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École des chartes » thèses » 2014

Eustache-Antoine Hua (1759-1836)

Mémoires et papiers privés d'un magistrat et député


Introduction

L'auteur. — Eustache-Antoine Hua (1759-1836) est un avocat et magistrat originaire de Mantes qui a vu se succéder l'Ancien Régime, la Révolution, le Consulat et l'Empire, les Cent-Jours et la Restauration. Il est principalement connu pour ses mémoires – dont on n'a qu'une copie et qui ont été partiellement édités en 1871 – dans lesquels il se présente à la fois comme témoin historique et comme père attentionné vis-à-vis de ses filles et lectrices désignées. Élu député à l'Assemblée législative, il s'est donné pour buts de rapporter et d'analyser les événements historiques s'étant produits durant son mandat, et de relater l'histoire de sa vie personnelle et professionnelle, de sa formation d'avocat à 1827, l'année où il écrit.

L'éditeur et l'édition de 1871. — Ces mémoires ont été édités partiellement par Eustache-Maur François Saint-Maur (1825-1901), fils unique de la fille aînée d'Eustache-Antoine, en 1871. Dans le contexte d'une nouvelle insurrection parisienne, cette édition partielle s'est concentrée sur le récit des événements révolutionnaires des années 1789 à 1795. Presque tous les éléments relevant de sa vie privée en ont été censurés, ce qui représente une portion importante des premières des trois parties et la totalité de la dernière.

Les écrits du for privé dans le fonds. — Dans la mesure où Eustache-Antoine Hua a aussi laissé une correspondance privée avec sa famille et des journaux de voyage, tous conservés dans le même fonds 621 AP, l'étude s'élargit dans un second temps à tous ces écrits du for privé et aux relations entre eux. Cette appellation désigne des récits écrits par un individu à propos de son existence et de sa perception des événements vécus, adoptant une grande variété de formes. Les différentes facettes du personnage d'Eustache-Antoine apparaissent de texte en texte, différentes de l'un à l'autre ou communes à certains types de texte. Il s'y dépeint tour à tour en père et en mari attentionné, en témoin historique, et en magistrat dans l'exercice de ses fonctions. Un premier aspect de la problématique générale est donc l'analyse de la distribution et des modalités d'apparition de ces aspects d'un même personnage, en fonction du type de texte considéré. Ce questionnement conduit, dans un second temps, à une étude du contenu historique et socioculturel extrêmement riche des mémoires. Enfin, une édition complète et critique accompagne ces réflexions.


Sources

Sources principales. — La source principale est constituée par le fonds Eustache-Antoine Hua, conservé aux Archives nationales en deux cartons, cotés 621 AP 1 et 2. Ceux-ci contiennent plusieurs écrits du for privé et des papiers tant privés que ceux produits durant la vie professionnelle de Hua. Cet ensemble d'écrits du for privé a pour auteur commun Eustache-Antoine Hua, et est constitué des mémoires, des journaux de quatre voyages et d'une correspondance partielle et lacunaire faite de quatre-vingt-quatre lettres envoyées à sa fille aînée Aglaé, et, plus rarement, à d'autres membres de la famille. Les autres documents les plus utiles ont été le « Résidu » du manuscrit des mémoires, rassemblant les brouillons produits par Eustache-Maur François Saint-Maur durant son projet d'édition, et la copie du contrat de mariage d'Eustache-Antoine Hua, qu'il a conservée précieusement car le dernier feuillet a été complété de sa main au fur et à mesure de la naissance, du mariage ou du décès de ses sept enfants, dont quatre sont parvenus à l'âge adulte.

Sources complémentaires. — Pour établir l'apparat critique et le commentaire de l'édition faisant l'objet de cette thèse, ont aussi été particulièrement consultés les registres paroissiaux et d'état civil de plusieurs départements français, les dossiers de légion d'honneur du grand-père et du petit-fils (Archives nationales, LH 314 5 et LH 1028 56), et le dossier de carrière d'Eustache-Maur François Saint-Maur (AN, BB6 II 164). Parmi les sources imprimées, les plus consultées ont été certains numéros de périodiques, notamment le Courrier de la Vienne, dans lequel a été fait la promotion de l'édition de 1871, et la Bibliothèque de l'École des chartes, car Eustache-Maur François Saint-Maur, comme son fils René-Eustache-Octave, y ont été formés. Les bibliographies respectives d'Eustache-Antoine Hua et d'Eustache-Maur François Saint-Maur ont été reconstituées de manière non exhaustive, ainsi que celle des ouvrages où ces personnages sont mentionnés.


Première partie
Présentation


La première partie de la thèse traite de la présentation des sources, de l'auteur et de son premier éditeur, du contexte de l'édition des Mémoires et des informations que procurent les écrits du for privé du fonds à l'historien. Un premier axe est consacré à l'étude des Mémoires, de leur rédaction à leur parution, et un second à celle des écrits du for privé du fonds 621 AP des Archives nationales, et aux informations qu'ils renferment sur Eustache-Antoine Hua et son temps.

Chapitre premier
Le manuscrit des Mémoires et le fonds 621 AP des Archives nationales

La constitution du fonds. — Les archives et papiers privés du fonds Hua ont été acquis par les Archives nationales en 1993 et 2000. L'absence d'information concernant le devenir du fonds entre sa transmission à Aglaé François puis à son fils après 1836 et sa réapparition en deux lots à la fin du xxe siècle, laisse en suspens la question d'un éventuel tri effectué au sein de la famille, dans sa mémoire et son identité en formation. Cette acquisition en deux temps a déterminé la répartition du fonds en deux cartons.

Les autres documents du fonds. — Outre les écrits du for privé précédemment cités – mémoires, journaux de voyages, correspondance –, le fonds comprend des documents d'ordre juridique – copie du contrat de mariage de Hua, liquidation de la succession de sa femme, etc. – et ceux liés à son statut de notable – décrets de nomination divers, cartes d'électeur, etc. – dans le premier carton. Le second contient, outre les Mémoires et leur « Résidu », trois plaidoyers manuscrits de Hua, alors avocat général à la Cour de cassation.

Chapitre II
Eustache-Maur François Saint-Maur, petit-fils et éditeur scientifique

Eustache-Maur François Saint-Maur, petit-fils d'Eustache-Antoine Hua, a hérité des papiers de son aïeul. Son importance dans le processus éditorial, objet de l'étude conduite dans la première partie de la thèse, est réelle car il a lui-même procédé au tri et à la mise en ordre des archives familiales, puis à l'édition partielle et très sélective d'une partie d'entre elles (les manuscrits des Mémoires et de Révolution de 1830, ses causes, ses conséquences, qui traite brièvement de la Révolution de 1789). Sa carrière a été reconstituée à partir des documents contenus dans son dossier professionnel (AN, BB6 II 164) et sa vie privée l'a été d'une part au moyen des actes de naissance de ses enfants et de son acte de mariage, dans l'état civil des diverses villes où il a vécu – Laon, Pau, Poitiers, Nantes, etc. –, et d'autre part grâce aux deux ouvrages publiés à la mémoire de ses trois enfants décédés avant leur majorité. Ces deux axes d'étude ont révélé un certain mimétisme de carrière entre Eustache-Antoine Hua et Eustache-Maur – tous deux faisant carrière dans le ministère public –, et entre celui-ci et son propre fils, qui est entré, comme lui, à l'École nationale des chartes.

Chapitre III
Les circonstances du processus éditorial

Circonstances historiques. — Le projet d'édition de 1871 trouve son origine dans le lourd contexte historique de l'époque : la défaite française face aux Prussiens, suivie de la Commune de Paris. Le lien avec la Révolution de 1789 est revendiqué par les Communards. François Saint-Maur entend faire « acte de bon citoyen » et profiter de son héritage archivistique pour publier la partie des Mémoires traitant de la vie à Paris durant la Révolution, et des tensions croissantes au sein de l'Assemblée législative.

Circonstances historiographiques. — La question de l'interprétation à donner à la période révolutionnaire s'est posée durant tout le xixe siècle. Le courant historiographique contre-révolutionnaire tend à rassembler des historiens catholiques et légitimistes, et insiste sur les violences révolutionnaires. Cela correspond assez aux opinions de François Saint-Maur qui, toutefois, ne se veut pas historien mais seulement éditeur d'un témoignage qu'il place au service des historiens contre-révolutionnaires, pour rétablir la « vérité » sur cette période.

Circonstances de la parution. — Le xixe siècle est aussi l'époque d'une grande vogue de la publication de mémoires privés, tels ceux de Malouet, avec une prédilection pour ceux évoquant la Révolution de 1789. Concernant les Mémoires d'Eustache-Antoine Hua, le contexte de parution est connu grâce au contenu du « Résidu » du manuscrit, auquel François Saint-Maur a joint quelques lettres échangées avec son cousin et relecteur de son introduction, et avec son éditeur. La publicité et la réception de l'ouvrage en 1872 est elle aussi étudiée dans la thèse : une recension de l'édition de François Saint-Maur a notamment été faite dans la Revue des questions historiques par un historien contre-révolutionnaire.

Chapitre IV
Étude du processus éditorial

Le manuscrit, tel qu'il est conservé au Archives nationales, est accompagné de notes produites lors du travail éditorial du petit-fils de l'auteur, ce qui a permis d'effectuer une collation des versions disponibles : le manuscrit, les brouillons du « Résidu » et l'exemplaire imprimé personnel d'Eustache-Maur François Saint-Maur, tous dans le carton 621 AP 2. Les résultats obtenus ont permis de déterminer les raisons des choix éditoriaux accomplis par celui-ci, à la fois pour présenter son ancêtre sous son meilleur jour, et pour mettre les mémoires grand-paternels au service de ses opinions historiographiques de tendance contre-révolutionnaire.

Chapitre V
Eustache-Antoine Hua, magistrat et témoin historique

Si l'enfance d'Eustache-Antoine Hua, né en 1759, est assez mal connue, sa carrière sur la scène politique et dans le monde judiciaire a pu être reconstituée. Celle-ci couvre six régimes politiques, de la fin de l'Ancien Régime à la monarchie de Juillet. Jusqu'à sa mort, en 1836, il a été un témoin actif des bouleversements politiques que la France a connus depuis la fin du siècle précédent. Il a notamment exercé les fonctions d'avocat au Parlement de Paris, de juge dans sa ville natale de Mantes-la-Jolie et de député à l'Assemblée législative ; puis, après une période où il vit en notable mantais, il retourne à Paris à la fin de l'Empire où il est nommé avocat général à la cour d'appel de Paris puis à la Cour de cassation, et, enfin, conseiller dans cette même cour. Sa vie privée et familiale est également étudiée.

Chapitre VI
Hua dans ses œuvres : les différentes facettes du personnage dans ses écrits du for privé

Les différents écrits du for privé du fonds correspondent à différentes manières de parler de soi. Suite à l'établissement d'une typologie de ces écrits, plusieurs facettes du personnage de leur auteur se distinguent : il est historien quand il analyse un événement qu'il a autrefois vécu, conteur se plaisant à ajouter des anecdotes et des incises à son récit ailleurs chronologique, voyageur avide de découvertes et se plaisant à les décrire à ses proches, père aimant de ses enfants, et ami fidèle placé au cœur de plusieurs réseaux de sociabilité.

Chapitre VII
Hua : l'Histoire par le petit bout de la lorgnette

La richesse des écrits du for privé du fonds Hua a permis de distinguer tout particulièrement trois champs d'études historiques qui concernent fortement Eustache-Antoine Hua et sont liés aux évolutions politiques, socio-économiques et culturelles du début du xixe siècle : l'apparition de nouvelles élites et les différentes façons de les définir, le développement du tourisme et du voyage de loisir, et l'évolution des relations au sein de la parenté – vers un rapprochement entre cousins et une plus grande attention portée aux filles et aux petits-enfants. En ce dernier domaine, la reconstitution de l'arbre généalogique d'Eustache-Antoine Hua sur six générations a montré en outre une transmission délibérée de certains prénoms.


Deuxième partie
Édition critique : les Mémoires d'Eustache-Antoine Hua


L'édition a été effectuée à partir du manuscrit conservé sous la cote 621 AP 2 aux Archives nationales. Suivant les règles en vigueur pour l'édition de textes du xviiie siècle – puisqu'il n'en existe pas de spécifiques pour ceux du xixe siècle –, les abréviations ont été développées et l'orthographe du texte a été conservée, à l'exception toutefois des majuscules, de la ponctuation et des fautes attribuables au copiste du manuscrit. Les modifications de François Saint-Maur ont été précisées en note d'édition. Un deuxième niveau de note comprend les informations biographiques, géographiques, ainsi que les notes insérées par le petit-fils de Hua, transcrites suivant les mêmes règles. Les passages restés inédits dans l'édition de 1871 figurent dans une plus petite taille de caractère.

Chapitre premier
Avant propos et première partie : L'Avocat

Cette première partie des Mémoires a été en partie éditée en 1871. Elle couvre la période de 1785 à 1791, durant la formation et l'entrée dans le monde professionnel d'Eustache-Antoine Hua, comme avocat au Parlement de Paris.

Chapitre II
Deuxième partie : Le Député

La deuxième partie a, quant à elle, été en grande partie éditée par François Saint-Maur, car elle concerne la période révolutionnaire, de 1791 à 1795, et notamment le mandat de député à l'Assemblée législative de son grand-père. L'auteur profite de l'occasion pour adopter une posture d'historien et pour expliquer ce qui, selon lui, a causé les renversements de régimes politiques variés de la Révolution à la Restauration. Il relate ensuite les événements qu'il a observé à Mantes et Paris, des Etats généraux au procès de Louis XVI, puis sa retraite à Nogent-sous-Coucy dans sa belle-famille.

Chapitre III
Troisième partie : Le Juge

La dernière partie, longue d'une centaine de pages, est totalement inédite. Hua y traite de sa vie, de 1795 quand il quitte Nogent, au moment où il écrit ses Mémoires, vers 1827.


Conclusion

La réédition complète des Mémoires d'Eustache-Antoine Hua permet de replacer les passages précédemment édités dans leur contexte d'origine, et de rétablir le lien entre sa vie privée et sa vie professionnelle. Elle permet de connaître l'appréciation rétrospective portée par un homme présent au cœur d'événements historiques considérables, sur sa vie et l'enchaînement d'événements qui l'ont mené à sa position présente. Pour autant, ses mémoires ne se limitent pas à cela ; écrits pour ses quatre filles, ils ont pour principale vocation de les instruire sur l'histoire récente et la vie de leur père. Les raisons d'éditer de François Saint-Maur viennent se superposer aux raisons d'écrire de son grand-père, les sélections qu'il opère tenant autant à la prise en compte de l'intérêt général qu'à l'intérêt personnel du respect de la vie privée. Tout cela a rendu l'établissement d'une nouvelle édition et l'étude des personnes impliquées, plus de cent cinquante ans après, aussi ardus qu'enthousiasmants.


Annexes

Rreproductions photographiques à échelle réduite du portrait d'Eustache-Antoine Hua, de quelques feuillets et notes du manuscrit et de deux cartes (département de Seine-et-Oise en 1790 et Mantes-la-Jolie sous le règne de Louis XVIII). — Index des noms propres. — Chronologies des vies d'Eustache-Antoine Hua et d'Eustache-Maur François Saint-Maur. — Arbre généalogique quelque peu simplifié donnant leur filiation ascendante et descendante. — Tableau de la tradition du manuscrit. — Transcriptions d'une lettre de Martial Delpit adressée à son cousin François Saint-Maur au sujet de l'édition de 1871, des pages ajoutées entre les deux premières parties dans cette même édition, et du dernier feuillet du contrat de mariage d'Eustache-Antoine Hua et de Louise-Jeanne-Aglaë Hordret.