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École des chartes » thèses » 2014

Marguerite de Hongrie

Une princesse de son temps, entre Orient et Occident (v. 1176-ap. 1229)


Introduction

Écrire la biographie de Marguerite de Hongrie, c'est observer au fil des décennies la mobilité d'une princesse médiévale de haute naissance à travers l'espace géographique et les sociétés de son temps. Née vers 1176 dans un pays qui regardait à la fois vers l'Occident et l'Europe orientale, puis devenue impératrice à Byzance avant même l'âge de dix ans, Marguerite vécut tout comme les sujets de son époux le choc de la quatrième croisade détournée sur Constantinople, mais sut très vite se fondre, grâce à un astucieux remariage, dans l'élite occidentale catholique qui s'installa à partir de 1204 sur le trône impérial et se partagea les territoires de la Romanie. Tout en étant confrontée aux aléas d'une époque tourmentée où Latins et Byzantins sont amenés à cohabiter, parfois se mêlent et souvent s'affrontent, Marguerite de Hongrie, deux fois veuve, sut prendre son destin en main et défendre les intérêts de ses enfants, trouvant jusqu'au bout un moyen de faire face à l'adversité. Cette faculté d'adaptation – qui en fait une sorte d'amphibie sachant vivre aussi bien parmi les hellénophones orthodoxes qu'au milieu d'Occidentaux de rite romain – informe son identité et se retrouve aussi en certains de ses fils. Tout en étant un personnage emblématique de son temps, à l'exemple des Villehardouin qui régnèrent au xiiie siècle en Morée, Marguerite se distingue par la singularité de son destin.

Compte tenu de la rareté des sources permettant de reconstituer l'itinéraire de vie de cette princesse, le chercheur doit traquer la moindre information et étendre son regard sur le contexte de la Romanie au tournant des xiie et xiiie siècles, dans laquelle Marguerite a vécu, afin de comprendre ce dont elle a été le témoin et comment elle a pu réagir face aux événements. Aucun texte contemporain ne vient décrire sa personnalité, à l'exemple du portrait moral que l'historien Nicétas Chôniatès dresse de son premier époux. Pas le moindre sceau ne la représente. Celle qui fut impératrice n'a pas plus de visage que les premiers rois capétiens du xie siècle. Néanmoins, elle prend consistance au fil de la lecture de détails fournis par les chroniques et de lettres pontificales, qui esquissent les contours d'une femme dotée d'intelligence et de volonté, attentive aux droits de ses enfants, soucieuse du sort des orthodoxes et n'hésitant pas à tenir tête à la papauté.

Corollaire de ce manque de sources, peu nombreuses sont les études qui lui ont été consacrées. Seuls trois articles de quelques dizaines de pages et désormais vieillis ont en partie retracé le cours de son existence mouvementée. Les deux premiers sont l'œuvre de l'érudit Mór Wertner, qui, à la Belle Époque, publia l'un en allemand et l'autre en hongrois. Le troisième est dû au cardinal Aloysius Tăutu, qui reprit en 1956 en langue italienne les conclusions, parfois hasardeuses, auxquelles était parvenu son devancier. Si ces travaux ont ouvert la voie à la recherche, ils n'en restent pas moins trop brefs, n'opèrent guère de remise en contexte suffisante et ne sont pas exempts d'erreurs ou d'inexactitudes. Il convient de les développer, de les amender et de les compléter.


Sources

Du fait des déplacements de Marguerite à travers l'Europe orientale et centrale, de ses liens avec Byzance, la Hongrie, les Latins et Rome, mais aussi de la dispersion des témoignages occidentaux portant sur la quatrième croisade, la réalisation de sa biographie implique de manipuler une multitude de sources, diverses tant par leur forme que par la langue dans laquelle elles ont été écrites.

Ces sources sont dans leur grande majorité des textes narratifs des xiie-xvie siècles, aujourd’hui édités. Les documents diplomatiques tant latins que byzantins se rapportant à Marguerite et ses proches sont minoritaires dans la présente étude, car bien peu ont réchappé aux destructions liées à la chute de Thessalonique en 1224 aux mains du despote d'Épire, à la damnatio memoriae dont fut victime l'Empire latin après la reprise de Constantinople par Michel VIII Paléologue en 1261 et à la conquête de la capitale impériale par les Ottomans en 1453. Les quelques actes mentionnés ici sont issus d'institutions occidentales ou latines du Proche-Orient. La plupart ont fait l'objet d'une édition, quelques-uns sont cependant inédits. De rares inscriptions apportent, quant à elles, un éclairage sur la descendance de Marguerite.

Parmi les sources narratives, les chroniques, annales ou récits historiques ont la part belle, ainsi que les lettres, surtout celles des papes. Quelques compositions poétiques présentent aussi un intérêt certain. En raison de leurs provenances très diverses (Byzance, Italie, Allemagne, France, Terre sainte, etc.), ces textes sont pour certains écrits en grec ancien – langue noble des lettrés byzantins –, d'autres en grec vernaculaire. Beaucoup ont aussi été rédigés en latin, ainsi qu'en ancien français ou encore en italien ou en aragonais du Moyen Âge.

Pour ne citer que les sources les plus importantes, l'Histoire de Nicétas Chôniatès constitue la principale mine d'informations sur l'Empire byzantin de la seconde moitié du xiie siècle et des premières années du xiiiᵉ. Elle est utilement complétée par les récits de la conquête de Constantinople composés par Geoffroy de Villehardouin et Robert de Clari et par les Annales de Georges Acropolite. L'histoire d'Henri de Valenciennes fournit, elle, l'essentiel des informations conservées sur les destinées du royaume latin de Thessalonique dans les années 1208-1209. La correspondance du pape Innocent III et de son successeur Honorius III, adressée aux prélats et seigneurs latins de Grèce, est fondamentale pour combler le manque de chroniques portant sur les décennies 1210-1220 et suivre les mouvements de Marguerite, ainsi que les difficultés rencontrées par les Francs pour se maintenir sur le sol hellénique. De même, les lettres de Jean Apokaukos et les actes de Dèmètrios Chômatianos permettent de cerner la disparition progressive du royaume thessalonicien.


Chapitre liminaire
Les origines

Les liens de Marguerite de Hongrie avec Byzance ne sont pas le fruit d'un hasard. Son père comme sa mère furent d'une façon ou d'une autre eux-mêmes liés à l'Empire, et ce fut sous l'égide de Manuel Comnène qu'ils s'unirent en mariage.

Les tumultueux rapports de la Hongrie et de Byzance au xiie siècle et la carrière du prince Béla. — Les Hongrois, qui firent la conquête de la Pannonie au ixe siècle, furent très tôt en contact avec l'Empire byzantin. Celui-ci s'efforça de les convertir au christianisme et de les placer dans sa sphère d'influence, afin d'en tirer des alliés et des mercenaires. Même si sur le terrain religieux Rome parvint à attirer à elle la Hongrie, des contacts diplomatiques et culturels perdurèrent entre Constantinople et la dynastie des Árpáds tout au long des xie et xiie siècles. Le règne de Jean II Comnène et plus encore celui de son fils Manuel, né de son union avec une princesse hongroise, furent marqués par des conflits à répétition avec les Magyars et l'ingérence byzantine dans les querelles de succession au trône de saint Étienne. C'est donc dans ce contexte que le jeune Béla, père de Marguerite, servit de monnaie d'échange et fut mené à Byzance pour y recevoir une éducation princière en vue d'épouser la fille et unique héritière de l'empereur. Si la naissance d'un porphyrogénète, le futur Alexis II Comnène, priva définitivement Béla de la perspective d'accéder un jour à la dignité impériale, Manuel Comnène œuvra pour qu'il obtînt la couronne hongroise en 1172 et lui fit épouser un bon parti, en la personne d'Agnès de Châtillon, descendante des Normands de Sicile installés à Antioche.

Agnès de Châtillon : les visées de Byzance sur Antioche. — La mère de Marguerite de Hongrie, née du mariage de Constance, princesse d'Antioche, et de l'intrépide Français Renaud de Châtillon venu tenter sa chance au Levant, fut elle aussi un pion entre les mains de l'empereur Manuel. Byzance lorgnait sur la principauté de sa mère depuis sa création à la faveur de la première croisade, et depuis les années 1160 l'influence de Manuel y était à son comble – d'autant que celui-ci avait pris pour seconde épouse sa demi-sœur aînée, Marie. Il ne fut donc guère difficile pour lui de la faire venir à son tour à Constantinople.

L'installation en Hongrie et la naissance de Marguerite de Hongrie (1172-1180). — Ayant renoncé à faire de Béla son héritier, Manuel Comnène saisit en 1172 l'occasion que présentait le décès de son frère aîné Étienne III pour le placer sur le trône de ses pères. Avant de regagner son pays natal, Béla dut promettre de ne jamais rien tenter de contraire aux intérêts byzantins. Contrairement à ce qu'affirment les historiens byzantins, son installation en Hongrie ne se fit pas sans difficultés. Il finit cependant par s'imposer, et quelques années après naquit sa première fille, Marguerite, vers 1176. Un temps promise au margrave de Styrie, celle-ci épousa avant même d'avoir atteint ses dix ans l'empereur Isaac II l'Ange.


Première partie
Marguerite entre en scène


Chapitre premier
Fidélité de Béla à la cause byzantine ? (1180-1185)

La mort de Manuel Comnène en septembre 1180 ouvrit une période de grande instabilité politique à Byzance qui se concrétisa par le renversement de l'héritier légitime du défunt, le jeune Alexis II, cousin germain de Marguerite, par le redoutable Andronic Comnène. De son côté, Béla III profita de l'occasion qui se présentait pour récupérer des territoires que le vieil empereur avait annexés et, apparemment à la demande de sa veuve, il envahit l'Empire pour lutter contre l'ascension d'Andronic. Le renversement de ce dernier, du fait de l'invasion des Normands de Sicile, le mit face à Isaac II, porté au trône malgré lui, qui chercha aussitôt à conclure la paix avec lui.

Chapitre II
Le mariage de Marguerite avec Isaac II l'Ange (automne 1185-début 1186)

Un mariage de circonstance. — L'empereur Isaac étant veuf, la solution pour mettre un terme au conflit hungaro-byzantin était toute trouvée. Béla donnait la main de sa fille aînée, Marguerite, malgré son très jeune âge, et restituait sous forme de dot – en l'échange de la renonciation de Byzance à des régions méridionales de la Hongrie – les territoires qu'il avait occupés durant les années précédentes.

Le point de vue d'un contemporain. — Nicétas Chôniatès, alors secrétaire impérial, composa pour l'événement un discours épithalame ainsi qu'un poème célébrant le mariage d'Isaac II et de Marguerite de Hongrie, exaltant les époux et la paix retrouvée dans l'Empire. Ses vers permettent d'entrevoir une partie du cérémonial byzantin des noces impériales.

Un mariage lourd de conséquences : esquisse de datation des noces impériales. — Le financement des festivités de cette union matrimoniale, obtenu par un impôt extraordinaire, aurait été la cause du soulèvement des Vlaco-Bulgares, menés par les frères Pierre et Asên, dont l'agitation empoisonna l'ensemble du règne d'Isaac II. L'étude approfondie de la chronologie des faits permet de resserrer la datation du mariage de Marguerite de Hongrie.

Chapitre III
Marie, impératrice byzantine (1185/1186-avril 1195)

Une impératrice discrète. — En arrivant à Byzance, Marguerite abandonna le rite catholique et changea de prénom. Elle fut désormais l'augusta Marie. Propulsée au-devant de la scène aulique, elle ne joua aucun rôle de relief, sûrement en raison de son jeune âge, et dut vivre dans le gynécée des différentes résidences impériales urbaines et suburbaines des rives du Bosphore. Plusieurs historiens mentionnent cependant son insigne beauté, qui n'est pas sans rappeler celle de sa tante Marie d'Antioche.

Un époux peu charismatique. — L'histoire de Nicétas Chôniatès, principale source sur le règne d'Isaac II, brosse un portrait peu flatteur de l'époux de Marguerite de Hongrie, tant pour la période qui a précédé sa montée sur le trône que par la suite. Empreint d'indolence, d'insouciance, de mollesse, de bigoterie et d'impulsivité, il n'aurait guère rassemblé les qualités de l'empereur idéal.

Un règne dominé par les questions balkaniques. — Pendant près de dix années, Isaac II eut à combattre à intervalles réguliers les révoltés vlaco-bulgares, sans jamais remporter de victoire décisive. Le reste des Balkans était également en ébullition car les Serbes tendaient à prendre leur autonomie vis-à-vis de Constantinople depuis la mort de Manuel Comnène. Le passage par les Balkans de Frédéric Barberousse en route pour la troisième croisade fit sentir avec plus d'acuité les problèmes de sécession qui se posaient à Byzance. Soucieux de maintenir son autorité sur la Serbie, Isaac II intervint personnellement et impliqua son beau-père Béla dans ses entreprises, tout en le dissuadant d'opérer la moindre ingérence dans la région.

Le renversement d'Isaac II (avril 1195). — Au moment de se lancer personnellement dans une grande campagne contre les Vlaco-Bulgares que le père de Marguerite devait quant à lui prendre à revers par le nord, Isaac fut victime d'une conspiration orchestrée par son frère aîné, qui ceignit la couronne impériale sous le nom d'Alexis III.

Chapitre IV
Les années d'ombre (avril 1195-juillet 1203)

Quel sort pour Marguerite ? — Précipitée dans la chute de son époux aveuglé, Marguerite dut connaître plusieurs années de réclusion. Si les sources ne disent pas ce qu'il advint d'elle, il est toutefois hautement probable qu'elle ait été recluse dans un couvent de la capitale, ou bien dans la même résidence qu'Isaac.

Répercussions de la chute d'Isaac II. — Alexis III sur le trône, la situation balkanique de Byzance se dégrada brutalement. Les Serbes profitèrent du désengagement du nouvel empereur pour gagner une autonomie depuis longtemps désirée. Les terres septentrionales de l'Empire, confinant avec le Danube, furent définitivement perdues au profit des Slaves et des Hongrois. Le nouveau souverain bulgare, Kalojan, mena une heureuse politique d'expansion territoriale.

La fuite du prince Alexis l'Ange. — Ne pouvant se résoudre à voir son oncle usurper le trône de son père, le prince Alexis l'Ange, issu du premier mariage d'Isaac II, parvint à s'enfuir pour l'Occident dans le but de quérir de l'aide auprès de Philippe de Souabe, époux de sa sœur Irène.

Chapitre V
Les enfants de Marguerite de Hongrie et d'Isaac II

Au cours des années 1190, Marguerite conçut et enfanta deux fils. La datation de leurs naissances n'est pas aisée, mais il est possible de déduire à partir de discours d'orateur que l'aîné des deux au moins naquit porphyrogénète, le second pouvant avoir vu le jour après le renversement d'Isaac II. Les prénoms qu'ils reçurent ne furent guère donnés au hasard mais s'inscrivirent dans les traditions de la lignée des Comnènes.


Deuxième partie
Une impératrice byzantine dans la tourmente de la quatrième croisade (juillet 1203-été 1204)


Chapitre premier
Le détournement de la quatrième croisade

L'arrivée d'Alexis l'Ange en Occident et la préparation de la quatrième croisade. — Le prince Alexis débarqua en Italie à la fin de l'année 1201 et rejoignit peu après sa sœur en Allemagne. Là-bas, il rencontra le marquis Boniface de Montferrat, qui venait d'être nommé chef de la quatrième croisade en préparation, dont le départ était prévu pour juin 1202, à Venise. Alexis l'Ange tenta d'intéresser dans les premiers mois de l'année 1202 le pape Innocent III à sa cause, mais reçut de celui-ci une fin de non-recevoir.

La prise de contact entre Alexis l'Ange et les croisés. — Alors que, éconduit, il s'en retournait vers l'Allemagne, Alexis l'Ange rencontra les croisés, qui commençaient à affluer vers la Sérénissime. Il parvint, avec son beau-frère Philippe, à les convaincre de lui venir en aide contre son oncle, au moment même où la croisade connaissait son premier détournement en se portant contre Zara.

La conclusion de l'accord entre Alexis l'Ange et les croisés. — Les barons croisés souscrivirent à la fin de l'année 1202 ou dans les premiers jours de 1203 à une convention avec le jeune Alexis qui s'engageait en contrepartie à ramener l'Empire dans l'obédience de Rome, à rétribuer grassement leurs services et à soutenir activement la défense de la Terre sainte. Pendant ce temps à Constantinople, Alexis III était averti par le pape de ce qui se tramait en Occident, mais n'aurait pas pris au sérieux la menace.

Chapitre II
L'arrivée à Constantinople et la restauration d'Isaac II (23 juin-18 juillet 1203)

Au terme d'un long voyage, les nefs de la quatrième croisade arrivèrent devant Constantinople protégée de tous côtés par ses épaisses murailles. Ayant échoué à parlementer avec le frère d'Isaac II, les barons tentèrent une confrontation, sans résultat. Alexis III leur épargna tout effort supplémentaire en prenant de lui-même la fuite dans la nuit du 17 au 18 juillet 1203. Les Byzantins rétablirent alors Isaac sur le trône. Marguerite retrouva la liberté et son rang impérial.

Chapitre III
Le règne conjoint d'Isaac II et d'Alexis IV (18 juillet 1203-fin janvier 1204)

Ayant recouvré sa place à la cour, Marguerite assista aux principaux événements qui mouvementèrent le bref règne conjoint de son époux et de son beau-fils. Les deux empereurs durent faire face aux obligations qu'Alexis avait contractées envers les croisés. La somme dont ils devaient s'acquitter dépassant largement les capacités du trésor impérial, ils ne tardèrent pas à prendre leurs distances vis-à-vis de cette armée latine. Les choses s'envenimèrent et les Latins assiégèrent bientôt Constantinople. Dans l'intervalle, un aristocrate byzantin tira parti du mécontentement populaire pour renverser Isaac II et Alexis IV.

Chapitre IV
Une veuve impériale dans Constantinople assiégée (fin janvier-avril 1204)

Alexis IV ne tarda pas à être assassiné dans sa prison. Son père, affaibli, serait apparemment mort peu après d'une mort naturelle. Désormais veuve et responsable de deux enfants, Marguerite, qui n'avait pas encore trente ans, se retrouva seule face à cet Alexis V Mourtzouphlos qui s'était emparé du trône impérial. Il semble cependant que celui-ci ne l'ait pas malmenée ; il se souciait bien plus de défendre la capitale menacée par les croisés. Marguerite vécut alors la terrible chute de Constantinople aux mains des Occidentaux. Son sort fut cependant bien plus doux que celui de la plupart des habitants de la cité : réfugiée avec des dames de l'aristocratie dans le Grand Palais, elle bénéficia de la protection chevaleresque du marquis Boniface de Montferrat qui s'était rendu maître des lieux.

Chapitre V
Marguerite tire son épingle du jeu : ses secondes noces (avril-mai 1204)

Quelques semaines après le sac de Constantinople et quelques jours après l'échec du marquis à se faire élire empereur, Marguerite réalisa l'alliance la plus habile qui fût en son pouvoir afin de se ménager une place de choix dans la hiérarchie latine qui se mettait en place à Byzance : elle épousa en secondes noces Boniface de Montferrat, chef de la croisade. Mariage de raison et de circonstance certes, mais très heureux expédient.

Chapitre VI
L'ex-impératrice, soutien de Boniface de Montferrat face à l'empereur Baudouin (été 1204)

Le royaume de Thessalonique, qu'il fallait encore conquérir sur les Byzantins, ainsi que la majeure partie des territoires de l'Empire des Anges, avait été promis au marquis de Montferrat, perdant de l'élection impériale. Marguerite se mit en route avec lui à l'été 1204 pour en prendre possession. L'empereur élu, Baudouin de Flandre, qui marchait devant eux, refusa de s'arrêter et de laisser Boniface s'emparer seul de sa future capitale. Une querelle éclata entre les deux hommes, qui poussa le marquis à faire bande à part et à attaquer ses compagnons d'armes en Thrace. Marguerite, encore toute parée du prestige de la dignité d'impératrice, utilisa son influence et ses enfants pour rallier des Byzantins à sa cause. Finalement, son époux et Baudouin se soumirent à l'arbitrage de leurs pairs et la possession du royaume de Thessalonique fut confirmée à Boniface.


Troisième partie
Marguerite et Boniface à Thessalonique (septembre 1204-septembre 1207)


Chapitre premier
L'installation à Thessalonique (septembre-octobre 1204)

Après avoir suivi son mari dans ses aventures estivales, Marguerite l'accompagna dans son voyage qui aboutit cette fois à son entrée pacifique dans Thessalonique. C'était probablement la première fois qu'elle voyait cette cité, la seconde de l'Empire après Constantinople. Le marquis de Montferrat s'empara alors des plus riches demeures de la ville et confisqua des fortunes locales.

Chapitre II
Boniface à la conquête de la Grèce (automne 1204-printemps 1205)

S'étant assuré du contrôle de la capitale de son nouveau royaume, Boniface se lança à la conquête de la Grèce continentale, à la tête de ses compagnons croisés auxquels elle était dévolue en vertu du plan de partition de l'Empire byzantin. Sa progression, depuis Thessalonique jusqu'à Corinthe, fut facilitée par l'instrumentalisation du fils aîné de Marguerite, Manuel l'Ange, que son beau-père n'hésita pas à exhiber devant les différentes populations qu'il rencontrait sur son chemin pour les amadouer. Au cours de sa marche triomphale, le marquis s'empara de la personne d'Alexis III qui fuyait l'avancée des Latins et l'assigna à résider à Halmyros.

Chapitre III
Marguerite aux prises avec les Bulgares (printemps-été 1205)

Tandis que son époux allait de succès en succès, Marguerite dut faire face au soulèvement des Thessaloniciens et à l'arrivée d'envahisseurs vlaco-bulgares. La guerre avait en effet éclaté entre les Occidentaux et Kalojan de Bulgarie. La terrible défaite que celui-ci avait infligée à Andrinople à l'empereur Baudouin – qui était resté prisonnier sur le champ de bataille – lui avait laissé les mains libres pour déferler sur la Macédoine. Abandonnant Corinthe, Boniface s'élança au secours de son épouse, mais, à son arrivée à Thessalonique, la situation avait déjà été rétablie.

Chapitre IV
Le royaume de Thessalonique : de la survie au redressement (fin de l'été 1205-septembre 1207)

Une partie du royaume ayant été occupée par les troupes de Kalojan, Boniface décida de s'enfermer dans Thessalonique pour reconstituer ses forces. Les liaisons terrestres entre sa capitale et Constantinople étaient pour lors coupées. À partir novembre 1206, l'époux de Marguerite parvint à reprendre du terrain à l'Est sur l'ennemi. Ses efforts, conjugués à ceux du nouvel empereur Henri de Hainaut, aboutirent à la jonction des deux hommes dans la plaine de Kypsella en août 1207.

Chapitre V
La mort de Boniface de Montferrat (septembre 1207)

L'embellie que connaissait depuis un an le royaume latin de Thessalonique fut brutalement arrêtée par la mort dans une embuscade bulgare du marquis de Montferrat. Marguerite se retrouvait à nouveau seule, avec cette fois un autre fils, le petit Dèmètrios, qu'elle avait eu de Boniface et qui reçut le prénom du saint patron de Thessalonique.


Quatrième partie
Marguerite, domina Thessalonice, procuratrix regni Thessalonicensis


Le royaume latin de Thessalonique, qui échut en 1207 à un enfant, survécut une quinzaine d'années à la disparition prématurée de Boniface de Montferrat. Il convient de faire la lumière sur le rôle que Marguerite joua en tant que mère du roi mineur dans l'histoire mouvementée de ce regnum. Comme préalable, il est indispensable d'éclaircir certains aspects institutionnels et territoriaux le concernant.

Chapitre premier
Éclaircissements institutionnels et territoriaux

Pas plus le statut du royaume latin et de son souverain que les contours des territoires qui lui étaient soumis ne se laissent aisément appréhender. Pourtant, il est certain que cette entité politique fondée par Boniface s'insérait dans une hiérarchie féodale et reposait sur des institutions occidentales.

Chapitre II
Marguerite face à l'invasion bulgare et aux Lombards du royaume de Thessalonique (septembre 1207-fin 1208)

Aussitôt veuve, Marguerite aurait pris en main la régence au nom de son fils Dèmètrios. Toutefois, elle dut faire face à une nouvelle invasion bulgare et compter avec les barons italiens du royaume qui, en la personne de leur bail, le comte di Biandrate, apparenté à Boniface, entendaient avoir leur mot à dire dans l'administration du royaume. Cette faction espérait substituer à l'héritier légitime son demi-frère, Guillaume VI de Montferrat, fils aîné du défunt chef de la croisade, et s'affranchir de tout lien avec l'Empire de Constantinople. Averti des menées des Lombards, l'empereur Henri se décida à la fin de l'année 1208 à se rendre à la tête de son armée à Thessalonique pour mettre fin à leur tentative de sécession.

Chapitre III
Marguerite et l'empereur Henri de Constantinople, ou le règlement de la révolte lombarde (fin 1208-printemps-été 1209)

Enhardie par la présence de l'empereur, Marguerite sortit de la torpeur dans laquelle l'avaient maintenue les Lombards, osa dénoncer le projet de Biandrate et s'associer à l'empereur pour défendre le trône de son fils. Le double jeu du bail poussa Henri à se lancer en campagne à travers la Thessalie et la Grèce centrale contre les seigneurs de la faction lombarde. Sa victoire et la mise à l'écart de Biandrate consolidèrent très sûrement l'autorité de Marguerite à Thessalonique.

Chapitre IV
Marguerite et l'Église latine de Grèce

Le dépouillement de la correspondance active d'Innocent pour les années 1208-1212 permet de constater que Marguerite de Hongrie prit part aux controverses qui agitèrent alors la vie de la jeune Église romaine en terre grecque. Afin de comprendre le contexte des querelles parfois violentes qui opposèrent prélats et seigneurs latins, ainsi que l'attitude inconstante de Marguerite, il convient d'étudier la mise en place des structures ecclésiastiques occidentales en Romanie, notamment dans le royaume thessalonicien, ainsi que les solutions qui furent adoptées pour régler les conflits.

Chapitre V
Le « règne » de Marguerite, alliée de l'Empire de Constantinople

Ayant trouvé en l'empereur Henri un allié fidèle, dévoué à la cause de son fils, Marguerite continua dans les années qui suivirent sa victoire sur les Lombards à jouir de sa bienveillance, tout en exerçant vraisemblablement pour la première fois la réalité du pouvoir à Thessalonique. Les Byzantins, jouissant de sa faveur, conservèrent alors une partie de l'administration de la cité.

Toutefois, deux grands barons, le comte Berthold de Katzenelnbogen et Eustache de Flandre, frère de l'empereur, jouèrent un rôle important dans la défense du royaume.

L'élite thessalonicienne était alors très bigarrée, entre les compagnons d'armes de Boniface d'origine italienne, allemande, française ou flamande, et les aristocrates locaux.

La mort d'Henri de Hainaut survenue à Thessalonique en juin 1216 marqua un tournant dans la vie du royaume, sûrement menacé par l'extension du despotat grec d'Épire voisin. Le titre de bail porté par le comte de Katzenelnbogen en 1217 suggère que la situation exigeait qu'un homme de poigne fût aux commandes.

Chapitre VI
Les vues d'André II de Hongrie sur le trône impérial de Constantinople et la capture de l'empereur Pierre de Courtenay (1217)

Le décès brutal d'Henri ouvrit la question de sa succession. Le frère de Marguerite, André II de Hongrie, fut un temps pressenti pour monter sur le trône impérial. Les barons de Constantinople lui préférèrent cependant le beau-frère du défunt, Pierre de Courtenay, qui, en chemin pour gagner sa future capitale, fut capturé par Théodore, despote d'Épire.

Chapitre VII
L'inéluctable chute de Thessalonique (1217-1224)

Le coup porté par Théodore à l'ensemble de l'édifice latin de Romanie fut particulièrement rude. La porte fut dès lors ouverte à une large offensive contre le royaume du fils de Marguerite qui, peu à peu, se réduisit à peau de chagrin, malgré les efforts réalisés pour le défendre. Avant même la chute de Thessalonique au cours du dernier trimestre de l'année 1224, Marguerite quitta la cité où elle s'était installée en 1204, tandis que son fils partit pour l'Italie demander de l'aide.

Chapitre VIII
La tentative de reconquête du royaume de Thessalonique : la « croisade » aléramide

À peine débarqué en Italie, Dèmètrios se rendit auprès du pape Honorius III, puis rencontra l'empereur Frédéric II et son demi-frère Guillaume VI de Montferrat. Son arrivée coïncidait avec la préparation d'une expédition de soutien aux croisés en difficulté en Égypte. Du fait de la déconfiture de ceux-ci, le pape décida d'assigner aux troupes et aux moyens initialement mis à disposition de Guillaume VI pour la cause de la Terre sainte la tâche de défendre le royaume thessalonicien. Mais la « croisade » des deux fils de Boniface, victime de contretemps, se solda par un cuisant échec en Grèce.


Cinquième partie
Les dernières années et la postérité de Marguerite


Chapitre premier
Marguerite de retour en Hongrie

Après avoir quitté Thessalonique, Marguerite porta ses pas vers le pays qui l'avait vu naître. Plusieurs documents pontificaux indiquent en effet sa présence aux confins de la Hongrie et de la Serbie tout au long de la décennie 1220. Le silence des sources à son sujet après 1229 et le fait que l'un de ses fils porte en 1235 les titres attachés aux territoires qui lui avaient appartenu dans la région suggère qu'elle s'éteignit dans cet intervalle de temps. Elle laissa derrière elle plusieurs fils, dont certains étaient issus d'un troisième mariage, contracté en Grèce.

Chapitre II
Le destin de Manuel l'Ange

De tous ses fils, seul Manuel disparut bien avant son propre décès. Sa présence dans le nécrologe de sa demi-sœur Irène, épouse de Philippe de Souabe, morte en 1208, prouve qu'il succomba probablement en Occident, entre 1205 et 1208 et ne peut coïncider avec le princeps Manuel enseveli à Nicée en 1211 à l'âge de trente-cinq ans.

Chapitre III
Jean l'Ange et sa descendance

Jean l'Ange, frère cadet du précédent, survécut à Marguerite, hérita d'une partie des terres confinant avec la Serbie sur lesquelles elle avait exercé son autorité et occupa une place enviable au sein de la cour royale de Hongrie. De son mariage avec une petite-fille de Pierre de Courtenay naquirent probablement deux filles, qui eurent l'une et l'autre une postérité.

Chapitre IV
La fin de Dèmètrios de Montferrat et la dévolution de sa succession

Ayant échoué à recouvrer son royaume, Dèmètrios de retour en Occident attacha ses pas à ceux de Frédéric II et mourut sans descendance à Melfi en 1230, loin probablement de sa mystérieuse épouse, Hermengarde, mentionnée dans un obit en marge d'un martyrologe.

Le titre royal thessalonicien fit l'objet de nombreuses dévolutions tout au long du xiiie siècle. Montferrat et Courtenay le revendiquèrent et le concédèrent à leur gré.

Chapitre V
Le troisième époux de Marguerite et ses derniers enfants

Bien avant de quitter Thessalonique, Marguerite célébra ses troisièmes noces avec Nicolas de Saint-Omer, un cadet de famille flamande venu tenter sa chance en Béotie. La preuve de l'existence de cette ultime union matrimoniale repose sur une démonstration généalogique complexe, fondée sur plusieurs chroniques, une épitaphe ainsi qu'une lettre pontificale.

De ce mariage naquirent au moins deux fils, Béla et Guillaume. L'aîné resta en Romanie, après le départ de sa mère, et fut à l'origine d'une dynastie de puissants seigneurs qui jouèrent un rôle de premier plan dans l'histoire de la Grèce franque du xiiie siècle. Le cadet suivit ou rejoignit Marguerite en Hongrie, où il trouva sa place, comme Jean l'Ange, dans l'aristocratie locale. Il mourut à Split en 1242 au moment de l'invasion mongole et, contrairement à l'idée qui veut qu'il n'ait pas eu de descendance, il laissa derrière lui une fille, du nom de Marguerite.


Conclusion

Il est peu de princesses du bas Moyen Âge qui aient eu une vie aussi riche en rebondissements que celle de Marguerite de Hongrie et aient vécu au sein de trois sociétés différentes : celle de la Hongrie des Árpáds, celle de la Constantinople byzantine et celle d'un royaume latin de Romanie. Née catholique, devenue orthodoxe à dix ans par son premier mariage mais revenue sous l'égide de la papauté après ses noces avec Boniface de Montferrat, Marguerite étonne par sa mobilité. Où se situe donc son identité ? Il semble qu'elle ait retenu un peu de chacun des milieux socioculturels auxquels elle a appartenu. Elle a toujours su, en tout cas, en tirer intelligemment parti.

Quelle(s) langue(s) parlait-elle ? Que pensait-elle réellement ? À quoi aspirait-elle ? Autant de questions qui restent sans réponse. Sa faculté à s'adapter aux circonstances se retrouve dans certains de ses fils, signe que le xiiie siècle plus que les précédents fut une époque qui mit en contact les Européens entre eux, les confronta à l'altérité et les poussa à surmonter leurs différences.


Annexes

Arbres généalogiques. — Photographies (sceaux, Thessalonique, Péloponnèse). — Cartes (Byzance, Hongrie, Grèce). — Plans (Thessalonique). — Éditions d'épitaphes (Nicée, Split) et d'un acte du Liber Communis de l'Archivio di Stato de Venise. — Traductions.