« »
École des chartes » thèses » 2014

L'Institut de psychologie de l'université de Paris (1920-1970)


Introduction

Au cours des dernières décennies du xixe siècle et de la première moitié du xxe, on voit se mettre en place de nombreux « instituts », tant au sein de l’université de Paris que des universités de province. Un décret du 31 décembre 1920 vient réglementer leur existence, en autorisant la création d’instituts de faculté et d’université qui permettent le développement de disciplines au croisement des enseignements universitaires traditionnels, tant dans le domaine des sciences naturelles que dans celui des sciences sociales. Derrière une appellation commune d’institut, les réalités sont cependant bien disparates, aussi bien du point de vue des statuts de ces divers établissements que de leurs objectifs – recherche, enseignement – et des diplômes qu’ils délivrent.

L’Institut de psychologie, premier institut d’université créé au sein de l’université de Paris en 1920 à l’initiative d’Henri Piéron, est un cas particulièrement intéressant et emblématique. La psychologie, en effet, discipline nouvelle au carrefour de la philosophie, de la biologie et de la médecine, est un exemple typique de discipline que les cadres universitaires traditionnels sont incapables de circonscrire. Au début de notre période, en 1920, il n’existe encore aucun cursus d’études suivi ni aucun diplôme qui soit consacré à la psychologie scientifique. Unifiant plusieurs enseignements déjà existants et dispersés au sein de divers établissements d’enseignement supérieur, l’Institut de psychologie en crée également de nouveaux et suscite la création de plusieurs diplômes d’études de psychologie. Dès le départ, sa caractéristique est de donner une grande place aux enseignements pratiques, s’assurant pour cela le concours de plusieurs laboratoires de l’École pratique des hautes études.

Cette étude porte sur la période d’une cinquantaine d’années qui va de la fondation de l’institut jusqu’à la réforme Faure de 1968, qui entraîne la disparition des anciennes facultés et l’éclatement de l’université de Paris en plusieurs universités : l’institut est alors érigé en unité d'enseignement et de recherche puis intégré à l’université Paris V-René-Descartes. Cette période est marquée par le développement important de la psychologie au sein des universités, avec comme jalons importants, d’une part, la création en 1947 de la licence ès lettres mention psychologie, œuvre de plusieurs professeurs de l’institut, et d’autre part, en 1966, la réforme des études littéraires entraînant l’apparition d’un cycle complet d’études psychologiques, couronné par la licence et la maîtrise, dans les facultés des lettres et sciences humaines. Ces évolutions successives entraînent par contrecoup des changements importants dans les objectifs et le recrutement de l’Institut de psychologie qui, d’un établissement consacré à une formation psychologique générale, devient peu à peu un établissement de professionnalisation délivrant des diplômes spécialisés à des étudiants recrutés après la licence, et mettant l’accent sur les applications pratiques de la psychologie.


Sources

Les sources principales sont les procès-verbaux des séances du conseil directeur de l’Institut de psychologie et les rapports de fonctionnement annuels de son directeur : ces deux sources figurent dans un cahier conservé provisoirement au service des archives du rectorat de Paris, dans un fonds en cours de classement. Elles fournissent l’essentiel des informations portant sur le fonctionnement interne de l’institut : budget, statistiques relatives aux élèves, discussions relatives tant à l’organisation des enseignements et diplômes qu’aux moyens matériels de l’institut, et desiderata adressés au recteur de l’université de Paris.

Une autre source importante est constituée par la correspondance entre le recteur de l’université de Paris et la direction de l’Institut de psychologie, conservée au Centre des archives contemporaines (cotes 20010498/189 et 20010498/190), et portant sur tous les aspects du fonctionnement de l’institut, avec néanmoins de nombreuses lacunes temporelles. S’y ajoutent plus accessoirement les archives du conseil de l'université et du conseil de la faculté des lettres de Paris, dans la sous-série AJ16 des Archives nationales, ainsi que les archives personnelles d’Henri Piéron, dans la sous-série 520 AP.

De nombreuses informations chronologiques sont tirées de la chronique annuelle publiée par Henri Piéron dans l’Année psychologique dont il fut directeur. Le Bulletin du groupe d’études de psychologie fournit enfin des indications précieuses sur l’organisation des enseignements et sur la vie de l’institut du point de vue des étudiants


Chapitre liminaire
Genèse de l’Institut de psychologie

La psychologie scientifique, représentée par Théodule Ribot, fait d’abord son apparition en 1888 au Collège de France, établissement dont la spécialité est de cultiver une certaine marginalité par rapport aux enseignements traditionnels professés dans la vieille Sorbonne, puis peu après à l’École pratique des hautes études fondée en 1868. L’introduction de la psychologie scientifique à la Sorbonne est lente et difficile, non seulement du fait de son statut de science charnière entre différents enseignements des facultés des lettres, des sciences et de médecine, mais également du fait des deux conceptions de la discipline qui s’affrontent alors : l’« ancienne psychologie », branche de la philosophie consacrée à l’analyse introspective de l’esprit humain et de ses facultés, et la « nouvelle psychologie », importée d’Allemagne, reposant sur les méthodes des sciences biologiques et s’occupant de décrire des comportements observables plutôt que des faits de conscience subjectifs. Ce conflit irréconciliable entre les deux conceptions freine considérablement l’introduction de la psychologie scientifique dans les universités françaises, par rapport à ce qui se produit à la même époque en Allemagne et aux États-Unis. Au tournant du xxe siècle, il existe en France plusieurs cours et laboratoires de psychologie scientifique, mais aucun cursus universitaire suivi n’est consacré à cette discipline.

Le décret du 31 juillet 1920 relatif à la constitution des universités instaure des instituts de faculté et des instituts d’université destinés à permettre le développement d’établissements supérieurs auxquels puissent collaborer souplement des maîtres venant de toutes les facultés ou des autres écoles supérieures. Ce décret vient en réalité officialiser et régulariser des « instituts » qui existaient déjà depuis la fin du xixe siècle, dans les universités de province comme dans celle de Paris. Henri Piéron, alors directeur du laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne, en profite pour mettre à exécution un projet qu’il nourrissait depuis 1917, en suscitant la création d’un institut de psychologie au sein de l’université de Paris avec quatre autres professeurs : Henri Delacroix et Georges Dumas à la faculté des lettres, Étienne Rabaud à la faculté des sciences et Pierre Janet au Collège de France. Piéron, principal artisan de l’institutionnalisation de la psychologie scientifique au cours du xxe siècle, dirigera l’institut depuis sa création jusqu’en 1951.


Première partie
Aspects institutionnels et matériels


Chapitre premier
Tutelle administrative et direction de l’institut

Tutelle administrative. — Institut d’université – donc soumis sur le plan administratif à la seule tutelle du conseil de l’université de Paris présidé par le recteur –, l’institut relève, sur le plan scientifique, de plusieurs facultés de l’université de Paris : celles des lettres et des sciences dès sa fondation, et celle de médecine à partir de 1948. De nombreux laboratoires de l’École pratique des hautes études lui sont également rattachés et participent de manière prépondérante à l’organisation de ses travaux pratiques, étant donné l’absence de locaux propres à l’institut. Enfin, le Collège de France figure aussi parmi les établissements participant à sa direction scientifique. Ces tutelles multiples ont l’avantage, du point de vue de Piéron, de permettre à l’institut d’échapper à l’influence de la faculté des lettres et d’être « libéré de la philosophie » où la psychologie avait été maintenue de longues années.

Direction de l’institut. — L’institut est dirigé par un conseil directeur composé à l’origine de huit membres : trois membres de droit – les deux doyens des facultés des sciences et des lettres et le directeur de l’École normale supérieure – et les cinq professeurs fondateurs de l’institut. Ce conseil s’élargit au fil des ans pour inclure le doyen de la faculté de médecine à partir de 1948, et un nombre croissant de membres du corps enseignant, jusqu’à vingt-cinq en 1967. Se réunissant une fois par an au cours du second semestre, il approuve le budget de l’institut, statue sur toutes les affaires internes et élabore les projets de modification des statuts qu’il soumet au recteur.

Le conseil choisit en son sein un directeur, qui sera Henri Piéron de 1920 à 1951. Après son départ, la fonction de directeur est remplacée par un comité de direction de trois membres, comprenant un professeur de chaque faculté. Le comité se voit adjoindre un sous-directeur, Paul Fraisse, qui exerce la direction effective de l’institut jusqu’à son départ en 1969.

Chapitre II
Moyens d’existence de l’institut

Budget. — Les deux principales sources de financement de l’institut sont les droits de scolarité et une subvention accordée par l’université. S’y ajoutent au cours des ans des subventions des facultés des lettres et des sciences, ainsi que de la direction de l’Enseignement supérieur, du sous-secrétariat d’État à l’Enseignement technique, et un revenu provenant de la taxe d’apprentissage. L’apparition de ces nouvelles sources de financement est le résultat des démarches inlassables de l’institut, confronté dès le début de son existence à un manque de moyens chronique dont les rapports de fonctionnement annuels d’Henri Piéron se font régulièrement l’écho.

Personnel. — La majorité du personnel prêtant son concours à l’Institut de psychologie n’est pas rémunéré sur le budget de l’institut. À ses débuts, l’institut ne possède pas de personnel classé, et il n’en aura pas avant les années 1960. Les professeurs de l’institut sont tous en effet déjà titulaires d’un poste, soit dans l’une des facultés, soit au Collège de France, soit comme directeur d’un laboratoire de l’École pratique des hautes études, et sont donc rémunérés par ces institutions. Les enseignements propres à l’institut sont rémunérés par des indemnités de conférences et de travaux pratiques sur le budget de l’institut. Son fonctionnement repose également en partie, à ses débuts, sur des concours bénévoles, notamment celui de Piéron pour son cours de psychologie physiologique.

Laboratoires. — Plusieurs laboratoires sont rattachés à l’institut et prêtent leur concours à l’organisation des travaux pratiques dans les différentes sections d’enseignement dont il se compose. Il s’agit principalement de laboratoires de l’École pratique des hautes études : le laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne, dont Piéron est directeur, celui de psychobiologie de l’enfant, fondé en 1922 par Henri Wallon dans une école primaire de Boulogne-Billancourt, et celui de psychologie appliquée, installé à Sainte-Anne. Ces deux derniers sont installés en 1939 dans les nouveaux locaux de l’Institut national d'orientation professionnelle, rue Gay-Lussac. Des travaux pratiques de psychologie appliquée auront également lieu dans des laboratoires de psychotechnique installés au sein d’entreprises, notamment ceux de la SNCF et de la Régie Renault. Enfin, la majorité des enseignements théoriques et pratiques de la section de psychologie pathologique prennent place à l’hôpital Sainte-Anne.

Locaux et équipement. — Le siège social de l’institut se trouve au laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne, au 46, rue Saint-Jacques. Il y reste jusqu’en 1961, date à laquelle l’institut déménage au 28, rue Serpente, après plusieurs autres projets de déménagement inaboutis. Jusqu’à cette date, l’institut n’a pas de locaux propres autres que ceux que lui fournissent les laboratoires de l’École pratique des hautes études mis à sa disposition. Tout au long de l’existence de l’institut, l’exiguïté des locaux est un problème récurrent, notamment après 1945 et l’augmentation rapide des effectifs d’étudiants. Les questions des locaux et de l’acquisition de matériel de laboratoire propre à l’institut sont des enjeux importants aux yeux des directeurs, qui cherchent à assurer l’indépendance et la pérennité de l’institut, dont l’existence reste longtemps précaire.

Une bibliothèque de psychologie est également constituée par Henri Piéron dans les locaux de son laboratoire, grâce à sa fonction de directeur de l’Année psychologique qui lui permet de mettre en place un système d’échanges avec toutes les grandes revues de psychologie.


Deuxième partie
La scolarité à l’institut


Chapitre premier
Le développement de la scolarité à l’institut

À l’origine, la scolarité s’effectue en deux semestres dans une ou plusieurs des sections de l’institut. Elle est sanctionnée par un diplôme correspondant à la section suivie et délivré par le recteur au nom de l’université de Paris, à la suite d’un examen.

L’institut accueille au départ des étudiants sans condition de diplôme ou de qualification. Après la création en 1947 d’une licence de psychologie à la faculté des lettres de Paris, à l’élaboration de laquelle participe l’institut, la préparation aux diplômes de l’institut va peu à peu évoluer vers une formation post-licence, en plusieurs étapes : une année préparatoire, consacrée à l’enseignement de la psychologie générale et sanctionnée par un examen de passage, est mise en place en 1949 en préalable à la préparation des diplômes ; en 1955, une seconde année s’intercale entre les deux, elle aussi terminée par un examen. Une quatrième année, consacrée à un stage prolongé et à la rédaction d’un mémoire, s’ajoute aussi au cursus. L’examen terminal qui porte sur le stage et le mémoire est sanctionné par la délivrance d’un diplôme d’expert-psychologue nouvellement créé, ouvert aux étudiants disposant déjà de deux diplômes de l’institut.

Dans le même temps, étant donné le décuplement des effectifs entre 1943 et 1948, ainsi que l’évolution de la discipline vers une plus grande spécialisation, les conditions d’inscription directe en année de préparation aux diplômes se durcissent, avec l’exigence d’un nombre croissant de certificats de la licence de psychologie. Pour remédier à la surabondance des effectifs, le baccalauréat est exigé pour l’inscription en première année en 1955, puis un examen d’entrée en première année est instauré en 1959. Enfin, en 1967, les années préparatoires sont supprimées et la licence est exigée pour l’inscription à l’institut, ce qui consacre sa nouvelle orientation comme établissement de formation de haut niveau, consacré aux applications spécialisées de la psychologie et à la professionnalisation.

Chapitre II
Sections, diplômes et enseignements

Les statuts du 20 novembre 1920 distinguent l’enseignement général et trois « sections spéciales d’application » dispensant un enseignement de psychologie appliquée. Ce sont respectivement la « section technique d’applications générales », la « section de pédagogie » et la « section d’orientation et de sélection professionnelles ». Chacune des sections, générale ou appliquées, prépare en un an à un diplôme distinct.

La mise en œuvre des enseignements dans les différentes sections se fait progressivement : la première année, seules fonctionnent les sections d’enseignement général et de pédagogie – cette dernière venant prendre la place de l’Institut de pédagogie de la faculté des lettres fondé l’année précédente. La section de psychologie appliquée ne verra le jour que l’année suivante, le temps que soient élaborés ses programmes d’enseignement. Quant à la section d’orientation et de sélection professionnelles, elle n’existera jamais que sur le papier, jusqu’à ce qu’Henri Piéron fonde en 1928 l’Institut national d'orientation professionnelle, établissement libre d’enseignement supérieur, détaché de l’Institut de psychologie, et dont Piéron reste directeur jusqu’en 1962.

Dans la seconde moitié du xxe siècle, les nouvelles sections se multiplient : psychologie pathologique en 1948, psychologie sociale en 1951, et scission en 1961 de la section de pédagogie en deux nouvelles sections : psychologie scolaire et psychopédagogie spéciale. Chaque section est consacrée à la préparation d’un diplôme, et comporte des enseignements théoriques et pratiques. Toutes les sections voient évoluer leurs enseignements au cours de cette période, notamment du fait de la création en 1949 et 1955 d’une puis deux années d’études préparatoires – la section « générale » est particulièrement concernée par ce réarrangement des études, et devient « section de psychologie expérimentale » –, et de l’orientation concomitante de l’institut vers une formation exclusivement post-licence. Au sein même de chacune de ces sections, les enseignements proposés s’étoffent peu à peu, faisant appel à un nombre considérable de spécialistes – ce nombre croissant de postes consacrés à la psychologie témoignant de son installation progressive dans les cadres de l’enseignement supérieur.

L’institut propose également des enseignements annexes ne donnant pas lieu à la préparation de diplômes, notamment une formation continue des psychologues en exercice à partir des années 1960.


Conclusion

Au cours de ses cinquante premières années d’existence, le chemin parcouru par l’Institut de psychologie est considérable à tous égards. Son histoire se laisse diviser assez aisément en deux phases : jusqu’en 1945 environ, il se maintient de façon très stable, sans modification notable de son organisation ni de ses effectifs, tout en étoffant peu à peu les enseignements dispensés dans chacune de ses trois sections, à mesure que la croissance de ses moyens financiers le lui permet. Après la Libération, il connaît un accroissement soudain et considérable de sa fréquentation – de quelques dizaines d’étudiants à près d’un millier – et une diversification croissante de ses enseignements, de plus en plus spécialisés et professionnalisants. L’Institut de psychologie a donc connu tardivement une fortune que ses origines modestes ne laissaient guère présager. Cette évolution s’inscrit évidemment dans un contexte plus large d’augmentation générale des effectifs de l’enseignement supérieur, dont l’institut est loin d’être le seul à avoir bénéficié. Mais elle témoigne aussi de la grande percée des sciences psychologiques dans l’enseignement supérieur au xxe siècle.


Annexes

Statuts. — Composition du conseil directeur. — Ordre du jour des séances du conseil directeur. — Budget. — Programmes. — Élèves.