« »
École des chartes » thèses » 2015

Financer le service des Ponts-et-Chaussées

La gestion du trésorier général Gabriel Prévost (1748-1778)


Introduction

La question des fonds attribués aux Ponts-et-Chaussées et de leur mobilisation se pose avec plus d’acuité sous les règnes de Louis XV et de Louis  XVI. En effet, à compter des années 1730, l’aménagement routier du territoire préoccupe de plus en plus les autorités politiques et économiques, comme le révèle le plan ambitieux d’amélioration et de développement des axes structurants du royaume souhaité par le contrôleur général Orry. Le financement des Ponts-et-Chaussées est assuré, sous la supervision de l’intendant des finances chargé de ce département, par des comptables publics spécifiques à ce service : les trésoriers généraux et les trésoriers particuliers des Ponts-et-Chaussées. Les premiers sont chargés de recouvrer les recettes et de réaliser les dépenses ordonnées pour le service. Ils doivent rétrocéder aux trésoriers particuliers la part des fonds affectés par l’État au paiement des travaux et charges à effectuer dans les généralités du royaume relevant de l’administration des Ponts-et-Chaussées. Ces aspects généraux du financement des travaux publics ont été présentés à plusieurs reprises mais sous un angle essentiellement institutionnel qui se limitait à réduire les mécanismes de mobilisation des fonds au système de prélèvement fiscal prévu par la monarchie. Celui-ci connaît des dysfonctionnements dans la seconde moitié du xviiie siècle. Le trésorier général des Ponts-et-Chaussées se trouve confronté, à l’échelle de son département, aux problèmes inhérents d’une part à la crise financière de l’État (insuffisance des ressources) et, d’autre part, aux modalités de financement de sa caisse. C’est en rescriptions des receveurs généraux des finances – instruments monétaires gagés sur le montant futur des impôts – que la monarchie approvisionne la caisse du trésorier général.

Dans le contexte d’une augmentation des dépenses étatiques engendrées par la guerre de Sept Ans et d’une politique coûteuse de construction et d’entretien des infrastructures de transport, l’objet de notre thèse consiste à saisir les circuits et les instruments financiers utilisés par les trésoriers généraux et particuliers pour permettre la rentrée effective, dans leur caisse, des fonds alloués par la royauté pour les Ponts-et-Chaussées. Nos recherches sont centrées sur l’étude de la gestion du trésorier général Gabriel Prévost, qui fut titulaire de 1748 à 1778 de l’office de trésorier général alternatif et quadriennal, en charge des exercices pairs uniquement. Ce dernier fait appel à des bailleurs de fonds locaux qui avancent des capitaux aux trésoriers particuliers à titre personnel et en dehors du cadre des contrats collectifs conclus pour les affaires du roi. Il s’agit d’apprécier l’ampleur des emprunts contractés par Prévost et d’appréhender dans quelle mesure ces prêts permirent de résoudre les difficultés du financement des services des Ponts-et-Chaussées établis en province et de remédier au dysfonctionnement du système fisco-financier. Par ailleurs, par une étude du système de mobilisation des fonds fonctionnant au profit des Ponts-et-Chaussées de la généralité de Tours, nos travaux visent à identifier ce groupe social qui participe au financement des travaux publics et à saisir ses intérêts.


Sources

Le fonds Gabriel Prévost, conservé dans la sous-série Z1A de la Cour des aides aux Archives nationales, constitue le corpus principal d’étude. Il contient les papiers personnels et les pièces comptables officielles et privées de ce trésorier général qui furent saisis par la Chambre des comptes, par suite de l’impossibilité de celui-ci de justifier de sa gestion devant cette juridiction et de sa faillite. Quand le contentieux sur les biens et les dettes de Prévost fut transféré par le roi à la Cour des aides, en novembre 1779, une partie des documents confisqués par les commissaires de la Chambre fut remise à la Cour des aides. La diversité et l’abondance des documents contenus dans ce fonds permettent d’étudier le financement des Ponts-et-Chaussées tant au niveau de la trésorerie générale que des caisses particulières et de dégager les circuits financiers existants. Les divers types de pièces comptables conservées font l’objet d’une analyse détaillée dans l’inventaire du fonds Prévost contenu dans le second volume de notre thèse. La correspondance que chaque trésorier particulier et plusieurs créditeurs des Ponts-et-Chaussées ont adressée à Prévost offre une source inédite pour explorer la gestion qualitative des trésoriers et les motivations qui poussaient des financiers et des négociants à prêter leurs ressources à un service local des Ponts-et-Chaussées. Pour mieux apprécier la politique générale de l’État en matière de travaux publics, les actes législatifs et réglementaires relatifs aux travaux publics, conservés dans la sous-série F14 des Archives nationales, ont également été exploités. Enfin, pour compléter notre étude du financement de la caisse des Ponts-et-Chaussées de la généralité de Tours, nous avons consulté les fonds relatifs à cette administration classés dans la série C des archives départementales d’Indre-et-Loire.


Première partie
L’administration comptable des Ponts-et-Chaussées


Chapitre premier
L’organisation comptable des Ponts-et-Chaussées

Sous l’autorité de l’intendant des finances Trudaine et de ses commis, une administration comptable des Ponts-et-Chaussées structurée et étoffée existe à part entière dans la seconde moitié du xviiie siècle. Les trésoriers généraux disposent de commis et d’un caissier, au sein de leur hôtel, et de vingt-quatre trésoriers particuliers répartis entre les diverses généralités du royaume. Ceux-ci relèvent directement des trésoriers généraux et ne peuvent ni recevoir ni acquitter des fonds sans en avoir reçu expressément l’ordre de leurs supérieurs.

La gestion des trésoriers généraux des Ponts-et-Chaussées et de leurs commis s’effectue, à l’instar de celle des autres comptables royaux, dans un cadre rigoureux fixé par l’administration centrale des finances. Les recettes et dépenses de l’État en la matière sont programmées dans le cadre d’un type de document précis, arrêté au Conseil royal des finances : les états du roi. Les trésoriers généraux doivent se conformer, pour un exercice donné, aux imputations qui y sont inscrites. L’application de l’état du roi est gouvernée, comme aujourd’hui l’est celle du budget, par le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables.

L’enchaînement des opérations nécessaires pour effectuer une recette ou une dépense conduit l’organisation comptable des travaux publics à travailler continuellement non seulement avec l’intendant des finances Trudaine, mais également avec le personnel technique dirigeant. Les trésoriers généraux jouent le rôle d’intermédiaire entre l’ordonnateur principal et leurs commis pour l’encaissement des recettes qui sont destinées à leur service, système qui engendre des dysfonctionnements.

Au niveau local, l’exécution de l’état du roi repose sur l’intervention de l’ingénieur en chef et de l’intendant de généralité, qui sont les interlocuteurs des trésoriers particuliers. L’ingénieur se renseigne auprès de Trudaine des remises qui doivent être faites pour le service et en informe le trésorier particulier. Il décide de l’affectation d’une partie de la recette à tel entrepreneur en concertation avec l’intendant de sa généralité, qui établit l’ordonnance en conséquence au bénéfice de l’entrepreneur, qui la présente au trésorier particulier.

Chapitre II
Le contrôle administratif

Les trésoriers des Ponts-et-Chaussées sont astreints par la réglementation royale à la tenue de diverses pièces comptables sur lesquelles s’effectuent les contrôles administratif et juridictionnel. Le contrôle administratif pesant sur la comptabilité des Ponts-et-Chaussées tant centrale que locale est aussi approfondi que celui qui s’exerce dans le cadre des départements majeurs de la monarchie (Guerre et Marine). La gestion des trésoriers généraux est suivie attentivement, au sein même de l’administration centrale, par l’intendant des finances chargé des Ponts-et-Chaussées. Celui-ci s’appuie d’une part sur les états de caisse produits par les trésoriers généraux qu’il confronte avec la production comptable de leurs subordonnés et, d’autre part, sur l’examen de leurs comptes clos en fin d’exercice. En outre, Trudaine vérifie régulièrement la gestion des trésoriers particuliers.

L’attribution des questions financières relatives aux Ponts-et-Chaussées au seul département des finances semble avoir favorisé l’établissement d’une surveillance administrative sur les trésoriers généraux et particuliers plus étroite et minutieuse, au cours de leur gestion, que dans les autres départements ministériels. L’examen des pièces justificatives et leur confrontation avec les états de situation, les comptes particuliers ou généraux et les états au vrai, permettent de vérifier que les dépenses et recettes fixées par l’état du roi ont été réalisées. Par ailleurs, l’intendant des finances, en concentrant la supervision des affaires techniques et financières des Ponts-et-Chaussées, dispose de moyens d’expertise plus étendus que les secrétaires d’État de la Marine et de la Guerre ou que le contrôleur général des finances pour ces mêmes départements. En effet, l’efficacité du contrôle de Trudaine sur la gestion des trésoriers est accrue par la mise en regard de leur comptabilité avec celle que tiennent les ingénieurs en chef de généralité.

Chapitre III
Le contrôle judiciaire sur la comptabilité des Ponts-et-Chaussées

À l’instar des autres principaux comptables de la monarchie, les trésoriers généraux des Ponts-et-Chaussées sont tenus de justifier de leur gestion, en fin d’exercice, à la Chambre des comptes, selon une procédure distincte du contrôle administratif et postérieure à celui-ci. Le temps considérable que nécessite la vérification des comptes de trésorerie générale des Ponts-et-Chaussées s’explique tant par la durée de la procédure d’audition que par le retard des auditeurs à entamer cette phase du jugement du fait de la masse et de l’arriéré des comptes à juger. Le délai de reddition des comptes est également conséquent. La durée des jugements tout comme l’absence de date fixe de clôture des comptes sont préjudiciables à une bonne gestion comptable des trésoriers des Ponts-et-Chaussées qui gèrent de fait plusieurs exercices simultanément.

La procédure de jugement est réglementée par des actes royaux ainsi que par des arrêts de la Chambre qui font jurisprudence. La fonction de la Chambre des comptes est éminemment procédurière. Le roi dénie à cette institution tout pouvoir d’appréciation sur la politique financière de l’administration centrale en matière de travaux publics – dont le trésorier général ne doit être qu’un exécutant – et également la possibilité de sanctionner les conséquences comptables résultant des anticipations ordonnées par le gouvernement. Il intervient pour faire plier la Chambre lorsqu’elle veut s’opposer à l’apurement du compte en réaction au recours aux anticipations dans l’état du roi ou dans l’état au vrai, et au non-respect des normes comptables imposées depuis Colbert. La gestion simultanée de plusieurs exercices et l’examen tardif des comptes en fin de gestion limitent le contrôle comptable de la Chambre.

Chapitre IV
Une production documentaire normalisée et uniforme

Dans la seconde moitié du xviiie siècle, la production comptable officielle des Ponts-et-Chaussées, déjà d’une grande uniformité en ce qui concerne les comptes particuliers et généraux de l’exercice 1746, présente une composition formelle et une nomenclature de plus en plus homogènes sous la double influence de la réglementation royale et de la jurisprudence de la Chambre des comptes. Cette institution et le gouvernement souhaitent disposer de pièces comptables précises et structurées afin d’accroître leurs capacités de contrôle. Cette production documentaire, entièrement élaborée sur le fondement des états du roi, reflète l’institutionnalisation de la trésorerie générale comme une administration à part entière. Plus largement, la gestion financière et les comptes traduisent l’affirmation du principe hiérarchique au sein du corps technique.


Deuxième partie
Les modalités de financement de la trésorerie générale des Ponts-et-Chaussées


Chapitre premier
Nature et évolution des ressources

La trésorerie générale des Ponts-et-Chaussées centralise l’ensemble des ressources attribuées au département des travaux publics. De cette caisse centrale dépend le financement de l’ensemble des services locaux, d’où l’intérêt d’appréhender son fonctionnement. L’étude des ressources des Ponts-et-Chaussées perçues au niveau central et local s’appuie sur les comptes de trésorerie générale des exercices pairs 1746 à 1766, rendus par Prévost à la Chambre des comptes. C’est principalement sur les impôts directs (taille et crues de taille) que repose le financement de ce département.

L’évolution générale des ressources et des dépenses. — Les années d’exercice de Prévost s’insèrent dans un contexte difficile en matière de financement des Ponts-et-Chaussées. Pour les exercices pairs 1746 à 1766, les revenus perçus au profit des ponts et des routes n’augmentent pas – et accusent même un recul du fait de l’inflation. De plus, les besoins financiers de la monarchie ne permettent pas de fournir l’ensemble des fonds affectés par les états du roi aux Ponts-et-Chaussées pour réaliser les travaux planifiés par ces mêmes documents. Le gouvernement détourna une partie importante (1 200 000 livres) des fonds alloués à l’exercice 1760 des Ponts-et-Chaussées pour faire face aux dépenses militaires accrues par la guerre de Sept Ans. Cette coupe et, plus largement, la politique d’anticipation du paiement de certains travaux désorganisent la comptabilité des Ponts-et-Chaussées. Elles engendrent à terme l’ajournement de certains chantiers pour permettre la réalisation et le paiement des travaux qui n’ont pas été opérés au cours des exercices précédents.

Une ponction fiscale inégalement répartie entre les généralités. — La répartition entre les généralités des impositions générales directes levées au profit des Ponts-et-Chaussées est inégale. La part contributive des généralités reste stable au cours des exercices 1746 à 1766. Elle dépend peu du montant des dépenses à acquitter pour les infrastructures routières dans le cadre d’une généralité. Pour financer les Ponts-et-Chaussées, la monarchie raisonne en termes d’enveloppe budgétaire globale affectée à ce département, une augmentation ou une diminution de celle-ci peut reposer sur l’accroissement ou le fléchissement du prélèvement fiscal général mais n’engendre aucune modification dans la répartition du poids des impositions entre les généralités.

Chapitre II
Les modalités de financement de la trésorerie générale

Plusieurs périodes peuvent être distinguées dans le financement de la caisse du trésorier général. La première, qui s’étend de la fin de l’année 1749 à l’année 1758, est marquée par une mobilisation stable des fonds au profit de Prévost reposant sur la Caisse commune des receveurs généraux exclusivement. Puis ce système connaît des dysfonctionnements au cours des années 1759 à 1765 : les rentrées de la caisse centrale des Ponts-et-Chaussées ne sont plus assurées de manière régulière et suffisante par la Caisse commune des receveurs généraux. Enfin, de 1766 à 1769, d’autres caisses centrales de la monarchie interviennent dans le financement des Ponts-et-Chaussées tantôt pour seconder la Caisse commune, tantôt pour se substituer entièrement à celle-ci. La période de 1770 à 1778 marque un retour progressif au mode de financement initial.

La majorité des ressources de la trésorerie générale provient de 1749 à 1778 de la Caisse commune des receveurs généraux et prend la forme de rescriptions assignées sur les recettes générales des finances. Le trésorier général redistribue ces effets à ses commis.


Troisième partie
La généralité de Tours : un exemple local de financement


Chapitre premier
Une active politique d’équipement avec des moyens limités

La généralité de Tours constitue un poste majeur dans les dépenses des Ponts-et-Chaussées : pour l’exercice 1748, elle est la troisième généralité du royaume en termes de montant des dépenses acquittées pour les travaux publics et les charges de personnel (268 187 livres) après celle de Paris et celle d’Orléans. Un réseau de transport dense et intensément fréquenté structure cette province du fait de sa proximité avec la généralité de Paris. À partir de l’exercice 1764, la généralité de Tours devient le second poste de dépense des Ponts-et-Chaussées. Cette évolution procède principalement de la construction d’un ouvrage majeur : le pont de Tours.

Au-delà des mécanismes fiscaux institués par la monarchie pour alimenter les caisses des Ponts-et-Chaussées, un autre système de financement est mis en œuvre par Prévost pour faire parvenir les fonds nécessaires aux trésoriers particuliers de chaque généralité. L’ampleur de la dotation budgétaire du service des travaux publics de Tours rend plus perceptibles les difficultés liées à la mobilisation et au transfert de fonds de Paris à la province. Elles conduisent le trésorier particulier de Tours à recourir au crédit de financiers locaux. Il perçoit trois types de ressource de Prévost : les rescriptions ; les effets de commerce et les traites tirées sur le trésorier général à l’ordre de particulier ; les avances de financiers, de comptables et de parents tourangeaux de Prévost. Progressivement, la part du crédit local augmente pour dépasser les trois quarts du total des fonds encaissés par le trésorier particulier à partir de l’année 1768. Par ailleurs, l’intendant des finances chargé des Ponts-et-Chaussées et l’ingénieur en chef de la généralité de Tours s’appuient sur les avances des entrepreneurs.

Chapitre II
Les employés supérieurs de la Ferme : les bailleurs de fonds du service des Ponts-et-Chaussées de Tours

Les fonds affectés au service de Tours sont avancés en grande partie au trésorier des Ponts-et-Chaussées de cette ville par les employés supérieurs de la Ferme établis à Tours pour le compte de Prévost. De 1765 à 1778, les trésoriers de Tours s’appuient successivement sur un créditeur principal et deux ou trois créditeurs subsidiaires qui leur avancent les fonds que Prévost doit rétrocéder à la caisse locale des Ponts-et-Chaussées. La participation respective de ces bailleurs de fonds évolue au gré de leurs changements de fonction et du cours que prennent leurs affaires personnelles. Un accord entre receveurs généraux des fermes et trésoriers des Ponts-et-Chaussées permet pour les deux administrations d’acquitter les paiements sur place, à Tours ou à Paris, sans recourir au voiturage d’espèces. Les receveurs généraux des fermes remettent au trésorier particulier de Tours les fonds (espèces ou effets) qu’ils centralisent dans leur caisse au titre de la perception des impôts indirects ou de leurs avances personnelles, et ils sont remboursés du montant de leurs avances par des lettres de change que le trésorier particulier tire sur Prévost à leur bénéfice, à plusieurs usances. Les receveurs généraux des fermes de Tours peuvent de cette manière remettre ces lettres de change, payables à Paris, au profit du receveur général des Fermes, Colin de Saint-Marc, et assurer ainsi la remise de leurs recettes à la caisse centrale de la Ferme, établie dans la capitale, sans que le moindre transfert d’espèces entre Tours et Paris ne soit nécessaire.

Chapitre III
La caisse des Ponts-et-Chaussées de Tours : un substrat de circuits financiers intéressant officiers locaux et parents tourangeaux de Prévost

Plusieurs officiers résidant à Tours ou au Château-du-Loir entretiennent des relations financières régulières avec Gabriel Prévost de la fin des années 1750 jusqu’à la fin des années 1770. Un point commun caractérise ces transactions : elles tirent leur origine du crédit que ces officiers sont à même d’offrir à Prévost pour le service des Ponts-et-Chaussées de Tours. Cependant, certaines d’entre elles évoluent pour se détourner peu à peu de cette finalité première, et le trésorier général est amené, dans certains cas, à jouer lui-même le rôle de bailleur de fonds pour ces différents hommes. De plus, les liens familiaux constituent le plus souvent le fondement de ces accords. Cet aspect confère un caractère propre au système de financement des travaux publics mis en œuvre dans l’étendue de la généralité de Tours. Il contribue à donner à la caisse particulière des Ponts-et-Chaussées le rôle d’une banque locale.

Chapitre IV
Le financement des services provinciaux des Ponts-et-Chaussées : des configurations plurielles

Les modalités de financement des différentes caisses particulières des Ponts-et-Chaussées présentent des caractères similaires quant à la nature des fonds. Gabriel Prévost effectue ses remises au profit de chaque commis sous trois formes essentiellement : les rescriptions, les effets de commerce et les lettres de change que les trésoriers particuliers tirent sur lui. Le crédit d’acteurs locaux constitue de manière générale, selon une part plus ou moins conséquente, un recours pour alimenter les caisses provinciales des Ponts-et-Chaussées. La part des avances dans les ressources de ces caisses augmente dans l’ensemble des généralités à la fin des années 1760 et celle des rescriptions s’infléchit. Le choix des bailleurs de fonds et le poids variable de leur rôle conduisent à l’établissement de configurations de financement plurielles. Le trésorier général et les trésoriers particuliers des Ponts-et-Chaussées développent des stratégies diversifiées pour s’adapter au paysage financier, économique et social propre à chaque province, et plus particulièrement à chaque ville dans laquelle est établie une caisse particulière des Ponts-et-Chaussées. Les trésoriers s’appuient sur un nombre limité de créditeurs au cours d’une période donnée, qui sont issus de trois groupes socioprofessionnels : les receveurs généraux des fermes, des aides et des domaines ; les receveurs généraux des domaines et des bois ; enfin les négociants et les armateurs. Les premiers sont de loin le type de pourvoyeurs de fonds le plus important. Des exceptions locales apparaissent tels les pays d’imposition au sein desquels les dépenses en matière de travaux publics sont acquittées sans qu’il soit nécessaire de contracter des emprunts.


Conclusion

Le système de financement de la trésorerie générale des Ponts-et-Chaussées que la monarchie a institué, reposant sur la fiscalité directe, fonctionne effectivement jusqu’en 1759 avec quelques ajustements. Il permet aux trésoriers particuliers de pourvoir aux paiements des travaux publics et des charges en donnant à Prévost les moyens de respecter les distributions mensuelles fixées par le contrôleur général pour chaque généralité. Dès 1759 et jusqu’en 1765, la Caisse commune des receveurs généraux ne verse plus que des fonds irréguliers à la trésorerie générale et d’un montant inférieur aux années précédentes. Le système fisco-financier sur lequel repose la mobilisation des fonds au profit des travaux publics n’est plus en mesure de répondre aux besoins de cette administration, du fait de la politique monarchique d’anticipation et de réduction de l’enveloppe budgétaire initialement accordée aux Ponts-et-Chaussées dans le contexte de la guerre de Sept Ans. Indépendamment des pratiques comptables et financières de Prévost, la monarchie n’a pas su accorder au département des Ponts-et-Chaussées les ressources nécessaires pour accomplir son ambitieuse politique routière et permettre la réalisation des états du roi.

À compter de la fin de l’année 1763, le système de financement employé par Prévost se modifie. Pour assurer le service des Ponts-et-Chaussées, le trésorier général systématise le recours aux emprunts locaux dans les généralités de pays d’élections en délivrant des traites à ses subordonnés, qui les négocient pour obtenir des avances auprès de financiers et de négociants intervenant à titre personnel. Il édifie un réseau de crédit reposant sur des bailleurs de fonds locaux qui double celui reliant les principaux financiers au roi. Sous la gestion de Gabriel Prévost, le circuit de financement des caisses locales des Ponts-et-Chaussées est principalement articulé à celui du recouvrement des impôts affermés. Cette connexion ne résulte pas des logiques fiscales ordinaires instaurées par la monarchie qui impliquent uniquement les recettes générales des finances dans la mobilisation des fonds pour les Ponts-et-Chaussées.

Les causes de la prépondérance du crédit local dans le financement des caisses particulières des Ponts-et-Chaussées restent encore à préciser. Dans un premier temps, Prévost recourt aux emprunts pour pallier les déficiences de la Caisse commune des receveurs généraux, mais il maintient ensuite ce système dans les années 1770, alors que celle-ci parvient de nouveau à alimenter plus régulièrement sa caisse centrale. Deux logiques différentes de financement des Ponts-et-Chaussées apparaissent, l’une instituée au profit de la trésorerie générale par la monarchie et l’autre mise en œuvre au bénéfice des trésoriers particuliers par Prévost. L’histoire de la gestion de Prévost doit donc encore être éclaircie pour évaluer la part respective, dans cette évolution, des défaillances fiscales et des choix financiers de ce trésorier. S’il est parvenu à assurer jusqu’en 1777 le versement aux trésoriers particuliers des fonds affectés par la monarchie aux services locaux des Ponts-et-Chaussées par le recours aux emprunts locaux, les fonds versés directement dans sa caisse ont pu être détournés à d’autres fins. Les défaillances récurrentes des paiements par rescriptions ne peuvent pas constituer le seul motif de la généralisation du recours au crédit local.


Inventaire critique du fonds Prévost

Cet inventaire consiste en une présentation et un examen critique des documents comptables conservés dans le fonds Prévost de la Cour des aides des Archives nationales (Z1A 894 à Z1A 962), qui ont servi de fondement à nos travaux. Il doit permettre de faciliter la compréhension des logiques comptables de cette administration et de justifier l’exploitation historique qui en a été faite. Des photographies des différents types de documents illustrent cette présentation.


Annexes

Les annexes comprennent les tableaux et graphiques résultant de l’analyse des pièces comptables contenues dans le fonds Prévost.


Tables

Table des figures et des tableaux. — Table des illustrations de l’inventaire. — Table de l’inventaire. — Annexes. — Table des annexes. — Table des matières.