« »
École des chartes » thèses » 2013

La « Réformation des Halles »

Un lotissement royal à Paris (1543-1572)


Introduction

Par l’édit de Sainte-Menehould du 20 septembre 1543, François Ier inaugure la Réformation des Halles en décidant le lotissement et l’aliénation des terrains vagues situés à Paris dans le domaine royal, à l’emplacement d’hôtels royaux délabrés ainsi que des Halles. Celles-ci, délaissées depuis la seconde moitié du xive siècle, n’ont en effet pas pu être redynamisées par des précédentes tentatives de réformation et se sont dégradées. La charge de la reconstruction est alors transférée aux preneurs des places aliénées selon un projet d’ensemble incluant des destructions, le percement de rues et la définition d’un style architectural pour les nouvelles maisons et échoppes. L’espace concerné est celui délimité par la rue de la Tonnellerie à l’ouest, la rue Saint-Honoré au sud, les rues de la Lingerie, du Marché aux Poirées et de la Fromagerie à l’est. Le projet est poursuivi par Henri II, François II et Charles IX jusqu’en 1572.


Sources

Les principales sources exploitées pour reconstituer le projet des souverains et l’organisation du lotissement sont les minutes des contrats d’adjudication des parcelles, conservées au Minutier central des Archives nationales (étude XX). Leur étude a été complétée essentiellement par des dépouillements au Minutier central, ainsi que dans la sous-série Z1J des Archives nationales, qui contient des minutes de procès-verbaux des Greffiers des Bâtiments permettant d’appréhender l’apparence du quartier dans la première moitié du xviie siècle. Enfin, pour réaliser une édition des nombreuses lettres patentes promulguées sur la Réformation des Halles, des archives ont été consultées dans diverses séries des Archives nationales et à la Bibliothèque nationale de France.


Partie liminaire
Présentation des sources


Sont ici décrits les deux principaux corpus utilisés : la présentation des contrats d’adjudication est l’occasion de décrire la procédure des aliénations et d’expliciter l’exploitation des informations qui y sont contenues ; celle des divers témoins des lettres patentes prépare l’interprétation qui en sera faite et l’édition proposée en annexe.


Première partie
Une interprétation du projet royal


Chapitre premier
Les motivations des souverains

Présentation des objectifs affichés dans les lettres patentes. — Plusieurs objectifs se combinent à travers la Réformation pour les souverains successifs, évoqués ou visibles selon des hiérarchies variables selon les lettres patentes : la « décoration » de la capitale, l’enrichissement de la monarchie, et, dans un second temps, le développement du marché, la gestion de la croissance démographique parisienne et l’affirmation de l’autorité monarchique.

La stratégie argumentative : étude du texte des lettres patentes. — Pour justifier les aliénations face au Parlement et à la Chambre des Comptes de Paris, la monarchie doit les légitimer en insistant dans ses lettres patentes sur l’utilité de cette démarche pour le domaine royal et sur la notion de bien public.

Mise en perspective et critique historique. — Les différents arguments exprimés par les souverains sont ici explicités en lien avec le contexte historique, notamment pour éclairer la dualité entre la volonté d’embellir Paris et le besoin d’argent pour la guerre.

Chapitre II
La procédure déterminée par la monarchie et sa mise en application

Plusieurs choix ont été effectués par la monarchie, caractéristiques de la Réformation des Halles par comparaison à d’autres vagues d’aliénations.

Quel type d’aliénation ? — François Ier et ses successeurs ont choisi de recourir à des « ventes et baux à cens et rente », ce qui permet de percevoir des sommes d’argent non négligeables en sort principal au moment de la vente et des revenus seigneuriaux périodiques liés à la propriété éminente des terrains. De plus, les aliénations se font sans faculté de réméré, ce qui est peu ordinaire dans un contexte où sont plutôt privilégiés les engagements du domaine : cette décision est un argument qui contribue à renforcer l’importance de l’enjeu urbanistique de l’opération, alors que l’historiographie insiste le plus souvent davantage sur l’aspect financier, l’embellissement des Halles et de Paris n’étant considéré que comme un prétexte. Enfin, les souverains ont choisi de rénover le quartier des Halles en confiant la responsabilité des édifications aux acquéreurs des parcelles (et non de construire avant de vendre ou de recourir à de grands personnages qui créeraient le lotissement) tout en imposant des servitudes de construction, à travers des « portraits » remis aux acheteurs, ce qui représente un bon compromis pour satisfaire à la fois les objectifs financiers et les objectifs urbanistiques.

Le choix des commissaires et de leurs missions. — Pour mettre en œuvre la Réformation des Halles sont nommés des commissaires, magistrats expérimentés et impliqués dans la vie politique parisienne. Leurs prérogatives sont importantes afin de pouvoir réussir l’opération après les échecs du xve siècle, et sont même progressivement étendues au domaine judiciaire, ce qui est à l’origine d’un conflit avec le Parlement de Paris, résolu sous Charles IX par un recul de la monarchie.

Les procédures de rachat et revente. — L’enjeu urbanistique est certes essentiel, mais la monarchie a aussi profité de l’opération pour s’enrichir, grâce à la procédure de rachat : l’expropriation est ainsi utilisée de façon nécessaire par exemple pour le percement de rues, mais aussi de façon moins légitime. C’est le cas en particulier de la rue de la Fromagerie, intégrée à la zone concernée par la Réformation bien que déjà bâtie, et dont les maisons sont rachetées autoritairement pour être immédiatement revendues, à un prix plus élevé.

Tous ces choix reflètent la dualité des préoccupations de la monarchie : l’accroissement des revenus domaniaux et des revenus immédiats du Trésor, mais aussi la réhabilitation rapide du quartier.

Chapitre III
Un projet urbanistique et architectural

Les servitudes de construction imposées aux acquéreurs dans leurs contrats d’adjudication traduisent l’existence d’un réel projet urbanistique et architectural, qui s’inspire des règles d’urbanisme de la Renaissance et du début du classicisme, ainsi que de modèles parfois déjà anciens, et notamment celui du pont Notre-Dame. L’enjeu est la création d’alignements rectilignes composés d’une succession de maisons ou échoppes identiques. Ces maisons doivent généralement comporter trois étages, posséder des arcades de pierre au rez-de-chaussée et des étages en pans de bois (parfois avec des éléments de briqueterie en référence aux maisons du pont Notre-Dame), mais il semble que certaines soient pensées entièrement en pans de bois ; lorsque des précisions sont données, la couverture doit être faite d’ardoise. La monarchie souhaite donc des constructions de qualité bien que simples. L’ornementation des façades apparaît sobre, à l’exception de saillies autorisées sur les maisons de la rue de la Lingerie du côté du cimetière des Saints-Innocents. Les particuliers ont aussi la charge de participer à l’embellissement des bâtiments des halles, en faisant bâtir notamment les arcades et les portes d’entrée, monumentales : doivent être édifiés des portails à bossage rustique surmontés de pavillons couverts d’ardoise, qui semblent être pensés identiques pour l’ensemble du quartier.


Deuxième partie
La Réformation des Halles « sur le terrain »


Chapitre premier
Des places inégalement attractives

Analyse du parcellaire. — Les Halles, avec leurs deux bâtiments de Philipe Auguste parallèles à la rue Saint-Honoré et au côté sud de la Halle au Blé, sont propices à un parcellaire orthogonal régulier, recherché lors de la définition des places. Les parcelles quadrangulaires prédominent ainsi, souvent simples, mais aussi parfois plus complexes (parcelles en hache ou en drapeau, parcelles avec saillie reposant sur arcades à l’intérieur d’une halle et donc surfaces différentes au rez-de-chaussée et aux étages). Toutefois, certaines contraintes topographiques inévitables dans un lotissement qui n’est pas créé ex nihilo sont la raison de l’existence de parcelles irrégulières. Les places sont de dimensions variables, mais dans l’ensemble le parcellaire est resserré. Il est aussi relativement régulier, ce qui est la priorité dans un lotissement du xvie siècle. Enfin, les Halles suscitent une diversité remarquable pour ce qui concerne les connexions des places aliénées avec l’espace public (cours sans ouvertures, parcelles avec une façade, parcelles d’angle avec deux voire trois façades sur rue, parcelles avec saillie sur une halle).

Diversité de la valeur marchande des places. — En conséquence de cette diversité, les prix d’adjudication lors des ventes aux enchères sont extrêmement contrastés, allant de 27 livres tournois à près de 5 000 livres (la moyenne étant située autour de 700 livres). Ils sont fonction de divers critères qui se combinent : la localisation (les places des rues « fortes », principaux axes de passage, sont bien plus chères, avec des variations micro-géographiques), la superficie, le nombre et l’étendue des connexions avec l’espace public. L’étude des enchères montre d’une part que ce sont les parcelles les plus valorisées qui ont suscité le plus de convoitise, alors que les parcelles les moins avantageuses et aussi les moins chères ont suscité assez peu d’enthousiasme, et d’autre part que ce sont les parcelles les mieux situées qui ont fait l’objet du plus de surenchères.

Chapitre II
Les acquéreurs et leurs stratégies

Présentation des acheteurs. — Les acquéreurs des places des Halles sont quasi-exclusivement des marchands, parfois très aisés mais le plus souvent des marchands moyens ; il apparaît que la corporation des fripiers est particulièrement représentée, et que, globalement, les métiers de l’habillement, de la parure et du textile dominent. Ces marchands se portent acquéreurs pour investir dans la pierre – investissement privilégié par rapport au crédit –, le plus souvent dans le but de pratiquer la location, source de revenus importants. Certains d’entre eux poursuivent une implantation aux Halles déjà entamée avant la Réformation, et parfois contrecarrée par celle-ci dans le cadre des rachats.

Stratégies d’achat lors des ventes aux enchères. — Les parcelles, outre leur valeur objective liée à leur morphologie ou leur situation, ont une valeur subjective pour les acquéreurs qui poursuivent des stratégies sociales, personnelles (compléter une parcelle possédée, s’implanter près d’un membre de la famille, créer de vastes surfaces commerciales…), voire spéculatives pour un cas connu.

L’appropriation du projet royal par les acheteurs : études de cas. — Ces acquéreurs s’approprient le projet conçu autoritairement par la monarchie pour mieux répondre à leur projet : certains s’associent pour pouvoir modifier des dispositions initiales ou pour présenter des requêtes aux commissaires afin d’obtenir des adaptations, comme des exhaussements ou des permissions d’édifier une saillie sur la rue. Il semble que dans l’ensemble la monarchie se soit révélée plutôt conciliante, afin de rendre les parcelles attractives et de garantir le succès de la Réformation, après les échecs du siècle précédent, tout en ne transigeant pas sur l’unité architecturale de l’ensemble.


Troisième partie
Les transformations du quartier


Chapitre premier
L’action des acquéreurs, construction et circulation des parcelles

L’état des constructions. — Une partie des constructions semble avoir été relativement rapide (dès les années 1560, le quartier est déjà bien rebâti), sous l’action tant de la monarchie qui commande quelques travaux que des acquéreurs désireux de rentabiliser au plus vite leur achat. Dans ces cas-là, la propriété paraît être stable dans le temps : les nouveaux propriétaires n’ont pas investi pour spéculer sur l’immobilier mais pour conserver les maisons construites, et bien souvent en tirer des revenus par la location.

Circulation rapide des parcelles. — Toutefois, certains acheteurs se trouvent confrontés à des difficultés temporaires ou durables après l’acquisition de leurs parcelles et ne peuvent assumer la charge de leur édification. Ils sont alors contraints d’emprunter, mais aussi parfois de renoncer à leur bien, par la vente ou le bail à rente, ce qui entraîne une rapide circulation de certaines parcelles et des retards de construction qui s’enchaînent. Les commissaires, face à cette multiplication des responsables, ne parviennent donc pas à contraindre les propriétaires de faire construire, même s’ils peuvent agir en imposant l’édification ou la vente.

Chapitre II
L’apparence du nouveau quartier

Les sources. — Pour appréhender les transformations architecturales du quartier, plusieurs sources ponctuelles peuvent être exploitées : les procès-verbaux des greffiers des Bâtiments en premier lieu, mais aussi parfois des devis et marchés de construction, des inventaires après décès, ainsi que des plans (plans anciens de Paris, Terrier du roi, atlas Vasserot). Celles-ci sont cependant très fragmentaires, et ce chapitre se veut uniquement une étape dans la reconstitution de l’apparence des Halles à la suite de la Réformation, dans l’attente de longs dépouillements complémentaires.

Essai de restitution de l’apparence des rues du quartier des Halles après la Réformation. — à partir d’éléments divers, des hypothèses sont proposées pour reconstituer l’aspect des rues de la Lingerie, des Jeux de Paume, de la Chaussetterie et de la Friperie, et des Toilières. Plusieurs problématiques sont envisagées : la question du parcellaire et de la structure des façades sur rue, celle du respect des servitudes imposées par la monarchie, et enfin celle de l’organisation interne des constructions en lien avec les usages auxquels les destinent les acquéreurs des parcelles. Une certaine uniformité des constructions semble avoir existé, en particulier dans la rue de la Lingerie, mais l’on constate que le projet royal a été adapté par les acquéreurs des parcelles, qui ont visiblement cherché à diminuer les coûts de construction et à multiplier les travées des maisons pour créer des logements indépendants et rentabiliser la location.

Chapitre III
Quelle valeur attribuer à la Réformation des Halles ?

Des contemporains aux historiens, quel regard sur le nouveau quartier des Halles ? — La Réformation des Halles n’occupe dans l’historiographie aucune place dans l’histoire de l’urbanisme d’État, que l’on fait généralement débuter avec les grands projets d’Henri IV. Même les contemporains et visiteurs qui ont parcouru Paris jusqu’à la Révolution, à l’exception de Gilles Corrozet, accordent peu d’intérêt aux transformations des Halles, et considèrent même parfois le quartier comme un lieu à éviter : ils sont ainsi influencés par la sociologie du quartier et la forte représentation des fripiers, qui occultent l’intérêt architectural des lieux ; en matière de rue marchande, c’est toujours le pont Notre-Dame qui demeure la référence absolue. S’il est indéniable que les Halles n’ont pas la même beauté que le pont Notre-Dame ou les places royales d’Henri IV, il semble que la Réformation puisse malgré tout être réhabilitée comme un véritable projet urbanistique qui s’inscrit dans l’histoire de l’urbanisme parisien.

Quelle évolution de la valeur du quartier ? — Les constructions des années 1560 et 1570 ont sans doute souffert de la crise économique et des guerres de Religion. De plus, les maisons et les halles se sont rapidement dégradées, comme en témoignent les procès-verbaux des greffiers des Bâtiments, ce qui a pu contribuer à l’indifférence des contemporains. Malgré cela, les maisons ont toujours de la valeur dans la première moitié du xviie siècle. Mais cette valorisation du quartier est due bien plus à sa position centrale et à sa redynamisation qu’à une réussite architecturale.

Le non-respect des contraintes imposées par la Réformation sur le long terme. — L’harmonie architecturale qui a pu exister dans les premières années de la Réformation a rapidement disparu. Le parcellaire s’est tout d’abord divisé, ce qui était favorisé par l’organisation de nombreuses maisons en plusieurs logis indépendants. Surtout, les maisons ont connu des exhaussements anarchiques, occasions de supprimer un certain nombre de pignons sur rue. Cela a contribué à obscurcir le quartier et à donner une impression d’encombrement, et posait particulièrement problème pour l’éclairage de certaines halles comme la Halle aux Draps, dont les fenêtres sont bouchées par de hautes maisons qui remplacent les échoppes basses. Toutefois, si ces transformations marquent l’échec partiel de la Réformation des Halles comme projet urbanistique, elles traduisent aussi le dynamisme du quartier, et donc un succès, quelque peu paradoxal, car ce n’était pas le premier objectif de François Ier.


Conclusion

Il semble donc que la Réformation des Halles ait été motivée certes par des questions financières, mais aussi par de réelles questions urbanistiques, ce que minimisait l’historiographie ; la monarchie a d’ailleurs eu des préoccupations architecturales, politiques voire même sociologiques pour mener à bien l’embellissement du quartier. Les modalités de cette transformation ont été définies fermement par les souverains et se sont imposées aux acquéreurs, afin de créer un quartier conforme aux principes d’urbanisme de la Renaissance et du début du classicisme. Toutefois, face à une imparfaite adéquation entre les désirs de la monarchie et les intérêts des marchands, des adaptations ont été consenties, afin de permettre l’aboutissement de la Réformation. La vente des parcelles, bien que contrastée, paraît avoir été relativement rapide, surtout auprès de moyens et quelques gros marchands du textile et de la parure, en particulier des fripiers. La Réformation a effectivement été mise en œuvre : de vieux bâtiments et des fractions du gros mur d’enceinte ont été détruits, des rues droites et parallèles ont été percées, les maisons, échoppes et éléments des halles ont été édifiés par les acheteurs. Dès l’origine, quelques entorses ont été faites au « portrait » conçu par la monarchie, mais des alignements harmonieux voire parfois réellement uniformes ont été créés. Malgré cela, la Réformation des Halles n’a guère été reconnue tant par l’historiographie que par les contemporains, en raison de son imperfection mais aussi de la nouvelle sociologie des lieux. Elle a de plus été très éphémère, la césure des guerres de Religion favorisant les initiatives individuelles sans contrôle de la monarchie : l’ordonnance initiale disparaît assez rapidement sous l’effet de l’action anarchique des propriétaires, qui divisent le parcellaire et surtout exhaussent les constructions afin de rentabiliser l’occupation de l’espace, rendant ainsi aux Halles leur aspect sombre et étriqué. Mais ce relatif échec de l’ambition urbanistique de la monarchie est aussi la conséquence d’un succès de la Réformation, qui a rendu au quartier son dynamisme et son attractivité.


Annexes

Édition de vingt-quatre lettres patentes concernant la Réformation des Halles et les aliénations lancées par l’édit de Sainte-Menehould. — Édition d’un contrat d’adjudication. — Relevés de Gabriel Davioud. — Les Halles à travers les plans anciens de Paris.