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École des chartes » thèses » 2015

L’abbaye cistercienne de Vauclair et sa bibliothèque

Lire et écrire dans une abbaye cistercienne du Moyen Âge au xviiie siècle


Introduction

Depuis une quinzaine d’années, de nombreuses recherches sur des bibliothèques des abbayes cisterciennes ont vu le jour et font suite aux recherches fondamentales menées auparavant sur Clairvaux et sur Cîteaux. Le fonds de l’abbaye de Vauclair, pourtant riche d’une centaine de volumes très bien conservés, n’avait jusqu’ici pas fait l’objet de recherches, l’historiographie ayant tendance à se concentrer sur les productions primitives de l’ordre cistercien.

Il est vrai que les manuscrits de Vauclair n’abritent pas de nombreux chefs-d’œuvre de l’enluminure romane ou de la forme caractéristique que prit celle-ci en contexte cistercien. D’un point de vue plus général, l’abbaye n’exerça pas non plus une influence importante au sein de l’ordre. Cependant, par l’excellente conservation de son fonds de manuscrits, qui n’a quasiment pas été dispersé, Vauclair apparaît comme un centre artistique et religieux secondaire mais dont l’examen permet de se faire une idée assez précise du fonctionnement matériel, intellectuel et artistique de la bibliothèque d’une abbaye cistercienne de moyenne importance. Ses manuscrits présentent une enluminure monochrome, majoritairement composée de motifs abstraits.

Les différents aspects de la vie de l’abbaye sont abordés dans ce travail. Du point de vue de son histoire, de sa fondation en 1134 à sa dissolution à la révolution, il convenait de retracer les différentes étapes de son évolution en tant qu’institution mais également en tant que création architecturale de qualité. Il s’agissait aussi d’identifier les différentes relations développées par l’abbaye et de distinguer celles qui relevaient du niveau local – et notamment avec Laon – de celles qui existaient avec l’ordre cistercien – et particulièrement avec son abbaye-mère, Clairvaux. Concernant la bibliothèque de l’abbaye, il était intéressant de voir quelles stratégies étaient mises en place par les moines pour sa gestion et comment ils utilisaient leurs livres. L’analyse codicologique permet ainsi de déterminer un premier noyau de manuscrits produits à Vauclair et de proposer des hypothèses pour enrichir, grâce à une analyse stylistique, ce corpus.


Sources

Le fonds principal était bien entendu constitué par les manuscrits de Vauclair conservés à la bibliothèque de Laon à l’exception de deux d’entre eux (BNF, ms. lat. 3065 et Staats - und Universität Göttingen, Philog. 142, qui n’a pu être exploité pour ce travail). Du côté des fonds d’archives, ceux de la Bibliothèque nationale furent particulièrement mis à contribution, en particulier le fonds des « Provinces françaises ». À cela s’ajoute les documents produits par l’abbaye elle-même, deux cartulaires et un registre de comptes de l’abbaye (ms. lat. 11073-11076), des documents isolés des Archives nationales de France (série L) ainsi qu’un ensemble datant des xviie et xviiie siècles provenant des archives départementales de l’Aisne (série H).


Première partie
L’histoire de l’abbaye de Vauclair : quelle place au sein du monde cistercien ?


Chapitre premier
Le xiie siècle à Vauclair : fondation et essor d’une abbaye

Le contexte de fondation de l’abbaye de Vauclair. — La date de fondation de l’abbaye retenue dans ce travail est celle de 1134. Le premier tiers du xiie siècle constitue en effet un tournant pour les Cisterciens, puisque leur ordre connait un certain essor mais aussi un tournant marqué par l’activité de Bernard de Clairvaux, qui appartient à la seconde génération cistercienne. La date de 1134 correspond aussi à la mort d’Etienne Harding. Vauclair appartient à la filiation de Clairvaux dont elle est une des abbayes-filles. Il s’agit de la filiation la plus dynamique de l’ordre en termes de nombre d’établissements. L’examen des documents met en avant le rôle fondamental de Barthélemy de Jur, évêque de Laon (1113-1151). Il est reconnu par les moines de Vauclair comme le véritable fondateur de leur abbaye, ce qui montre que, pour écrire leur histoire, ceux-ci se placent plutôt dans une perspective locale que cistercienne. Il est également mentionné comme le constructeur des premiers bâtiments de l’abbaye. Le premier abbé de Vauclair, Henri Murdach, passe assez peu de temps à l’abbaye. Les abbés qui lui succèdent sont généralement peu documentés, même si l’on note une évolution d’un recrutement cistercien à un recrutement local.

L’architecture de la première abbaye de Vauclair. — L’abbaye primitive de Vauclair a été mise au jour lors des fouilles menées sur le site vers 1980. Auparavant, une hésitation sur son emplacement subsistait. L’édifice a été construit d’un seul jet, dans l’année de la fondation de l’abbaye. Les fouilles donnent à voir un plan bénédictin classique. L’église abbatiale possédait trois vaisseaux, un chevet plat et une nef allongée. L’analyse des supports permet de supposer l’existence d’un voûtement en berceau. La parenté architecturale de l’église abbatiale avec d’autres établissements cisterciens est évidente. De nouvelles recherches proposent de situer de manière assez haute la construction de l’abbatiale de Fontenay. L’architecture de Vauclair tend à corroborer cette hypothèse et servirait donc de prototype aux fondations de la lignée clarévallienne. Vauclair fait figure de création originale au sein du Laonnois. Si l’abbaye reste en dehors des courants majoritaires, elle exerce une certaine influence par rapport à la diffusion des chevets plats, notamment à Saint-Martin de Laon.

Une abbaye au cœur du Laonnois. — L’étude des rapports de l’abbaye de Vauclair avec son terroir permet de nuancer fortement la question de l’isolement cistercien. Vauclair présente à ce titre une situation particulière, puisqu’elle est chargée de paroisse de plein exercice, et ce, dès sa fondation. Une église paroissiale est d’ailleurs construite juste avant la clôture. Du point de vue de la maîtrise des terres, l’abbaye de Vauclair met en place une politique d’acquisition d’ensembles territoriaux cohérents en procédant à des achats mais également à des échanges avec des abbayes parfois éloignées comme celle de Lobbes en Flandres. L’abbaye de Vauclair possède de nombreuses dîmes dès 1155. Elle a fondé deux abbayes-filles, les abbayes du Reclus et de la Charmoye, qui se développent grâce au mécénat d’Henri le Libéral. L’abbé de Vauclair agit plutôt en qualité d’exécutant des choix de Bernard de Clairvaux, qui est le véritable initiateur de ces fondations.

Chapitre II
Vauclair au xiiie siècle : quel renouveau pour l’abbaye ?

Entre épanouissement et consolidation. — L’ordre cistercien connaît au xiiie siècle une baisse du nombre des fondations et du recrutement, notamment auprès des frères convers. Le louage des terres qui existe à Vauclair depuis la première moitié du xiie siècle devient la norme. L’ordre cistercien entretient, d’un point de vue général, des relations avec la politique de l’église. Des papes, particulièrement favorables à l’ordre, gratifient de bulles l’abbaye de Vauclair. Si la première, celle d’Eugène III, détaille l’ensemble des possessions, il s’agit le plus souvent de confirmations générales. Elles servent également à affirmer les droits de l’abbaye par rapport au pouvoir de l’évêque et des laïcs. Le xiiie siècle marque une plus forte interaction entre l’abbaye de Vauclair et la société laïque. L’acquisition de terres ralentit au profit des droits seigneuriaux. La politique de regroupement territorial se poursuit néanmoins. Les différents actes montrent que Vauclair entretient des liens économiques avec Laon, évidemment, mais aussi avec Reims, ville dynamique sur le plan économique et puissante grâce au pouvoir de l’archevêque.

La reconstruction de l’abbaye de Vauclair. — L’art gothique apparaît dans l’ordre cistercien tout d’abord dans la salle capitulaire de Fontenay puis dans les églises abbatiales de Pontigny et de Clairvaux III. Toutefois, les moines conservent une élévation simplifiée et une ornementation des plus limitée. La reconstruction gothique de l’abbaye de Vauclair, bien que longue, est homogène. Sa mise en chantier est concomitante avec celle de la cathédrale de Laon qui fournit un apport technique en ouvriers et matériaux mais aussi des repères symboliques. Les travaux de Vauclair ont sûrement déjà débuté en 1195, mais la dédicace n’a lieu qu’en 1257 et l’église abbatiale reste toutefois inachevée jusqu’au xve siècle. Son plan reprend assez précisément celui de l’abbatiale de Longpont. La reconstruction a débuté par les bâtiments conventuels : le bâtiment des convers fut élevé en premier. Celui-ci ainsi que l’aile ouest du cloître furent préservés jusqu’en 1917 et sont donc mieux connus. En revanche, il semble qu’aucun bâtiment ne vit le jour au sud du cloître, ce qui conduisit à un réaménagement du bâtiment des convers, possible grâce au faible nombre de ces derniers.

La fin du Moyen Âge : une abbaye prise entre les tourmentes de l’ordre et celles de sa région. — De nombreuses dissensions naissent dans l’ordre au sujet du respect de la Règle, comme celle qui oppose, à Vauclair, l’abbé Pierre V aux moines et à l’abbé de Clairvaux. L’élection à l’abbatiat de Suger Ladot (1456-1462) entraîne un conflit entre Cîteaux et Clairvaux pour sa confirmation : Vauclair est donc un exemple qui illustre bien les dysfonctionnements qui existent dans la structure de l’ordre. De nombreux troublent mettent à mal la communauté. Les modifications architecturales qui ont eu lieu à cette époque sont cependant difficilement perceptibles et n’ont a priori affecté ni le plan, ni les structures de l’abbaye.

Chapitre III
L’abbaye à l’époque moderne : Vauclair au sein de l’étroite Observance

Réformes et résistances. — La question de l’observance de la Règle et de la réforme des ordres religieux est au cœur du concile de Trente. Les moines de Vauclair tentent d’échapper à la commende. En 1558, ceux-ci élisent donc toujours leur abbé, même s’il s’agit d’entériner une décision papale. Le système des filiations est maintenu grâce à des personnalités comme l’abbé Guy II, qui assurent des fonctions importantes au sein de l’ordre. Les établissements cisterciens du Nord de l’Île-de-France sont très réceptifs à la réforme de l’ordre. L’étroite Observance naît à la Charmoye, la seconde abbaye-fille de Vauclair. Cette dernière s’y rallie d’ailleurs très rapidement tout comme l’abbaye du Reclus.

La réforme de l’étroite Observance. — La nomination de Claude de Kersaliou à Vauclair entraîne la pleine application de l’étroite Observance à l’abbaye. Celle-ci connaît alors un certain dénuement matériel mais est reconnue pour sa vie spirituelle. Louis Brûlant, abbé de 1679 à 1705, participe à la diffusion de l’étroite Observance en tant que Visiteur des provinces de France, Picardie, Champagne et Bretagne.

Du xviie au xviiie siècle : reconstructions et vie quotidienne à l’abbaye de Vauclair. — Claude de Kersaliou procède à une réorganisation du monastère et à des reconstructions qui s’achèvent avec celle du cloître sous son successeur, Louis Brulant.

Les visiteurs du xviiie siècle décrivent précisément le maintien du rite cistercien dans la liturgie de Vauclair et insistent sur sa notoriété. L’abbaye procède à une mise en forme de ses archives pour mieux gérer son patrimoine.


Deuxième partie
Lire et écrire à Vauclair


Chapitre premier
Une riche bibliothèque en excellent état de conservation

L’organisation de la bibliothèque de Vauclair au Moyen Âge. — Il s’agit dans cette partie d’analyser le rapport matériel des moines vis-à-vis de cet objet à valeur intellectuelle et en partie artistique qu’est le manuscrit. Aucun auteur cistercien ne semble être passé par Vauclair et les archives, pour le xiie siècle, ne font mention qu’une seule fois d’un chantre, personnage traditionnellement en charge de la bibliothèque. Il est donc difficile de dire si la constitution de la bibliothèque relève d’une initiative individuelle. La présence d’un armarium à l’ouest de la sacristie semble être l’hypothèse la plus probable pour l’abbaye de Vauclair au Moyen Âge. Seul le xviiie siècle est ensuite documenté à ce sujet, avec une bibliothèque située à l’étage de l’aile des moines, en face du dortoir. On peut supposer, par analogie avec la libraria dormitorii de Clairvaux, que ce déplacement eut lieu au début de l’époque moderne. Les reliures témoignent du passage d’une conservation horizontale à une conservation verticale. Les lieux de production, de conservation et d’utilisation des manuscrits tendent à s’unifier à l’époque moderne. La bibliothèque de Vauclair ne dispose pas de catalogue médiéval ou moderne propre. On dispose d’un « inventaire » très fragmentaire des écrits de saint Augustin grâce aux mentions marginales du manuscrit 132 de la bibliothèque municipale de Laon. L’usage cistercien permet de plus d’attribuer à Vauclair un nombre conséquent de livres liturgiques.

La bibliothèque de Vauclair, un centre en constante mutation. — L’étude des ex-libris et des reliures caractéristiques de Vauclair permet d’affiner le catalogue des manuscrits provenant de Vauclair et d’en écarter définitivement certains qui y figuraient avec quelques réserves. Deux modes de gestion des ouvrages apparaissent dès lors : les campagnes de reliures tentent dans la mesure du possible de rassembler les textes d’un même auteur, tandis que les plus petits formats sont considérés comme des recueils plus éclectiques. Si l’existence d’un scriptorium à Vauclair ne fait pas de doute, il est en revanche exclu que l’ensemble des manuscrits qui y sont conservés en proviennent. Mais la diversité des réseaux cisterciens rend l’examen des provenances compliqué. On peut cependant déterminer la prééminence du réseau cistercien, et particulièrement celui de l’abbaye-mère de Clairvaux, qui a dû fournir les premiers manuscrits liturgiques (BM Laon, mss. 246 et 248) produits l’année même de la fondation de l’abbaye. L’abbaye de Clairvaux continue à approvisionner la bibliothèque de Vauclair aux xiiie et xve siècles. L’abbaye de Clairvaux a également pu jouer le rôle d’intermédiaire dans l’acquisition de manuscrits décorés par des artistes champenois proches de ceux qui ont contribué à orner les manuscrits légués à Clairvaux par Henri de France. Cependant, ceux de Vauclair font partie d’une commande différente (BM Laon, mss. 10 et 108). Les livres glosés ont également été produits ailleurs. Certains possèdent une ornementation très simple (BM Laon, ms. 85) qui rappelle certains livres liturgiques. Deux livres glosés (BM Laon, mss. 29 et 57) proviennent d’une production hors scriptorium de Laon. On trouve également des traces de la circulation de manuscrits provenant du marché du livre universitaire parisien (BM Laon, ms. 290, BNF ms. lat. 3065). L’abbaye de Vauclair a également acquis des ouvrages par des liens qui lui sont propres, comme le manuscrit qui provient de l’abbaye de Lobbes (BM Laon, ms. 167) ou celui provenant d’un chanoine de la cathédrale de Laon (BM Laon, ms. 69). L’étude des espaces périphériques du manuscrit (marges, gardes, contreplats) montre que le livre est avant tout considéré comme un objet d’usage puisqu’on n’y trouve des brouillons, des dessins, des notes de lecture, ce qui peut cependant aller de pair avec un soin particulier dans l’ornementation. Les manuscrits ne sont donc pas considérés comme des œuvres d’art. L’usage des manuscrits médiévaux s’inscrit dans un temps long qui se poursuit à l’époque moderne avec des annotations attribuables aux xviie et xviiie siècles.

Une bibliothèque remarquable au xviiie siècle. — La bibliothèque est considérée comme remarquable par les érudits qui la visitent au xviiie siècle. Le mode de classement des manuscrits est toujours aussi peu perceptible à cette période qu’au Moyen Âge. Si les manuscrits sont rangés de manière distincte des imprimés, ils font l’objet d’une gestion commune comme le montre l’utilisation de fragments d’imprimés dans les bouillons des reliures refaites à l’époque moderne. Le catalogue établi par B. de Montfaucon permet d’avoir une bonne idée de la bibliothèque à la fin du xviie siècle et de savoir quels sont les manuscrits qui ont disparu. Il permet également de proposer une identification, avec réserve, d’un manuscrit comme provenant de Vauclair, et ce sans autre marque de provenance (BM Laon, ms. 100).

Chapitre II
La production manuscrite du scriptorium de Vauclair

Origine des manuscrits : délimitation d’un corpus. — La présence d’un ex-libris de Vauclair ou d’une reliure caractéristique de Vauclair ne suffit pas en attribuer l’origine. Cependant, cela devient possible quand une même main se retrouve dans un ex-libris ainsi que dans les rubriques ou le corps du texte. La présence de calendriers mentionnant l’abbaye de Vauclair n’est pas non plus suffisante, car ceux-ci peuvent être ajoutés au moment de la reliure. Cependant, une même main peut s’y retrouver, comme c’est le cas au manuscrit 17 de la bibliothèque municipale de Laon. Il s’agit de manuscrits produits au xiie siècle. Un seul a été copié au début du siècle suivant.

Le décor monochrome des manuscrits de l’abbaye de Vauclair, analyse formelle. — Le décor des manuscrits réalisés à Vauclair appartient au style monochrome, qui repose également sur un système de la hiérarchisation de la majuscule. Celui-ci utilise une variation sur les couleurs, le module et la mise en page et se complexifie en fonction du raffinement de l’ornementation. De son côté, le cartulaire du xiie siècle (BNF, ms. lat. 11073) obéit aux mêmes principes, bien qu’on y observe un fonctionnement plus diversifié lié aux changements de main fréquents. Le décor abstrait des manuscrits de Vauclair repose sur la varietas et le mélange des écritures, qui va de pair avec l’usage de formes stéréotypées, ce qui montre bien qu’il s’agit d’un effet recherché. Cependant, les formes utilisées ne sont propres ni à Vauclair, ni au monde cistercien. Il s’agit le plus souvent d’animer une forme unie avec des festons ou des filets de réserve sur les jambages des lettres, tandis que les panses reçoivent également festons ou motifs de perles. Les filets de réserve correspondent à une simplification et à une transposition monochrome des initiales-puzzle. On observe cependant le maintien de formes appartenant au vocabulaire végétal comme la palmette, motif originaire de Bourgogne. Ces dernières terminent le filin des lettres à longs jambages ou se placent à la jonction des traits de la lettre ou du filigrane. Certains manuscrits mettent en œuvre des motifs plus complexes pour certaines initiales liminaires, ainsi que dans le manuscrit 41 de la bibliothèque municipale de Laon. Dans celui-ci, un décor de rinceaux et de fleurs stylisées s’ajoute aux motifs abstraits. Certains détails font référence aux formes mises au point dans les abbayes mosanes. Il faut supposer que le décor du manuscrit a été réalisé par un moine qui a pu en voir de ce type mais n’en avait pas pratiqué auparavant, comme le montre la stylisation supplémentaire que présente le manuscrit de Vauclair par rapport aux manuscrits mosans.

L’emploi de la couleur dans les manuscrits de Vauclair. — Les couleurs favorisées dans les manuscrits sont le rouge, en premier lieu, puis le vert. Les initiales sont réalisées à la plume, avec des aplats de couleurs. Les manuscrits de Vauclair se détachent par cette caractéristique de la production de Clairvaux, qui travaille surtout les camaïeux. Il faut également noter une alternance de couleurs entre les initiales et non entre la lettre et son filigrane. Le manuscrit 41 de la bibliothèque municipale de Laon possède quatre couleurs d’initiales. La multiplication des couleurs va donc de pair avec le soin apporté aux manuscrits. Une encre bistre est utilisée aussi bien pour des initiales que pour des rehauts. Cette couleur est typique des enluminures du nord de la France, tout comme la prégnance du vert, particulièrement dans les productions du Beauvaisis. Le décor bicolore, n’intervient qu’à une seule occasion, dans une initiale liminaire (BM Laon ms. 17).

Influences à l’œuvre dans la réalisation des manuscrits : sources et imitations. — Le manuscrit 41 de la bibliothèque municipale de Laon a été réalisé par des mains différentes : le second volume abandonne l’inspiration mosane pour des formes plus simples que l’on retrouve dans la deuxième partie du manuscrit 106. On peut également rattacher à la production de Vauclair, sur la base de considérations stylistiques, les manuscrits 56, 47 et 186 conservés à la bibliothèque municipale de Laon. L’initiale liminaire du manuscrit 56 a pu être inspirée dans les motifs comme dans la mise en page par la première enluminure du manuscrit 29. Les peintres de Vauclair témoigneraient dans ce cas d’une attention particulière portée aux manuscrits produits hors de l’abbaye. Une même mise en page, un même format et une alternance de couleurs identiques peuvent conduire à considérer le manuscrit comme produit à l’abbaye de Vauclair, d’autant que les formes utilisées font partie du répertoire caractéristique des scribes de l’abbaye. Enfin, le manuscrit 328 possède une initiale liminaire assez maladroite sur un schéma pourtant simple, ce qui exclut qu’elle ait pu être réalisée dans un centre spécialisé. Il est donc possible que le manuscrit soit originaire de Vauclair. Les formes stéréotypées qui ont été auparavant dégagées reprennent celles mises en place dans l’enluminure parisienne des années 1160-1180. Le seul manuscrit produit au xiiie siècle à Vauclair montre le passage du vert au bleu comme couleur complémentaire du rouge et des formes de filigranes plus maniéristes. Ces dernières se retrouvent dans un décor apposé dans un deuxième temps sur des initiales de couleur simples, telles qu’on les retrouve dans les manuscrits 287 et 303 de la bibliothèque municipale de Laon.


Conclusion

Loin d’être implantée dans un « désert », l’abbaye de Vauclair est un acteur important du territoire où elle s’est développée, entretenant de nombreux rapports avec des ecclésiastiques et laïcs locaux, ce qui ne l’empêche pas de maintenir ses relations avec l’abbaye de Clairvaux de manière relativement constante, aussi bien sur le plan institutionnel que pour sa bibliothèque.

La gestion de la bibliothèque montre un très grand intérêt porté aux livres, à la fois objets liturgiques et objets usuels. De même, la définition d’une production de manuscrits originaires de Vauclair montre une double influence : l’une provient de modèles cisterciens, l’autre de centres extérieurs à l’ordre, que ceux-ci soient locaux ou plus lointains. L’étude du décor montre l’importance des formes ornementales souvent considérées comme secondaires, alors qu’elles constituent un répertoire propre.


Annexes

Liste des manuscrits produits à Vauclair. — Liste des manuscrits conservés à Vauclair. — Liste des abbés de Vauclair. — Éditions du memento de l’abbaye au xiie siècle ainsi que de l’épitaphe de Nicolas Ier. — Éditions de diverses chartes (accord, diplômes et bulles) en faveur ou passés par l’abbaye de Vauclair. — Dossier iconographique (manuscrits évoqués classés par établissement, numéro de référence et folio).