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École des chartes » thèses » 2015

Les premières lois imprimées

Étude des actes royaux imprimés de Charles VIII à Henri II (1483-1559)


Introduction

Avec l’invention de Gutenberg, les pratiques scripturales et les usages de l’écrit se modifient en profondeur. L’imprimerie ne remet cependant pas immédiatement en cause l’ensemble des mécanismes médiévaux. Le changement de paradigme ne s’opère pas sans résistance. Le fonctionnement institutionnel de la monarchie, fondé sur la tradition de pratiques séculaires, constitue l’un de ces points de tension. Les intérêts de l’imprimé se confrontent aux usages monarchiques sur lesquels reposent partiellement la légitimité et l’efficacité de l’intervention royale. La production normative ne recourt pas uniquement au manuscrit pour ses vertus utilitaires de transmission et de conservation de l’information, mais incorpore aussi au document des valeurs symboliques et surtout juridiques attachées à sa forme. Par conséquent, le bouleversement formel opéré par l’imprimerie frappe de plein fouet la pratique législative. Au cours du siècle qui suit cette invention, la loi connaît d’importantes évolutions, qui résultent pour partie des effets de l’imprimerie.

Du point de vue institutionnel, le début des Temps modernes se caractérise par de profondes transformations du pouvoir législatif. Le pouvoir de faire loi bénéficie désormais d’une forte assise théorique, qui légitime l’intervention croissante du monarque. Ainsi, la législation du roi de France tend à se faire plus prégnante. Le phénomène se traduit par une production accrue de textes concernant des sujets qui échappaient auparavant à la compétence royale. Pour ce faire, le roi dispose d’une grande variété d’instruments, qui rend difficile l’appréhension de la pratique législative.

Définir la loi au début des Temps modernes relève en effet de la gageure. Non seulement le terme ne vise pas uniquement l’activité normative du monarque, mais il est complexe à circonscrire au sein des seules décisions royales. L’absence de correspondance exacte entre les caractères diplomatiques et juridiques empêche de donner à la loi des contours très précis. Il est par conséquent nécessaire de déterminer de manière claire et constante des critères de choix des actes royaux susceptibles d’être qualifiés de loi. Il faut avant tout souligner que l’ensemble des décisions du pouvoir souverain n’entre pas dans la catégorie des actes royaux. Cette nébuleuse apparaît en elle-même difficile à définir. L’historiographie contourne généralement le problème, car la monarchie n’a pas classé ses actes au sein de catégories strictes. Au regard de la diplomatique, le genre acte royal se divise en deux espèces : les lettres patentes et les actes expédiés sans l’intervention de la Chancellerie. En premier lieu, les lettres patentes se définissent comme des actes ouverts avec un sceau pendant, qui comprennent une suscription, une adresse, un préambule, un dispositif, une formule exécutoire et enfin la signature du roi et des contreseings. En fonction des variations subies par ces éléments, il est possible de distinguer deux types de lettre patente. Les grandes lettres patentes sont scellées sur double queue et s’adressent « à tous présents et à venir ». Les petites lettres patentes sont, quant à elles, scellées sur simple ou double queue et disposent d’une adresse particulière ou collective. En second lieu, les actes expédiés sans l’intervention de la Chancellerie renferment aussi une large variété de décisions royales. Face à la lourdeur procédurale des lettres patentes, des actes aux cadres moins rigides font leur apparition au cours du Moyen Âge et de l’Ancien Régime. C’est en particulier le cas des ordonnances sans adresse ni sceau et des lettres closes. Enfin, il faut noter que les arrêts du Conseil du roi ne sont pas compris dans la catégorie des actes royaux, bien qu’il s’agisse d’un mode à part entière (et fondamental) d’intervention royale dans l’ordre juridique. Plus précisément, seuls sont classés parmi les actes royaux les arrêts du Conseil revêtus de lettres patentes.

La catégorie des actes royaux est donc particulièrement étendue. Un dépouillement exhaustif des actes royaux imprimés encore conservés demanderait des moyens considérables. Outre la masse des documents, même pour une période de moins d’un siècle, les lacunes des instruments de recherche et la faiblesse de l’historiographie compliquent la tâche du chercheur. Tout d’abord, il n’existe aucun outil permettant de connaître l’ensemble de la législation de l’Ancien Régime. En l’absence d’une procédure centralisée de conservation des actes royaux, ces derniers figurent actuellement de manière dispersée dans une multitude d’institutions. Des entreprises ont bien été menées pour tenter de résoudre cette difficulté, mais elles demeurent lacunaires, qu’il s’agisse de la collection des Ordonnances des rois de France ou du Recueil des anciennes lois françaises d’Isambert. Il faut ensuite relever que si l’évolution générale du pouvoir législatif au début des Temps modernes est désormais assez bien connue, les effets induits par l’invention de Gutenberg n’ont en revanche été que très peu étudiés en eux-mêmes.

Par conséquent, l’étude des premières lois imprimées cherche à envisager la question dans sa globalité, en ne privilégiant ni les aspects d’histoire du livre ni ceux d’histoire du droit. Les deux éléments sont étroitement liés : alors que la monarchie exerce dès l’origine une surveillance des imprimés en circulation, la parution de ses décisions par des éditeurs privés entraîne une transformation de ses propres pratiques. Le choix consiste à analyser la genèse du phénomène et ses premiers développements. Il s’agit donc de s’interroger sur les rapports entre l’apparition d’un marché des actes royaux imprimés et le processus législatif. L’impression de la législation a en effet produit une véritable impression sur la législation, et ce dès le début de l’époque moderne.


Sources

Face à la masse des décisions monarchiques, l’étude s’est centrée sur les seules « lois » imprimées. Pour cela, une série de critères a permis d’établir un corpus de sources homogène, susceptible de faire l’objet d’une analyse cohérente, de comparaisons et de projections raisonnées. C’est à partir du dépouillement des actes royaux imprimés conservés à la Bibliothèque nationale de France (BNF) qu’a été constituée la base de données de cette étude. Au total, neuf cent trente-huit pièces imprimées ont été dépouillées, regroupant mille trois cent cinquante-cinq actes royaux dont certains en de nombreux exemplaires. Le corpus définitif contient, quant à lui, trois cent quatre-vingt-six entrées, extraites de trois cent sept pièces imprimées et reproduisant deux cent soixante-sept actes royaux différents. Ces entrées ont été dégagées à l’aide d’une série de critères relatifs à la date, à la forme et au contenu des documents.

Tout d’abord, le cadre temporel de l’étude correspond à celui de l’apparition et des premiers développements de l’impression des actes royaux. Le dépouillement des catalogues d’incunables a permis de découvrir que le plus ancien acte royal imprimé conservé – notamment à la BNF – a été mis sous presse à Lyon en 1491. Il s’agit de l’ordonnance sur la justice en Languedoc promulguée le 28 décembre 1490 par Charles VIII. L’analyse débute donc logiquement avec le règne de Charles VIII, qui marque les prémices de l’impression de la législation. Cette dernière subit de profondes modifications jusqu’au milieu du xvie siècle, et le règne d’Henri II semble constituer un terminus ad quem pertinent. Outre les données dégagées du corpus de l’étude, au moins deux éléments justifient cette césure. En premier lieu, sous Charles IX, la croissance des actes royaux imprimés devient exponentielle. En second lieu, le roi centralise alors la mise sous presse de la législation en accordant, le 8 octobre 1561, le premier privilège général d’impression des actes royaux à Robert II Estienne. Dès lors, seuls les actes royaux imprimés entre 1483 et 1559 ont été retenus. Cela a conduit à l’exclusion de quatre cent trente-deux pièces impossibles à dater. En outre, les décisions promulguées par les quatre monarques de la période mais mises sous presse après 1559 ont logiquement été exclues. De la même manière, seuls les actes royaux de Charles VIII, Louis XII, François Ier et Henri II figurent dans le corpus. Les lettres patentes antérieures à 1483 imprimées avant 1559 n’entrent pas dans le champ de l’étude.

Ensuite, la deuxième série de critères de sélection repose sur la forme de l’impression. Seules les impressions d’un acte royal à la pièce ont été retenues. Il faut en effet distinguer les actes royaux imprimés à l’unité des recueils d’ordonnances, lesquels obéissent à une logique éditoriale différente. Pour la même raison, les impressions commentées ne figurent pas dans le corpus, même lorsqu’elles ne portent que sur un acte royal isolé. Toutefois, si l’on peut parler d’impression à l’acte, ce dernier est régulièrement accompagné de textes complémentaires nécessaires à sa compréhension. Ainsi, les éditeurs ajoutent parfois l’arrêt d’enregistrement des lettres patentes. Sans former de véritables recueils, ils publient quelques fois ensemble deux ou trois actes royaux connexes. Lorsqu’ils sont privilégiés, les imprimeurs-libraires reproduisent parfois l’intégralité du privilège octroyé par la monarchie, qui est en lui-même un acte royal. Par conséquent, si elles se limitent le plus souvent à la mise sous presse d’un unique acte royal, les impressions à la pièce peuvent également en contenir plusieurs. Les recueils factices ont évidemment été dépouillés en ce qu’ils ne constituent qu’un regroupement artificiel, sous une même reliure, d’actes royaux imprimés à la pièce.

Enfin, la troisième série de critères de sélection dépend du contenu des pièces imprimées. Parmi les actes royaux imprimés, seules les lettres patentes en commandement ont été retenues. Ce choix s’explique par le fait que la catégorie diplomatique est celle qui s’apparente le plus à la notion de loi, au sens matériel du terme. Si les lettres patentes en commandement ne sauraient être assimilées aux lois contemporaines sans commettre un grave anachronisme, elles correspondent néanmoins aux actes les plus solennels d’expression du pouvoir normatif du roi de France. Par conséquent, tous les actes expédiés sans l’intervention de la Chancellerie ont été écartés du corpus. Le critère formel assure finalement la cohérence du corpus de l’étude. S’il ne résout pas complètement les discussions relatives à la notion de loi sous l’Ancien Régime, il semble en constituer une approximation acceptable. La loi apparaît en effet comme un concept opératoire, afin de progresser dans la compréhension des mécanismes institutionnels du début des Temps modernes.

À l’ensemble de ces éléments, il faut ajouter que le corpus se réduit aux actes royaux imprimés conservés dans les collections de la BNF. Un tel dépouillement peut, de prime abord, paraître limité. Pourtant, le millier de pièces consultées pour l’établissement du corpus de l’étude tend à prouver le contraire. En effet, les dépouillements ne portent pas exclusivement sur les imprimés conservés dans les rayonnages du site de Tolbiac, mais sur l’ensemble des fonds de la BNF susceptibles de renfermer des actes royaux. Le choix de la BNF s’explique par le fait qu’elle renferme le plus grand ensemble d’actes royaux imprimés.

Par conséquent, c’est sous toutes ces réserves qu’est menée l’étude des premières lois imprimées.


Première partie
L’impression de la législation


Chapitre premier
Les formes des actes royaux imprimés

Des évolutions propres à l’histoire générale du livre. — L’impression de la législation royale à partir de la fin du xve siècle modifie la forme des actes royaux. Certes, ces actes restent formellement des lettres patentes, mais leur version manuscrite connaît désormais son ou ses pendants imprimés. Les décisions du pouvoir royal se mêlent alors à la foule des ouvrages que multiplie l’invention de Gutenberg. La crainte de voir les actes de l’autorité se banaliser n’a certainement pas facilité la mise sous presse des lettres patentes, qui se trouvent transformées par leur passage chez l’imprimeur. Il s’agit en effet d’un changement radical, qui rompt avec la tradition séculaire du processus législatif. Le changement est d’autant plus important que la toute nouvelle technique de reproduction des textes connaît elle-même de profondes évolutions au cours de ses premières décennies d’existence. Les actes royaux imprimés s’inscrivent alors dans la riche histoire générale du livre du début des Temps modernes. Ainsi, la forme des lois éditées diffère radicalement si l’on compare les incunables aux actes imprimés en 1559, que ce soit au regard de la typographie employée ou des illustrations accompagnant les textes de la monarchie. Les imprimeurs abandonnent progressivement les caractères gothiques au profit du romain. Il n’existe pas de rupture très tranchée marquant le passage d’une forme typographique à une autre. Il faut plutôt distinguer trois périodes, qui détachent progressivement les reproductions de leur modèle manuscrit. À un recours exclusif aux caractères gothiques, succède une période de transition, qui permet au romain de s’imposer durant le règne d’Henri II. Concernant les illustrations, les bois employés au xve siècle ne sont en rien propres aux actes royaux, mais servent à l’ornementation d’une grande variété d’incunables. Ces illustrations disparaissent assez rapidement pour laisser place à des fascicules ne reproduisant que les lettres patentes, éventuellement accompagnées d’arrêts d’enregistrement. Quelques pièces font cependant exception. C’est particulièrement le cas des exemplaires de luxe richement décorés, mais aussi de la législation monétaire. Cette dernière est le plus souvent imprimée avec une série de gravures représentant les monnaies concernées par l’acte en question.

Des évolutions aux conséquences diplomatiques propres. — L’acte royal est un document de chancellerie obéissant à des règles diplomatiques strictes qui conditionnent sa validité. Si la copie de ces actes est plus souple que la rédaction des originaux, le recours à l’imprimerie a néanmoins engendré des conséquences diplomatiques propres sur la forme de la législation. Une telle influence s’observe principalement concernant le support des actes royaux, leur format et leur mise en page. Certes ces évolutions sont également liées à l’histoire générale du livre mais, à la différence de la question typographique ou de celle des illustrations, elles ont influencé les caractères externes des lettres patentes. Alors que la quasi-totalité des copies simples sont imprimées sur papier, quelques exemplaires adoptent le parchemin comme support. Il s’agit de fascicules précieux, sans doute fabriqués sur commande. Par leur support, ces exemplaires se rapprochent des originaux imprimés ainsi que de quelques copies authentiques. Pour les originaux, il s’agit d’ailleurs d’une condition essentielle à leur validité, qui les distingue de la masse des copies non officielles imprimées par des libraires privés. Ils s’en écartent également par leur format ou bien encore leur mise en page. Les originaux imprimés reprennent les caractéristiques diplomatiques des actes royaux manuscrits, dont se séparent rapidement les copies simples des imprimeurs-libraires. Ces derniers agissent en effet assez librement, du moins dans un premier temps. Ils adaptent la forme des actes royaux aux caractéristiques de l’imprimerie.

Chapitre II
Les artisans des actes royaux imprimés

Un groupe relativement circonscrit. — Durant le premier siècle de l’imprimerie, la mise sous presse des décisions monarchiques est réalisée par des imprimeurs-libraires privés. La matière semble d’ailleurs ne pas les avoir beaucoup intéressés avant la fin du xve siècle. Une très faible part de la législation royale bénéficie alors des faveurs de l’imprimerie. Pourtant, tout en restant circonscrit, le petit groupe d’imprimeurs-libraires s’étoffe dans les premières décennies du siècle suivant, à la fois en raison des profits engendrés par l’activité et de l’accroissement de l’activité monarchique. Parmi la cinquantaine d’imprimeurs et libraires d’actes royaux du corpus, plusieurs distinctions peuvent être établies. Le croisement des critères chronologiques, géographiques et volumétriques permet de dresser un tableau assez fin du marché de la loi imprimée de la fin du xve au milieu du xvie siècle. La législation royale ne commence à être imprimée à l’unité qu’à partir de 1491, d’abord du fait d’imprimeurs de province, notamment Michel Topié à Lyon et Jean de la Tour à Angers. Les imprimeurs-libraires parisiens rattrapent cependant très vite leur retard, comme l’illustrent les cas de Pierre Le Caron, André Bocard, Étienne Jehannot et Guillaume I Nyverd. La première moitié du xvie siècle marque, quant à elle, un changement d’échelle. Quelques grandes figures s’imposent alors pour la diffusion imprimée des lois du roi, en particulier durant les règnes de François Ier et Henri II. À Paris, il s’agit de Galliot Du Pré, Jacques Nyverd, Jean Dallier et Vincent Sertenas. Il ne faut cependant pas négliger le rôle de certains imprimeurs-libraires occasionnels, qu’ils soient parisiens ou des provinces.

Un groupe progressivement institutionnalisé. — Le développement du marché et son importance stratégique pour le pouvoir royal conduisent à la mise en place d’un contrôle. La monarchie profite de la demande des imprimeurs-libraires eux-mêmes, qui réclament la protection juridique du pouvoir afin de garantir la rentabilité de leur activité. La généralisation des privilèges de librairie aboutit alors à institutionnaliser le petit groupe d’artisans autorisés à reproduire les actes royaux. Partant, bien qu’elle ne soit pas directement le fait de la monarchie, la mise sous presse de la législation voit s’accroître le rôle du pouvoir. À l’origine libre, la reproduction des lois du roi passe lentement sous un contrôle lâche mais certain de la monarchie et de ses institutions, tout en restant effectuée par des imprimeurs et des libraires privés. Le pouvoir se sert pour cela du privilège de librairie, dont la finalité évolue au cours de la première moitié du xvie siècle. Un tel privilège est accordé par le roi ou une institution afin de conférer un monopole d’impression et de diffusion d’un ou plusieurs textes pour une période déterminée. Apparu peu après l’invention de l’imprimerie, il prend rapidement une place centrale. Avant 1566, le privilège de librairie s’appuie exclusivement sur une démarche volontaire de la part des libraires et des imprimeurs. Si le premier privilège royal pour l’impression d’un acte royal date du 14 décembre 1499, de tels privilèges – qu’ils soient royaux ou juridictionnels – restent assez rares avant la publication de l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Toutefois, les avantages procurés par le système, tant pour les artisans que pour le pouvoir monarchique, modifient rapidement le fonctionnement du marché. Les privilèges obtenus le même jour par trois libraires pour la reproduction de l’ordonnance de Villers-Cotterêts jouent à cet égard un rôle décisif. Le 28 août 1539, le roi accorde à Galliot Du Pré un privilège de trois ans pour l’impression de l’ordonnance de réformation de la justice, alors que le parlement de Paris en fait de même en faveur de Jean André et Jean Bonhomme. Sans aucun doute, le succès de la politique éditoriale menée par les trois hommes conduit par la suite les autres imprimeurs-libraires à les imiter. Dès 1539, la quasi-totalité des lois imprimées le sont à l’aide d’un privilège royal ou juridictionnel, signe de l’institutionnalisation croissante du groupe des imprimeurs et libraires d’actes royaux, que vient encore renforcer l’apparition des premiers privilèges relatifs à une série d’actes royaux.


Deuxième partie
L’impression sur la législation


Chapitre premier
La nature des actes royaux imprimés

Le cas des originaux imprimés. — La Chancellerie ne se convertit pas immédiatement à l’utilisation de l’imprimerie, elle ne l’a même jamais complètement fait. Toutefois, durant le premier tiers du xvie siècle, de timides expérimentations sont réalisées. Le manuscrit est abandonné pour quelques lettres patentes, dont on conserve des originaux imprimés. Il s’agit là de l’une des principales innovations législatives résultant de l’invention de Gutenberg. Bien qu’elle n’ait pas connu un développement important au cours du siècle, cette nouvelle forme législative mérite qu’on s’y attarde au regard de sa grande singularité dans le champ de la production normative. Les fonds de la Bibliothèque nationale de France conservent six originaux imprimés avant la mort d’Henri II, dont certains semblaient jusqu’alors inconnus. Ces six documents contiennent quatre textes différents, puisque pour certains on dispose d’originaux multiples. Rares en volume, les originaux imprimés le sont également dans le temps. Le plus ancien acte de ce type consulté date du 7 janvier 1527, alors que le plus récent est promulgué le 4 mai 1533. Le caractère limité de ces expérimentations résulte certainement de l’absence d’un vrai besoin d’originaux multiples pour des textes de portée législative. Il se vérifie plutôt pour des décisions de portée plus restreinte, envoyées à un petit nombre de destinataires. C’est notamment le cas des originaux imprimés consultés relatifs à la levée de décimes ecclésiastiques.

Le choix des copies imprimées. — En revanche, l’accroissement presque continu des copies imprimées marque l’importance prise par l’imprimerie pour la connaissance d’une législation royale dont le champ d’intervention ne cesse lui aussi de s’élargir. Dans un premier temps, l’impression des lettres patentes reste timide. Durant les règnes de Charles VIII et de Louis XII, le nombre de pièces imprimées est faible. La première partie du règne de François Ier ne s’en démarque pas vraiment. Il faut attendre 1539, année qui constitue une véritable rupture dans l’histoire de la législation imprimée. Les statistiques montrent une augmentation considérable des mises sous presse. Ce n’est cependant qu’au cours du règne d’Henri II que l’impression à la pièce des actes royaux s’installe définitivement et fortement dans le paysage législatif et éditorial. Partant, au cours de la période d’étude, seule une partie de la législation est imprimée. Les actes royaux mis sous presse font l’objet d’une sélection, qui est avant tout le fait des imprimeurs-libraires. Les données montrent une nette préférence pour les textes relatifs à la justice et à l’administration du royaume. L’impression est également massive pour les décisions touchant à l’économie et aux finances. Parmi les autres thématiques bien représentées, il faut relever les questions militaires et religieuses, ainsi que le cas particulier de l’imprimerie elle-même. Les choix d’impression semblent en revanche ne reposer que secondairement sur la nature des actes royaux, puisque les grandes lettres patentes, les petites lettres patentes scellées sur double queue et les petites lettres patentes scellées sur simple queue forment toutes environ un tiers du corpus.

Chapitre II
La fonction des actes royaux imprimés

La diffusion des actes royaux imprimés. — Outre qu’elle change la forme de la législation royale, l’invention de Gutenberg modifie le déroulement du processus législatif lui-même. C’est en effet dans la phase de mise en application des lettres patentes que les propriétés de l’imprimerie peuvent révéler tout leur potentiel. La multiplication des textes en grand nombre pour un coût peu élevé constitue un véritable changement de paradigme au regard de la rareté de l’écrit caractéristique du Moyen Âge. Les actes royaux imprimés viennent bousculer les mécanismes mis en place au cours des siècles précédents. Sans remettre en cause la place centrale de l’oralité dans une société marquée par un très faible taux d’alphabétisation, l’imprimerie assure une meilleure circulation des textes. Celle-ci s’applique en premier à la loi, censée être portée à la connaissance de tous afin d’en assurer l’application dans l’ensemble du royaume. Les actes royaux imprimés apparaissent comme un nouveau moyen de diffusion, qui vient s’ajouter à l’enregistrement et au cri public – d’ailleurs mentionnés dans les textes imprimés. Dès la fin du xve siècle, les parlements ont eu recours à des imprimeurs pour diffuser les actes royaux qu’ils étaient chargés d’enregistrer. Un tel interventionnisme semble néanmoins rester exceptionnel. Il en va de même pour la monarchie avant le milieu du xvie siècle, bien que l’on conserve quelques copies imprimées authentifiées par la signature d’un secrétaire du roi ou d’un notaire royal. À partir de la décennie 1540, le recours aux copies se renforce considérablement, comme en témoigne la modification du formulaire législatif. La Chancellerie intègre dans la clause injonctive la diffusion imprimée de la loi royale. La portée de cette modification est particulièrement importante en ce qu’elle officialise le recours à l’imprimerie par le pouvoir législatif lui-même. Désormais, la diffusion imprimée de la loi n’est plus laissée à la seule initiative privée, mais se double d’une voie officielle au sein des canaux traditionnels de publication des lettres patentes.

La conservation des actes royaux imprimés. — De la même manière, l’imprimé ne supplante pas les modes de conservation traditionnels de la loi. L’innovation technique ne fait pas disparaître les mécanismes antérieurs, et le changement s’opère de manière très progressive. Avant 1559, les actes royaux imprimés ne trouvent qu’une place réduite dans la procédure de l’enregistrement, mais donnent déjà naissance à un nouveau mode de conservation non institutionnel de la législation royale. La diffusion massive des actes royaux conduit certains érudits à forger d’importantes collections. Certes, ces dernières souffrent de lacunes, mais elles constituent un complément essentiel qui comble encore aujourd’hui certains vides de la conservation officielle de la législation royale. La masse des actes royaux imprimés à la pièce a également permis la formation des immenses recueils factices de la série F de la BNF, qui offrent d’inépuisables ressources pour les chercheurs.


Conclusion

Les insuffisances des registres officiels et la dispersion des expéditions authentiques rendent difficile l’appréhension globale de la législation d’Ancien Régime. Le dépouillement des lettres patentes imprimées conservées dans les collections de la Bibliothèque nationale de France a notamment cherché à combler partiellement cette lacune. Non seulement ces petites pièces imprimées permettent de prendre facilement connaissance du texte d’un grand nombre d’actes royaux, mais elles ont en elles-mêmes fait évoluer le processus législatif à l’aube des Temps modernes. Les trois cent sept pièces analysées et les deux cent soixante-sept actes royaux différents qu’elles contiennent ont, en effet, permis de s’interroger sur les rapports entre l’apparition d’un marché des actes royaux imprimés et le processus législatif. Cette étude en appelle donc de nouvelles, en particulier pour comprendre l’évolution du phénomène jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.


Pièces justificatives

Exemples d’actes royaux incunables et post-incunables. –– Exemples d’actes royaux imprimés après 1530. — Exemples d’originaux imprimés. — Exemples de copies imprimées sur parchemin avec mentions manuscrites.


Annexes

Reclassements du corpus de référence. — Actes royaux incunables. — Imprimeurs et libraires d’actes royaux.