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École des chartes » thèses » 2004

Avoir vingt ans à Strasbourg au tournant du xixe siècle

Le niveau de vie des milieux modestes et défavorisés : approche par les registres de conscription et présentation de l’École de travail.


Introduction

L’une des branches de l’histoire économique et sociale s’intéresse de près au niveau de vie des populations, en s’appuyant sur les prix et les salaires. Il existe parallèlement une approche originale de la vie des Français, l’histoire anthropométrique, permettant d’évaluer à partir des archives militaires l’état sanitaire des conscrits, et donc de déceler d’éventuels signes de malnutrition durant leur petite enfance ou leur adolescence. Les recherches sur la population des villes, spécialement au début du xixe siècle, demeurent lacunaires. Si les notables ont suscité des mouvements d’enquête et de recensement, il n’en va pas de même pour les catégories moyennes, a fortiori pour les jeunes gens d’origine modeste, voire miséreuse. Les listes de la conscription peuvent à cet égard être riches de données statistiques. Il s’agit donc ici de cerner en profondeur la société de la ville de Strasbourg, entre 1785 et 1830, au moyen du dépouillement de quelques 8 065 noms de conscrits. Entre le lustre des grandes fortunes établies sous l’Empire et une certaine misère populaire, redoutée des préfets et des commissaires de police, se place une large palette d’individus, petits bourgeois, artisans laborieux, petites gens modestes ou aux limites de la pauvreté.


Sources

Le fonds principal est constitué par les archives de la conscription (séries R des Archives départementales du Bas-Rhin et AF iv des Archives nationales), en particulier les tableaux de recensement et les registres tenus par les conseils de révision. Y figurent en effet les renseignements d’ordre général sur la personne du conscrit (lieu de naissance, profession), mais aussi les décisions et analyses du conseil de révision. Ces sources ont été complétées par les archives de la police (série F7 des Archives nationales), notamment les rapports, donnant un éclairage particulier sur la vie quotidienne de la population, les fonds ayant trait à l’économie (rapports sur la situation du commerce et de l’industrie, mercuriales, papiers de la Chambre de commerce de Strasbourg) et à l’assistance (séries F15 des Archives nationales, X des Archives départementales du Bas-Rhin, AH des Archives municipales de Strasbourg).


Première partie
Aux sources d’une approche originale de la démographie : la conscription


Chapitre premier
“ La loi la plus affreuse et la plus détestable pour les familles ”

Le volontariat. ­ Le recrutement des armées royales sous l’Ancien Régime relève officiellement du volontariat qui, en réalité, s’apparente au mercenariat et au racolage. Cependant, la milice provinciale est levée par tirage au sort. Peu contraignante, la milice est honnie de la population, car souvent injuste : elle repose de fait en majorité sur les plus pauvres. Elle symbolise pourtant la première forme moderne de service militaire. Les premières années de la Révolution fonctionnent également sur la base du volontariat. Si, dans les textes, le volontariat demeure, il devient illusoire, mais aucun cadre légal ne lui est substitué.

La loi Jourdan.­ La nécessité d’élaborer une loi se pose de façon criante sous le Directoire. La loi Jourdan (5 septembre 1798), votée sous la pression accrue des troupes ennemies, permet d’assurer des apports réguliers de troupes et de combler les vides. Tous les jeunes Français de vingt ans révolus à vingt-cinq ans sont inscrits sur les tableaux de recrutement et sont dès lors susceptibles de rejoindre les drapeaux. Après des débuts chaotiques, la loi est aménagée et les levées deviennent plus méthodiques.

La Restauration et la conscription.­ Au début de la Restauration, le nouveau régime doit régler le sort de la Grande Armée et décider de l’avenir de la conscription. La loi Gouvion Saint-Cyr du 12 mars 1818 met un terme à tous les litiges en suspens, tant dans le domaine du recrutement que de l’avancement. Elle se fonde sur trois points essentiels : seul un petit nombre d’hommes est levé par tirage au sort, le service s’annonce d’emblée comme long, la possibilité du remplacement est favorisée.

Chapitre II
De la soumission à la révolte

Les remplacements.­ La seule possibilité légale de fuir la conscription est le remplacement. Même si tout un trafic d’hommes se met en place, la pénurie de remplaçants ne cesse de croître après 1810. Le marché du remplacement constitue une aubaine pour tout un milieu de jeunes gens pauvres, préférant se vendre et encourir les dangers de la guerre que de mener une existence misérable.

Les fraudes. ­ Un commerce de faux certificats implique aussi bien médecins que membres de l’administration. Les appuis, les alliances, le crédit du cercle des parents et amis sont mis à contribution pour se soustraire à la conscription. Les catégories sociales moins fortunées ont recours à des fraudes moins onéreuses, comme les mutilations volontaires.

Les insoumis.­ Globalement, les villes sont moins réfractaires à la conscription que les campagnes. D’importantes zones d’insoumission émergent, principalement dans le Nord, les Pyrénées, le Massif Central. Des villes comme Strasbourg et Paris apparaissent comme des plaques tournantes de passage de déserteurs. Fréquemment, les réfractaires jouissent de complicité et de protection locales, ce qui rend leur arrestation difficile.

La répression.­ Les peines encourues sont sévères. Les déserteurs sont jugés par un conseil de guerre et risquent la peine de mort. L’une des mesures les plus efficaces contre l’insubordination est le système des garnisaires et l’utilisation de la colonne mobile, chargée de parcourir les communes et d’arrêter les retardataires. Elle est inaugurée en l’an VII, mais demeure peu employée jusqu’aux années 1810.

Chapitre III
Devant le conseil de révision : les conscrits déclarés bons pour le service et les exemptions

Le taux d’exemption sous l’Empire est de l’ordre de 4% des conscrits ; sous la Restauration, il est multiplié par plus de cinq, passant à quelque 22%. Ces oscillations suivent les exigences des guerres impériales. Un accroissement de l’effectif des levées pousse les conseils de recrutement à ne formuler qu’un minimum d’exemptions tout en déclarant le plus grand nombre possible de conscrits bons pour le service. Consciente de l’extrême réticence des Français envers la conscription, la Restauration se montre plus accommodante dans l’attribution d’exemptions, dans un souci certes politique, mais aussi financier.

Chapitre IV
Les notables sous les drapeaux : la garde d’honneur strasbourgeoise

La conscription des notables. ­ Les régiments de gardes d’honneur sous l’Empire correspondent à deux institutions différentes. Un décret du 15 juin 1805 officialise les gardes d’honneur locales, établies pour honorer l’empereur lors de son passage ou un membre de sa famille. Mais, en 1813, les gardes d’honneur deviennent une sorte de conscription parallèle. Les classes aisées, dont les fils paient fréquemment un remplaçant, sont désignées pour les former. Pour attirer les fils de notables, le système offre de rapides promotions. L’intention de Napoléon, au retour de la désastreuse campagne de Russie, est d’une part de rassembler autour de son trône les notables, en les flattant par un régime militaire de faveur tout en les surveillant, d’autre part de combler les vides de l’armée en hommes et en chevaux.

“ Les personnalités les plus marquantes ” de Strasbourg.­ La liste des gardes d’honneur permet de discerner les personnages éminents de Strasbourg, de grands notables comme les Roederer, les Saglio ou les Turckheim. Les familles de négociants fournissent à elles seules près de la moitié de la garde d’honneur. Un tiers des effectifs se répartit entre les artisans et les professions intellectuelles, qui sont les deux groupes dominant le paysage strasbourgeois. Le sixième restant se partage entre des fonctionnaires, des propriétaires et des rentiers. Ainsi est esquissée la pyramide sociale de Strasbourg. Les personnages les plus éminents de la ville se retrouvent parmi les négociants, les intellectuels, les fonctionnaires, les propriétaires et les rentiers. La faible part de ces deux derniers ensembles met en évidence une caractéristique de la ville : ses élites ne ressemblent pas aux classes dominantes parisiennes. La part de la noblesse y est inexistante.


Deuxième partie
La ville : entre tradition et apports extérieurs


Chapitre premier
Une ville d’artisans et d’intellectuels

Les artisans ainsi que les étudiants et les autres professions intellectuelles constituent les deux principales catégories professionnelles de Strasbourg. La prospérité économique de cette ville sous l’Empire, sa position comme point de passage et capitale du ravitaillement militaire sur le Rhin favorisent les artisans, dont les activités sont liées à la transformation des matières premières produites dans la région (tabac, chanvre, orge, cuir). La place des métiers liés au travail des métaux reste modeste, malgré d’anciennes traditions.

Depuis la fin du xviie siècle et grâce aux intenses efforts de la Contre-Réforme, le nord-est de la France, départagé par la fameuse ligne Saint-Malo/Genève, apparaît comme une zone alphabétisée. Traditionnellement, Strasbourg forme un pôle de théologie, tant catholique que luthérienne, et d’études en général.

Chapitre II
La population urbaine : accroissement naturel ou flux migratoires ?

Les prémices d’un exode rural. ­ Une période d’expansion démographique, particulièrement dans les campagnes, caractérise la première moitié du xixe siècle. Les accroissements démographiques urbains se font essentiellement par un apport extérieur. Les villes sont demandeuses d’une main d’œuvre peu qualifiée, que leur fournissent les populations rurales, pour pourvoir aux emplois de domestiques ou de servantes. De plus, le réseau de bienfaisance y est généralement plus développé et plus efficace. Les pauvres venus des campagnes peuvent espérer y trouver des moyens de survie.

Les aires de recrutement.­ 85% des conscrits étudiées sont nés à Strasbourg. Les jeunes gens natifs de l’extérieur forment un ensemble de 15%, qui se décompose en 58,8% de Bas-Rhinois ; 16,6% de Français non Alsaciens ; 14% d’Allemands ; 6,2% de Haut-Rhinois ; 4,4% d’étrangers autres qu’Allemands. L’émigration est d’abord un phénomène local. La majorité des flux migratoires provient des campagnes plus ou moins limitrophes de Strasbourg, notamment de ses quatre anciens bailliages ruraux. En schématisant, on peut dépeindre l’émigrant comme un rural sans métier agricole stable : non propriétaire, journalier, ouvrier de la proto-industrialisation, indigent de toute sorte. L’attraction de la ville s’exerce sur les ruraux bas-rhinois, mais également sur les habitants de l’autre côté du Rhin.

Chapitre III
Bassins démographiques et activités professionnelles

Les intellectuels, particulièrement les étudiants, et les militaires regroupent le plus grand nombre de conscrits nés hors Strasbourg. Vient ensuite un ensemble relativement homogène composé des commerçants, des journaliers, des artisans, des ouvriers, des métiers de bouche et des « sans état ». À l’autre extrémité, les métiers agricoles et ceux liés au transport, par exemple les bateliers, ne comptent qu’une faible part de non-Strasbourgeois.

Le poids de l’Histoire s’exerce fortement sur les migrations. Celles-ci se font suivant des courants anciens d’échanges et de relations. Strasbourg accueille en majorité deux groupes totalement opposés : d’une part, les artisans et intellectuels, de l’autre, l’éventail des petits métiers à la frange de la pauvreté, donc à la fois les professions les plus estimées et les plus humbles.


Troisième partie
Une population malnutrie ?


Chapitre premier
Pathologies et autres cas de réforme décelés par le conseil de révision

Sur la période 1805-1830, le taux moyen de malnutrition est d’environ 25% ; il varie de 19% sous l’Empire à près de 30 % sous la Restauration. Il est clair que, sous les Bourbons, la population paie les événements de l’époque précédente, à savoir les crises économiques et les conséquences de la double invasion de 1814-1815.

Chapitre II
Une population soumise aux avatars de l’Histoire

Peut-on parler d’une crise pré-révolutionnaire ?­ La tendance générale de la variable malnutrition met en évidence un pourcentage extraordinairement bas chez les natifs de la période 1785-1790 : environ 12%, soit moitié moins que le taux global de 1805 à 1830 et presque trois fois moins que celui des années noires d’examen 1816-1819. La disette des années 1787-1789 affecte finalement peu le corps des conscrits sur le long terme ou est aisément compensée. En revanche, on détecte à la fin du xviiie siècle un accroissement de la pauvreté chronique chez une fraction de la population, pour laquelle la montée régulière des prix n’a pas été accompagnée d’un ajustement des salaires.

Strasbourg en Révolution.­ La Révolution se révèle particulièrement dure pour la population, entre la crainte permanente d’une arrestation sous la Terreur, la pénurie de denrées et les déboires économiques. Les réquisitions se multiplient, débouchant sur une crise alimentaire. Parallèlement, les activités économiques stagnent, puis régressent, du fait de l’instabilité politique, de la fuite de capitaux, des entraves à la liberté économique et des débouchés incertains. L’année 1794 est de loin la plus éprouvante, comme en témoignent les exemples précis des conscrits exerçant les métiers de cultivateurs, jardiniers, bouchers, boulangers et tailleurs. Les civils souffrent d’autant plus que l’approvisionnement de l’armée du Rhin est prioritaire sur celui des marchés. La crise de l’an IV est terrible, touchant essentiellement les classes pauvres et modestes, ne disposant que de leur salaire pour vivre. Le taux de malnutrition des conscrits nés pendant la phase jacobine de la Révolution atteint 25,5%, soit le double du lustre précédent.

La crise, du Directoire au Consulat.­ L’accentuation du marasme économique et de la détresse financière de l’Etat ainsi que l’omniprésence d’un climat de guerre aggravent le niveau de vie des fonctionnaires et des ouvriers, tandis que se multiplie dans les rues de la ville le nombre d’indigents. En dépit de l’abolition du maximum, les villes peinent à s’approvisionner et se voient autorisées à opérer des réquisitions dans les districts. Les tourments s’atténuent quelque peu à la fin de 1795. Cette crise se fait particulièrement sentir chez les étudiants, les employés, les commis, les journaliers, les cordonniers, les cordiers, les tisserands et les ouvriers de la manufacture des tabacs.

Chapitre III
Aux franges de la société : migrants et « sans état »

L’impact d’une misère rurale en ville ?­ Les conscrits nés hors de Strasbourg présentent des signes de malnutrition décroissants : de 16,4% à la fin de l’Ancien Régime, ils passent à 10,9% sous la Révolution, puis diminuent encore de moitié pour se stabiliser autour de 5 à 6% sous l’Empire. Les carences alimentaires sont le fait des Strasbourgeois et non d’éventuels pauvres migrants des campagnes. Il convient donc de nuancer le cliché d’une misère rurale importée en ville. Si le dénuement le plus extrême chasse hors de leurs foyers les habitants des campagnes - comme tel est le cas en 1788, à la suite de la disette -, l’accalmie ou la prospérité au contraire favorise les mouvements des migrants au niveau de vie convenable, désireux d’exercer leur art.

Un efficace système d’assistance ?­ Les conscrits désignés comme « sans état » sont généralement assimilables à des indigents. Or, leur malnutrition est de faible ampleur, à peine au-dessus de la moyenne générale des conscrits (28,6%), et tend même à diminuer. En somme, si les catégories les plus modestes, à la frange de la misère, connaissent une réelle dégradation de leurs conditions de vie, la situation des plus pauvres ne se détériore pas davantage.


Quatrième partie
La politique d’assistance à Strasbourg : l’exemple de l’École de travail


Chapitre premier
Les grands courants de la politique d’assistance, de l’Ancien Régime à l’Empire

À l’époque moderne, une nette distinction se fait jour entre le “ pauvre honteux ”, bon par essence, et le “ mauvais pauvre ” frappé par les édits royaux. La Révolution voit l’affirmation de la responsabilité de l’Etat en matière d’assistance. La loi du 23 messidor an II nationalise entièrement l’assistance. Sous l’Empire, le système d’assistance bouleversé par la Révolution est remis sur pied. Parallèlement, le “ grand renfermement des pauvres ” connaît une recrudescence avec le décret du 5 juillet 1808, qui rétablit les dépôts de mendicité et interdit la mendicité.

Chapitre II
Les fondations successives de l’École de travail de Strasbourg

L’Ancien Régime.­ La vocation principale de l’École de travail au début du xviiie siècle reflète le souci d’éradiquer “ l’oisiveté criminelle ” des mendiants et vagabonds. Les pauvres, mais aussi les personnes abandonnées sans ressources comme les malades, les orphelins et les invalides, doivent être corrigés par un travail sévère. L’établissement s’adresse à deux grandes catégories de population : d’un côté, malades, orphelins et même lépreux - une partie des bâtiments de l’ancienne léproserie est reconvertie par l’École de travail -, de l’autre, mendiants, gens de mauvaise vie, car les fondateurs de cette école ont le souci très net de maintenir l’ordre public.

La fondation de 1801.­ La nouvelle institution ouverte le 1er frimaire an X comprend deux séries d’ateliers, l’une à la maison dite “ Hospice des enfants de la patrie ”, l’autre dans les bâtiments appartenant aux Hospices civils de la ville, rue Saint-Jean. Trois raisons principales justifient cette deuxième fondation : le nombre sans cesse croissant de mendiants, la lutte contre le vol, le crime et l’immoralité, enfin, l’argument mercantiliste, influencé probablement par les courants allemands et l’exemple des solutions d’assistance d’Outre-Rhin.

Fermeture en 1813 et réouverture en 1815.­ La guerre contraint l’École à fermer ses portes en 1813. Mais, entre 1813 et 1815, années de grandes difficultés, le nombre d’indigents ne cesse d’augmenter. Une commission spéciale est formée à l’automne 1815 afin de réorganiser l’établissement. Cible de vives critiques en raison de son fonctionnement onéreux, celui-ci se voit à nouveau obligé de fermer définitivement ses portes à la fin de l’année 1818.

Chapitre III
La gestion de l’établissement

Les admissions.­ L’École de travail est réservée aux hommes, femmes et enfants valides, afin que l’hôpital ne soit plus le refuge de la misère, mais puisse se consacrer aux malades. Les “ pauvres honteux ” trouvent l’occasion de recouvrer leur dignité en touchant un salaire. C’est à eux que s’adresse en priorité l’École, plus proche de l’esprit d’un atelier de charité que d’une maison répressive. Des mesures plus coercitives sont en revanche prises à l’encontre des vagabonds.

L’administration.­ Selon l’implantation des ateliers, L’École de travail est rattachée à la Commission administrative des Hospices, presque exclusivement composée de notables, ou dépend d’un économe. Elle fait partie intégrante des Hospices civils jusqu’en l’an XIV, puis devient autonome.

Les finances.­ Les traces du patrimoine de l’établissement sont très rares : on ne trouve guère que la mention de loyers versés pour la location d’une partie des bâtiments. Créée sous l’impulsion des autorités municipales, l’École n’a pas reçu de dotation en terres ou en droits, comme le faisaient systématiquement les fondateurs charitables du Moyen Âge ou de l’Ancien Régime. Aussi son assise financière est-elle instable car elle dépend surtout des dons aléatoires des particuliers et du travail des ouvriers, que les administrateurs eux-mêmes finissent par reconnaître comme peu rentable.

Chapitre IV
La vie quotidienne des pauvres

Le travail.­ Le travail reste à la fois moyen de répression et de rédemption. Même si on souhaite contraindre les mendiants au travail, il semble que l’établissement n’ait pas le caractère d’un dépôt de mendicité. Les ouvriers sont répartis dans les différentes salles suivant leur âge, leur sexe et leur type d’occupation. Les femmes sont généralement employées à la filature du chanvre, de la laine et du coton. Une caractéristique de l’École est de fournir également du travail à domicile, particulièrement aux femmes.

La place des enfants.­ L’un des buts premiers de l’École de travail est de pourvoir à l’instruction gratuite des enfants : ils y apprennent un métier, mais reçoivent aussi un enseignement de la morale et de la religion, formation qui devient toujours plus prégnant sous l’Empire et sous la Restauration.

Aspect sanitaire.­ Alors que les philosophes avaient taxé les hôpitaux d’Ancien Régime de “ mouroirs ” et que les dépôts de mendicité traînaient parfois de terribles réputations de manque d’hygiène, les arrêtés et les règlements de l’École de travail trahissent un souci constant de salubrité.

Il paraît délicat d’assimiler l’École de travail à un établissement répressif. On pourrait se trouver en présence d’une institution hybride, tenant à la fois des ateliers de charité et d’un dépôt de mendicité - le dépôt de mendicité du Bas-Rhin n’est d’ailleurs pas établi à Strasbourg, mais à Haguenau. Si le régime est sévère, il n’en reste pas moins que l’institution ne se veut pas un centre d’enfermement. L’accent est mis sur le soin à accorder aux enfants, dont le sort connaît quelques adoucissements par rapport à celui des enfants trouvés et déposés à l’Hospice des orphelins.


Conclusion

En dépit des profonds bouleversements institutionnels qu’elle a connus, la population strasbourgeoise reste encore très marquée par la démographie d’Ancien Régime. Si, depuis le début du xviiie siècle, les accidents démographiques ne sont plus guère causés par les épidémies, les crises agricoles, lors de la Révolution et à l’occasion de la disette de 1816-1817, frappent de plein fouet aussi bien ruraux qu’urbains. La pyramide socio-professionnelle des Strasbourgeois étudiés peut se découper ainsi : au sommet se placent les bateliers, les bouchers, les tonneliers, suivis des étudiants, des boulangers et des menuisiers. Un peu au-dessous du taux moyen de malnutrition calculé pour l’ensemble des conscrits, se trouvent les employés et, légèrement au-dessus, les serruriers, les « sans état », les commis, les journaliers et les jardiniers. Enfin, parmi les plus malnutris se classent les tisserands, les cordonniers, les ouvriers, les tailleurs, les cordiers et les cultivateurs. Ce sont donc les métiers de bouche et les artisans qualifiés qui bénéficient des meilleures conditions de vie, tandis qu’au bas de l’échelle sociale se positionnent les petits artisans, les métiers du textile, les ouvriers et les cultivateurs. L’impression d’ensemble qui se dégage est celle d’une société aux nombreuses classes très modestes, voire pauvres. Le monde des artisans, complexe et disparate, accuse des différences sociales très nettes. À lui seul, il forme une société distincte, avec son aristocratie et ses pauvres.


Annexes

Textes législatifs. ­ Levées de conscrits. ­ Membres des gardes d’honneur strasbourgeoises. ­ Fiches biographiques. ­ Liste des professions rencontrées dans le corpus. ­ Liste des lieux de naissance des conscrits strasbourgeois. ­ Tableaux de l’étude des pathologies liées à la malnutrition par profession. ­ Budget de l’École de travail de l’an X à l’an XIII.