Les chasses royales sous Louis XVI et leur sort durant la Révolution : Splendeur et ruine du monde des plaisirs de Sa Majesté (1774-1799)
Introduction
Le lien bien connu entre les Bourbons et la chasse est parfaitement illustré par Louis XVI. Le temps que ce roi y consacra se reflète dans son Journal, qui ne saurait se résumer à la trop fameuse mention « Rien » du 14 juillet 1789. De ses ancêtres, il hérita d'un monde tout entier dédié à ses plaisirs, qui connut de profondes inflexions durant son règne. Composé de nombreux équipages, d'un personnel abondant et diversifié, de chiens et de chevaux, de bâtiments et de forêts, cet ensemble, qui façonna jusqu'au droit de chasse d'Ancien Régime, n'a été jusqu'ici étudié que par parties, sans vision d'ensemble. C'est cette vision que se propose de rendre le présent travail : l'univers des chasses royales dans sa globalité et l'ensemble de ses composantes, ainsi que dans ses évolutions au cours du règne de Louis XVI – en particulier lorsqu'il fut confronté à la période révolutionnaire. Loin d'être immuable, ce monde touchant à la fois la cour et les domaines royaux, fut soumis aux goûts du souverain, aux contraintes financières de la fin de l'Ancien Régime et aux événements de la Révolution. Le sort des chasses royales fut lié tant aux décisions du roi qu'aux bouleversements législatifs, institutionnels et aux troubles populaires. Cette étude cherche à analyser toutes les conséquences de l’attachement des souverains pour cette activité et à comprendre ce que devinrent les différents éléments de cet univers bâti en plusieurs siècles par et pour le roi, et jeté à bas en quelques années sans pour autant disparaître complètement : les chasses royales laissèrent malgré leur suppression des traces encore visibles aujourd’hui.
Sources
Les recherches menées dans le cadre de ce travail ont conduit à exploiter des sources variées, provenant d’institutions tant centrales que locales. La période d’Ancien Régime peut être documentée d’abord par les fonds conservés aux Archives nationales. La sous-série O1 déjà bien connue des chercheurs livre une masse d’informations sur la composition des services de chasse, dans sa partie généralement appelée par commodité « Papiers du grand veneur » ; mais cet ensemble de documents reçus par le secrétaire d’État de la Maison du roi reste assez décevant pour la compréhension du fonctionnement interne des services. La sous-série O1 contient en outre de nombreux plans issus de la direction des Bâtiments, ainsi que les instructifs bons du roi. Les fonds de la Cour des aides (Z1A), des Eaux et Forêts (Z1E) et de la Varenne du Louvre (Z1Q), ont été riches en renseignements sur le personnel, les routes de chasse et les permissions de chasse. La série E en est un complément intéressant, notamment du point de vue forestier, par les minutes des arrêts du Conseil du roi. Les fonds des archives départementales de Seine-et-Marne et des Yvelines ont été des apports décisifs, complétant utilement la période de l’Ancien Régime. La série A de ces deux services a surtout apporté des cartes et des plans, tandis que les séries B et C renseignent sur les maîtrises, les capitaineries, ou encore les élections. Quelques documents complémentaires peuvent se trouver dans les papiers de familles (série E) et dans les archives privées (séries Fi et J). Le département des Cartes et Plans de la Bibliothèque nationale fournit quelques documents cartographiques à même de compléter ceux conservés dans les archives départementales et aux Archives nationales, en particulier la fameuse carte des chasses. Enfin, des almanachs de la vénerie ont été consultés au département des Manuscrits et à la Bibliothèque de l’Arsenal. Pour ce qui est de la période révolutionnaire, les fonds conservés aux Archives nationales sont bien plus pauvres : seuls quelques documents dans la sous-série F10 ont pu être exploités. En revanche, les fonds des archives départementales de Seine-et-Marne et des Yvelines ont fourni presque l’intégralité des sources pour la période révolutionnaire, surtout à partir de la chute de la monarchie. La série L tant en Seine-et-Marne qu’aux Yvelines ainsi que la série Q aux archives départementales des Yvelines ont ainsi documenté tous les propos de cette étude, que ce soit sur les forêts, les bâtiments, ou encore la législation. Quant aux sources imprimées, elles comprennent à la fois des traités cynégétiques emblématiques, des biographies, des récits et des mémoires, mais aussi des almanachs, des textes législatifs et réglementaires, tant isolés que sous forme de recueils parfois commentés. Des ouvrages de généalogie ainsi que des écrits relevant de l’opinion publique les complètent.
Première partieLe roi et la chasse, passion et enjeux
Chapitre premierPassion du roi, plaisirs de roi
L’importance de la place de la chasse à la cour de France est une constante depuis le Moyen Âge. L’éclat des laisser-courre de Fontainebleau, de la vallée de la Loire, de Saint-Germain, et bientôt de Versailles, Compiègne, Rambouillet, ont marqué les mémorialistes et les chroniqueurs du temps. Le roi chassait beaucoup, chassait bien, et chassait fastueusement. Il s’agit de décrire plus précisément le lien étroit entre le souverain et une activité violente, exigeante et technique, et pourtant non dénuée d’une élégance et de rituels que les rois pousseront jusqu’au raffinement. Le roi ne chassait pas uniquement pour son loisir, bien que peu d’activités eussent autant plu à Louis XVI que celle-ci. C’était aussi pour lui une manière parmi d’autres d’exercer un devoir de représentation vis-à-vis de ses sujets. Ce n’est pas pour rien que le roi chasseur est un lieu commun dans l’imaginaire collectif, curial comme populaire. Le roi y consacrait son temps, son argent, il en réglait les détails et les cérémonies, et il en fit parfois l’instrument de sa politique curiale. Ce lien tout particulier entre un personnage et une activité fait de ses chasses un modèle du genre.
Chapitre IILe déroulement d’une chasse royale
La chasse n’était pas qu’un divertissement, mais restait un exercice dangereux qui coûta la vie à plusieurs princes. Chaque chasse est différente de la précédente, mais il est tout de même possible de décrire assez formellement les différentes étapes jalonnant une journée de chasse. Il s’agira ici essentiellement de la chasse à cor et à cri, au cerf bien sûr, mais aussi au sanglier et au chevreuil. Louis XVI aimait aussi à tirer régulièrement, ce qui demandait une organisation bien plus légère, et ne dédaignait pas les occasionnelles chasses dans les toiles, radicalement différentes dans leur mise en œuvre. Les chasses au vol ne seront en revanche pas traitées, car elles n’étaient alors presque plus pratiquées. Les chroniqueurs de l’époque nous ont laissé de très nombreuses anecdotes sur les chasses des derniers rois de France, de Saint-Simon à Hüe, en passant par Barbier, Hézecques ou Dufort de Cheverny. Ces anecdotes se font l’écho des accidents heureux ou malheureux de cette royale passion.
Chapitre IIILe droit de chasse
L’amour du roi pour ses chasses orienta celles de son peuple, puisque le droit de chasse d’Ancien Régime fut en grande partie issu de cette passion exclusive. L’histoire du droit de chasse est aujourd’hui bien connue, mais il n’est pas inutile d’en rappeler les grandes lignes afin de mieux comprendre l’état d’esprit dans lequel le roi chassait et les conséquences que cela entraînait, notamment sur le territoire d’Île-de-France. Cette histoire montre que le droit de chasse était devenu progressivement un privilège lié au fief et à la haute justice et donc un plaisir réservé à une minorité, tout en étant pensé comme un attribut royal que le souverain pouvait distribuer ou au contraire reprendre selon son bon plaisir. Le roi était à même d’interdire de chasser à certains, ou au contraire de concéder des permissions exceptionnelles à d’autres, pour leur plaisir ou pour l’intérêt public, comme c’était le cas pour la chasse au loup. La passion cynégétique du roi n’avait donc rien d’une affaire privée, elle avait bien au contraire des répercussions sur la chasse de tous ses sujets comme sur leur environnement. Le droit de chasse était régi depuis 1669 par le titre XXX de l’ordonnance sur les Eaux et Forêts, dont le maintien jusqu’à la Révolution montre le relatif équilibre.
Deuxième partieLes espaces des chasses royales
Chapitre premierLes forêts de chasse
La chasse à courre demande de grands espaces forestiers où puisse se remiser le gibier. Depuis les rois francs, de vastes forêts étaient ainsi réservées à cet exercice, et c’est à leur proximité qu’étaient édifiées les résidences royales. Pour servir au mieux les plaisirs du roi, ces forêts nécessitaient une administration et une gestion spécifiques, qu’il convient d’étudier attentivement après un rapide tour d’horizon des plus emblématiques de ces espaces. Les forêts de chasse étaient façonnées par cette activité, car le roi lançait dans ses forêts de grands travaux pour aménager routes et carrefours et ainsi faciliter le suivi de la chasse, avec des modalités variant selon les massifs. Les façons de gérer la forêt et les autres couvertes propres à la chasse étaient sous Louis XVI en pleine évolution. Les contraintes imposées par la chasse ne facilitaient pas le travail déjà compliqué des forestiers, car la présence d’animaux, en grand nombre et strictement protégés, était nuisible aux plantations. De plus, elles ne cessèrent d’occasionner des tensions entre les différents interlocuteurs : agents des Eaux et Forêts d’un côté, gardes-chasse de l’autre.
Chapitre IILes capitaineries et le Grand Parc
Les espaces géographiques se doublaient d’espaces juridiques : les capitaineries. Les rois de France à partir de François Ier créèrent, pour la conservation de leurs plaisirs, ces administrations chargées de lutter contre le braconnage et les abus de toute sorte. Les particuliers perdaient le droit de chasser en leur sein, ce qui reflète par contrepoint le caractère de pure grâce du droit de chasse octroyé par le roi. Les mesures agricoles particulièrement contraignantes aggravaient la mauvaise réputation des capitaineries, mais elles garantissaient au souverain la protection du gibier qui était sien dans ces espaces. Leurs conflits avec les Eaux et Forêts, et surtout ceux, très violents, avec les particuliers, ponctuèrent toute l’histoire des espaces de chasse du roi. Il s’agit donc de montrer comment le souverain a fait protéger ses plaisirs durant presque trois siècles, par une administration nécessaire mais détestée, avec quels moyens humains et financiers, et avec quels résultats. Le domaine versaillais, quoiqu’administré un peu différemment, illustre lui aussi parfaitement le poids de l’emprise des chasses royales sur les terres, par des contraintes à la fois juridiques et agronomiques.
Chapitre IIIBâtir pour la chasse
Après l’étude des espaces de chasse royales du point de vue domanial puis législatif et administratif, il convient d’en examiner le point de vue architectural. Un ensemble diversifié de bâtiments fut en effet construit pour la chasse, en l’inscrivant encore davantage dans le paysage. Ces édifices accueillaient le personnel, les animaux, ou bien le roi lui-même durant ses laisser-courre. Les chasses du roi requièrent en effet un certain nombre de bâtiments aux vocations variées : logement des meutes, des chevaux et des hommes, garde et surveillance des domaines, abri et délassement lors de la chasse. Les bâtiments de chasse comprenaient donc non seulement les nombreux chenils et écuries, mais aussi les maisons de garde, les portes et grilles, et les pavillons dont quelques-uns subsistent toujours. Ils se trouvaient tant à Versailles, qui servait souvent de quartier général aux différents services, qu’à Saint-Germain, Fontainebleau, Compiègne, dans les environs de Rambouillet, ainsi qu’au plus profond des forêts ou au contraire sur leurs bordures. L’ensemble de ces bâtiments était vital pour les plaisirs du roi, qui dépensa toujours beaucoup d’argent pour leur construction, leur éventuel achat et leur entretien.
Troisième partieAu service des chasses de Sa Majesté
Chapitre premierLes équipages de chasse
Le roi avait à sa disposition un grand nombre d’équipages en fonction de l’animal et de la façon dont il était chassé. Ces équipages vivaient un peu à l’écart de la cour et relevaient de différents officiers, dont certains étaient des personnages parmi les plus importants du royaume. C’est au xviiie siècle, apogée de la Vénerie royale, que la cour a connu le plus grand nombre d’équipages, dont l’histoire est plus ou moins ancienne et plus ou moins mouvementée. Parmi ces équipages, il faut distinguer ceux placés sous l’autorité du grand veneur de France, celui du daim, ceux du sanglier confiés au « capitaine des toiles de chasses, des tentes et pavillons du roi et équipage du sanglier », la Louveterie dirigée par le grand louvetier de France, la Grande Fauconnerie avec le grand fauconnier de France, et enfin des équipages dépendant de la Chambre : chiens couchants, Lévriers de Champagne, Levrettes de la Chambre, et Vols du Cabinet. Versailles, née de la chasse, était donc remplie d’équipages de chasse qui totalisaient plusieurs centaines de personnes, dont la moitié relevait de la Grande Vénerie, service le plus important par la taille comme par le prestige.
Chapitre IILe personnel des chasses
Après la composition des différents équipages, il s’agit d’analyser plus précisément les caractéristiques de leur personnel, de sa hiérarchie et de sa situation sociale. Les fonctions exercées par ce personnel reflètent par leur diversité les différences de profil qui se constatent au sein des services. Une majorité du personnel était chargée de la mise en œuvre des chasses proprement dites, par l’organisation des laisser-courre, des chasses aux toiles ou encore des tirés, ou par le travail du chenil et de l’écurie. Ces tâches étaient l’œuvre d’officiers commissionnés et de gens de livrée. En plus de cette catégorie qui peut être qualifiée « de terrain », il exista jusqu’à la Révolution des officiers dispensés du service réel, dont le seul but était de profiter des nombreux avantages curiaux et fiscaux liés à la domesticité. Leur nombre décrut tout au long du xviiie siècle. Enfin, les services étaient pour certains dotés d’une chapelle, d’une faculté, d’un garde-meuble ainsi que d’une administration financière qui évolua notablement durant le règne de Louis XVI. Tout ce personnel bénéficiait de nombreux avantages, sociaux et financiers notamment, grâce à l’intérêt du roi pour la chasse et donc pour ceux qui y travaillaient. Il s’agit de renseigner leurs profils, leurs traitements et leurs faveurs, leurs carrières et leurs liens familiaux, pour comprendre ce que représentait le service du roi à la chasse.
Chapitre IIILes animaux de chasse
Les animaux, chiens et chevaux, sont somme toute les acteurs les plus importants des chasses, quelle que soit la façon de chasser. Ils étaient l’objet de l’attention du monarque et mobilisaient pour leur entretien la plus grande partie du personnel des différents services de chasse. Il a été choisi de laisser de côté les oiseaux de proie dont l’usage n’était plus que très anecdotique sous le règne de Louis XVI. Il convient de montrer comment étaient sélectionnés ces chiens et chevaux, sur quels critères raciaux et géographiques, selon quels tarifs, quelles modalités et quelles évolutions. Les sources sont sur ce sujet assez délicates à manier et ne permettent parfois qu’une vue d’ensemble. Il s’agit également d’étudier la façon dont ces animaux étaient nourris, soignés, élevés, entraînés, afin de permettre au roi de vivre les chasses les plus belles possibles.
Quatrième partieCrépuscule et ruines des chasses royales (1787-1799)
Chapitre premierLes chasses du roi de 1787 à 1792
L’année 1787 marque un brusque tournant dans l’histoire des chasses royales. La suppression d’un bon nombre d’équipages est symptomatique de la nécessité de couper dans les dépenses curiales, même aussi importantes pour le roi que les chasses. Ce monde un peu en marge au sein de la cour pouvait se flatter de la protection et de l’attention perpétuelles du souverain, mais il n’échappa pourtant pas aux mesures d’économie imposées par le contexte de la fin de l’Ancien Régime. Il faut étudier le bouleversement que furent ces réformes de 1787, avant de s’arrêter sur la multiplication des contestations, tant dans l’opinion publique que dans la préparation des États généraux, à l’égard du monde des chasses royales que les années 1789 et 1790 finirent par bouleverser. 1789 ne marque toutefois pas, de ce point de vue, une coupure brutale, car il semble cohérent de faire un tout de la période courant de 1787 à 1792, durant laquelle le roi ne fut jamais empêché de chasser, et les équipages, quoique de plus en plus réduits, restèrent maintenus. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la figure du roi chasseur ne fut pas totalement interrompue en 1789. Si le roi continua à tirer et à courir cerfs et chevreuils assidûment jusqu’à son départ pour les Tuileries, il se contenta de très rares tirés durant son séjour parisien, ce qui n’empêcha pas de survivre quelque temps les services rescapés, Vénerie, Vols du Cabinet et porte-arquebuses, dont il convient d’analyser la situation dans ces années tourmentées. L’Assemblée n’interdit jamais à Louis XVI de chasser : c’est de son plein gré qu’il décida de supprimer sa Vénerie à la suite de critiques, à la vérité douteuses, alors que les chasses du roi n’étaient pas visées directement par la Révolution tant qu’elles ne nuisaient pas aux particuliers.
Chapitre IIInnovations et contestations (1789-1792)
Le climat dans lequel le roi et ses équipages ont vécu leurs dernières chasses était bien particulier. À partir du début de l’année 1789, une vague de troubles, jamais vue jusqu’alors, liant braconnage et banditisme, déferla dans les domaines royaux. Par la nuit du 4 août et les décrets qui s’ensuivirent, la fin des privilèges et la naissance d’un nouveau droit de chasse radicalement différent de celui de l’Ancien Régime, eurent pour double effet de redéfinir les plaisirs du roi et d’accentuer le déchaînement des violences cynégétiques. La question de la chasse prit donc une place prééminente dans les débuts de la Révolution, ce qui amena à donner un nouveau cadre tant spatial que juridique aux chasses royales. La disparition des capitaineries et l’obligation pour le roi de restreindre ses possessions de chasse à quelques forêts qu’il s’engageait à enclore, changèrent le paysage de ces chasses dont la conservation par les gardes devenait chaque jour plus difficile et dangereuse.
Chapitre IIILes bâtiments et leurs occupants : remploi et désaffection
Après 1792 et la chute de la monarchie, l’univers des chasses royales disparut avec son maître. Les bâtiments jusque-là affectés à cette activité connurent des sorts très divers, tantôt relativement faciles à suivre, tantôt au contraire presque inconnus. Ils ne laissèrent jamais les administrations indifférentes, pour des raisons pratiques ou bien symboliques. Les chenils et les écuries purent être utilisés à d’autres fins, ou être laissés à l’abandon. Les logements gardèrent souvent leur vocation première, grâce à leur mise en location au profit de la République. Les maisons des gardes-chasse leur furent pour la plupart conservées, contrairement aux chenils, dont seul subsiste aujourd’hui celui de Rambouillet ; les portes furent quant à elles plus nombreuses à survivre. Il est par ailleurs remarquable que ce soit pendant cette période que nos sources permettent d’en savoir davantage sur bien des aspects concrets des édifices et de leur contenu, grâce aux mises sous scellés et aux inventaires qui s’ensuivirent. En étudiant la destinée de ces différents édifices, il apparaît difficile de définir une ligne générale plus précise que le constat selon lequel le besoin d’argent poussa l’État à exploiter autant que possible les anciens bâtiments de chasse, pourvu qu’ils fussent en bon état ; les travaux coûtaient en effet cher et se limitaient souvent au strict nécessaire, car il fallait qu’ils fussent rentables. Les sources assez inégales selon les endroits considérés n’aident pas à dégager une politique générale de la part de la République à cet égard. Quant à leurs occupants, animaux et hommes, ils ont en revanche tous une histoire extrêmement difficile à retracer, faute de sources. La réforme du 1er janvier 1791 les rendit inutiles, provoquant la vente ou la distribution des premiers, et le chômage des seconds. La connaissance de l’avenir de ces serviteurs des chasses est limitée aux gardes-bois et portiers, à ceux qui purent rester dans les bâtiments de Versailles ou Saint-Germain, et à ceux qui entrèrent par la suite dans la Vénerie impériale.
Chapitre IVLe sort des anciens domaines de chasse
Que faire des domaines réservés aux chasses du roi une fois la monarchie abolie ? C’est la question qui se posa à la République dès son avènement. Il est certain que leur aspect cynégétique tombait de lui-même, puisqu’aux chasses royales ne succédait aucune chasse de la République. Les forêts concernées n’étant plus soumises aux contraintes de conservation du gibier, seul leur composante proprement forestière demeurait. Redevenues de simples réserves de bois, les forêts n’en connurent pas moins des dégradations très graves durant la Révolution, dans la continuité des troubles des années 1790 et 1791 mais aussi de tous les délits forestiers d’Ancien Régime qui se multiplièrent alors avec une déconcertante facilité. Différentes tentatives pour organiser l’administration des Eaux et Forêts ne donnèrent pas de résultats probants, ce qui empêcha la constitution d’un cadre stable et solide pour lutter contre les déprédations dont les forêts furent atteintes. Bien au contraire, ces masses de bois déjà éprouvées par les dévastations furent encore plus mises à mal par l’administration qui ordonna des coupes extraordinaires, bouleversant ainsi les révolutions respectées tant bien que mal par les maîtrises sous l’Ancien Régime. Les gardes-bois furent les derniers témoins de la surveillance des anciens domaines de chasse, mais leur inefficacité face aux délits, dont même les autorités locales étaient complices, imposait le recours à d’autres forces armées telles que la gendarmerie ou l’armée. Au fond, le seul avantage que tirèrent les forêts de cette période fut la disparition presque totale du gibier qui en avait abîmé les jeunes plants impunément des siècles durant. L’augmentation du nombre de loups fut quant à elle très difficile à contrer, quels que fussent les moyens tentés pour lutter contre ce fléau. Pour toutes ces raisons, les grandes forêts de chasse traversèrent dans les années révolutionnaires une période particulièrement agitée, faute notamment d’une organisation centrale solide et cohérente du fait des bouleversements politiques. Aujourd’hui, seuls quelques pavillons et le réseau des routes tracées pour les plaisirs des rois peuvent témoigner de ce que fut ce monde condamné avec son maître.
Conclusion
Après le règne de Louis XV qui avait porté ses chasses au sommet de leur éclat vint un règne marqué par la nécessité de réduire les dépenses des chasses. Louis XVI, fervent chasseur, réduisit tout au long de son règne le nombre de ses équipages. Cet univers qu’il avait choyé, que ce soit à travers le personnel, l’édification de nouveaux bâtiments, l’ouverture de routes à travers ses forêts, fut d’abord ébranlé en 1787 par les coupes budgétaires et les réformes, avant d’être confronté aux événements révolutionnaires : le roi cessa presque complètement de chasser dès son départ pour Paris. C’est Louis XVI qui décida seul de cesser de chasser, car si l’abolition des capitaineries répondit aux vœux de tous, jamais personne ne réclama la fin des chasses royales, au contraire. Voilà peut-être le signe le plus éclatant que la chasse était indissociable de la personne du roi dans l’esprit de tous, et il est remarquable que ce signe se fût manifesté sous la Révolution. La lente naissance d’un nouveau droit de chasse accompagna la disparition des capitaineries, les graves troubles ruraux, et la mise en sommeil des derniers grands services de chasse. La chute de la monarchie porta le dernier coup à ce monde, dont seuls les gardes-chasse, les routes et quelques bâtiments de garde pouvaient encore témoigner ; mais de ces ruines subsista surtout l’esprit qui en avait été l’âme des siècles durant et qui liait si étroitement pouvoir politique et chasse.
Annexes
Chronologie des services de chasse royaux au xviiie siècle. — Chronologie des chasses à courre, chasses aux toiles et tirés de Louis XVI. — Extrait du règlement du roi du 9 août 1787, sur quelques dépenses de sa Maison et de celle de la reine. — Exemple de procès-verbal d’un garde-chasse. — Décret de l’Assemblée nationale sur la chasse, 22 avril 1790. — Personnel de surveillance des parcs de Versailles et Marly avant et après 1792. — Description de l’intérieur d’une écurie et de plusieurs chenils du Grand Chenil à Versailles le 17 juillet 1794.