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École des chartes » thèses » 2014

La mémoire du prince

La Chronique anonyme d'Alençon

Édition et commentaire


Introduction

La Chronique anonyme d'Alençon relate l'histoire de la maison d'Alençon depuis saint Louis jusqu'à la mort de Louis XI. Une place particulière est dévolue au duc Jean II, personnage au destin hors norme. En effet, il combattit durant la guerre de Cent Ans auprès de Charles VII et de Jeanne d'Arc, qui le surnomma le « beau duc ». Mais après avoir été un artisan de la reconquête du royaume de France sur les Anglais, il bascula dans leur camp adverse à la fin des années 1440. Arrêté, il fut condamné pour crime de lèse-majesté en 1456 lors du célèbre lit de justice de Vendôme.

Il existe une autre chronique consacrée à la maison d'Alençon, la Chronique de Perceval de Cagny, écrite vers 1436, qui débute elle aussi avec le règne de saint Louis mais s'achève avant la trahison de Jean II d'Alençon. Elle a été éditée en 1902 par Henri de Moranvillé. La Chronique anonyme d’Alençon, quoiqu’abondamment exploitée, n’a en revanche pas fait l’objet d’une véritable étude, à l’exception d’un mémoire dactylographié soutenu en 1980 à l'université Paris X et jamais publié.

L'étude de cette chronique mène à la croisée de plusieurs champs historiographiques en plein renouvellement. Elle se situe dans la lignée des travaux consacrés à l'apanage d'Alençon, qui se sont multipliés dans la dernière décennie, dont la thèse d’école d’Isabelle Chave sur les châteaux de l’apanage et celle de François Bouviers des Noës sur le procès de René d’Alençon, fils de Jean II. La chronique est également à mettre en relation avec les réflexions menées autour des grands procès, en particulier les procédures durant le règne de Louis XI.

Les origines du texte sont méconnues. La thèse a pour objectif d'ouvrir des pistes quant à l'identité de l'auteur, celle des personnes à qui la chronique était destinée, et les circonstances dans lesquelles elle a été rédigée ; puis de proposer une édition rénovée.


Sources

Sept manuscrits sont connus à ce jour. Il s'agit uniquement de copies, l'original semble avoir disparu. Quatre contiennent l'intégralité de la Chronique anonyme d'Alençon : Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 5942, fr. 5790, fr. 19866 et fr. 4794. Trois sont des copies partielles : Paris, BNF, Duchesne 48, Alençon, bibliothèque municipale, ms. 563 ; Alençon, archives départementales de l'Orne, 31J 311.

Pour le commentaire, diverses sources documentaires ont été utilisées, en particulier le très riche fonds Odolant-Desnos des archives départementales de l'Orne et l'inventaire des titres de la maison d'Alençon (BNF, fr. 18944).

Plusieurs pièces relatives au premier procès de Jean II d'Alençon ont également été consultées, dont la déposition des témoins (BNF, fr. 18441) et les recueils de procédures (BNF, fr. 18439, BNF, fr. 5738, etc.).


Première partie
Genèse de la Chronique d'Alençon


Chapitre premier
De la fidélité à la rébellion : les Alençon et le roi, xive-xve siècles

Les membres de la famille d'Alençon étaient princes du sang et pairs du royaume. Ils étaient également princes apanagés d'un territoire composite, formé essentiellement du comté d'Alençon et du comté du Perche, et de terres éparpillées entre la Bretagne, l’Anjou et le Maine. Malgré des titres éminents, les comtes puis ducs d'Alençon n'avaient qu'une autonomie limitée sur leur territoire, qui n'a jamais eu l'envergure d'une principauté.

En tant que descendants de saint Louis et de la branche cadette des Valois, les comtes d'Alençon étaient alliés à la maison royale à la fois par le sang et par le service. Cette alliance est restée solide tout au long du xive siècle et l'érection du comté en duché pairie en 1414 symbolise son renouvellement.

La famille d'Alençon a cependant beaucoup perdu au service du roi. Plusieurs membres sont tombés sur le champ de bataille et à partir de 1417 le domaine est occupé par les Anglais. En 1424, le duc Jean II est fait prisonnier à Verneuil et doit s'endetter pour payer sa rançon. Il s'engage néanmoins aux côtés du dauphin à sa libération, toujours dans l'espoir de reconquérir ses terres et d'obtenir une récompense à la hauteur de ses sacrifices. Mais les relations avec Charles VII se tendent progressivement, au point qu'en 1440 Jean II est l'un des instigateurs de la Praguerie. La rébellion est un échec pour le duc. Il se tourne alors vers le roi d'Angleterre. La trahison est découverte, il est arrêté et condamné pour crime de lèse-majesté en 1458, sentence commuée immédiatement en prison à vie. Libéré par Louis XI à son avènement, Jean II participe malgré tout à la ligue du Bien public, tandis que son fils René, comte du Perche, demeure fidèle au roi. Après la paix d'Ancenis (1469), Jean II est de nouveau arrêté et condamné pour haute trahison en 1473. Il meurt en prison en 1476. Les relations entre Louis XI et René d'Alençon, plutôt amicales du vivant de Jean II, ne tardent pas à se dégrader après la mort de ce dernier. En 1481, René d'Alençon est arrêté et fait l'objet d'une procédure qui s'éternise jusqu'à 1483, date de la mort de Louis XI. Sa liberté lui est rendue par Charles VIII, et quoiqu'il soit un allié du duc d'Orléans, René d'Alençon s'éloigne assez vite des princes révoltés et ne participe pas à la Guerre Folle.

Chapitre II
Enjeux : outil de réhabilitation et miroir du prince

À la fin du xve siècle, le crédit de la maison d'Alençon est épuisé. On pourrait dès lors penser que la Chronique a été écrite en réaction à cette situation de ruine. Cependant, l'étude matérielle et textuelle permet d'estimer la date de rédaction entre 1505 et 1525, probablement aux alentours des années 1510, soit plus de trente ans après les faits relatés.

Que la Chronique anonyme d'Alençon soit une œuvre de réhabilitation est néanmoins indéniable. Ainsi, le chroniqueur, même s'il ne nie jamais la véracité de la trahison, tente de disculper le plus possible Jean II d'Alençon en chargeant ses serviteurs et le roi. Louis XI en particulier est attaqué et accusé d'être un tyran. La Chronique est donc à la fois un plaidoyer en faveur de la maison d'Alençon et un manifeste politique dénonçant les pratiques des rois Valois.

Vers la fin des années 1480, la maison d'Alençon a commencé à se redresser sur le plan matériel et symbolique, et l'on peut considérer cette restauration comme achevée en 1505-1510. En effet, à partir de 1498, Louis d'Orléans, allié des Alençon, devient roi, et en 1509, Charles IV d'Alençon épouse Marguerite d'Angoulême, sœur de François d'Angoulême, qui n'est autre que l'héritier présomptif de la couronne depuis 1505.

Louis XII et François Ier ont contribué au redressement de la famille d'Alençon, en soutenant Marguerite de Lorraine, veuve de René d'Alençon depuis 1488, ainsi que leur fils Charles IV. Ils ont notamment arbitré à de nombreuses reprises en faveur des Alençon lorsque ceux-ci étaient engagés dans des cas litigieux. En outre, après son mariage avec Marguerite d'Angoulême, François Ier a couvert son beau-frère de faveurs.

Par ailleurs Louis XII comme François Ier ont pris les distances avec le modèle de gouvernement prôné par Louis XI. Louis XII a même contribué à développer la légende noire de son prédécesseur. Dans une certaine mesure la Chronique d'Alençon se fait l'écho de cette rupture idéologique.

Si la Chronique d'Alençon cherche bien à défendre l'honneur de la maison, ce n'est donc pas contre les rois de France de l’époque, plutôt bienveillants à son égard. L'étude du procès soutenu par Marguerite de Lorraine devant la Chambre des comptes entre 1492 et 1498 montre que les attaques venaient en réalité du monde des cours parisiennes. Leur hostilité s'était cristallisée autour de la mémoire du procès de Jean II d'Alençon et de sa condamnation. Au nom de l'arrêt de confiscation prononcé en 1458, le Parlement ne cessa de réclamer le retour de l'apanage à la couronne. Le décès de René d'Alençon en 1488 puis de Charles IV en 1525 étaient autant d'occasions de revendiquer cette réunion. Mais Charles VIII, Louis XII et François Ier ont toujours refusé d'accéder à de telles demandes, préférant confirmer leurs possessions aux Alençon. Dès lors, on comprend que la défense de l'honneur de Jean II recouvrait aussi un enjeu matériel.

La Chronique d'Alençon se présente également comme un Livre de sagesse, très certainement destiné à une dame. Au début du xvie siècle, trois femmes sont de possibles dédicataires : Marguerite de Lorraine, sa fille Françoise d'Alençon, ou sa belle-fille Marguerite de Lorraine. Le texte semble faire l'éloge de Marguerite de Lorraine, mais le genre du miroir s'adresse plutôt à une jeune femme ; il pourrait donc avoir été écrit à l'intention de Marguerite d'Angoulême. Les deux duchesses partageaient une culture et des sensibilités religieuses communes. Cependant, aucun lien direct ne peut être établi entre les deux femmes et la chronique, et rien ne permet donc d'affirmer que le texte est une commande.

Chapitre III
L'historien au travail

Ce chapitre est un examen critique de la structure du texte et de ses sources, dans l'espoir de dégager un « profil » d'historien.

La Chronique d'Alençon est dotée d'une structure narrative complexe, oscillant entre la chronique familiale, universelle et locale. Jusqu'à la partie consacrée à Jean II, le texte est presque entièrement le fruit d'une compilation. Il prend par la suite de l'ampleur et insère documents authentiques, réécritures et inventions.

Malgré les problèmes posés par l'intertextualité, la plupart des sources textuelles ont pu être identifiées, qu'elles soient narratives – Mer des hystoires, Grandes chroniques – ou documentaires – titres de la maison d'Alençon, Livre de Marie d'Espagne. Les informations ont été rassemblées dans un tableau analytique. La partie originale de la chronique, c’est-à-dire le récit couvrant les années 1470-1476, reprend soit une tradition orale, soit une tradition écrite antérieure insérée lors de la rédaction de la chronique vers 1505-1520.

D'après les indices livrés par la critique textuelle et historique, l'auteur est un membre de l'élite urbaine d'Alençon, ayant probablement fréquenté l'université et étudié le droit. Les erreurs relevées dans le texte et l'absence de traces de commande amènent toutefois à penser que le chroniqueur n'était pas un familier des ducs d'Alençon. En revanche il aurait exercé un office lui permettant d'accéder à des documents relatifs à la maison. Il pourrait s'agir d'un officier de la judicature, théorie qui concorde avec la tradition manuscrite. En effet, le seing manuel se trouvant au bas du ms. 5942 est celui d'une famille de l'élite urbaine d'Alençon dont les membres ont servi dans l'administration des ducs et des duchesses.


Deuxième partie
Édition critique


L'édition de la Chronique Anonyme d'Alençon est basée sur le ms. fr. 5942 de la Bibliothèque nationale de France. Trois autres manuscrits, les mss. fr. 5790, fr. 19866 et fr. 4794 de la Bibliothèque nationale servent de témoins utiles.

Chapitre premier
La tradition manuscrite

Notices des manuscrits. — Les sept manuscrits sont décrits : Paris, BNF, fr. 5942, fr. 5790, fr. 19866 et fr. 4794 ; Paris, BNF, Duchesne 48, Alençon, BM, ms. 563 ; Alençon, AD, 31J 311.

Collation. — Comparaison des variantes et stemma.

Diffusion des manuscrits. — L'histoire des collections révèle que les plus anciens manuscrits (le fr. 5738 et le fr. 5942) ont respectivement appartenu à la bibliothèque de Thou et de Mazarin. Ils ont ensuite été mis en rapport avec les recueils judiciaires et ont été exploités par les historiographes du roi ou de la région d'Alençon. Les manuscrits ont circulé et ont été copiés tout au long du xvie siècle au sein d'un réseau de lettrés liés à la bibliothèque royale et au milieu de la robe alençonnaise et parisienne. Paradoxalement, les copies les plus anciennes proviennent de Paris et n'ont été reprises qu'au cours des xviie et xviiie siècles à Alençon.

Chapitre II
Principes d'édition

Choix du manuscrit de base.

Système graphique et transcription.

Mise en page.

Apparat critique. — Le choix a été fait d'un apparat négatif et sélectif.

Chapitre III
Édition


Conclusion

La tradition de la Chronique anonyme d'Alençon est étroitement liée au milieu de la robe parisienne. Le texte a fait l'objet depuis sa création de plusieurs interprétations, mais il demeure essentiellement une tentative pour réhabiliter une famille qui portait encore, trente ans après les faits, la macule de la trahison commise par son ancêtre.


Annexes

Analyse de la chronique. — Cartes et arbres généalogiques. — Photographies des manuscrits. — Répertoires.