de normalisation de la société médiévale fait encore aujourd’hui trop souvent l’économie de la doctrine. La question de savoir dans quelle mesure les textes savants des juristes peuvent connaître à la fin du Moyen Âge une répercussion concrète dans les règlements des conflits et dans la contraction des obligations continue à faire l’objet de nombreux débats. Mais on ne pourra apprécier l’importance de la doctrine comme source du droit sans approfondir notre connaissance de ses acteurs et de leur production intellectuelle. Le présent travail a pour but d’apporter une modeste contribution à l’histoire de l’emphytéose d’une part, et de l’école de droit de Toulouse au xive siècle d’autre part. Pour cela, on s’est penché sur la figure d’un doctor tholosanus du milieu du xive siècle, Pierre Hélie, et plus particulièrement sur ce qui constitue son texte majeur, le Tractatus de jure emphiteotico.

Contrairement à ce qui a pu se faire dans le reste de l’Europe, l’édition critique des textes juridiques médiévaux s’est trop longtemps cantonnée en France aux seuls actes de la pratique. Si on s’intéresse à la doctrine, le travail d’établissement du texte se heurte à un certain nombre de difficultés : constructions composites, gloses marginales, questions traitées en plus ou moins grand nombre et dans un ordre différent suivant les manuscrits. Le xive siècle, moment où Pierre Hélie a exercé en tant que professeur, correspond de surcroît à une période où les variantes textuelles se multiplient. Les écarts importants qu’accusent les témoins de la tradition obligent alors l’historien à renoncer à un schéma linéaire de constitution de l’œuvre. Les efforts déployés pour restituer la teneur du traité sur l’emphytéose se trouvent cependant justifiés en raison de l’importance historique qu’il revêt, essentiellement pour deux raisons : d’une part, ce traité a été élaboré dans la période où la faculté de droit de Toulouse connaît son rayonnement le plus important ; d’autre part, il s’agit d’un des textes les plus anciens consacrés au bail emphytéotique produit dans le Midi.

Pierre Hélie semble avoir joui d’une certaine renommée jusqu’à la fin du xve siècle. N’ayant pas connu les faveurs de l’impression, il disparaît ensuite de la mémoire des juristes. Redécouvert par Louis Chabrand puis Henri Gilles, il apparaît aujourd’hui comme une figure majeure du studium juridique de Toulouse de la fin du Moyen Âge. Son enseignement est le reflet d’une réflexion intellectuelle toulousaine qui connaît autour de 1350 un rayonnement sans précédent, et qui ne fait que décliner à partir de la seconde moitié du xive siècle. à ce titre, il paraît primordial d’étudier plus en avant l’activité de l’université de Toulouse à cette époque, alors que les recherches se sont jusqu’ici davantage concentrées sur les années 1280-1320, suite à l’édition pionnière des Responsa doctorum Tholosanorum dirigée par Eduard Maurits Meijers. En ce qui concerne l’histoire de l’emphytéose proprement dite, le traité de Pierre Hélie s’inscrit dans la lignée d’une réflexion doctrinale déjà riche au milieu du xive siècle, aussi bien chez les civilistes que les canonistes. Redécouverte au xiie siècle après sept siècles d’abandon, l’emphytéose permet aux romanistes de réfléchir sur les questions touchant aux transferts de fonds ruraux en faisant abstraction du concept de propriété, confondu dès le ve siècle avec la possession. Dans cette histoire doctrinale, le traité de Pierre Hélie est remarquable par plusieurs aspects. Il s’attache par exemple à comparer de manière systématique le fief et l’emphytéose, en consacrant dans son traité un appendice à ce qu’il nomme le « contrat vassalique ». Si son opuscule n’est pas le premier texte contenant une réflexion sur le bail emphytéotique à circuler de manière autonome, c’est-à-dire en dehors d’une lectura, il s’agit en revanche du plus ancien composé par un juriste français à être qualifié par la tradition de « traité ».


Sources

On a consulté, essentiellement à l’aide de reproductions, pratiquement tous les manuscrits contenant au moins un texte attribué à Pierre Hélie dans les catalogues. Ces recherches ont révélé une production intellectuelle qui surprend par son abondance, au regard de la notoriété relativement faible de Pierre Hélie parmi les historiens du droit contemporains. Trente manuscrits ont été recensés contenant une ou plusieurs œuvres (le terme comprend ici les gloses) dont on peut attribuer la paternité à Pierre Hélie. Ces témoins sont conservés dans treize villes différentes, réparties dans cinq pays. Les manuscrits dans lesquels on peut lire le Tractatus de jure emphiteotico sont les suivants : Grottaferrata, Abbazia Greca, Z. Gamma. I (f. 131-141v) ; Paris, BNF, lat. 4442 (f. 223-231v) ; Paris, BNF, lat. 4499 (f. 143-160v) ; Paris, BNF, lat. 4591 (f. 76-83v) ; Salamanque, bibliothèque universitaire, 2550 ; Turin, Bibliothèque nationale, 0949 G. I. 13 (f. 83-89v) ; Urgell, bibliothèque capitulaire, lat. 2075. Un manuscrit ne présente que l’appendice consacré au « contrat vassalique », sans le traité sur l’emphytéose qui le précède dans tous les autres témoins : il s’agit de Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, lat. 2642 (f. 483-483v). Enfin, dans Urgell, bibliothèque capitulaire, lat. 2098 (f. 9v-10) ne figurent que les titres des questions contenues dans le Tractatus de jure emphiteotico.


Première partie
Contexte historique : l’enseignement du droit à Toulouse au xive siècle


Chapitre premier
L’université de Toulouse au xive siècle

La quasi-absence de données factuelles sur la vie ou la carrière de Pierre Hélie obligent à rappeler le contexte universitaire général dans lequel il a exercé. On peut ainsi émettre quelques hypothèses sur son activité. L’analyse de son œuvre vient dans un deuxième temps corroborer une partie de ces pistes de travail. L’influence bolonaise, très forte à Toulouse en matière doctrinale, ne se retrouve pas d’un point de vue institutionnel, l’encadrement de la vie universitaire s’inspirant davantage du modèle parisien. L’enseignement juridique toulousain est quoi qu’il en soit très largement tourné vers la pratique. Les civilistes entrent d’ailleurs souvent au service des pouvoirs locaux, et n’abandonnent que tardivement leur activité de conseil, qui se révèle de loin la plus lucrative. Pierre Hélie a ainsi rédigé avec Dominique Beluga une consultation pour les représentants du pouvoir municipal d’Albi dans un conflit qui les oppose à leur évêque. L’édition qu’en a réalisée Henri Gilles constitue, en dehors du traité sur l’emphytéose, le seul texte de Pierre Hélie publié à ce jour.

Chapitre II
L’enseignement du droit à l’époque de Pierre Hélie

Les méthodes d’enseignement toulousaines ne diffèrent guère de ce qu’on trouve à la même époque dans les autres facultés de droit. Les autorités sont puisées dans une large mesure parmi les Méridionaux et les Bolonais, les juristes parisiens et orléanais étant au contraire réduits à la portion congrue. Ces constats déjà formulés par plusieurs historiens se vérifient à la lecture du traité sur l’emphytéose.


Deuxième partie
Un doctor tholosanus : Pierre Hélie


Chapitre premier
Éléments biographiques

Les preuves de la notoriété de Pierre Hélie dans les décennies qui suivent sa mort ne manquent pas : il est cité au xve siècle, parfois à plusieurs reprises, par Pierre Gibert, Gilles Bellemère, Bertrand Chabrol, Raymond de Sabanac, Gui Pape, et encore, quoique de manière plus sporadique, par étienne Bertrand et Nicolas Bohier. La bibliothèque de l’archevêque de Tarragone Antoine Augustin, au xvie siècle, abrite quatre manuscrits contenant des œuvres de Pierre Hélie. Pour autant, on dispose de peu d’informations sur sa vie, et il n’est pas toujours aisé de déterminer quelle a été la carrière de celui qui est presque toujours désigné comme « legum doctor tholosanus » dans les protocoles finaux des manuscrits.

à la lecture des catalogues, on prendra garde à ne pas confondre le juriste du xive siècle avec le grammairien du xiie siècle du même nom. L’auteur du traité sur l’emphytéose est très probablement à l’origine de la consultation en faveur de la ville d’Albi datée de 1346, ainsi que de la répétition sur la loi Hoc edicto (D. 4, 3, 1, 4.) datée de la même année. C’est sans doute le même Pierre Hélie qui, comme l’a montré Henri Gilles, apparaît dans deux actes passés les 28 juin et 13 août 1346 et qui lui donnent le titre de juge des causes d’appel de l’archevêque de Narbonne. Il faut en revanche le distinguer du chanoine de Lodève qu’on trouve dans la correspondance de Jean XXII car ce dernier meurt en 1331. La question de savoir si le Pierre Hélie licencié à Montpellier en 1341-1342, repéré par André Gouron, est le futur doctor tholosanus, est en revanche plus délicate. Les recherches menées par Henri Gilles nous incitent à distinguer les deux hommes. La production intellectuelle du Montpelliérain aurait alors été très faible, ou rapidement attribuée au Toulousain sous la plume des copistes. Si on retient cette dernière hypothèse, on ne dispose que d’une unique date, celle de 1346, ce qui empêche de situer Pierre Hélie avec précision dans le xive siècle. Il est cependant certain qu’il a exercé après les années 1320-1330, et avant les années 1370-1380.

L’ensemble de la production de Pierre Hélie, telle qu’elle nous apparaît aujourd’hui, témoigne d’un intérêt marqué pour les questions liées au droit des biens et à la juridiction, comme c’est le cas pour la plupart des feudistes. Ses œuvres ne laissent planer aucun doute sur sa qualité de civiliste, et il est peu probable qu’il ait été doctor in utroque jure. Ses textes sont écrits dans un latin assez classique qui n’adopte ni les régionalismes, ni le ton polémique qu’on trouve chez certains de ses contemporains.

Chapitre II
Tableau des œuvres

Le texte qui dispose de la tradition manuscrite la plus importante, après le traité sur l’emphytéose, est celui consacré aux juridictions (De mero et mixto imperio). En plus de la consultation déjà mentionnée, on trouve aussi des répétitions au Digeste, au Code et aux Institutes, des questions disputées, ainsi que des gloses. Son traité sur le droit des captifs (De guerra anglicorum et francorum) mériterait probablement d’être édité, tout comme la question sur la vocation à l’héritage de la fille dotée. La paternité de la répétition sur le paragraphe Lex itaque (Nov. 7, pr., 1), qui se penche aussi largement sur l’emphytéose, mais en la comparant à d’autres contrats agraires, s’avère plus complexe à déterminer : cette répétition est attribuée à Pierre Hélie dans un témoin (Paris, BNF, lat. 4514, f. 37-44), à Olivarius de Sarceto dans un autre (Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, lat. 2642). L’attribution à Pierre Hélie du traité sur la torture qui figure dans un manuscrit conservé à Lyon (Bibl. mun., 0396, f. 72v-81v) est en revanche erronée.

Presque tous les manuscrits recensés semblent avoir été produits au xve siècle dans le sud de la France. Le plus grand nombre d’entre eux sont aujourd’hui mentionnés dans le récent catalogue des manuscrits juridiques de la bibliothèque capitulaire d’Urgell. Cela est sans doute lié aux déplacements importants d’étudiants catalans à la fin du Moyen Âge, mais il faut aussi y voir le résultat de la qualité de ce catalogue. Il serait surprenant qu’un effort de catalogage des manuscrits juridiques, porté avec un degré de précision aussi important dans d’autres bibliothèques, ne permette pas de mettre au jour d’autres textes signés du docteur toulousain.

On a réalisé des notices de tous les manuscrits contenant des œuvres de Pierre Hélie, essentiellement à l’aide de catalogues et d’articles. Dans le cadre de notre édition, on n’a consulté physiquement que les manuscrits du traité sur l’emphytéose conservés à la Bibliothèque nationale de France. Seul le manuscrit Z. Gamma. I de Grottaferrata fait exception, parce qu’il a été choisi comme manuscrit de base pour l’édition.


Troisième partie
Édition critique du Tractatus de jure emphiteotico


Chapitre premier
Collation des manuscrits

La tradition manuscrite présente un état du texte très hétérogène. Si tous les manuscrits s’accordent sur le genre (un traité) et l’auteur (Pierre Hélie), ils diffèrent assez largement quant à son contenu. Le plan de l’ouvrage est toutefois, dans ses grandes lignes, commun à toute la tradition, et se présente de la manière suivante : 1. un court exposé de la matière qu’est l’emphytéose, divisé en vingt-quatre paragraphes ; 2. une série de questions qui constituent l’essentiel, d’un point de vue quantitatif, du traité ; 3. un exposé d’une page ou un peu plus sur le contrat vassalique.

Si l’ensemble de la tradition manuscrite qualifie le texte de Pierre Hélie de « tractatus », il s’agissait initialement d’une répétition. Celle-ci portait sur le principal titre consacré à l’emphytéose dans le Corpus juris, à savoir De jure emphiteotico (C. 4, 66). Le préambule comportant l’exposé de la loi et de l’ordo legendi a été supprimé de manière très précoce par la tradition manuscrite, peut-être afin d’en atténuer le caractère universitaire et d’accroître ainsi sa maniabilité pour les praticiens. Dans un deuxième temps, des questions ont été ajoutées au fil des copies, probablement à l’aide de recueils qui circulent alors dans les facultés juridiques. Le rôle joué par Pierre Hélie dans ces transformations successives, qui touchent autant à la forme qu’au fond du texte, est difficile à établir, mais il ne peut être exclu. Par conséquent, il n’a paru pertinent de chercher à restituer un état « original » du texte, fruit de la pensée d’un « auteur » unique : le mode de constitution (cours oral, reportatio, amendements par le professeur, parfois à plusieurs années d’intervalle, transmission au bedeau) et de tradition (copies, ajouts, réutilisations dans des cours et dans des recueils) de ces textes invitent bien davantage le chercheur à prendre en considération les états successifs du texte dans son édition. On parvient de cette manière à proposer au lecteur un texte qui témoigne de la richesse de la réflexion juridique au moment même de la tradition, et on évite l’écueil de présenter comme unie une œuvre qui n’est jamais « sacralisée » au Moyen âge, mais qui est au contraire considérée comme un outil au service de la pratique juridique.

Afin de déterminer les différentes familles de manuscrits, on a précédé l’analyse proprement dite des lieux variants d’un tableau des questions. Celui-ci permet de constater aisément quels passages sont présents dans quels témoins. Il met en évidence les éléments communs à l’ensemble de la tradition, en même temps que les écarts importants dans l’étendue du traité en fonction des témoins. Un travail similaire en ce qui concerne les citations de juristes médiévaux confirme les hypothèses élaborées. Il permet par ailleurs de constater l’importance des Toulousains et des Montpelliérains dans les sources juridiques employées, ce qui n’est guère surprenant pour des manuscrits confectionnés dans un milieu universitaire méridional. Arnald Escharbot (en activité en 1335) fait ainsi partie des quelques juristes présents dans tous les témoins. La collation permet de rapprocher les manuscrits conservés à Grottaferrata et Urgell, qui contiennent tous deux la version la plus courte du traité, présente sous une forme à peu près semblable dans tous les témoins. BNF lat. 4591 contient à peu près la même leçon que le manuscrit de Turin. Une troisième famille, contenue dans BNF lat. 4442 et 4499 propose elle aussi des questions différentes. Le manuscrit de Salamanque est quant à lui isolé dans la tradition, tant du point de vue de ses variantes que de celui des questions abordées.

Chapitre II
Le fief et l’emphytéose dans le Tractatus de jure emphiteotico de Pierre Hélie

Le terme de « fief » a fait l’objet de controverses assez vives parmi les historiens pour que son emploi soit préalablement justifié et explicité. Il soulève en effet des problèmes d’ordre historiographique, chronologique, géographique et heuristique. Dans la perspective de notre commentaire juridique du traité de Pierre Hélie, on considère essentiellement le fief sous l’aspect du morcellement du droit de propriété. Tout en se gardant de lui donner un autre sens que celui que lui prête la doctrine médiévale, on ne s’est pas interdit des ouvertures sur la pratique dans notre analyse. C’est de fait sans doute l’intérêt pour la pratique concrète du droit qui explique le succès du traité de Pierre Hélie dans le Midi. Il apparaît par bien des égards comme une tentative de définir le fief en le comparant à l’emphytéose – distinction délicate qui ne va pas de soi pour les juristes du xive siècle, pas plus que pour les historiens contemporains. Le terme « emphyteusim » s’impose progressivement dans les actes méridionaux à partir du xiie siècle, mais à des rythmes différents suivant les régions. Il ne semble pas que son utilisation dans les contrats ait transformé radicalement le contenu des baux fonciers. La question mériterait cependant des recherches plus approfondies, en s’appuyant sur les travaux déjà effectués par Maurice Berthe. Quoi qu’il en soit, les troubles que connaît le royaume à partir de la deuxième moitié du xive siècle provoquent une multiplication des contrats agraires, dans une situation de tension entre concédants, souvent à la recherche d’une main-d’œuvre qui se raréfie, et de preneurs appauvris par les destructions et les mauvaises récoltes.

Le commentaire du traité porte essentiellement sur les leçons du manuscrit de Grottaferrata, et donc sur les questions contenues dans tous les manuscrits. Afin de replacer les opinions de Pierre Hélie dans une généalogie doctrinale, on s’est largement appuyé, en ce qui concerne l’emphytéose chez les glossateurs, sur l’étude que Frank Theisen lui a consacrée. Pour les commentateurs, on s’est aidé des réflexions de Robert Feenstra, ainsi que des éditions humanistes.

De manière générale, les différences entre contrat vassalique et contrat emphytéotique sont chez Pierre Hélie assez nuancées. On associe parfois au contrat vassalique un lien de nature personnelle dont serait dénué le bail emphytéotique, davantage fondé sur un lien de nature réelle. Si Pierre Hélie ignore ces catégories, dont on peut pourtant trouver les prémices chez certains de ces contemporains, il n’en demeure pas moins qu’en refusant à l’emphytéote le droit de déguerpir, il semble l’astreindre à une obligation réelle à laquelle le vassal, qui peut se défaire à tout moment de son fief, échappe. Mais la distinction demeure subtile, le servitium dû par le vassal pouvant consister en une redevance, tandis que l’emphytéote, de son côté, doit la fidelitas à son dominus,comme le vassal la doit à son seigneur. L’opposition entre un fief aux enjeux « politiques » et une emphytéose fondatrice d’un rapport de nature principalement économique est aussi à nuancer : Pierre Hélie considère la redevance due par l’emphytéose comme un paiement dont la valeur est avant tout recognitive. Il reconnaît certes au fief un caractère aristocratique qu’il ne mentionne pas pour l’emphytéose, mais il le fait de manière assez allusive. Pour le juriste toulousain, les divergences entre les deux contrats se situent donc moins dans leur nature que dans les clauses qui doivent les accompagner. Celles-ci concernent notamment les conditions d’aliénation du bien. à cet égard, l’emphytéote est placé par Pierre Hélie dans une position plus enviable que le vassal, qui dispose de moins de libertés quant à la gestion du bien concédé. De son côté, l’emphytéote est en revanche astreint, dans le Tractatus de jure emphiteotico, à des obligations plus contraignantes que le vassal pour se maintenir en possession.

Pierre Hélie accorde le domaine utile au preneur et le domaine direct au bailleur, mais n’utilise pas la notion de quasi-domaine, pourtant employée par nombre de ses contemporains et de ses prédécesseurs. Il ne s’embarrasse pas davantage de la distinction entre jus in re et jus ad rem opérée par les glossateurs, bien qu’elle sous-tende une partie de sa démonstration. Chez lui, le dominium est utilisé pour désigner l’exercice concret d’un certain nombre de droits, réunis respectivement dans la directe et l’utile. Il ne s’ensuit pas pour autant que le domaine apparaisse dans le Tractatus comme une chose incorporelleà proprement parler. En effet, Pierre Hélie affirme le caractère essentiellement relatif du domaine en montrant que dans le cas d’une sous-concession en emphytéose, le premier emphytéote ne cède pas son domaine utile, puisque s’il est seigneur utile vis-à-vis de son concédant, il est seigneur direct vis-à-vis de son propre preneur. Cette idée, vouée à une postérité importante, est déjà exprimée avant 1340 par Jean Faure dans son commentaire sur les Institutes, mais il est remarquable qu’elle apparaisse également de manière aussi précoce chez Pierre Hélie. Dès lors que le bien n’est plus « propre » ou « étranger », mais partagé, la notion de domaine peut être considérée avec pragmatisme. C’est cet esprit pratique du maître toulousain qui a probablement séduit ses auditeurs et les acteurs de la tradition du texte.

Le traité de Pierre Hélie est peut-être le plus ancien texte consacré à l’emphytéose – après le recueil de questions attribué à Martinus de Fano –, à avoir circulé sous la forme d’un traitement isolé et systématique du sujet. Son texte propose une synthèse, parfois originale, de la doctrine qui l’a précédé, mais restreinte à quelques éléments essentiels. Il présente des similitudes indubitables avec le recueil de Martinus, ainsi qu’avec le titre « De emphyteusi » du Speculum de Guillaume Durand. Certains passages, contenus dans une partie ou la totalité des témoins, ont même été copiés d’après ces deux auteurs, sans qu’ils soient cités. Le Tractatus de jure emphiteotico fait cependant preuve d’une originalité incontestable. Son plan (titres sur la nature du contrat, questions, appendice sur le fief), aussi bien que certaines opinions défendues, témoignent de recherches véritablement nouvelles. Il est difficile de mesurer leur impact sur la doctrine postérieure, quoiqu’il soit à peu près assuré que Pierre Hélie ait influencé Gui Pape.

Il est souvent admis que l’emphytéose au xive siècle, tant dans la doctrine que dans les actes de la pratique, confère au preneur un droit patrimonial sur le bien qui vide la directe de sa substance. La lecture du Tractatus de Pierre Hélie vient à l’encontre de cette hypothèse. Le partage du domaine n’y engendre pas un effacement de la figure du seigneur direct. Au contraire, bien que l’essentiel des avantages économiques attachés au bien repose entre les mains de l’emphytéote, le texte s’attache à énumérer les droits du bailleur en exposant tous les cas de commise et de perception de droits de mutation. Le refus de réduire le dominium directum à un rôle symbolique s’explique peut-être par l’attachement de l’auteur à des solutions pratiques qui laissent au final peu de place à l’abstraction. C’est là que se trouve l’idée principale du Tractatus de jure emphiteotico et c’est elle qui lui a assuré un relatif succès au xve siècle.

Chapitre III
Méthodes d’édition

Afin de rendre compte de manière claire des états successifs du texte, tout en permettant au lecteur d’en reprendre la généalogie, on a opté pour une édition « optimiste » à partir d’un manuscrit de base contenant la version la plus courte du traité. Le choix s’est porté sur le manuscrit conservé à Grottaferrata car, contrairement à celui d’Urgell, il contient peu d’erreurs. Autour de ce texte de référence, on a ajouté dans un corps de texte inférieur toutes les questions contenues dans une partie seulement de la tradition. Les paragraphes ainsi insérés sont précédés d’une mention indiquant les manuscrits qui les contiennent. Il faut bien entendu être conscient qu’un tel travail n’a été rendu possible qu’en raison de la taille réduite du texte initial.

Toutes les variantes syntaxiques et sémantiques sont mentionnées. En revanche, peu de variantes graphiques ont été relevées, afin de ne pas alourdir outre mesure l’apparat. Presque toutes les allégations juridiques – on en dénombre plus de 1200 – ont été identifiées avec succès. On a pris le parti de n’intégrer dans l’édition que les gloses qu’au moins un témoin transmet dans le corps du texte. On a adopté la même démarche en ce qui concerne les corrections marginales dans la mesure où elles étaient de la même main que le corps du texte. Toutes les autres gloses ont été éditées en annexe.

Chapitre IV
Édition critique

L’édition du Tractatus de jure empiteotico est séparée en paragraphes dotés d’un nombre ou d’une lettre permettant des renvois efficaces entre le texte et son commentaire. L’apparat des variantes et l’identification des allégations juridiques forment deux étages de notes infra-paginales distincts. Cette présentation claire a été rendue possible grâce à l’utilisation du logiciel Latex.


Annexes

Édition des gloses (les gloses sont classées par manuscrit ; elles sont précédées de la mention du paragraphe et, le cas échéant, du ou des termes auxquels elles se rapportent). — Répartition des allégations juridiques (deux tableaux successifs indiquent la répartition des allégations juridiques en fonction des trois parties du traité et des différents livres du Corpus juris).