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École des chartes » thèses » 2014

Les relations diplomatiques entre la France et la Savoie (1559-1580)

Affermissement de la puissance savoyarde dans le jeu politique européen de la seconde moitié du xvie siècle


Introduction

Aborder la diplomatie de la seconde moitié du xvie siècle à partir de l’exemple de la Savoie entraîne hors des sentiers battus de l’historiographie, laquelle se concentre davantage sur les grandes puissances ou les rapports de force entre protestants et catholiques. Cette place légèrement en retrait de l’histoire de la Savoie semble d’autant plus étrange que la situation géopolitique de cet État le place au cœur des enjeux politiques de l’époque. Sis entre les Alpes et la plaine du Piémont, le duché de Savoie fait figure de carrefour européen et se trouve doté de nombreux voisins avec lesquels il convient de composer : la France, les cantons suisses ou encore l’Espagne, qui règne sur le duché de Milan. Les limites géographiques s’accompagnent de repères militaires et d’aires confessionnelles distinctes qui sont autant de démarcations pour définir les États savoyards ainsi que leurs relations avec les pays frontaliers. Ce décor met en place les grands axes d’étude dans le cadre des relations franco-savoyardes. Outre le voisinage, les deux pays sont liés par des relations familiales entretenues, que ce soit entre les familles régnantes ou entre les nobles ayant des intérêts dans les deux États.

La période envisagée s’étend de 1559 à 1580 : elle débute au lendemain du traité du Cateau-Cambrésis après la restitution par la France des États ducaux à Emmanuel-Philibert, et s’achève à la mort du duc de Savoie, le 30 août 1580. Ce choix se justifie par l’intérêt majeur qu’ont alors les deux puissances à reconstruire leur diplomatie. La France est fragilisée durant toute cette période en raison des troubles civils causés par les différends entre les partis protestant et catholique. Cette situation ne peut qu’influencer les relations entre le royaume et le duché. Par ailleurs, il convient de souligner une année particulièrement importante dans les relations franco-savoyardes : 1574, marquée par la mort de la duchesse Marguerite de France, par les dernières restitutions françaises en faveur de la Savoie, ainsi que par l’avènement d’un nouveau roi de France, Henri III. Ces événements bouleversent l’équilibre établi et infléchissent les relations entre les deux pays.

Il s’agit d’une part d’étudier comment s’est élaborée la diplomatie du duc de Savoie suite à la restitution de ses États, et d’autre part, de considérer comment les rapports entre les deux puissances ont évolué en vingt ans. L’influence française demeurera-t-elle suffisamment présente auprès d’Emmanuel-Philibert pour s’assurer un allié durable ? À première vue, les rapports engagés semblent inégaux, en faveur de l’ascendance française sur le duc de Savoie. Le duc de Savoie, qui vient de recouvrer ses États, est tenu naturellement de maintenir une certaine relation avec son ancien occupant, la France. Mais la construction étatique voulue par Emmanuel-Philibert s’établit parallèlement à sa diplomatie renouvelée et rapidement influente auprès des diverses puissances européennes. La monarchie française, plus anciennement implantée et en apparence plus imposante sur la scène européenne, se doit de répondre à l’affermissement de la puissance savoyarde, soit pour s’y opposer, soit pour en tirer profit. C’est cette confrontation et son évolution qui sont illustrées à travers les grands thèmes des échanges entre les deux pays.

Il est indispensable de revenir dans un premier temps sur les négociations territoriales entre les deux pays voisins. La restitution des États conduit à aborder les nombreux enjeux et intérêts de la région, en observant les rapports de force à même de survenir entre anciens et nouveaux occupants, que ce soit au moment de restituer des terres ou dans la cohabitation frontalière au quotidien, liée aux enjeux commerciaux et militaires. L’absence d’un système permanent de représentation mutuelle dans chaque pays incite à chercher d’autres figures qui jouent le rôle d’intermédiaires entre les cours de France et de Savoie. Si certaines personnalités – Marguerite de France, duchesse de Savoie, ou le duc de Nemours – apparaissent naturellement, il convient d’accorder une place non négligeable aux nombreuses familles nobiliaires qui poursuivent des intérêts dans les deux pays. La question de leur influence, qu’elle soit en faveur ou contre la bonne entente officielle franco-savoyarde, se pose d’autant plus qu’à cette époque les liens de parenté priment encore parfois sur les alliances politiques. La religion apparaît également comme une composante nouvelle et primordiale dans les rapports entre pays voisins, qu’il importe de prendre en compte pour respecter la spécificité de l’époque, marquée par les tensions entre catholiques et protestants. En effet, pour lutter contre les dissidents en cette période troublée, l’alliance diplomatique passe avant tout par le soutien militaire. Ce contexte religieux incite également à étudier la diplomatie franco-savoyarde dans un terrain confessionnel élargi, afin de voir comment s’y reflète l’évolution de leurs relations, présentée auparavant dans un champ bilatéral. Les cantons suisses, partagés entre catholicisme et protestantisme, et plus précisément Genève, ville frontalière aux nombreux enjeux, offrent un cadre privilégié à cette démarche.

À travers l’exemple franco-savoyard, est ainsi mise en lumière la diplomatie du xvie siècle. Dans le cas de la France et de la Savoie, où la frontière entre le privé et le public est imprécise, les relations s’établissent à tous les niveaux et dans tous les domaines : la diplomatie prend alors de multiples visages.


Sources

Dans l’étude des relations diplomatiques entre la France et la Savoie, hormis les traités et autres textes officiels qui se trouvent répartis entre les Archives de l’État de Turin, les Archives nationales et les archives du ministère des Affaires étrangères – « Correspondance politique » et « Mémoires et documents » pour la France, Genève, la Sardaigne et la Suisse –, la correspondance constitue la source principale de recherche. Cela s’explique par le fait que, au-delà des négociations autour des territoires, thème traditionnel de la diplomatie, les deux puissances ont échangé par voie épistolaire au sujet de nombreuses affaires, réglées par l’intermédiaire des émissaires, voire par les princes eux-mêmes en de multiples occasions. Les Archives de l’État de Turin conservent la correspondance entre le duc de Savoie et ses agents, ainsi que celle entretenue par le duc avec les membres de la famille royale. En France, la correspondance est disséminée dans le Fonds français et les Nouvelles acquisitions françaises de la Bibliothèque nationale de France, d’où ont été tirées de nombreuses éditions utiles à cette étude – en premier lieu celle de la correspondance de Catherine de Médicis par de La Ferrière et Baguenault de Puchesse, et celle de Pierre Champion pour les lettres d’Henri III.

Les fonds des archives départementales de Savoie constituent un apport fructueux quant aux archives judiciaires, fiscales et économiques – notamment sur certaines questions commerciales – rattachées au Sénat de Savoie. Ces dernières ont permis d’éclairer des affaires plus locales mettant en cause les deux pays. Ce travail prend enfin en considération le regard étranger porté sur les relations diplomatiques entre la France et la Savoie à travers les dépêches des agents de certaines puissances italiennes en France.


Première partie
L’enjeu frontalier et territorial dans les relations diplomatiques entre la France et la Savoie


Chapitre premier
Des prétentions successorales prises dans le jeu européen du milieu du xvie siècle

Avant d’examiner comment se dessine le nouveau terrain géopolitique du traité de paix, il semble intéressant de s’attarder sur l’origine des prétentions que la France nourrit vis-à-vis de certains territoires possédés par le duc de Savoie. Les revendications françaises concernent essentiellement trois domaines : la Provence et Nice, le Piémont, et les terres situées dans la partie septentrionale des États ducaux suite à des successions et des héritages. Elles relèvent des prétentions du roi de France à l’héritage de la famille d’Anjou à partir de Louis XI, renforcées par les différentes alliances entre la France et la Savoie – en particulier l’héritage de Louise de Savoie, mère de François Ier. Ces mésententes ne facilitent guère la restitution des États décidée par le traité du Cateau-Cambrésis, le 3 avril 1559 ; ce d’autant plus que bon nombre d’officiers français entendent voir respecter les droits prétendus par leur maître. Il est en outre prévu que la France conserve certaines places en Piémont, en attendant que les différends territoriaux soient réglés entre les deux puissances. L’implication étrangère dans les relations franco-savoyardes apparaît dès le début, quand se manifeste le souci de l’Espagne de renforcer sa position dans la région aux dépens de la monarchie française.

Chapitre II
Les restitutions sous le règne d’Emmanuel-Philibert

La tenue d’une conférence pour régler les différends des successions est primordiale pour le duc de Savoie, qui entend récupérer les places tenues par la France dans ses États et ainsi bâtir son projet de duché homogène placé sous sa seule autorité. La conférence de Lyon (1er novembre 1561 – 30 janvier 1562) se révèle un échec retentissant. Les envoyés, obsédés par le respect d’une procédure équitable pour les deux parties, discutent plus longtemps des formes que des titres en concurrence. Du reste, ils parviennent difficilement à prouver les droits du roi de France ou du duc de Savoie, tant leur présentation reste de l’ordre de la rhétorique médiévale sans prendre en compte les enjeux modernes. C’est en réalité le contexte européen qui par la suite conduit les princes à s’entendre entre eux relativement à des restitutions ou des échanges, en écartant toute comparaison des droits. En 1562, la France entre dans les conflits de religion et sollicite l’aide du duc de Savoie, qui saisit alors l’opportunité pour reprendre les discussions concernant les places tenues par la France. Cette dernière consent alors à échanger Turin, Villeneuve d’Ast, Chivas et Chieri contre Savillan et La Pérouse, et garde Pignerol. C’est en 1574, lors du voyage en Italie d’Henri III, nouveau roi de France, qu’est décidée la restitution des trois places, permettant ainsi au duc de Savoie de parfaire son projet territorial. Ces différents actes, souhaités par les souverains, sont mis en œuvre par les agents des deux pays afin d’en régler les modalités et d’organiser le retrait des garnisons françaises. Cela conduit à étudier le monde des négociateurs, composé d’agents ducaux présents en permanence à la cour de France et de figures plus hétéroclites servant le roi – entre autres ceux qui, employés en Piémont, s’opposent maintes fois aux restitutions, au nom de la grandeur de la France, confondant leur propre honneur et celui de leur maître, arguant de l’importance stratégique des États de Savoie, seuil de l’Italie.

Chapitre III
Les États de la Maison de Savoie : une aire stratégique primordiale

Carrefour européen compris entre la France, plusieurs principautés italiennes, les cantons suisses et des possessions espagnoles, les États ducaux réunissent de nombreux enjeux géopolitiques qu’il importe de prendre en compte dans le cadre des relations franco-savoyardes. Ils sont avant tout un lieu de passage, non seulement pour les troupes rejoignant la France ou les Pays-Bas espagnols, mais également pour les marchands et les prédicateurs de la foi réformée. La monarchie y conserve longtemps une administration locale grâce aux places fortes non restituées, influençant ainsi la politique intérieure d’Emmanuel-Philibert. Cette situation donne l’occasion de revenir sur la notion de « frontière » à l’époque moderne. Déterminer les limites entre les deux autorités concernées se révèle un sujet de débat fréquent : non seulement lorsque les agents sont tenus de dessiner les contours entre les deux États au lendemain de traités, mais aussi au quotidien et à un niveau plus local, relativement aux mésententes entre communautés ou concernant la propriété d’un cours d’eau. Pour l’une et l’autre puissance, la question frontalière est primordiale, non seulement d’un point de vue géographique mais également juridique et économique, dans la perspective de la construction d’un espace homogène et stable. Il s’agit pour la France d’assurer les concessions obtenues et de conserver son influence – notamment grâce au marquisat de Saluces –, tandis que le duc de Savoie s’efforce d’affirmer une autorité unique sur l’ensemble du territoire, gagnant peu à peu du terrain sur les droits français. Après les restitutions de 1574, la France ne garde que le marquisat de Saluces, dans le sud-est du Piémont ; ce territoire enclavé, lieu commercial accueillant de nombreux réformés, n’est pas sans générer des tensions diplomatiques : à la fin du règne d’Emmanuel-Philibert, il est l’objet des convoitises du duc de Savoie et de l’Espagne, qui saisissent l’opportunité du mécontentement du gouverneur de Carmagnole, le maréchal de Bellegarde, pour tenter de prendre à leur compte le marquisat.


Deuxième partie
La place dominante de la famille et du réseau nobiliaire dans les relations franco-savoyardes


Chapitre liminaire
Les échanges diplomatiques entre princes français et savoyards

Il est avant tout question de décrire le cadre général des relations diplomatiques entre la France et la Savoie du point de vue des princes, et de présenter les moyens dont ils disposent pour entretenir des rapports diplomatiques. Les échanges s’établissent par des rencontres directes – au nombre de trois entre le roi de France et le duc de Savoie entre 1560 et 1580 – ou indirectes, lors de cérémonies auxquelles prennent part les représentants des princes. Toutefois, c’est avant tout la correspondance qui joue un rôle majeur : à travers elle se dessinent les grandes affaires qui ont occupé la France et la Savoie sur le plan diplomatique, et ceux qui l’écrivent sont les principaux acteurs de ces relations. La France et la Savoie ont beaucoup insisté sur le lien familial qui les unit : il représente un gage de stabilité et la garantie d’une plus grande fidélité que celle promise par une simple amitié parfois versatile. Il convient d’étudier la gestuelle ainsi que les expressions employées lors des rencontres ou des échanges à distance pour appréhender les rapports officiels et officieux que les grands entretiennent. Entretenir des relations régulières avec ses voisins est primordial pour s’assurer de leur bonne foi et rappeler à leur souvenir les liens d’alliance qu’ils ont contractés dans le passé. Ces échanges princiers représentent un aspect incontestable de la diplomatie du xvie siècle, qui se vérifie dans les relations franco-savoyardes.

Chapitre premier
Marguerite de France, duchesse de Savoie

Marguerite de France est née le 5 juin 1523. Elle est la fille de François Ier et épouse le duc Emmanuel-Philibert dans le cadre du traité du Cateau-Cambrésis en 1559. Femme cultivée, douée d’un esprit politique, elle est sollicitée tant par la monarchie que par son mari pour défendre leurs intérêts respectifs. La France, et avant tout Catherine de Médicis qui éprouve pour Marguerite une profonde affection, voit en elle un atout pour conserver une large influence en Italie : il est du devoir de la princesse de tenir informée la monarchie de la politique ducale. Marguerite de France, tout en restant fidèle à sa patrie d’origine, n’en est pas moins dévouée à son mari : elle participe à sa manière à la politique intérieure des États, étant parfois désignée lieutenante générale en l’absence du duc, et sait en de nombreuses occasions avantager les affaires savoyardes, lors des discussions au sujet de la restitution des places françaises du Piémont par exemple. Elle joue donc un rôle important d’intermédiaire dans les relations diplomatiques entre les deux pays. Elle a également à cœur de prôner la tolérance religieuse, n’hésitant pas à s’entremettre plusieurs fois pour le bien des réformés. Mère attentive, elle élève presque seule son fils unique Charles-Emmanuel en qui, à la mort de la duchesse en 1574, la France fonde tous ses espoirs pour qu’il devienne le nouvel avocat des intérêts français à la cour de Turin. Il ne répond que partiellement à ce rôle attribué : il ne peut contrebalancer l’influence espagnole auprès du duc de Savoie, qui est pourtant soucieux d’équilibrer les partis afin de ne pas provoquer un conflit préjudiciable à ses États.

Chapitre II
Jacques de Nemours, duc de Genevois

Jacques de Nemours (1531-1599) est de ceux qui, de par ses possessions territoriales – principalement le comté puis duché de Genevois et le duché de Nemours –, de par sa famille, ses alliances et ses réseaux politiques, ont des intérêts tant en France qu’en Savoie. Il est avant tout un homme d’armes au service de la France, mais sa position d’héritier potentiel des États de Savoie – il est le cousin d’Emmanuel-Philibert – l’inclut de façon particulière dans les relations diplomatiques entre les deux pays. Confortant sa position à la cour en s’insérant dans le réseau des Guise – tout d’abord au niveau politique puis au niveau familial en se mariant à Anne d’Este, la veuve de François de Guise –, il est un appui pour le duc de Savoie et un bon intermédiaire dans certaines affaires, jouant souvent le rôle d’informateur avec son épouse. Il est du reste très engagé dans la sphère politique française, sachant se rendre indispensable. Ce prestige propre, gagné hors de la dynastie de Savoie, et son caractère orgueilleux le conduisent parfois à affirmer son indépendance face à son cousin, qui voit alors en lui un obstacle plus qu’un soutien dans sa stratégie à l’égard de la France et de l’Europe.

Chapitre III
Le rôle des nobles dans les relations franco-savoyardes

Du fait de l’occupation par la France des États ducaux, de nombreuses familles savoyardes ont décidé de servir le roi en Savoie ou en France, par les armes et le service domestique. Emmanuel-Philibert entend contrôler cette noblesse sur laquelle il a retrouvé pleine autorité, et s’en servir pour affirmer son influence en Europe, particulièrement en France, grâce aux nombreux réseaux entre les familles. Les souverains s’entretiennent maintes fois au sujet de nobles des deux pays pour des affaires judiciaires ou territoriales, le plus souvent liées à des successions. Il peut s’agir d’une simple demande de faveur pour un parti, ou d’une implication plus concrète des souverains qui s’immiscent dans une affaire privée jusqu’à en décider le dénouement. Le plus souvent, cela concerne des familles vassales du duc de Savoie par leur naissance et leurs terres, mais suffisamment ancrées en France par des mariages, par quelques biens fonciers et surtout par le service du roi, ce qui justifie aux yeux de ce dernier son intervention. L’une des familles impliquées dans ces échanges est celle de La Chambre-Seyssel en lien avec ses branches cadettes des barons d’Aix et de Ruffey. Les questions de succession font souvent l’objet d’un conflit au sujet de terres : dans les quelques cas étudiés, une dimension politique s’ajoute souvent aux intérêts familiaux, puisque le duc de Savoie y voit l’opportunité de convenir d’arrangements territoriaux et d’accroître son autorité en limitant les risques d’ingérence française. Cette stratégie s’observe lors des règlements de la famille de Tende ou lors de l’affaire Jacqueline de Montbel, épouse de Gaspard de Coligny, qui subit la répression ducale pour ne s’être pas soumise à son autorité.

Une autre dimension de l’implication de la noblesse dans les affaires diplomatiques réside dans la présence constante de nobles acquis à la cause de la Savoie à la cour de France. Par l’intermédiaire des branches cadettes d’une part, telles les familles de Montmorency, de Tende – Emmanuel-Philibert s’appuyant beaucoup sur le réseau familial –, d’autre part par un réseau souterrain d’informateurs gagnés à la cause savoyarde, le duc de Savoie parvient à s’implanter dans le paysage politique français et dispose de nombreux soutiens pour ses actions diplomatiques auprès de la monarchie. Cependant, à la cour de France, on craint aussi une trop grande influence du duc de Savoie ; un parti anti-savoyard se crée dès lors pour en éloigner le roi Henri III dans les années 1570. Ainsi, les nobles sont à la fois sujets de discussions diplomatiques et acteurs propres des relations entre les deux puissances.


Troisième partie
Des relations diplomatiques à l’épreuve des conflits confessionnels


Chapitre premier
La nécessaire union des puissances catholiques

À partir de 1562, la monarchie doit faire face presque sans répit aux guerres civiles, déclenchées par les différends entre catholiques et protestants. Grâce à ses importants moyens militaires et économiques, le duc de Savoie ne cesse de proposer son aide au souverain en difficulté : envois de troupes, emprunts d’artillerie, garanties sur des emprunts financiers. Le soutien à la France sert d’ailleurs sa politique intérieure : alors qu’il s’efforce d’endiguer dans ses États la diffusion de la Réforme – associée à des poches de résistance vaudoise depuis longtemps implantées en Piémont –, sa participation aux conflits dans les régions limitrophes françaises (Lyonnais, Provence, Dauphiné) contribue à faire obstacle à toute propagation dans ses terres. Emmanuel-Philibert perçoit un autre avantage à proposer ses services et ses moyens financiers à la couronne de France : cela lui permet d’affirmer et sa puissance et sa légitimité à compter parmi les grandes puissances européennes. Néanmoins, les promesses d’aide ne se concrétisent pas toujours : l’échec vient tantôt de la France, rétive à dépendre du duc de Savoie de façon trop explicite, tantôt de ce dernier en raison de ses relations ambiguës avec les adversaires de la monarchie. Il entretient en effet des liens avec ceux-ci, sans que le roi de France ne soit entièrement assuré que ce soit à son avantage. La politique confessionnelle catholique échoue ainsi en partie, en raison des intérêts particuliers des uns et des autres.

Chapitre II
Un champ de tension de plus en plus important : les cantons suisses

L’enjeu que représentent les cantons suisses offre une perspective privilégiée pour mettre en lumière l’évolution des relations diplomatiques entre la France et la Savoie. Le roi et le duc doivent mener une politique complexe vis-à-vis de chaque canton, le roi de France pour obtenir emprunts financiers et levées de troupes, le duc de Savoie pour conclure des négociations territoriales et commerciales – il récupère ainsi une partie du Chablais et d’autres bailliages par le traité de Lausanne en 1564. Par ailleurs, le souci de satisfaire les cantons catholiques comme les cantons protestants, tous attentifs à la politique religieuse des pays voisins, offre maintes occasions de raviver les tensions. Les discussions concernent également la cité de Genève : revendiquée depuis longtemps comme possession ducale, motif de quelques projets d’entreprise militaire, elle est par ailleurs un lieu important de propagation du protestantisme qu’il convient de surveiller, voire d’affaiblir, au moyen de pressions d’ordre économique. Acquérir la confiance de la ville est d’autre part une façon de s’assurer un passage facilité vers les autres cantons. Si dans les années 1560, la France incline plutôt à favoriser les projets d’Emmanuel-Philibert, elle change de politique dans la décennie suivante : refusant de soutenir l’influence grandissante de la diplomatie savoyarde à ses dépens, elle conclut en 1579 le traité de Soleure, qui prévoit la protection de Genève par les cantons – et en cas d’attaque, par le royaume –, ce qui contrecarre les projets d’emprise du duc de Savoie sur la ville. Cette décision ne fait que confirmer l’évolution déjà pressentie dans d’autres domaines d’échanges diplomatiques entre la France et la Savoie, qui est celle d’une distanciation progressive entre les deux pays.


Conclusion

Les relations diplomatiques entre la France et la Savoie sont parfaitement représentatives des rapports entre les princes de la Renaissance. Les deux pays, unis par des liens familiaux, sont amenés à échanger sur de nombreux sujets, tels que la justice, le commerce, ou encore la religion à l’heure des guerres civiles en France. Ces discussions resserrent les liens ou, au contraire, provoquent des conflits d’intérêts. Emmanuel-Philibert souhaite en outre construire sa propre politique étrangère ; ses talents stratégiques pour y parvenir sont reconnus de tous, ne serait-ce que sa capacité à maintenir une position aussi neutre que possible face à la France et à l’Espagne. Malgré cette volonté d’indépendance, force est au duc de Savoie de constater que la France est omniprésente dans ses affaires : elle occupe des territoires au Piémont et est influente par l’intermédiaire de son épouse, de son cousin, ou par celui des familles nobles sises entre les deux pays. Les liens entre les princes et entre les grands nobles des deux contrées ont conduit les deux souverains à prendre en compte ces grandes figures dans l’élaboration de leur diplomatie, parfois volontairement, parfois contre leur gré. Demeurer dans le domaine des rapports bilatéraux ne permet pas de démontrer toute la richesse et la complexité de la diplomatie franco-savoyarde. Élargir le cadre des relations avec les cantons suisses permet d’illustrer avec justesse l’évolution des rapports qui, de familiaux, se transforment en des liens cordiaux d’alliance, évoluant progressivement vers une opposition à peine déguisée.


Annexes

Chronologie générale. — Chronologie de la conférence de Lyon (1er novembre 1561 — 30 janvier 1562). — Présentation des émissaires savoyards en France. — « Liste des noms de ceux qui luy [Montréal] sembleroit à propos pour succéder à l’ambassadeur ». — Index des noms de personnes et de lieux.