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École des chartes » thèses » 2014

À l'entrée du Soleil en Bélier

Les prédictions astrologiques annuelles latines dans l'Europe du xve siècle (1405-1484)


Introduction

Les prédictions astrologiques annuelles constituent à la fin du Moyen Âge un genre tout à fait spécifique bien que leurs appellations soient diverses. Alors que les manuels d'astrologie, arabes ou latins, parlent plutôt de « révolutions des années du monde », les prédictions elles-mêmes sont désignées, dans leur texte même, par les expressions latines judicium anni, tacuinus, et de plus en plus, à la fin du siècle, practicum, pro(g)nosticatio ou pro(g)nosticon. Quel que soit leur nom, les prédictions annuelles générales, qui font l'objet de cette thèse, sont bien définies dans la quadripartition médiévale classique des écrits astrologiques – prédictions annuelles, nativités, interrogations, élections – telle que la détaille, par exemple, le Speculum astronomie attribué à Albert le Grand.

En dépit du grand nombre de prédictions de ce type conservées, le genre n'avait jamais fait l'objet d'une étude complète et méthodique. Outre l'History of Magic and Experimental Science de Lynn Thorndike (1928-1958) – qui identifie et décrit de nombreux témoins, mais sans en fournir d'étude analytique –, l'apport le plus important est dû à Albano Sorbelli, dans un article du Gutenberg Jahrbuch paru en 1938 et consacré au tacuinus traditionnellement exigé des professeurs d'astrologie de l'université de Bologne. À l'exception de cette spécificité bolonaise, les prédictions annuelles sont plus souvent évoquées dans les études littéraires sur leurs parodies, les fameuses « pronostications joyeuses » auxquelles Jean Molinet ou François Rabelais ont donné leurs lettres de noblesse. Dans les dernières décennies, des articles de Philippe Contamine et Jean-Patrice Boudet ont néanmoins rouvert ce champ d'étude. Par ailleurs, si la période étudiée ici restait méconnue des historiens, ce n'est pas le cas de celle qui suit immédiatement, à la toute fin du xve siècle et au début du suivant, qui est remarquablement étudiée, en particulier dans les récents travaux de Robert Westman et Jonathan Green.

L'objet de cette thèse, en décrivant les prédictions astrologiques annuelles latines du xve siècle, est de souligner leur caractère à la fois « scientifique », car conforme à une véritable méthode établie par des ouvrages de référence auxquels les textes font des renvois, et « soutenable », c'est-à-dire le plus crédible possible à moyen terme, faisant pour cela l'objet d'inflexions selon les connaissances de l'auteur de la situation socioéconomique et géopolitique au moment de la rédaction.


Sources et bibliographie

Il est essentiellement fait usage des prédictions astrologiques annuelles elles-mêmes, qu'elles soient conservées sous forme manuscrite ou imprimée. Les premières font l'objet d'un catalogue complet, imprimé dans le deuxième volume de la thèse. Le dépouillement des secondes n'a en revanche pas été systématique. Les chiffres avancés dans l'étude se basent sur les données de l'Incunabula Short Title Catalogue ; à l'exception des éditions incunables de prédictions manuscrites signalées dans le catalogue, seul un échantillon a été étudié en détail.

Les principaux manuels d'astrologie cités dans les prédictions annuelles ont également été exploités, sauf exception dans leur édition princeps. Il est très probable que d'autres sources – livres de comptes, actes de la pratique, etc. – fassent parfois mention de prédictions annuelles, mais leur référencement étant inexistant, il n'a été possible d'en repérer qu'un très petit nombre dans le cadre de cette thèse.


Première partie
Écrire une prédiction astrologique annuelle : une méthode « scientifique »


Chapitre premier
Les principales autorités d'un jugement astrologique

Le principal argument en faveur d'une pratique « scientifique » est l'existence d'un corpus reconnu par tous les astrologues, qui y font référence pour appuyer leurs interprétations. Les principales autorités citées sont Ptolémée (v. 90-v. 168), pour son Quadripartitum et le Centiloquium qui lui est (faussement) attribué au Moyen Âge ; Haly Abenragel (mort v. 1040), auteur d'une encyclopédie intitulée De judiciis astrorum, dont le huitième tome est spécifiquement consacré aux prédictions annuelles ; Messahallah (mort v. 815), pour le De revolutionibus annorum mundi et le De conjunctione planetarum ; Albumasar (787-886), essentiellement pour ses Flores astrologie, mais parfois également au titre de son fameux traité De magnis conjunctionibus ; et Abraham Avenezra (v. 1090-v. 1164), lui aussi auteur d'une encyclopédie astrologique dont l'un des livres est dédié aux pronostications (Liber conjunctionum planetarum et revolutionum annorum mundi qui dicitur de mundo vel seculo). Plus exceptionnellement, certaines prédictions annuelles font référence à Alcabitius, Albategni et Bethem, au Liber novem judicum, à Aomar Alfraganus, Zael ou Alkindi. Bien que peu mentionnées, les compilations latines, notamment la Compilatio de astrorum scientia de Léopold d'Autriche, étaient probablement bien connues des auteurs de prédictions annuelles. Au contraire, certaines autorités citées dans les pronostications le sont davantage pour le prestige de leur nom qu'en référence au contenu de leurs ouvrages : c'est le cas d'Aristote, Hermès Trismégiste ou Julius Firmicus Maternus, voire de Ptolémée dans certaines prédictions.

Chapitre II
Sources astronomiques et figures astrologiques

Les prédictions annuelles déduisent de la position des astres à un moment donné des effets concrets qu'elles dévoilent à leur lecteur. L'ensemble de ces positions constituent une « figure du ciel » (figura celi), et le choix du moment auquel l'établir est crucial dans le travail astrologique préparatoire. Dans le cas des prédictions annuelles, la plus importante figure du ciel est établie au début de l'année astrologique, située par convention à l'équinoxe de printemps soit, en termes astronomiques, à l'entrée du Soleil en Bélier. Cette figure est appelée « révolution » ; elle peut être complétée par la « prévention », établie au moment de la dernière conjonction ou opposition de la Lune et du Soleil. Selon le signe dans lequel se trouve le point ascendant du ciel de la révolution, il peut être nécessaire de renouveler ces deux figures pour l'équinoxe d'automne, voire au début de chaque saison. Les astrologues les plus rigoureux peuvent également faire appel aux figures des oppositions et conjonctions mensuelles des luminaires, en particulier les éclipses, voire à des conjonctions planétaires ; ils ont en outre parfois recours à certains éléments issus d'autres genres astrologiques, comme les nativités de certains princes ou les horoscopes de fondation des principales cités. Une figure très spécifique, dont l'origine est inconnue, le passage du soleil à 20°1' du signe du Scorpion, est également mobilisée pour certaines conclusions météorologiques.

Chapitre III
Les principaux ressorts astrologiques d'un jugement annuel

Une fois dressées les principales figures du ciel, l'astrologue doit procéder à leur analyse, très codifiée ; une partie de celle-ci est commune à toute étude astrologique, mais certains protocoles sont spécifiques aux prédictions annuelles. Tout un ensemble d'effets peut être déduit de l'emplacement des corps célestes : les sept planètes – Soleil, Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne – ont une signification propre, amendée selon le signe du Zodiaque – Bélier, Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne, Verseau, Poissons – dans lequel elles se trouvent, selon le sens de leur mouvement et la distance angulaire qui les sépare sur le zodiaque (« aspects »). Les comètes et étoiles fixes peuvent également être prises en compte.

À ces positions planétaires se superpose la « domification », division de la sphère céleste en douze maisons variable selon l'heure de la journée, qui oriente l'interprétation vers des thèmes particuliers : vie, richesse, frères et sœurs, prisons, etc.

Enfin, chaque planète peut être identifiée par l'astrologue comme « significateur » spécifique, suivant sa position et la maison dans laquelle elle se trouve. Les plus importants pour les prédictions annuelles sont le seigneur de l'année (dominus anni), le seigneur de l'ascendant (dominus ascendentis) et le significateur du roi (significator regis). D'autres points du Zodiaque peuvent être déterminés par des calculs sans correspondre réellement à l'emplacement d'un corps céleste : on parle de « parts » (partes), essentiellement utiles pour les prédictions agricoles et météorologiques.

Chapitre IV
Construire un jugement annuel : les différents types de plan

Tous ces facteurs doivent être combinés pour réaliser le jugement proprement dit. Les choix d'organisation de celui-ci témoignent à la fois des méthodes et des priorités de son auteur. Dès le début de la période – contrairement à ce qui a parfois été avancé par les historiens du siècle suivant – le plan le plus courant est thématique. Une partie est consacrée à la fertilité de la terre et au prix des victuailles (« De fertilitate et pretio victualium », « De gravitate annone », etc.). Plusieurs méthodes astrologiques sont décrites par les autorités, faisant en particulier appel aux partes, mais ce domaine thématique est également le seul où les astrologues se risquent à enchaîner les conclusions, déduisant par exemple le pourrissement des céréales d'une configuration céleste annonçant un été humide. Un deuxième thème (pas forcément dans cet ordre) est médical, dédié aux grandes épidémies mais également, pour les prédictions détaillées, aux principales maladies susceptibles de survenir pendant l'année, parfois selon une typologie très détaillée et conforme à la science médicale de l'époque. Enfin, la troisième partie thématique concerne les prédictions militaires. Il s'agit de prévoir les principaux conflits armés et éventuellement leur issue, mais aussi souvent les manifestations de violence en général, notamment les assassinats politiques, les révoltes populaires, la prolifération de voleurs, de bandits de grand chemin ou même de bêtes sauvages.

D'autres organisations existent également, et concourent à la diversité des prédictions annuelles : plan géographique, plan chronologique et plan astrologique – dédiant une partie à chaque figure du ciel étudiée – mais également, plus rarement, organisation dialectique, selon la distinction philosophique elementa / elementata ou selon la distinction plus astrologique entre prédictions générales et prédictions particulières.

Chapitre V
Les « prédictions particulières »

Cette dernière distinction, bien que constituant rarement le principe du plan, est l'une des plus mises en avant dans les prédictions annuelles. Elle propose une ligne de démarcation entre les prédictions « naturelles », en particulier agricoles, météorologiques et médicales – présumées les plus aisées à calculer ainsi que les plus licites, car peu susceptibles d'être perturbées par le libre arbitre humain –, et des « prédictions particulières », plus précises, s'appliquant seulement à une partie de la population, définie géographiquement – par pays, par souverain, par cité, etc. – ou socialement – par couche sociale ou par métier. Les méthodes astrologiques sont quelque peu différentes car ce mode de prédiction ne semble pas avoir été privilégié par les autorités grecques et arabes, dont les protocoles s'appliquent par ailleurs mal au monde latin ; c'est par exemple le cas de la théorie ptoléméenne des climats selon laquelle le nord de l'Europe est inhabitable. Les astrologues latins ont donc dû reconstituer des protocoles dans l'ensemble plus simples. Ils font notamment appel à des figures du ciel exogènes – la nativité des princes gouvernant la région par exemple –, ainsi qu'à des significateurs particuliers, généralement planétaires : Mercure, par exemple, est censée « gouverner » marchands, peintres et sculpteurs, écrivains et étudiants, universitaires, alchimistes, mais aussi les jeunes gens, les hommes changeant fréquemment d'avis et ceux qui ont le front haut, etc. Chaque cité est également associée à un signe du Zodiaque, réputé ascendant lors de sa fondation, et une planète correspondante, à partir desquels on peut lire ses influences particulières pour l'année à venir.

Chapitre VI
Astrométéorologie et calendriers

À la différence des prédictions particulières, les prédictions météorologiques ne font que rarement l'objet d'une distinction marquée par rapport aux prédictions générales ; pourtant, les procédés astrologiques auxquels leur conception fait appel sont plus spécifiques encore, parfois plus proches du genre des élections astrologiques que de celui des révolutions annuelles.

La météorologie peut constituer jusqu'à la moitié d'un jugement. Pour la calculer, l'astrologue utilise des méthodes diverses selon le niveau de précision souhaité : les prédictions saisonnières sont généralement déduites des figures du ciel générales, et les prédictions mensuelles des conjonctions et oppositions des luminaires. Cependant, d'autres figures peuvent être sollicitées, comme celle du passage du Soleil à 20°1' du Scorpion, et les principes d'analyse relèvent plus souvent de l'astrologie lunaire, selon les protocoles d'autorités particulières comme Alkindi.

Les prédictions sont cependant de plus en plus précises tout au long du siècle, et il est assez courant dans les années 1470 d'incorporer dans les jugements annuels des listes de jours détaillées, non seulement météorologiques, mais également médicales, pour choisir les jours à préférer pour administrer une médication, une cure thermale ou une saignée, ou encore très générales, pour planter des arbres ou entreprendre un voyage. La généralisation de telles listes de jours, encouragée par les nouvelles techniques des premiers jugements imprimés, est rendue possible par la généralisation à la même époque de listes de positions planétaires, almanachs et éphémérides, genres circulant à part dont la spécificité est recherchée dans ce chapitre.


Deuxième partie
Une production inscrite dans son temps


Chapitre premier
Les auteurs de prédictions annuelles

La première partie ayant cherché à expliciter les mécanismes de l'astrologie judiciaire, il est ici question de l'importance du contexte de rédaction, qui influence naturellement les résultats « scientifiques » de la science des astres. Dans un ouvrage récent consacré à Copernic, et en particulier à l'influence des auteurs de pronostications parmi lesquels le savant polonais a vécu lors de son séjour à Bologne, Robert Westman formule le besoin d'une étude plus complète des « milieux de pronostication », qu’il perçoit comme tout à fait spécifiques, même par rapport à d’autres activités astrologiques. Une première réponse à cette question est proposée dans ce chapitre, qui interroge la notion d'auctorialité au sein des prédictions annuelles, et, parallèlement, celle d'anonymat – qui concerne vingt et une des quatre-vingt-sept prédictions manuscrites conservées –, ainsi que l'homogénéité des milieux dans lesquels se recrutent les auteurs identifiables. Enfin, un panorama des principaux lieux d'exercice de ces « pronosticateurs » donne mieux conscience de l'hétérogénéité de l'espace européen quant à la production de prédictions annuelles.

Chapitre II
L'influence du contexte

Il est difficile de mesurer précisément jusqu'à quel point les conclusions d'une prédiction annuelle sont infléchies par rapport aux résultats purement astrologiques, car ceux-ci nécessitent quoi qu'il en soit une sélection de la part de l'astrologue, qui les ordonne de façon à proposer une vision de l'avenir congrue au contexte de rédaction. Cependant, on peut distinguer un certain nombre d'événements politiques, religieux, sociaux ou sanitaires spécifiquement évoqués dans les prédictions ou, au contraire, passés sous silence. Au début du siècle, par exemple, on trouve sans surprise des échos du Grand Schisme dans les pronostications, auquel se substitue à partir du milieu du siècle la menace d'invasion turque de la chrétienté. Parmi les événements politiques ponctuels évoqués, les plus fréquents se rapportent aux conflits concernant le royaume de Naples, alors même qu'il s'agit d'une région peu productrice de prédictions astrologiques. En revanche, la guerre de Cent Ans, par exemple, ou les résurgences de la Peste Noire ne sont que rarement envisagées en détail par les astrologues.

Le contexte culturel fait place à un événement tout à fait marquant : l'invention de l'imprimerie. Cette innovation marque les prédictions annuelles dans leur forme même, puisqu'il s'agit d'un des premiers genres littéraires à avoir été imprimé en masse, dès les années 1470, et à s'être transformé pour mieux profiter de celle-ci. Pourtant, cette invention est très peu évoquée dans les textes des jugements. Elle permet néanmoins de distinguer une transformation des géographies de production et de diffusion des prédictions annuelles en cours à cette époque, qu'elle a probablement facilitée et accélérée.

Chapitre III
Peut-on expliquer la spécificité du xve siècle ?

La recherche de l'influence du contexte de rédaction sur le contenu des prédictions annuelles amène naturellement à s'interroger sur la particularité de cette période, susceptible d'expliquer sa cohérence documentaire. Bien qu'il semble que toutes les connaissances astrologiques et toutes les structures de rédaction, curiales comme universitaires, aient déjà été en place au xive siècle, nous ne conservons de cette époque que sept prédictions, parfois fragmentaires et plus ou moins conformes à la définition retenue pour la période d'étude de cette thèse. En contrepoint, la seule année 1405 suscite trois prédictions distinctes que nous conservons intégralement, et à partir de 1418, nous en connaissons au moins une pour chaque année ou presque. Il est difficile de trouver à cet essor une explication pleinement satisfaisante.

Le deuxième bond documentaire qui marque la fin de la période est en revanche plus facilement explicable. La conjonction entre Saturne et Jupiter de 1484 fait en effet l'objet d'un texte très particulier, la Pronosticatio ad viginti annos duratura de Johannes Lichtenberger, paru en 1488. Faisant la synthèse entre deux genres en compétition tout au long du xve siècle, astrologie « scientifique » et prophétie révélée, le Pronosticatio de Lichtenberger prend acte du nouveau public touché par les prédictions imprimées, plus large, moins savant, et tout disposé à bénéficier à la fois de ces deux méthodes prédictives. Paradoxalement, la partie « scientifique » de l'astrologie, au moment même où elle disparaît des prédictions annuelles imprimées, semble susciter au moins en partie la réforme copernicienne du système astronomique ptoléméen.


Troisième partie
Réception et transmission


Chapitre premier
Les spécificités dans la transmission des sources

Comme la plupart des études historiques, cette thèse est très dépendante de la représentativité des sources sur lesquelles elle se base. Aussi convient-il, avant d'analyser en détail diffusion et réception contemporaines, de mettre en exergue les modalités selon lesquelles les prédictions annuelles que nous connaissons nous ont été transmises. En effet, bien qu'il ait été possible de reconstituer un corpus conséquent de pronostications datant de la période étudiée – quatre-vingt-sept prédictions dont nous conservons quatre-vingt-quinze copies manuscrites, et quatre-vingt-trois prédictions imprimées en cent six éditions distinctes dont nous conservons au total cent soixante-trois exemplaires – il ne s'agit que d'un maigre échantillon de la production de l'époque, ce qui est facilement compréhensible eu égard au caractère intrinsèquement éphémère de prédictions établies pour une seule année. Surtout, les exemplaires conservés l'ont essentiellement été grâce à l'établissement d'importantes collections par certains humanistes des xve et xvie siècles, au premier rang desquels le médecin nurembergeois Hartmann Schedel (1440-1514), à l'origine d'une compilation de vingt et une prédictions de 1478 à 1481, ou encore Fernand Colomb (1488-1539), dont la bibliothèque aujourd'hui établie à Séville contient, malgré les pertes, au moins cent sept prédictions incunables. L'établissement de ces collections, même lorsqu'elles se voulaient bibliographie courante, nécessitait une sélection qui rend leur représentativité sujette à caution. En particulier, la géographie de la conservation des prédictions annuelles aux xve et xvie siècles s'éloigne significativement de la géographie de la production, révélant probablement que la plupart des collectionneurs étaient originaires de région où l'offre en prédictions astrologiques était trop faible pour satisfaire la demande.

Chapitre II
Pourquoi et pour qui écrire une prédiction annuelle ?

Au-delà des collectionneurs, il est intéressant – mais particulièrement délicat – de s'interroger sur les schémas de diffusion les plus contemporains de la production. Il s'agit en effet de dépasser un certain nombre d'idées préconçues, pour certaines partagées par les auteurs de prédictions annuelles eux-mêmes : ceux-ci affirment souvent s'adresser d'abord aux princes – pour leur permettre de mieux gouverner leur État –, mais aussi à tout homme, n'importe quel laboureur (illettré) se devant d'être attentif aux prédictions astrologiques. En réalité, l'essentiel de la production du xve siècle était universitaire, et d'abord lue par des étudiants ou enseignants en astrologie, les plus à même de comprendre les raisonnements très techniques de l'astrologie scientifique. Les prédictions annuelles prenaient une place importante dans le rituel universitaire, faisant généralement l'objet d'une promulgation publique au début de l'année ; à Bologne il s'agissait même d'un devoir incombant aux professeurs en astrologie, et la diffusion par copie était organisée grâce au système de la pecia.

A contrario, l'astrologie princière ne faisait pas dans les faits une grande place aux prédictions annuelles, trop générales et trop publiques pour vraiment servir les intérêts du prince. Celles-ci jouaient cependant un rôle comme support « publicitaire » pour les astrologues, qui les envoyaient chaque année à un grand nombre de princes afin de se faire connaître d'eux et d'être éventuellement pris à leur service comme conseillers astrologiques entretenus.

La diffusion des prédictions annuelles à un plus large public semble avoir été anecdotique au début de notre période, mais force est de constater que les sources manquent pour confirmer cette hypothèse. En particulier, le cas de Richard Trewythian – astrologue « public » londonien, étudié par Hilary Carey à partir de son livre de travail, conservé à la British Library et contenant treize brouillons de prédictions annuelles – pourrait faire figure d'exception. Il n'est cependant pas certain que ces prédictions aient été destinées au public et non au seul astrologue, ni que la pratique astrologique ait constitué l'essentiel de son activité. En revanche, dans les années 1470 et 1480, l'imprimerie permet la mise en place de nouveaux mécanismes élargissant beaucoup le public des prédictions annuelles, en particulier les placards et les versions simplifiées, épurées de l'apparat scientifique. La Pronosticatio de Lichtenberger, qui clôt la période étudiée dans cette thèse, ouvre la voie à une production et une réception bien plus larges, dès la fin des années 1480.

Chapitre III
La réception contemporaine

La réception des prédictions annuelles ne peut naturellement être envisagée qu'avec une très grande prudence, faute de sources témoignant précisément des réactions de leurs lecteurs. Plusieurs directions susceptibles de mettre à jour certains pans de la réception, parfois inattendus, sont cependant explorées dans ce chapitre.

Les prédictions annuelles échappent-elles aux critiques de l'astrologie ? — En dépit d'une croyance à l'influence astrale assez généralisée au Moyen Âge, l'astrologie a souvent fait l'objet de critiques savantes. Dans l'ensemble, celles-ci peuvent avoir deux principaux fondements : l'astrologie judiciaire peut être condamnée dans la mesure où elle contrevient au libre arbitre humain et/ou à la toute-puissance divine, dogmes fondamentaux du christianisme. C'est le point de vue le plus courant au xiiie siècle, sous la plume, par exemple, de Thomas d'Aquin ou Albert le Grand – ce dernier étant beaucoup plus permissif. Au siècle suivant, Nicole Oresme et Henri de Langenstein portent une attaque plus appuyée encore, en affirmant l'impossibilité pour l'homme de connaître les modalités de l'influence astrale et donc de la prédire. Les mécanismes astrologiques sont jugés fantaisistes et d'autant plus coupables qu'ils semblent inspirés par la mythologie païenne. Si c'est cette dernière critique qui est largement reprise à la toute fin du xve siècle – par Pic de la Mirandole en particulier –, provoquant une véritable crise de la science des astres, la période étudiée reste plus largement marquée par les critiques scolastiques, qui semblent laisser une place à une astrologie « naturelle », « universelle », c'est-à-dire limitée à des domaines où n'intervient pas le libre arbitre humain. Pour beaucoup de commentateurs et d'historiens, les prédictions annuelles générales représentent par excellence cette astrologie naturelle, faisant une large place à la météorologie, aux épidémies, ou à l'agriculture ; les auteurs en sont d'ailleurs bien conscients et protestent fréquemment de l'éventualité que leurs prédictions ne se réalisent pas, potentiellement à cause d'une erreur de calcul de leur part, mais plus sûrement parce que l'intervention divine ou humaine est susceptible de les altérer. La réalité est bien entendu moins contrastée, et toute une partie des prédictions annuelles – en particulier les « prédictions particulières » – s'éloigne sensiblement d'une astrologie purement « naturelle ». Surtout, ces critiques académiques ne semblent pas être les principales opposées aux auteurs de jugements annuels, qui se considèrent généralement comme victimes de calomnies et s'en plaignent amèrement dans les prologues de leurs prédictions. On peut évidemment douter de la réalité de celles-ci : elles semblent plutôt témoigner d'une réception entre adhésion et rejet, non conforme aux attentes préconçues des astrologues et qui les met mal à l'aise.

Les prédictions influencent-elles les décisions politiques et économiques ? — Quelques rares exemples permettent d'illustrer une telle réception « décalée ». Sur le plan économique, le Journal du notaire au Châtelet de Paris Jean de Roye a parfois été cité pour un passage signalant des prédictions astrologiques erronées à propos de l'hiver 1480-1481, et leurs conséquences économiques. Une relecture plus détaillée du passage en question amène plutôt à déceler une sorte de « préciosité », de « raffinement » culturel de la part de l'auteur, plus préoccupé de mettre en valeur sa connaissance des prédictions astrologiques pour l'année en cours que d'en apprécier la justesse. Ce comportement fait écho à une hypothèse d'Hilary Carey concernant le goût princier pour l'astrologie aux xive et xve siècles. Selon l'historienne britannique, cet attrait pour la science des astres pourrait participer d'une mode caractéristique de la civilisation de cour plutôt que d'un réel intérêt politique.

Politique et propagande astrologique : le cas de Milan. — Les archives du duc de Milan Galeazzo Sforza (1444-1466-1476), malheureusement très peu utilisées dans cette thèse du fait de leur dispersion et de leur difficulté d'accès, semblent témoigner d'un usage plus politique des prédictions annuelles, mais toujours pas dans le sens attendu par les astrologues. Les études de l'historienne Monica Azzolini, en particulier, retracent la réaction de Galeazzo Sforza à ce qu'il a perçu comme une attaque contre son image, perpétrée par ses ennemis politiques et les astrologues à leur solde. L'ampleur de la réaction diplomatique engagée par le despote montre qu'à tort ou à raison, il prenait cette atteinte à sa réputation très à cœur, présumant ainsi d'une diffusion peut-être plus large qu'elle ne pouvait l'être. Bien qu'il n'y ait pas de preuve définitive qu'il s'agissait bien d'une contre-propagande hostile, c'est tout à fait plausible dans certains des cas soulevés par Galeazzo Sforza.

Un genre dérivé : les pronostications joyeuses. — Les parodies de prédictions annuelles qui se développent largement à la fin du xve siècle, mais surtout au xvie siècle, témoignent évidemment d'une certaine réception critique des prédictions annuelles « sérieuses ». Cependant, les études littéraires qui en ont été faites récemment – et notamment la thèse de doctorat de Franck Manuel qui propose une synthèse à l'échelle européenne – semblent plutôt mettre en exergue une diffusion « populaire » et anti-astrologique seulement au milieu du xvie siècle. Les pronostications joyeuses datant de la fin du xve siècle sont surtout des exceptions littéraires, dues à de grands poètes princiers comme Jean Molinet ; les témoins plus « populaires » qui ont peut-être existé dès cette époque, sur le modèle de la fameuse Sottie de l'astrologue, auraient d'abord été des remises en cause de la société dans son ensemble, de la même manière que le genre littéraire voisin des sermons joyeux, et non des attaques contre l'astrologie judiciaire. À l'appui de cette thèse, on remarque que certaines pronostications joyeuses sont copiées sans contradiction à la suite de compilations astrologiques tout à fait sérieuses.


Conclusion

La période 1405-1484 est très particulière dans l'histoire des prédictions astrologiques annuelles. Pratiquement inexistantes auparavant, elles se multiplient, sous forme manuscrite avant la généralisation de l'imprimerie, et sont caractérisées par une tension constante entre fidélité à une méthode « scientifique » d'interprétation et nécessité de choisir et d'amender les conclusions pour se montrer le plus crédible possible – ambition abandonnée à la période suivante, où il n'est pas rare de voir prédire le déluge par le feu pour l'année suivante. Cette transformation témoigne d'une métamorphose du genre lui-même, réconcilié avec la prophétie, mais également d'un changement de public, en particulier grâce à l'imprimerie. Même si le xve siècle fait d'abord des prédictions annuelles un objet savant, destiné en priorité aux universitaires, des exemples comme celui de Jean de Roye montrent bien que le genre disposait d'une place assez prestigieuse dans l'univers culturel des couches supérieures de la population, même si les usages qui en étaient faits n'étaient pas toujours ceux prévus par les astrologues. Cela explique d'ailleurs en partie l'attraction exercée par ces opuscules sur certains collectionneurs, grâce auxquels nous en avons conservé un assez grand nombre.


Catalogue des prédictions astrologiques annuelles manuscrites en latin conservées dans les bibliothèques publiques européennes (1405-1484)

Il s'agit, dans le deuxième tome de cette thèse, d'une description la plus systématique possible des prédictions annuelles manuscrites latines entre 1405 et 1484 conservées dans les bibliothèques publiques européennes. Le recensement se base essentiellement sur le Catalogue of Incipits of Scientific Writings in Latin de Pearl Kibre et Lynn Thorndike (1938), ainsi que sur le Catalogus codicum astrologorum latinorum de David Juste (en cours de publication). S'il y a peu de lacunes d'importance – à l'exception toutefois du fonds Sforza de l'Archivio di Stato de Milan, dont la consultation sur place ou par reproduction n'a pas été possible – il est néanmoins très vraisemblable que des prédictions isolées, conservées dans des dépôts mal catalogués, soient encore inconnues.

Chacune des quatre-vingt-sept notices est identifiée par l'année de la prédiction et le nom de son auteur. Outre des renvois aux catalogues et inventaires de référence, chaque manuscrit fait l'objet d'une brève description, comprenant sa localisation, son contenu, sa tradition si possible ainsi que, le cas échéant, l'adresse du fac-similé numérique mis à disposition par l'institution chargée de le conserver. Lorsqu'une édition incunable est connue, elle est également décrite. Les paragraphes suivants donnent une brève biographie de l'auteur s'il est identifiable, l'incipit du texte et une description générale de la prédiction dont il est question. Un bloc est ensuite consacré à l'argumentation astrologique, selon des critères les plus objectifs possible : principales autorités citées, figures du ciel utilisées, carrés astrologiques tracés, régularité et caractérisation des prédictions météorologiques, type de plan, caractérisation de l'argumentation astrologique et étendue géographique prise en compte. Le type de prologue est également décrit de façon la plus normalisée possible. Chaque notice reproduit enfin le plan de la prédiction, reprenant le plus possible les titres proposés par l'auteur (ou le copiste). Elle contient également, le cas échéant, quelques références bibliographiques spécifiques au manuscrit, à la prédiction ou à l'auteur. Le catalogue est pourvu de tables et d'index spécifiques, par année, par auteur, par lieu de conservation, par incipit, par dédicataire et par possesseur. Il a pour vocation d'être mis le plus rapidement possible à la disposition de la communauté scientifique sous la forme d'une publication numérique au format XML/TEI, pour lequel les notices sont conçues.


Édition critique des prédictions annuelles pour 1405

Alors que moins d'une dizaine de prédictions annuelles datant du xive siècle sont conservées, la seule année 1405 – il est vrai année de grande conjonction – a donné lieu à trois prédictions conservées intégralement. Deux d'entre elles sont copiées dans un volume ayant appartenu à la bibliothèque de l’astrologue et collectionneur Simon de Phares à la fin du xve siècle, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la cote ms. lat. 7443. La troisième appartient à un manuscrit de la Bibliothèque vaticane, le Palat. lat. 1438, un recueil factice assez disparate ayant appartenu à l’humaniste rhénan Mathias de Kemnat, et peut-être compilé par lui, dans lequel se retrouvent plus d’une dizaine de prédictions annuelles, qui sont cependant dans l’ensemble moins complètes. Ces trois prédictions sont particulièrement intéressantes par elles-mêmes ; elles sont aussi, dans une certaine mesure, un bon échantillon des différents modèles de pronostication qui se répandent tout au long du xve siècle. Elles illustrent en particulier les différents enjeux contradictoires entre lesquels hésitent la plupart des astrologues à cette époque : citation ou non des autorités, détail ou non du raisonnement – qui peut à la fois renforcer la crédibilité ou permettre la critique –, organisation du texte – par grands thèmes ou par planètes –, public visé et difficulté du raisonnement astrologique, détail dans les prédictions, introduction ou non de remarques politiques, sociales, religieuses dans un jugement astrologique, etc. Chaque texte, bien que connu en un seul exemplaire, fait l'objet d'un apparat critique, de notes sémantiques et de notes historiques, explicitant également les citations et références d'autorités astrologiques.


Index et tables

Index des noms de personnes. — Index des noms de lieux. — Index des sujets et notions. — Index des prédictions astrologiques annuelles mentionnées. — Liste des cartes, schémas et reproductions. — Liste des tableaux. — Liste des citations. — Table des matières générale.