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École des chartes » thèses » 2015

Un recueil d'exempla franciscain méridional du xiiie siècle

Édition critique du manuscrit BNF, lat. 3555


Introduction

Plusieurs thèses de l'École des chartes ont dans le passé traité des recueils d'exempla ; ce travail se situe dans leur héritage direct tout en bénéficiant de l'apport des technologies contemporaines. Les exempla sont des récits de longueur variable et portant sur des sujets divers, employés par les orateurs comme moyens de persuasion : ils apportent à leur auditoire un exemple frappant de comportement valorisé ou condamné. L'essor de la prédication au xiie siècle et le goût des cisterciens pour ce genre de récits ont permis leur introduction dans les sermons et les prêches ainsi que leur usage par les prédicateurs pour éveiller l'attention de leur auditoire et fournir une illustration de leur discours abstrait. L'étude de ces récits, difficiles à définir en tant que genre littéraire, est née en France au xixe siècle avec les éditions des recueils d’Étienne de Bourbon et de Jacques de Vitry par Albert Lecoy de la Marche et Thomas Frederick Crane. Jean-Thiébaut Welter apporta au début du xxe siècle sa pierre à l'édifice, en particulier grâce à sa thèse sur l'exemplum dans la littérature religieuse et didactique au Moyen Âge. Puis l’École des Annales, et plus précisément l'étude de l'histoire des mentalités, donna au genre une nouvelle dynamique dans les années 1960 autour de Jacques Le Goff, Jean-Claude Schmitt et Jacques Monfrin. L'Index exemplorum, publié en 1969 par le Finlandais Frederic Tubach, fut un ouvrage majeur qui établit une première typologie des exempla en se basant sur toutes les éditions antérieures. En 1970 naquit, autour de Jacques Le Goff et Claude Bremond, le Groupe d'anthropologie historique de l'Occident médiéval (GAHOM) dont l'un des axes de recherche est justement l'étude des exempla sur le plan narratif, lexical et anthropologique : de ces recherches sont nées plusieurs bases de données, dont le Thesaurus exemplorum medii aevi (ThEMA), qui regroupe l'ensemble des récits exemplaires édités et/ou connus à ce jour.

Au cours de ses travaux, Jean-Thiébaut Welter s'est intéressé à un recueil d'exempla méridional anonyme inclus dans le manuscrit lat. 3555 de la Bibliothèque nationale de France, entre deux recueils de sermons, et en a fourni une première édition partielle en 1930 dans la revue Études franciscaines. Ce manuscrit unique a également été étudié par Marie Anne Polo de Beaulieu en 1997 dans les Cahiers de Fanjeaux consacrés à la prédication en pays d'Oc. L'objet de cette thèse est en premier lieu l'édition du recueil dans son intégralité, accompagnée de la recherche des sources et de la postérité éventuelle des deux cent quarante -quatre récits qui le composent ; cette édition a donné lieu à une analyse codicologique du recueil, à une étude de l’œuvre du compilateur ainsi qu'à un travail sur les thèmes religieux, culturels et sociaux qui y sont développés.


Sources

Le manuscrit lat. 3555 de la Bibliothèque nationale de France, à Paris, est pour le moment l'unique exemplaire recensé de ce recueil. L'édition et le commentaire se sont par conséquent tous deux basés sur celui-ci. Les comparaisons des récits avec leur source et leurs variantes ont été permises par les précédentes éditions de tels recueils ainsi que par la base de données ThEMA.


Première partie
Analyse du recueil


Chapitre premier
La nature du recueil

Description et histoire du manuscrit. — Le manuscrit se compose de vingt et un cahiers de douze feuillets ; le recueil d'exempla se situe entre les folios 168v et 212. Les exempla sont séparés les uns des autres par des pieds-de-mouche et, pour une partie d'entre eux, par des rubriques ; certains sont également introduits par une lettrine avec antennes. L'écriture est très lisible, relativement peu abrégée et les seules annotations du manuscrit se situent dans les recueils de sermons qui encadrent les exempla. La période de rédaction peut être estimée entre 1272, date mentionnée dans le recueil, et 1290, peu après la venue en France de Jean de Galles, l'une des sources orales de ces récits. La trace du manuscrit a été retrouvée dans la bibliothèque pontificale d'Avignon en 1369, puis dans celle du cardinal Giovanni Francesco Guidi di Bagno, mort en 1641. Nous le retrouvons ensuite dans les collections de Mazarin, puis dans celles de Colbert en 1667, ce qui explique sa présence au sein de la Bibliothèque nationale de France.

Quel auteur ? — Si le nom de l'auteur n'a pu être retrouvé, il est indéniable, au vu des récits et des thèmes abordés, que celui-ci est un membre de l'Ordre franciscain ; les deux recueils de sermons qui encadrent les exempla sont d'ailleurs des sermons attribués à des frères mineurs. Les différents lieux mentionnés permettent d'établir, après une projection cartographique, que ce franciscain résidait à Montpellier et que de nombreux récits lui étaient transmis par les frères d'autres couvents.

Un usage pensé et réfléchi ? — Le recueil ne bénéficie pas d'un classement des récits, que ce soit par ordre alphabétique ou par thème, alors que d'autres recueils de la même période sont organisés de la sorte. Le compilateur semble sélectionner des récits au fil de sa pensée, bien que certains ensembles remarquables puissent être relevés : ainsi, les trente premiers récits sont tirés des Dialogues de Grégoire le Grand et les exempla nº 196 à 218 traitent de la Vierge Marie. Cette absence de classement clair et explicite ne facilite pas son utilisation par les prédicateurs, d'autant plus qu'aucun système de renvoi entre les sermons et les exempla n'a pu être identifié ; il n'en reste pas moins un outil de travail utile pour le prédicateur.

Chapitre II
Le travail du compilateur

Sources et influences postérieures. — Sur les deux cent quarante-quatre exempla que comporte ce recueil, cent trois possèdent une source avérée tandis que cent quarante et un n'ont pu être retrouvés dans d'autres écrits. Les sources principales sont les Dialogues de Grégoire le Grand, les Verba seniorum, les Testaments des douze patriarches, les écrits de Pierre Damien transmis via le Chronicon d'Hélinand de Froidmont, le Tractatus de diversis materiis predicabilibus du dominicain et inquisiteur Étienne de Bourbon et les Sermones vulgares de Jacques de Vitry. Sont également présents des récits tirés du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, de l'Exhortatio virginitatis de saint Ambroise de Milan, de l'Historia Longobardorum de Paul Diacre, du conte Barlaam et Josaphat, du Collectaneum exemplorum et visionum Clarevallense, des œuvres de Césaire de Heisterbach, de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée, des Miracles de Notre-Dame de Rocamadour ainsi que des écrits de Bède le Vénérable, Paschase Radbert, Heiric d'Auxerre, Guillaume de Malmesbury, le Pseudo-Turpin et Jacques de Voragine. L'emploi des exempla de Grégoire le Grand en début de recueil donne à penser que le compilateur les emploie afin de se prémunir contre toute accusation de déviance à une période de conflit entre l’Église et une partie des franciscains, tandis que la reprise de récits des Écritures ou de prédicateurs célèbres lui confère une caution morale importante. En revanche, la faible présence des autres écrits est le signe que le compilateur s'intéresse plus aux thèmes abordés qu'aux auteurs une fois que les autorités nécessaires ont été mentionnées. Concernant la postérité des récits de ce recueil, quarante-deux d'entre eux se retrouvent dans le De dono timoris d'Humbert de Romans, le Liber exemplorum ad usum praedicantium, le Speculum Laicorum, le Ci nous dit, la Scala Coeli de Jean Gobi le Jeune, le Tombel de Chartrose, la Chronica XXIV generalium Ordinis Fratrum Minorum et l'Alphabet of Tales d'Étienne de Besançon, une traduction de l'Alphabetum narrationum composé par Arnold de Liège à la toute fin du xiiie siècle. Cela, en plus d'une nette prédominance des récits sans source antérieure dans la Chronica XXIV generalium, permet de conclure à leur circulation à l'intérieur de l'ordre franciscain, sans qu'il soit toutefois possible d'affirmer, en raison des variations subies par les récits, que les recueils ultérieurs se soient inspirés de celui-ci.

Reprises et adaptations. — La comparaison des exempla du recueil avec leur source permet de voir que le compilateur, dans la grande majorité des cas, apporte des modifications syntaxiques, lexicales et/ou narratives. Si vingt-quatre récits, deix-neuf tirés des Dialogues et cinq des Vitae seniorum, sont quasiment identiques à leur source, tous les autres subissent au minimum une modification de la syntaxe ou du lexique ; certains sont plus ou moins résumés. Parmi ces modifications apportées par le compilateur, il convient de noter l'absence, le cas échéant, d'une morale ou d'un enseignement consigné par les auteurs originaux à la fin des exempla, comme c'est le cas notamment pour Jacques de Vitry. Les changements qui concernent les histoires elles-mêmes doivent être observés au cas par cas et révèlent les positions prises par le compilateur sur des sujets sociaux et religieux. Mais la plupart des récits bénéficient seulement d'un lexique et d'une narration plus simples afin de pouvoir s'adapter au niveau de culture du public des prédicateurs qui les emploieront ; les récits les plus complexes à appréhender, à savoir les trois derniers du recueil, voient d'ailleurs leur signification clairement explicitée. Bien que les publics des exempla soient multiples, le compilateur paraît bien avoir en tête les difficultés d'une prédication populaire et cherche à les surmonter de la sorte, allant même jusqu'à introduire à deux reprises des mots en occitan afin de rendre un dialogue plus vivant et de faciliter la compréhension d'un mot un peu trop savant. Tout cela bénéficie au prédicateur, qui peut ainsi traduire plus facilement les exempla lors de son prêche et les enrichir si besoin est.

Ancrer le miraculeux dans le réel. — Plus de la moitié des exempla comportent une indication de lieu plus ou moins précise, allant du hameau languedocien à Hattin en passant par l'Angleterre et la Bohème. Cinquante et une villes sont mentionnées, la plupart proches de Montpellier ou intégrées aux réseaux de circulation de la chrétienté occidentale. Il s'agit d'une méthode utile pour l'efficacité des exempla auprès de leur public : ce dernier se sent beaucoup plus concerné par des récits prenant place dans un espace spatial proche qu'il est supposé connaître que par ceux situés dans des lieux lointains et inconnus. L'emploi des noms des diocèses et des églises pour situer les événements témoigne de l'importance du maillage ecclésial et de la sacralisation de l'espace. Toutefois, la mention de lieux lointains mais aux noms familiers pour les contemporains, tels Constantinople et Hattin, fait appel à leur goût pour l'exotisme, et le caractère légendaire de telles villes renforce le prestige des exempla qui les mentionnent. La présence de personnalités plus ou moins connues du grand public permet enfin de rattacher les exempla à des figures marquantes : des prédicateurs, des évêques, des papes, des saints, des empereurs, des rois et des nobles connus localement apportent ainsi un prestige supplémentaire à des récits dont le contenu s'adapte aux connaissances de ses différents publics.

Chapitre III
Vision sociale et religieuse : culture savante, culture populaire

Les pratiques religieuses et sociales : condamnations et valorisations. — Ce recueil présente à la fois des modèles à suivre et des exemples de comportement et de pensée à proscrire pour tout bon chrétien. La valorisation concerne avant tout la pratique de la confession, essentielle au salut de l'âme des fidèles et abordée dans pas moins de trentre et un exempla, lesquels développent ses enjeux, ses modalités et ses conséquences. La dévotion mariale occupe également une place importante, marquée à la fois par le nombre de récits (vingt-quatre) et par leur regroupement en fin de recueil, formant ainsi l'un des seuls ensembles thématiques de l'ouvrage ; la Vierge est présentée comme une figure médiatrice par excellence qui permet aux fidèles de bénéficier de la miséricorde divine, notamment pour la guérison de leurs maux et le salut de leur âme, mais aussi comme la source de multiples châtiments. La virginité des hommes, et en particulier sa conservation, est abordée sans susciter de discours théologique particulier. Tout comme la Vierge, saint François est cité comme une figure protectrice, mais seuls cinq exempla le mettent en scène. L'humilié et la charité sont particulièrement bien traitées, sans doute en raison de leur caractère essentiel pour le compilateur franciscain, et sont identifiées comme un moyen de résister aux tentations et aux péchés tout en favorisant le salut de son âme et en apportant une aide bienvenue à son prochain. L'assistance à la messe est encouragée à la fois par l'affirmation du caractère divin et sacré de l'hostie et par l'évocation des vertus de l'office divin qui bénéficient aux fidèles présents, notamment la protection divine et la libération des âmes du Purgatoire. L'importance d'assister au sermon est également relevée, dans une sorte de mise en abîme du genre exemplaire, de même que la nécessité du baptême, sur laquelle le compilateur insiste cependant peu.

À l'inverse, d'autres récits invitent les fidèles à bannir certains comportements pour le bien de leur âme. Parmi les péchés capitaux, la luxure est particulièrement traitée à travers vingt-quatre exempla comme un désordre à la fois spirituel, moral et social ; il en va de même pour l'usure, le vol. Le blasphème est fermement condamné par des récits insistant sur la sévérité du châtiment divin. Les pratiques populaires plus courantes ne sont pas oubliées : le jeu, la danse et les soins du corps, en particulier celui des femmes, sont à leur tour illustrés par des exempla marquants qui voient en eux une cause de péché et une marque de l'orgueil des hommes. Conséquence de cet orgueil, l'irrespect de certains pour la sacralité ou les pauvres, protégés du Christ tant qu'ils mènent une vie vertueuse, est également dénoncé, de même que le mépris d'un homme pour sa propre famille. Enfin, le compilateur aborde dans quelques récits la question des pactes avec un démon – qui se font au détriment de l'âme du contractant et de celles des hommes qui bénéficient de ses connaissances impures – et la problématique de la lutte contre les hérésies et les autres religions. Concernant ce dernier point, si les croisades sont brièvement évoquées, indiquant la persistance de cet idéal dans la société chrétienne, et si les juifs mentionnés semblent vouloir se convertir au christianisme au vu des vertus du Christ et de la confession, le recueil en revanche ne condamne pas explicitement l'hérésie cathare, toujours latente à la fin du xiiie siècle, malgré sa propagation dans l'ensemble du Languedoc dans la première moitié du siècle.

Outre ces valorisations et condamnations, le recueil nous fournit un aperçu, certes très partiel, de la vie quotidienne des fidèles : les fêtes et autres réjouissances, qui donnent naissance à des jeux, des danses et des banquets,les pèlerinages, très courants et ici associés à la guérison et à la pénitence, et les catastrophes telles que les intempéries, la foudre, les incendies et la famine, traitées alternativement comme une expression de la punition divine et des fléaux dont les vertus chrétiennes parviennent à triompher.

«Superstitions » et symboles : entre exclusion et partage. — Le compilateur mentionne plusieurs croyances qui ne sont pas le propre d'une culture populaire. Les sorcières sont certes des figures rurales, par ailleurs condamnées en raison de leurs pratiques démoniaques et de l'inefficacité de celles-ci pour guérir les hommes – seuls les saints et la Vierge en étant capables –, mais il est fait mention d'un livre de nigromancie, pratique savante de la magie noire. La divination, ici l'apanage d'une sorcière et d'un devin rural, est également une science qui nécessite un grand savoir et qui est très appréciée des élites au Moyen Âge. À l'opposé de ces pratiques, le recueil valorise le signe de croix comme une sorte de talisman apportant la protection divine, tant matérielle que spirituelle, à celui qui le réalise ; une bougie gardée allumée en l'honneur de la Vierge ou un Agnus Dei semblent également constituer des moyens de protection efficaces contre la foudre. Ces différents éléments peuvent ainsi se substituer à d'autres pratiques jugées païennes ou hérétiques.

Les esprits sont également présents sous plusieurs formes : des morts qui sortent physiquement de leurs tombes pour témoigner de la justice divine ou frappent les vivants sous une forme plus évanescente, des saints et des défunts qui apparaissent dans les songes des vivants pour les avertir de leur trépas proche ou les inviter à prier pour eux, et enfin les croyances populaires de la chevauchée de Diane et du festin des fées, ou bonae res. Si les manifestations des morts et des esprits sont acceptées et apportent de riches enseignements pour les fidèles, Diane et les fées sont en revanche condamnées en tant que croyances païennes et tromperies des démons ; par conséquent, croire en elles revient, dans l'esprit du compilateur, à vénérer le Diable. Esprits plus particuliers, les démons sont les instruments de la vengeance divine, les accusateurs des hommes et la source de multiples tentations. Le compilateur ne propose cependant pas de description de ces êtres ni ne semble s'intéresser à une quelconque hiérarchie, ainsi que l'indique l'emploi des mots demon et dyabolus comme deux termes interchangeables.

Outre ces esprits et ces pratiques, la présence de plusieurs animaux confère aux récits une symbolique encore plus importante en raison des valeurs auxquels ils sont associés dans les deux cultures, cléricale comme populaire. Alors que certains ont une image négative car associés au Diable, à la corruption ou au péché (l'araignée, le dragon, la guenon, le rat, le scorpion et le serpent) et que d'autres sont à l'inverse très bien perçus en raison de leur présence dans les Écritures ou la littérature hagiographique (l'agneau, la brebis et le lion), la majorité d'entre eux ont une image variable selon le contexte ou la vision personnelle de l'auteur. Ainsi, dans ce recueil, le chat est à la fois un animal diabolique et un défenseur de la foi ; le cheval ne revêt qu'une symbolique très légère d'animal noble ; le chien est tour à tour violent, démoniaque et exemplaire de charité ; le cochon est un animal gourmand qui pourtant refuse la nourriture d'un usurier ; le crapaud châtie publiquement les pécheurs en les agrippant par là où ils ont péché ; enfin, l'ours est le compagnon dévoué d'un saint homme. La licorne, qui n'apparaît que dans un seul exemplum, est un symbole de mort. Enfin, quelques animaux ne sont pas associés à une symbolique particulière et sont juste employés comme éléments narratifs, comme le poisson ou le chapon.

Un discours savant sur la société ? — La vision franciscaine de la société chrétienne se révèle aussi bien dans les termes abordés que dans la manière de les traiter : il s'agit d'amener les fidèles, par une prédication populaire adaptée à leur niveau de culture et à leur place dans la société, à pratiquer leur religion au quotidien selon les principes du concile de Latran IV (1215), qui a mis l'accent sur les pratiques sacramentelles, en particulier la confession ; les tensions se multiplient cependant avec les curés, qui voient en eux des concurrents qui détournent à leur profit une partie de leurs revenus. À ces réflexions nouvelles, les franciscains apportent une vision originale de la pauvreté et de la nature de celle-ci : la distinction entre pauvreté subie et pauvreté choisie transparaît dans ces exempla, tout comme l'utilité et le but de la richesse, notamment à travers la condamnation de la thésaurisation et de la cupidité. Par conséquent, chacun peut faire son salut si son action profite à la société chrétienne dans son ensemble, ce qui dépend du rôle qu'il est amené à y jouer. Le chevalier se doit d'être le défenseur des faibles, de ses vassaux et de la chrétienté ; le clerc doit veiller sur la bonne moralité de ses ouailles, définir pour eux les bonnes et les mauvaises pratiques, mais doit veiller lui-même à ne pas sombrer dans la débauche ; il revient au moine de prier pour le salut de toutes les âmes tout en étant, en retrait du monde, un modèle de vertu ; le mendiant, qu'il soit dominicain ou franciscain, doit activement aller à la rencontre des fidèles et des clercs afin de leur apporter la parole de Dieu. Le monde des métiers est vu de manière plus négative en raison de son rapport parfois malsain à l'argent. Quant aux femmes, elles sont invitées à montrer l'exemple en corrigeant leurs propres défauts et en vivant leur piété de la manière la plus sincère possible, jusqu'à une ascèse radicale si nécessaire. Deux récits présentent une prédication par des laïcs comme un procédé utile et complémentaire à la prédication classique, mais qui doit cependant être limité à des cas très particuliers et contrôlé par l'Église. Un tel modèle est cependant clairement idéalisé : tous les acteurs décrits sont loin de se conformer aux figures valorisées par ces récits, y compris les prêtres dont l'encadrement n'est pas toujours de première qualité. La question de la réception des exempla par leur public est également problématique, faute de sources permettant de la qualifier ; la culture propre du compilateur, enfin, semble limiter l'efficacité de la prédication, puisqu'il ne traite pas en profondeur de questions théologiques complexes.

Conclusion

Dans ce recueil riche de deux cent quarante-quatre récits, dont plus de la moitié étaient à ce jour inédits, le compilateur franciscain, dont le nom reste malheureusement inconnu, effectue un véritable travail de sélection et d'adaptation afin de donner un outil de prédication populaire qui s'adresse à plusieurs publics, aussi bien des laïcs que des clercs. Son efficacité reste cependant limitée de par son manque d'organisation interne. Les exempla révèlent d'autre part la pastorale souhaitée par le franciscain, qui valorise les pratiques encouragées par le concile de Trente tout en s'attardant sur les péchés comme fautes morales et sociales, et porte ainsi un jugement sur la vie quotidienne des fidèles. Ils montrent également, de manière certes furtive, les divergences et les points communs entre la culture savante et la culture populaire, notamment la manière dont la première peut condamner la seconde ou au contraire lui apporter de nouveaux éléments ; la mention de croyances populaires indique à l'inverse chez le compilateur une connaissance, bien que limitée, de cette culture des illiterati. Un discours savant, donc, intégrant les canons du concile de Trente et les réflexions propres aux franciscains pour dessiner un portrait moral idéalisé de la société médiévale ; cependant, les limites de ce dernier apparaissent à travers sa nature partielle, les différences flagrantes avec la situation réelle et la culture limitée du compilateur qui ne peut, ou ne veut, développer des thèmes complexes. Une étude plus poussée comparant les thèmes abordés dans ce recueil à d'autres œuvres de prédicateurs connus révélerait la place de ce recueil dans la prédication médiévale ainsi que l'évolution de la représentation des pratiques populaires. Au final, sa richesse et le nombre de récits inédits rendaient indispensable l'édition de ce recueil afin d'en faire bénéficier l'ensemble de la communauté scientifique et apporter une nouvelle pierre à l'édifice de l'étude passionnante des exempla.


Deuxième partie
Édition


Chapitre premier
Introduction à l'édition

Les principes qui ont régi cette édition sont ceux énoncés dans les Conseils pour l'édition des textes médiévaux de l’École des chartes. S'agissant d'un manuscrit unique, les graphies ont été conservées tant qu'elles ne constituaient pas une gêne pour le lecteur. Si les fautes du copiste ont été corrigées, les formulations et la langue ont été respectées afin de ne pas dénaturer le texte d'origine.

Chapitre II
Texte

Chapitre III
Résumés et sources

Les résumés en français reprennent les exempla sans constituer une traduction mot à mot du texte latin. À leur suite sont indiqués pour chaque récit leur numéro dans l'Index exemplorum de Frederic Tubach le cas échéant, la source supposée du compilateur, les autres occurrences dans des recueils antérieurs, contemporains et ultérieurs, les variantes notables et les identifications de lieux et de personnes.


Annexes

Glossaire des mots latins remarquables. — Carte des lieux cités dans les exempla dans le sud du royaume de France ; carte comparative des lieux cités et des établissements franciscains dans le sud du royaume de France à la fin du xiiie siècle. — Table des correspondances avec l'édition de Jean-Thiébaut Welter ; table des reprises des récits dans des recueils contemporains et postérieurs ; table des villes mentionnées ; table des églises citées.